Chapitre 36 - Dénouement 1/2
Le lendemain, après une nuit agitée, mon for intérieur étant plus que partagé, je m'étais décidée à y aller. Que je boirais pour oublier... que l'on boira tous pour oublier.
Me doutant que Malaury n'avait rien organisé, j'enfilai ma tenue de capitaine et je sortis sur le pont, retrouvant mon habituel tonneau. Les hommes me regardaient étrangement. Une certaine crainte. J'avalai ma salive de travers. Lorsque tout le monde se trouvait sur le pont, je commençai mon discours :
« Comme annoncé quelques jours plus tôt, nous allons nous rendre à Delicor. Nous...
— Un instant, capitaine. »
Malaury s'était avancé. Il s'éclaircit la gorge, puis déclara :
« Vous pouvez trouver votre capitaine incapable de diriger... dans ce cas-là, vous avez tout à fait le droit de vous mutiner. Ce n'est qu'un rappel du code que nous suivons. Aujourd'hui, ce n'est pas Augustin, mais toi qui es en tort. Nous te demandons de cesser la piraterie. »
L'œil écarquillé, j'étais sonnée. Moi ? Cesser la piraterie ?
« Tu as franchi un point de non-retour, Neven, reprit Malaury. Tu nous as fait une demande insensée. Nous t'avons fait part de notre réticence, mais tu n'en as pas tenu compte... alors nous voulons que tu cesses d'être capitaine. Tu n'en es plus digne. »
Je regardais Malaury sans le comprendre, perdue. Il était ferme. Sûr de lui. Qu'étais-je, sans la piraterie ? Je n'étais rien...
Je ne veux pas être rien... j'ai peur de n'être rien... j'ai si peur... je dois faire quelque chose...
Perturbée, je m'exclamai, cherchant le fil de ma pensée :
« Comment ça, je n'en suis plus digne ? Je dirige depuis trois ans ! J'estime être une bonne capitaine !
— Tu l'as été, c'est vrai ! Mais depuis peu...
— C'est pour nous protéger ! criai-je. C'est pour vous protéger ! Tous ! Chacun d'entre vous ! Imaginez ! Si ces hommes et ces femmes veulent se venger du mal qu'on a causé à Augustin ! Imaginez...
— Neven ! me coupa Malaury. Nous en avons déjà parlé ! Nous sommes des pirates ! Notre vie ne tient qu'à un fil ! Si un jour on doit être attaqué, on le sera ! On y fera face ! En voulant massacrer ces villages, tu vas trop loin !
— Mais ima...
— Non ! Ce n'est pas que pour ça ! Ton agressivité récente en mer ! Pour t'imposer ! Tous ces marchands et corsaires qu'on a tué car tu le voulais, et non pas car c'était nécessaire !
— Je suis ambitieuse ! Si on me craint sur les mers, alors je serais définitivement l'une des pirates les plus respectées ! C'est pour cette raison qu'on a été plus violents, ces derniers temps ! »
J'avais l'impression que j'aurais beau m'agiter dans tous les sens, c'était peine perdue.
« Ce matin, c'était ta dernière chance pour annuler l'opération ! Tu ne l'as pas saisie ! Alors, nous avons décidé de nous mutiner ! Arrête-toi, maintenant ! »
Alors, ça se terminait comme ça ? Par une mutinerie ? Ahahah... quelle honte j'étais ! Pour moi, pour ma famille, pour tous !
Je baissai le regard vers l'homme que j'aimais. Je lui faisais aveuglément confiance, et c'était lui qui avait organisé la mutinerie... J'étais pitoyable. De toute façon... avec la demande que j'avais faite... c'était compréhensible. Je le méritais. Je méritais toute la haine du monde...
Je balançai mes armes à ses pieds, descendis du tonneau, puis du gaillard pour me planter devant lui. Je perdais tout. Je n'étais plus rien. Je ne valais plus rien. À la limite de pleurer, je lui offris un sourire glacial, et murmurai :
« Soit... je... j'abandonne... Jetez-moi à l'eau... allez-y... Abandonnez-moi quelque part... ou tuez-moi directement... »
Il posa la main sur mon épaule :
« Il n'est pas question de ça. On te ramène chez ta famille. Nous ne sommes pas loin. Repose-toi dans ta cabine et prépare tes affaires, en attendant... »
J'écarquillai l'œil :
« Alors tu m'humilies à ce point-là, Malaury ? Je vais rentrer chez moi... devant mon père qui était capitaine ! Pour lui dire que l'on m'a jugée indigne d'être capitaine ? Si je mourais tout de suite, je n'aurais pas à subir cette humiliation... et...
— Comment pourrais-je te tuer ? Tu as déjà oublié ce que je t'ai dit. »
Je grimaçai :
« Tu dis m'aimer, vouloir me protéger... mais tu m'enlèves la seule chose que j'avais ? »
Mes mains tremblaient.
Je ne suis plus rien. Quelqu'un qui ne sait rien faire. Qui n'a plus rien. Qui ne vaut plus rien...
« Tu veux me tuer de l'intérieur, c'est ça ? Tu me plantes un tel couteau dans le dos ! Si tu m'aimais vraiment...
— Je t'aime, me murmura-t-il en me regardant dans les yeux. »
Ses mots si doux me faisaient si mal. Je retirai mon tricorne et le plaquai contre son torse :
« Prends donc ce chapeau. Les hommes semblent mieux t'estimer que moi. »
Je laissai glisser mon manteau sur le sol et partis à pas précipités dans ma cabine. À peine arrivée, je m'effondrai à genoux sur le sol. Toutes les larmes qui menaçaient de sortir coulaient à flot.
Que se passait-il ? J'avais du mal à saisir la situation... pourtant... ses mots, lui qui me déclarait une mutinerie... le regard effrayé de mes hommes... enfin, mes hommes...
Un rire haché de sanglots balaya la pièce. Ils n'étaient plus mes hommes.
On m'avait estimée toute ma vie comme capitaine pirate. J'avais fait la fierté de mon père. Je n'avais travaillé que pour cela, depuis neuf ans. Et on me l'arrachait ainsi, si facilement ? Qu'allais-je devenir ?
Ma carrière de pirate était finie. Tout le monde entendrait parler de la mutinerie à mon encontre. Je perdrais tout le respect que j'avais gagné au fil des années. Que dirait-on de moi ? « Neven l'Écarlate, une capitaine aux desseins sanguinaires, a été victime de mutinerie. » Toute mon autorité, toute mon image... brisées.
Seulement, pour une fois... je me rendais compte que mon image n'était pas le plus important. Je ne serais plus sur les mers pour les entendre parler... en revanche...
Je secouai la tête. Mon père. Qu'allait-il penser ? Il était si fier de moi... quel déshonneur je lui ferais, de rentrer, la queue entre les jambes. Je n'étais plus rien... non, pire. Une personne qui avait tout raté.
En même temps... c'était ma faute... enfin... de ce que disait Malaury.
Mon cœur se serra. Je ne comprenais pas comment il disait vouloir me protéger en me plantant un tel couteau dans le dos. Ni pourquoi il disait m'aimer. J'avais si mal. Je l'aimais... et je le détestais en même temps. Une étrange et douloureuse passion.
Qu'allais-je faire, à présent ? Je n'étais bonne à rien. Je m'étais destinée à vivre sur les mers et de la piraterie. Je ne savais rien faire. On me retirait la seule chose que je pensais savoir faire... a priori, j'étais une mauvaise capitaine. Si mauvaise que l'on se mutinait... ahah, risible, Neven. Je ratais tout.
Finalement, peut-être que je n'étais pas destinée à pirater. Peut-être ne l'avais-je jamais été. Dans ce cas... qu'était le but de ma vie ? Je voulais sauver ma sœur... je la tuais. Je voulais devenir capitaine et avoir une longue carrière... on se mutinait. Moi qui pensais être un marin aguerri... je ne l'étais sans doute pas.
Je n'arrivais pas à suivre mes pensées. Tout se mélangeait. Je pensais à Malaury qui m'avait fait si mal. Je pensais à la mutinerie, à la trahison que je venais de subir de sa part, et de celles de mes hommes que je pensais fidèles. Mora aussi, m'avait trahie... pourquoi tout le monde me trahissait ?
J'étais une mauvaise personne, sans doute. Oui, c'était... la raison pour laquelle on s'était mutinés contre moi. Incompétente. Ha. Risible. J'avais si confiance en moi, avant... tout me souriait... et je perdais tout en l'espace de quelques mois.
Je pleurais à nouveau. Une pleurnicharde. Drôle de capitaine... non, je ne l'étais plus. Ce n'était même plus ma cabine. Ce navire n'était plus le mien. Je n'étais plus rien.
Je me couchai sur le matelas, recroquevillée sur moi-même. Je ne m'étais jamais sentie aussi misérable et démunie. Quand j'avais perdu ma sœur et Célestin... j'étais au fond du gouffre et je n'en étais pas sortie. Mais j'avais des choses auxquelles me raccrocher. Et maintenant ? Je n'avais plus rien.
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