Chapitre 31 - Préparation 1/2
Un liquide frais coulait au bord de mes lèvres. Je bus, et instinctivement, j'attrapai la gourde. Je me sentais mieux. La chaleur qui emprisonnait ma tête se dissipait. J'inspirai. J'ouvris l'œil.
« Elle est tirée d'affaire ?
— Oui, tout va bien. »
Une main passa sous mes épaules pour me redresser. Assise, je recommençai à boire. Je ne sentais plus mes jambes, tout mon corps pesait lourd, je n'avais qu'une envie : me coucher.
« Qu'est-ce qui est arrivé ? gronda une voix que je connaissais bien. »
J'avais du mal à me concentrer sur les personnes qui piaillaient autour de moi, tout se confondait. On attrapa fermement mes épaules, et Malaury s'agenouilla devant moi :
« Est-ce que ça va ? »
La peur dévorait ses prunelles. Je hochai la tête. Beaucoup d'hommes s'étaient levés au milieu de la nuit. On m'indiqua qui m'avait remarqué et fait boire. On m'aida à me remettre debout, et je serrai la main de Borg :
« Merci...
— Heureux que tu sois saine et sauve, capitaine ! »
Malaury passa un bras autour de mes épaules pour m'emmener dans ma cabine. Il recommença à me questionner, porte refermée derrière nous :
« Qu'est-ce qui t'est arrivé ?
— Je ne sais pas...
— Ce n'était pas volontaire, hein ? Tu n'essayais pas de sauter, ou autre ?
— Quoi ? Non ! Comment veux-tu que je commande un malaise ? »
Il attrapa fermement mes mains, le regard préoccupé :
« Écoute, je suis désolé si je t'ai blessée tout à l'heure. Ce n'était pas dans mes intentions. Pas vraiment. Je voulais juste te faire réagir. Mais je t'aime plus que tout, d'accord ? J'ai eu tellement peur quand on m'a dit que tu étais tombée... je craignais que ce soit plus grave. Je ne veux pas te perdre... Je t'aime. Je t'aime plus que tout. Je suis là. »
Je parvins enfin à en placer une :
« Il n'y avait rien de volontaire... je n'arrivais juste pas à dormir, et j'ai fait un malaise sur le pont, c'est tout. »
Il sembla d'autant plus soulagé, avant de se montrer à nouveau inquiet :
« Tu te sens comment ?
— Très fatiguée... mes jambes tremblent... j'ai froid... »
Malaury m'aida à m'asseoir, puis s'installa près de moi pour frictionner mon dos. Je baillai longuement, et il m'interrogea :
« Tu as sommeil ?
— Oui... je me sens exténuée, mon corps est en coton.
— Tu as mangé ?
— Pas faim. »
Il grimaça.
« Tu te rends compte que c'est dangereux, pas vrai ? »
Je levai l'œil au ciel : il allait me sermonner, je n'étais plus une enfant.
« Non, sérieusement, Neven. Tu as eu beaucoup de chance d'être tombée sur le pont, ce soir, alors que tout allait bien. Mais imagine si ça t'arrive en plein combat ? »
Il ferma les yeux, puis les rouvrit, grave :
« Contre Augustin, par exemple ? »
Il savait comment me motiver.
« Il en profiterait pour te tuer. Je ne veux pas que ça arrive. Alors, je t'en prie, remets-toi à manger convenablement. On arrive bientôt à destination. Il faut que tu prennes des forces.
— Je ferai au mieux, murmurai-je en me couchant. »
Je rabattis la couverture sur mes épaules, mais je frissonnais encore.
« Je reste avec toi, souffla-t-il en éteignant ma lanterne. »
Couché contre mon dos, je le laissai m'enlacer.
« Tu as encore froid ?
— Je crois que ça va mieux... »
Je m'endormis sans le voir venir.
Le lendemain, Malaury me serrait toujours contre lui. Pourtant, il était tard, en fin de matinée. Je me tournai lentement vers lui, me sentant toujours fébrile, avec un léger mal de tête.
Il sourit en me découvrant, puis redevint sérieux :
« Tu t'es bien reposée ? Comment tu te sens ? Tu as mal quelque part ? »
Qu'il était inquiet ! Pire que mon père que je trouvais déjà papa poule.
« Mieux qu'hier, répondis-je simplement. Pourquoi tu es toujours là ? Tu devrais être sur le pont, à cette heure-ci.
— Je craignais que tu aies froid si je partais. »
Il m'embrassa avec douceur, sous mon regard surpris. Dire que nous étions en froid avant mon malaise... je m'approchai pour glisser ma tête contre son cou, l'enlaçant tendrement. J'avais besoin d'amour, je le concédais. De lui et de sa présence.
« On déjeune ? »
Si je répondais non, il allait encore me réprimander.
« Je vais essayer. »
Quelques minutes plus tard, nous étions côte-à-côte, emmitouflés dans une couverture, avec une assiette remplie de biscuits secs. Je les analysais un à un, l'œil curieux :
« Pas de vers, étonnant.
— Je crois que le coq travaille beaucoup sur la conservation des aliments. On a moins de mauvaises surprises. »
Tandis que Malaury déjeunait à grandes bouchées, je ne faisais que quelques crocs. J'avais pris l'habitude de ne plus manger grand-chose.
« Tu as beaucoup maigri, je trouve, me confia-t-il. J'y sens quand je te serre contre moi. Tu dois te sentir faible, non ?
— Plutôt, avouai-je. Je manque de force en général.
— J'ai bien vu que pendant les combats livrés récemment que tu finissais par t'écarter. Et encore, à ce moment-là, tu t'étais remise à mieux manger. Ces derniers temps, ce n'est pas trop ça, non ?
— Pas trop... parfois j'ai faim, parfois non.
— J'aimerais vraiment que tu reprennes une alimentation normale. C'est dangereux, d'être faible, comme ça. On livre des combats mortels. Bientôt, on devra se battre contre Augustin. Il faut que tu sois au meilleur de ta forme. Et... si tu ne veux pas le faire pour moi ou pour toi... fais-le au moins pour Célestin et Mora. Ils n'aimeraient pas te voir comme ça, en train de te laisser mourir... »
Je retins mes larmes en me remémorant l'air triste porté par mes proches dans mon rêve, et j'acquiesçai :
« Je vais manger. »
Tandis qu'il retournait sur le pont pour travailler, je m'efforçais de terminer les biscuits, suivi de longues gorgées d'eau. Il fallait que je me remette en forme au plus vite. Il restait cinq jours avant l'altercation avec Augustin.
Le soir, Malaury était revenu. Nous avions dîné, et j'avais lu à son regard qu'il était rassuré. Il m'avait remerciée avec un baiser sur le front, et nous avions dormi ensemble. Le matin, nous étions restés enlacés un moment avant qu'il ne me parle :
« Neven... tu veux toujours qu'on attaque Augustin ? »
Le sujet de discussion qui nous avait séparés ? Allons-y :
« Oui. On est en route pour.
— On a encore la possibilité de faire demi-tour. »
Je m'assis plus convenablement :
« On arrive aux alentours de Delicor demain, en fin de journée. Il nous restera encore trois jours pour nous préparer. C'est plus que ce que nous espérions.
— Certes. Il n'empêche que ça reste très dangereux. Tu veux vraiment que nos hommes...
— Je sais qu'il y aura sûrement des pertes... mais je sais aussi que tu es capable de les limiter. J'ai un excellent second, et je lui fais confiance. »
Il ne semblait pas convaincu.
« J'ai beau bien m'en sortir, je ne peux pas faire de miracles.
— Malo, on s'est déjà battu contre plusieurs navires en même temps... je ne dis pas que ça s'est particulièrement bien passé, mais on s'en est toujours bien sortis quand même.
— On a des variables qu'on ne peut pas contrôler. On ignore s'il y aura l'Insurrection, même si je penche sur un oui. Et puis, des corsaires doivent déposer le coffre... imagine si ça tombe le jour de son arrivée ? Imagine s'ils décident de rejoindre Augustin ? Si on se retrouve contre une flotte de huit navires, tu te doutes que ce sera fichu pour nous, non ?
— Malo, soupirai-je en levant l'œil au ciel, huit navires ? Pour emmener un coffre ? Tu te fiches de moi.
— J'ai peut-être un peu surestimé, oui... Il n'empêche que même deux navires contre nous... »
J'acquiesçai :
« Oui, mais on l'a déjà fait. On peut le refaire. »
Il ferma les yeux.
« Tu es sûre de vouloir continuer ?
— Oui. On doit le faire. »
Il rouvrit les yeux pour les poser sur moi :
« Très bien. Je ferai le nécessaire pour que ça se passe le mieux possible. Je reste tout de même plus que dubitatif quant au résultat... on fera sûrement une offense plus distancée que d'habitude.
— Plus distancée ?
— Je compte sur des flèches pour mettre les navires qui ne nous intéressent pas en feu. Celui où se trouvera Augustin, on l'abordera pendant que les autres seront occupés à gérer leur bateau. Si nous sommes suffisamment rapides, ça nous laissera le temps de l'atteindre pour le tuer.
— Tu sous-entends qu'on irait seulement le tuer ?
— Pour minimiser les pertes, oui, ce serait le mieux. »
Cela ne lui plairait pas, je le savais :
« J'avais dans l'idée de massacrer l'équipage, puis de couler le navire. Les deux, d'ailleurs. »
Il fronça les sourcils :
« Mais pourquoi ? Si tu tues simplement Augustin...
— Et si les hommes veulent se venger de moi ? De nous ?
— Il faudra déjà qu'ils se remettent de notre attaque. On aura le temps de se préparer à contrer. »
J'y réfléchissais depuis quelques temps déjà, mais mes prochains objectifs se dessinaient peu à peu :
« Je veux que l'on me craigne sur les mers. Que l'on me craigne tellement que plus personne n'osera s'attaquer à moi. J'ai trop perdu. Je ne veux plus perdre qui que ce soit.
— On te craint déjà...
— Pas assez. Je veux devenir un véritable Dragon des mers. Le plus effrayant qu'il soit. Souverain des Pirates est un titre qui flatte... Dragon des mers est une image qui terrorise.
— On pourrait vouloir harponner le dragon, justement, si tu deviens trop... influente et gênante.
— Pas si je leur fais suffisamment peur. C'est ce que je cherche, Malo. »
Il passa une mèche derrière mon oreille, puis suivit les lignes de mon menton :
« Je ne sais pas exactement ce que tu comptes faire pour devenir ce dragon, mais je te soutiendrai. »
Je repris :
« Dans un premier temps, je veux que l'on massacre La Belicande et l'Insurrection. Il faut se venger, mais aussi éliminer tout ce qui pourrait se mettre en travers de notre chemin. Aucune pitié. Même si c'est dangereux, rajoutai-je à son intention. »
Un léger soupir :
« Je ferai au mieux. Tout de même, imaginons qu'il y ait trop de navires... je veux que nous attendions une meilleure occasion. Est-ce que tu peux me faire cette concession ? »
S'ils étaient trop nombreux, on pourrait ne même pas réussir à atteindre Augustin... autant ne pas risquer la vie de nos hommes inutilement :
« C'est d'accord.
— Merci. »
Il baisa mon front.
« Sur ce, je me lève, j'ai beaucoup à faire. Repose-toi bien, je t'aime. »
Un baiser, et il avait enfilé son long manteau en cuir pour sortir. Rimbel avait raison : j'avais un excellent second.
Cette nuit, j'avais été visitée par des cauchemars. J'aurais voulu ne rien laisser paraître, mais j'avais bougé à l'en réveiller, sans cesser de balbutier des mots qu'il ne comprenait pas. Je m'étais retrouvée dans le noir, les tempes humides, le cœur battant la chamade, avec Malaury qui me parlait doucement en caressant ma joue. Des quelques bribes de souvenirs qu'il me restait, il s'agissait encore de la mort de Mora. Je me concentrai sur sa voix et sa main qui m'avait toujours soutenue. Je séchai les larmes qui m'avaient échappé. Je me calmais.
« Tu es sûre que ça va ? Tu ne veux vraiment pas qu'on sorte prendre l'air ?
— Non, on se repose. Reste avec moi, c'est tout ce que je veux. »
J'aimerais, pour quelques jours au moins, délaisser cette horrible scène. J'aimerais me reposer, me renforcer, et être prête à venger ma sœur et mon meilleur ami.
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