Chapitre 3 - Condamnés ?

   J'observai Malaury. Il avait reçu quelques coups également, marqués par des traces de sang au niveau de son nez. Il releva les mains et parvint à glisser ses doigts au niveau de mes lèvres.

« On dirait que ça a séché.

— Depuis le temps, je pense...

— Tu as encore mal ?

— Ce n'est pas important, Malo.

— Désolé, mais ça me rassure, de parler. Je suis assez perturbé. On n'avait jamais été attrapés jusque-là. Je ne sais pas trop comment réagir.

— Moi non plus, il va falloir improviser. »

Je poussai un léger soupir.

« Pourquoi tu n'as pas voulu que je t'aide à fuir avec moi, tout à l'heure ?

— Je t'aurais retardée.

— Ensemble ou pas du tout, Malo.

— Ton instinct t'a tout de même poussée à fuir, me fit-il remarquer. Je n'en suis pas vexé. C'est ce que je souhaitais. »

Ses mains glissèrent jusqu'à mon ventre avec douceur :

« Pour toi... voire aussi pour lui. »

Je fronçai les sourcils :

« Je n'y pensais même plus... »

Il écarta les bras pour que je me glisse contre son torse, et il reposa ses mains au niveau de mon dos pour m'enlacer. Tête contre sa joue chaude et rugueuse, je restais silencieuse.

« Neven, si l'un de nous devait y passer...

— Ne parle pas comme ça ! criai-je en écartant mon visage.

— Neven. Écoute-moi. J'ai beaucoup réfléchi durant le trajet. J'ai trouvé un moyen pour te sauver.

— Tu plaisantes ? Je suis l'une des ennemies principales du gouvernement. Ils ne manqueront pas de me pendre. De toute fa-... »

Je me tus contre ses lèvres au goût de sang.

« Écoute-moi. »

Je me retins de rétorquer. Écoutons son idée qui le mettrait probablement en danger.

« Tu attends un enfant.

— Ce n'est pas certain...

— Fort probablement – mais ça, personne n'a à le savoir. Tu attends un enfant.

— Oui, et ?

— Pour cette raison, tu as une chance de t'en tirer. Dans les lois de l'Archipel, il est interdit de causer des blessures qui peuvent engendrer la mort de l'enfant que porte la mère. Alors on ne peut pas te condamner à mort.

— Et s'ils ne me croient pas ?

— Il y aura toujours le bénéfice du doute. Ils sont donc censés considérer le « pire » cas possible et ne pas te condamner. »

Je serais sauve, mais serais-je libre ? Je n'en étais pas sûre...

« Et toi ? soufflai-je finalement. »

Ses yeux brillaient dans la pénombre.

« Moi... je suis le second du Dragon des mers, mais aussi un déserteur. »

Pas d'issues. C'était évident. Je reposai mon front contre sa joue et fermai l'œil :

« Pourquoi on parle de mort ?

— Car on risque d'y passer.

— Tu vas nous porter malheur !

— Il faut se préparer à toute éventualité.

— Alors préparons plutôt une manière de fuir. »

Malaury baissa la tête.

« Neven. Je crois que c'est foutu, cette fois. On n'y arrivera pas. Pas cette fois. »

Je crispai mes doigts sur sa chemise. Il était terre-à-terre, et cela me déchirait d'admettre qu'il avait peut-être raison. Mâchoires serrées, je murmurai :

« Tais-toi. On va y arriver.

— Il faut prendre en compte cette possibilité. Je sais que tu veux y croire, que tu veux être optimiste, comme toujours... mais je t'ai déjà dit qu'il t'arrivait de confondre espoir et possibilités. »

Je soupirai. Quand nous en discutions, il n'était pas aussi insistant. Or, l'heure était grave, aujourd'hui.

« De toute façon, concentrons-nous sur le fait que tu attendes un enfant. Tu seras sauvée.

— Et toi ? murmurai-je. »

Une sorte de soupir et de grognement en même temps.

« Malo ? »

Il appuya ses mains enchaînées contre mon dos pour me serrer contre lui.

« Je ne vois pas comment je pourrais ne pas être condamné à mort. Au moment où j'ai décidé de fuir, il y a trois ans... je n'avais fait de mal à personne, je n'avais blessé personne, j'essayais juste de fuir. Pourtant, le commandant a donné l'ordre de me tuer. Tu imagines maintenant ? Après ces trois années de piraterie ? Je n'ai pas d'excuse. »

Un baiser sur mon front.

« Ne t'en fais pas, ma chérie. »

Un autre sur ma joue.

« Tu vas t'en sortir, même sans moi. J'en suis sûr. »

J'avalai ma salive de travers. Je relevai mes mains comme je le pus pour délicatement les poser sur ses joues poisseuses. Je percevais à peine son visage dans la pénombre. J'avais cru que tu allais mourir, mais tu y avais échappé, on t'avait sauvé. Cette fois, la mort nous séparerait ? Je secouai la tête :

« Non, il faut qu'on te sauve aussi. Je veux continuer avec toi.

— Moi aussi, mais l'armée veut ma mort, je suis un déserteur. Le gouvernement aussi, je suis un pirate.

— Et si on disait que je te force à pirater ?

— Tout le monde sait que nous nous entendons bien. Ils pourraient même croire que nous mentons aussi pour le bébé si on essaie de se défendre comme ça. »

Je soupirai à nouveau.

« On ne peut pas toujours gagner, Neven. »

Je le laissai me tirer dans ses bras.

« Je t'aime, tu sais ? »

Je hochai la tête et murmurai :

« Moi aussi...

— Ça va aller. Voilà nos objectifs : t'empêcher d'être condamnée grâce au bébé. Essayer de minimiser ma peine – je me repentirais et proposerais mes services chez les corsaires ou les soldats. Toi, il faudra t'échapper dès que possible pour être libre. Je ne sais pas ce qu'ils te feront une fois que tu auras accouché. Ni à notre enfant, d'ailleurs. Je veux que vous viviez bien, tous les deux. »

Arrête de parler de notre enfant en t'éclipsant. C'était avec toi, je ne voulais rien imaginer sans toi, tu devais rester avec moi. Je soufflai :

« Je n'aime pas la façon dont tu parles. Comme si tu ne seras plus là. Tu ne parles que de lui et moi, pas de nous trois, et...

— Commence à te faire à l'idée. On ignore comment va se terminer cette histoire. »

L'angoisse revenait. Je n'aimais pas cette sensation. Prise au piège comme un lapin. Il allait vraiment... ha, non. Pas question, je ne voulais pas y penser.

« Malo... cherchons un moyen de fuir ensemble, tu veux ? Il faudrait...

— Attends. D'abord, voyons ce que nous parviendrons à tirer du jugement. On agira en conséquence ensuite. Pour l'instant, que veux-tu que l'on fasse ? On est menottés dans une cellule. »

J'écarquillai l'œil. Pourquoi n'y avais-je pas pensé plus tôt ?

« Cherche dans ma poche. Non, la droite. »

Il fouillait. Je l'entendis sourire :

« C'est vrai que tu gardes toujours une épingle et un crochet avec toi. J'avais oublié. Mais tu parviendrais à te libérer ?

— Me libérer ? Non. Te libérer ? Oui. Ensuite, ce sera à toi de défaire mes menottes.

— Tu penses que j'en suis capable ?

— Je t'avais entraîné. Ce sera l'occasion de mettre tes aptitudes en pratique. »

Il hocha la tête :

« Je propose que nous n'agissions pas tout de suite. Gardons une corde à notre arc. Nous pourrions être surpris par l'issue du jugement. »

Je l'espérais. La situation me semblait compliquée à délier, mais... j'avais toujours su garder espoir. Dans le pire des cas, nous parviendrons à nous libérer et à fuir. Dans le meilleur des cas, nous étions acquittés tous les deux. Il fallait que j'y crois, encore. Comme toujours.

« Neven, si jamais... ça finissait mal pour moi... »

Je n'aimais pas la façon dont il me parlait. Il faisait remonter mes pires craintes sur le devant de la réalité, et cela m'effrayait. Un poids dans la poitrine. Je secouai la tête :

« Arrête de parler comme ça... s'il te plaît... ça me fait peur. »

Il écarquilla les yeux de surprise :

« Pardon. »

Il me serra contre lui.

« J'ai juste une demande à te faire.

— Hm ? »

Il se redressa pour remonter ses mains au niveau de mes joues :

« Est-ce qu'on peut choisir le prénom ensemble ? Au cas où je ne puisse pas m'impliquer plus, à l'avenir... j'aimerais au moins... être un peu là pour lui, pour ça. Si jamais tu souhaites le garder, bien sûr. La décision te revient, mais au cas où... »

Mes yeux me brûlaient.

« Bien sûr, soufflai-je en clignant suffisamment fort pour ne pas pleurer. »

Je détestais ces mots qui me faisaient comprendre que je risquais de le perdre. Je nichai mon visage dans son cou, une odeur de sang sur la peau, je respirais par grandes inspirations pour me calmer. Je repris d'une petite voix :

« Alors ? Tu as des idées ? »

Elle était anormalement aigüe et cassée. Il m'enlaçait à nouveau.

« Tu préférerais une petite fille ? Ou un petit garçon ?

— Je ne sais pas, répondis-je sans réfléchir. »

Je voulais juste t'avoir auprès de moi. Un baiser sur mon front :

« J'avoue que je préférerais une petite fille... j'ai connu beaucoup de femmes incroyables, entre toi et ma mère... alors notre fille, elle serait vraiment fabuleuse. Je sais que tu en ferais une personne incroyable. »

« Tais-toi » avais-je envie de geindre. Ses mots m'angoissaient plus que ce que j'imaginais. Je voulais que tu parles de nous, pas de moi et cet enfant.

« Que dirais-tu... »

Malaury se tut lorsque la porte de notre cellule fut déverrouillée.

« Il est temps pour vous d'être jugés, tonna la voix du costumé. »

Nous nous regardâmes. Toute la tendresse de ses yeux s'évanouit en peine et inquiétude. Il soupira, puis redressa la tête, la mine grave. Nous nous écartâmes l'un de l'autre, et nous nous levâmes pour marcher vers la lumière. Quelques instants plus tard, nous attendions devant deux grandes portes en bois à battants.

Des voix à l'intérieur. Beaucoup de passages, on mettait tout en ordre pour notre entrée. Je redressai la tête, prenant une expression inerte, et je me raidis. Je jetai un œil à Malaury. Droit comme un soldat, grave.

Un homme rondouillet de ma taille, habillé d'un costume noir à cravate, s'avança jusqu'à nous. Il portait des cheveux noirs et épars, une petite et épaisse moustache, et ses yeux bruns nous jaugeaient. Ses lèvres sèches étaient entrouvertes, et je lisais une certaine appréhension dans son regard. Il nous salua d'une voix peu assurée :

« B-Bonjour ! Je me prénomme Henri Carnot, je serai votre avocat pour votre jugement. »

Je ne pus m'empêcher de hausser un sourcil : non seulement nous avions probablement perdu d'avance car nous étions recherchés et que rien ne nous excusait – hormis ce que cachait mon ventre – mais en plus on nous collait quelqu'un qui bégayait devant ses clients ? Nous n'irions pas loin. Je soufflai avec un léger sourire :

« Quel est le but ?

— Pardon ?

— Ton rôle.

— Eh bien, je dois vous défendre et essayer d'amoindrir votre...

— Je sais ce qu'est un avocat, l'interrompis-je.

— Je ne comprends pas votre question, alors.

— Ton rôle dans notre situation. Tu as accepté de défendre des pirates célèbres ? C'est peine perdue, alors je ne comprends pas ta présence.

— Tout criminel a droit à un avocat, même les pires, répondit-il du tac-au-tac. Si l'accusé n'a pas d'avocat, alors un lui est attiré. Pour vous, c'est moi. Je sais que je ne peux rien vous garantir. Vous avez commis des meurtres, pillé, piraté, vous ne méritez que la mort, selon la loi. Mon rôle sera le suivant : amoindrir vos peines autant que possible, mais je ne peux rien vous promettre. »

Ce Henri Carnot semblait avoir repris de la poigne, il ne serait peut-être pas trop inutile. L'intimidation s'était dissipée.

« Je pensais que nous devrions nous défendre seuls, annonça Malaury.

— C'est possible. Cependant, je pense qu'il vaut mieux avoir un expert de la justice à vos côtés. »

Il n'avait pas tort. Malaury et moi acquiesçâmes après un regard entendu. L'homme regarda autour de nous et demanda aux soldats de s'éloigner. « Secret professionnel » disait-il.

« Y-a-t-il quelque chose que je dois savoir pour votre défense ? »

Mon amant et moi nous observâmes. Il m'intima de parler. Je croisai le regard de l'avocat, et une timidité que je ne me connaissais pas m'empêcha d'avouer tout de suite. Après une inspiration, je déclarai :

« Je suis enceinte. »

Jusque-là, c'était notre petit secret qui grandissait jour après jour, qui prenait vie. Le dire à une personne aussi extérieure, c'était rendre cela concret, réel, vrai. Carnot écarquilla d'abord les yeux, et son regard descendit jusqu'à mon ventre, puis remonta à mon visage.

« C'est récent, précisai-je. »

Il ouvrit la bouche, mais il n'arriva pas à parler. Il cherchait ses mots. Les sourcils froncés, il demanda finalement :

« C'est... vrai ? Ou bien... vous nous faites une entourloupe pour réduire votre peine ?

— Une pirate ne déblatère pas que des mensonges. »

Il leva la tête vers mon second :

« Vous êtes...

— Oui, confirma Malaury. »

Il mordit sa lèvre inférieure, puis il se tourna vers moi :

« Vous pouvez être tirée d'affaire. Enfin, pendant vos mois de grossesse. Ensuite, vous aurez probablement droit à un autre jugement. Quant à vous... »

Il observait mon géant.

« Même si vous êtes père... ce n'est pas ce qui empêchera le juge de vous condamner à mort.

— Je sais. »

Le regard de Carnot avait changé. J'avais l'impression que nous étions plus que deux pirates à ses yeux, désormais. Je lisais une forme de pitié. Il semblait contrarié par la situation, il s'était mis à triturer le coin des feuilles qui dépassaient de son dossier.

Malaury et lui commencèrent à discuter du fait qu'il était prêt à se repentir et à offrir ses services pour le gouvernement. J'avais rapidement fini par ne plus les écouter, perdue dans mes pensées. Si j'arrivais à faire ressentir de la pitié à la salle entière... peut-être pourrais-je également sauver mon second ? Il fallait se repentir. Parler de la vie que nous souhaitions – même si ce n'était pas totalement vrai.

Carnot fut pris à part par un soldat pendant quelques instants. J'en profitai pour demander à Malaury :

« Alors ? Vous trouvez quelque chose ?

— La vérité ? Pas vraiment. »

Malgré la gravité de ses traits et son air froid, je sentais que cette situation ne lui plaisait pas et l'angoissait.

« Excusez-moi, reprit l'avocat. On vient de m'apprendre que votre procès serait fermé au public, ce n'est pas courant.

— Pour quelle raison ?

— Trop de huées, c'est pour votre sécurité. Certains citoyens sont très agressifs à votre égard. »

Quelle ironie de nous « protéger » pour nous condamner à mort peu après.

« Carnot, j'aimerais rajouter des informations à mon sujet. »

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