Chapitre 28 - Retrouvailles 2/2
« Disons que ce n'était pas le moment pour... alors ce n'est pas grave. Le jour où on veut aller plus loin dans notre relation, on s'y penchera. Pour le moment, profitons de cette liberté à laquelle tu tiens tant. »
Je sursautai en sentant quelque chose de chaud se frotter à mon bras.
« Tigresse te tient compagnie ? »
Je me montrai plus maussade :
« Mora n'est plus là... il faut bien que quelqu'un s'occupe d'elle. C'est elle qui vient me chercher, je n'ai pas le cœur à aller vers elle, soupirai-je en glissant une main sur sa tête.
— Elle mange suffisamment ?
— J'espère. »
Il me regardait, l'air non convaincu. Elle pillait toutes les assiettes que j'avais refusé et que je refusais encore, et elle semblait bien se porter, son poil était doux et brillant. Les petits avaient bien grandi, ils se baladaient dans ma cabine à pas timides, miaulaient régulièrement, parfois à m'en réveiller la nuit. Je songeais à les installer ailleurs : après tout, c'était Mora qui tenait à les avoir près d'elle, dans ma cabine. Pas moi.
Puis, cela m'éviterait de trop me faire penser à elle. Mais peut-être rappelais-je ma sœur à ce chat, et qu'elle cherchait sa douceur à travers moi ? Mais je n'étais pas Mora. Cet animal s'en rendait-il compte ?
« Je lui ferai apporter de la nourriture. Elle a besoin de force pour ses petits.
— Et si on les installait dans les cales ? Là où les rats traînent.
— Tu ne l'aimes pas ? »
Lorsqu'elle ronronna sous mes caresses, un sentiment de culpabilité me traversa. Mora aimerait que je m'occupe d'elle.
« Je la garde, murmurai-je simplement en grattant autour de ses oreilles. »
Tigresse s'approcha ensuite de Malaury avec une certaine appréhension, mais après une caresse, elle commença à chercher sa main, frottant sa tête contre sa paume pour en redemander.
« Elle a l'air de me tolérer, sourit-il. J'ai le droit de rester dormir ?
— Toutes les nuits. »
Je me sentais seule dans cette cabine, à vrai dire. Si cela ne m'avait jamais dérangée jusque-là, depuis Mora... j'y traînais toute la journée avec tout le temps pour penser. Parfois, je sursautais en croyant voir une forme allongée près de moi, mais ce n'était que la fatigue et mes espoirs qui se jouaient de moi. Sans parler des cauchemars qui s'invitaient la nuit. Clairement, cette cabine ne me permettait pas de me reposer correctement, alors j'espérais que la présence de Malaury m'y aiderait, d'une façon ou d'une autre.
« Oui, reste, implorai-je. C'est difficile de dormir ici. J'y ai trop de souvenirs qui me font souffrir.
— Hum... est-ce que tu as songé à réaménager ta cabine ?
— Pas vraiment. »
Il s'assit et s'adossa à la paroi en scrutant la pièce :
« On pourrait changer ton lit de place... et peut-être enfin te procurer un sommier. Ce serait mieux pour ton dos. Et ça t'éviterait de dormir au niveau du sol.
— Je vais te dire mieux. On devrait... »
Mon ventre se noua. Je n'avais pas l'habitude d'être autant agitée par mes sentiments. Je m'assis à ses côtés :
« On devrait trouver un lit pour deux. Et assez grand pour toi, bien sûr, quitte à ce qu'il soit personnalisé. Qu'est-ce que tu en dis ? »
Il me regarda avec curiosité et timidité.
J'avais l'impression que l'on faisait un pas en avant, tous les deux. Sans doute était-il aussi confus que moi. Il bredouilla, les joues roses :
« Euh... oui... oui, je... je serai très heureux de... de pouvoir... être avec toi. »
On ressemblait à un jeune couple qui décidait d'emménager ensemble.
« On s'en occupera quand toute cette histoire sera résolue, assurai-je avec un sourire timide. »
Remis de cet afflux d'émotions, nous nous embrassâmes doucement, comme pour conclure un pacte silencieux.
Ensuite, il commença à se lever, mais je le rattrapai en nouant mes bras autour de sa taille :
« Reste là...
— J'ai juste mal à la tête, je cherchais de l'eau.
— Oh... on dirait que c'est toi qui as une gueule de bois, cette fois, me moquai-je.
— Je ne suis pas comme toi, moi, sourit-il en se relevant pour récupérer une gourde sur mon bureau.
— Comme moi ? répétai-je.
— Je n'engloutis pas tout l'alcool que je vois.
— Tu sous-entends que je suis une boit-sans-soif ?
— Quand tu le veux... oui. »
Je levais l'œil au ciel tandis qu'il se réinstallait près de moi. Quelques instants plus tard, nous étions à nouveau couchés, l'un dans les bras de l'autre.
« C'est curieux qu'on ne m'ait toujours pas demandé, d'ailleurs.
— Ils doivent se douter que tu es très occupé.
— Si occupé que je ne peux pas m'occuper du navire ?
— Tu as intérêt à répondre correctement.
— J'ai beau porter l'équipage dans mon cœur, tu es ma priorité.
— Bonne réponse, souris-je en refermant l'œil. »
Je me hissai sur lui, me permettant de poser ma tête au niveau de son cœur qui battait plutôt vite.
« Tu repars pour un somme ?
— Peut-être, murmurai-je en bâillant.
— Tu peux m'expliquer ce dont il est question en termes de trajet, de cap, et de tes trouvailles, alors ? Car je pense bientôt me lever. »
Je levai l'œil au ciel :
« Tu es ennuyeux... pourquoi on parle du travail dans notre lit ? »
En l'observant, je remarquai qu'il réfléchissait sérieusement à la question. Il finit par me concéder :
« C'est vrai que ce n'est pas le meilleur moment pour. On en parlera après ta sieste. Repose-toi, ma Neven. »
Je savais qu'il aimait être organisé, savoir où on allait, comment, et pourquoi, mais je voulais profiter de sa chaleur plutôt que de parler de meurtre, de vengeance, et d'Augustin. Ses caresses me calmaient, m'apaisaient. Mes paupières se fermaient, ma respiration ralentissait, mon corps se détendait.
« Tu restes un peu ? soufflai-je.
— Je partirai quand tu dormiras. Ça te va ? »
Une brève caresse sur sa joue, puis je me laissai à nouveau bercer entre ses bras. Quelques caresses au niveau de la nuque, et je plongeai définitivement rejoindre le marchand des rêves.
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Le ciel était orangé. Il semblerait que nous étions en fin de journée. Je marchais le long d'un ponton, une pomme rouge à la main que je m'amusais à balancer dans les airs puis à rattraper. Les talons de mes bottes frappaient le bois à rythme régulier, et j'avançais sur cet interminable ponton entouré de brumes. Je ne voyais pas les alentours, hormis les rayons qui perçaient le brouillard par endroits, mais je devais avancer. J'ignorais pour quelle raison, mais quelque chose me poussait à marcher sur ces planches, parfois si fragiles que le bois craquait dangereusement sous mes pas.
Quelques longues minutes plus tard, j'arrivai au bout du ponton. Une mer ténébreuse et agitée se présentait devant moi, mais je ne pouvais pas voir au-delà de cinq mètres. Quelques instants plus tard, une forme sombre s'approcha. Au fur et à mesure des secondes, une barque en bois quittait la brume, dans laquelle une personne encapuchonnée, portant une toge noire, avançait à l'aide de rames.
« C'est ton tour ? demanda une voix ferme et douce.
— Je veux juste regarder.
— Il me semblait que c'était trop tôt. Alors il faut m'offrir quelque chose en échange. »
Je portais mon habituelle tenue de capitaine. Je fouillais mes poches, décelant des bourses bien remplies :
« J'ai de l'or. Combien veux-tu ?
— Car tu crois que tu peux acheter une traversée avec ça ? C'est tout ce qu'ils sont, pour toi ? »
J'attrapai mon chapeau de capitaine auquel je tenais tant, et lui tendis avec hésitation :
« Voilà quelque chose qui m'est cher. C'est suffisant ? »
La forme soupira :
« Disons que je suis magnanime et que je t'offre cette traversée, pour cette fois. Tu as bien souffert, récemment, et tu m'apportes beaucoup de nouveaux passagers... Garde ton chapeau, tu vas en avoir besoin. Ce serait dommage d'abandonner alors que tu es si proche du but, n'est-ce pas ? »
Je posai le pied dans la barque qui manquait de stabilité.
« Tu hésites ?
— Comment pourrais-je ? soufflai-je en m'installant finalement en face d'elle. »
Elle commença à jouer de ses pagaies pour nous faire avancer. La mer semblait se calmer à son passage. Comme si les vagues et l'agitation du courant étaient insensibles à cette barque. Observant l'eau, la voix m'interpella :
« Ce ne sont pas tes affaires. Tu ne devrais pas regarder.
— Ce sont peut-être les leurs. J'estime être en droit. »
Je continuais de perdre mon regard sur la mer autour de nous. La personne encapuchonnée avançait malgré le brouillard, comme si elle savait exactement où m'emmener, comme si elle connaissait l'étendue d'eau par cœur.
Je crus voir une sirène passer près de moi. Sur le point de l'attraper, la voix gronda :
« Ce n'est pas ton monde. N'y touche pas. À moins que tu ne veuilles y plonger ? »
Je m'abstins de glisser la main dans l'eau ténébreuse :
« Je n'ai pas de raisons d'y aller.
— Tu as des raisons de rester sur cette barque, plutôt. »
Le trajet dura un moment. Un moment dont je ne pouvais estimer la durée. Soudain, la brume se dissipa. La berge était à quelques mètres seulement. Les terres étaient sombres. Pas de végétation, ce n'était qu'un îlot qui s'étendait lointainement.
« Nous voilà arrivés. Tu n'as pas le droit de toucher l'eau ni la berge.
— Moyennant quelques pièces, ce n'est pas possible ?
— Tu penses pouvoir m'avoir ? souffla la voix. C'est à tes risques et périls, de toute façon. Tu devrais te contenter d'observer. »
Si la berge semblait inanimée au premier abord, en regardant de plus près, je percevais des formes qui bougeaient. Des hommes, des femmes, parfois des enfants, drapés de blanc, et certains, des couleurs de l'océan. Parmi ces derniers, deux se tenaient côte-à-côte, les pieds en partie dans l'eau.
J'écarquillai l'œil en reconnaissant les yeux gris de Célestin, parlant avec un sourire à la jeune femme assise à ses côtés. Ses cheveux noirs et ondulés, ses yeux chocolat, toute la douceur dans son visage...
« Mora ! appelai-je. »
Elle redressa le regard, surprise. Elle se précipita vers moi, l'eau lui arrivant au niveau des genoux. Elle me parlait, mais je n'entendais pas ses mots. Célestin l'avait rejointe, et tous les deux, tentaient de me dire des choses, mais je ne comprenais pas. Comme si je me trouvais dans une bulle qui me coupait de leur voix.
Je tendis la main vers eux, mais la personne encapuchonnée la rattrapa fermement :
« Ce n'est pas ton monde, Neven.
— Je veux leur parler... ils veulent peut-être me dire quelque chose d'important. Qu'ils n'ont jamais pu me dire. Qu'ils...
— Ils sont morts, Neven.
— Je ne peux que les regarder ?
— Les morts restent avec les morts. »
Ma sœur avait cet air doux et triste sur le visage que j'avais tant connu, plus jeune. Elle tendait une main aussi, l'autre était posée au milieu de sa poitrine. Sans doute à l'endroit où elle avait été blessée.
« Mora... tu me manques, murmurai-je. Je t'aime... »
Un sourire triste prit place sur ses lèvres. Des larmes rouges coulèrent le long de ses joues blanches comme de l'écume.
« Pourquoi tu pleures ? »
Seul le clapotis des vagues me répondit.
« Tu m'en veux, c'est ça ? Je comprendrais. Tout est ma faute, après tout... je n'ai pas réussi... à te protéger... »
Pas un mouvement. Je tournai la tête vers Célestin. Il avait ce même air triste que Mora. C'était étrange, sur son visage, lui qui était toujours souriant et moqueur. J'avais tellement envie d'ébouriffer ses cheveux et de rire avec lui.
« Je suis désolée, mon cher ami. C'est ma faute aussi... je m'en veux terriblement, de t'avoir donné cet ordre... Si j'avais su... »
Je soupirai :
« Sache que toi aussi, tu me manques... Je t'aime aussi...
— Tu dois accepter que les morts restent avec les morts, Neven.
— Leur mort est injuste, à tous les deux. »
Injuste peut-être, mais ta faute avant tout.
« Pourtant, c'est la vie.
— Quelle ironie. »
⋆˖⁺‧₊☽◯☾₊‧⁺˖⋆
Avant, le rêve était lourd de sens, mais ayant fait des modifications pour plus tard (et donc modifié le rêve en conséquence) il l'est beaucoup moins :)
Le prochain chapitre... est point de vue Célestin !
(Sinon, Malo et Neven se sont enfin retrouvés !)
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