Chapitre 28 - Retrouvailles 1/2
Enfin sortie de cette ville ! Il devait bien être une heure du matin. Au moins, j'avais atteint mon objectif. Il avait fallu plus d'une semaine pour y arriver.
Dès que j'atteignis la forêt, je me précipitai vers un arbre auquel j'avais attaché mon sac. J'y jetai mon poignard, mes talons – comme si j'allais encore me faire souffrir les pieds avec – et je retirai l'œil de verre qui finissait par me démanger au bout d'un moment, récupérant mon bandeau.
Je pris le chemin qui longeait les bois pour marcher à la lumière de la lune. Je me pressais pour rentrer, ayant hâte de retrouver ma couche : j'étais épuisée par cette nuit.
Sur le pont, on me salua avec un certain étonnement : je portais une tenue un peu trop féminine par rapport à d'habitude. Je demandai de lever les voiles immédiatement pour mettre le cap sur Delicor, situé au sud de l'Île du Poisson, au niveau de la queue. On devrait y parvenir d'ici quatre jours. Puis, j'entrai dans ma cabine, posai le sac dans un coin, allumai ma lanterne, et je criai en découvrant une forme debout devant moi.
« Bon sang ! jurai-je. Malo, tu m'as fait peur ! Qu'est-ce que tu fiches là ? »
Il me lança un regard fatigué et coléreux. Sourcils froncés, je l'interpellai :
« Malo ? »
Je l'avais vu dans la taverne. Il m'avait regardée avec étonnement, les yeux brillants d'admiration, mais je n'avais plus pu m'occuper de lui ensuite.
« Pourquoi lui ?
— Lui ?
— Ce soldat ! Moi aussi, j'étais soldat ! Alors pourquoi tu as préféré passer la soirée avec lui ? Il a un grade, lui, c'est ça ? »
Il avait trop bu, et il en était adorablement jaloux.
« Tu devrais te reposer, tu n'as pas les pensées claires, suggérai-je. »
Il attrapa mon bras sans le presser, et murmura avec un semblant d'imploration :
« Tu l'aimes ?
— Bien sûr que non. »
S'il savait comment il avait fini, il ne me poserait pas la question. Je m'écartai avec un sourire que je voulais amusé :
« Tu es jaloux ?
— Comment je ne pourrais pas l'être ? Tu me manques tellement... j'ai envie de t'avoir près de moi...
— Donc tu veux juste... »
Je m'étais approchée, posant mes mains sur son torse.
« Toi aussi... »
Je le poussai petit à petit vers mon matelas.
« Que je m'occupe de toi ? »
Il semblait réfléchir, chercher ses mots, mais je le poussai suffisamment fort pour qu'il tombe sur mon matelas. À califourchon sur ses cuisses, je m'approchai de ses lèvres rosées et humides aux senteurs de rhum. Un baiser. Elles étaient douces, chaudes, et ses mains s'agrippèrent à mon dos. Ses paumes brûlantes m'électrisaient, comme son regard brillant et plein d'ardeur qu'il plongeait en moi. Il était mien.
Je frissonnais. Des baisers étaient émiettés le long de mon cou et de mes épaules. Les paumes chaudes de Malaury parcouraient mes bras et mon ventre avec tendresse. J'attrapai sa main et j'enserrai mes doigts aux siens, sous les rayons du soleil qui réchauffaient notre peau nue.
Mon homme, collé à mon dos, laissa un baiser plus long au niveau de ma nuque, puis chuchota à mon oreille :
« Neven ?
— Hm ?
— Tu te rappelles d'hier ? »
Évidemment, que je m'en rappelais. On avait passé une soirée délicieuse, on s'était « réconciliés sur l'oreiller » et en faisant attention. À peine notre désir consumé, il s'était effondré dans le sommeil, et j'avais suivi peu après, épuisée. Néanmoins, j'avais envie de le taquiner, lui qui s'était montré si jaloux hier. Je me retournai pour croiser son visage proche du mien, son souffle caressant ma joue. Je me retins de l'embrasser, et je murmurai :
« Hum... je me souviens m'être amusée avec un homme, et visiblement avec toi aussi...
— Ah... »
Sa mine était déconfite. Je ne lisais que déception dans ses yeux. Je l'embrassai du bout des lèvres et me montrai rassurante :
« Oh, mais tu sais, on peut toujours passer d'autres soirées ensemble, si c'est ça qui te chagrine.
— Hm... ce n'est pas ce que je veux avec toi... En fait... »
Qu'il était mignon. Je le coupai en lui donnant un nouveau baiser, plus appuyé et plus tendre, puis je pris son visage entre mes mains en souriant :
« Mais non. Je t'aime. Je n'aime que toi.
— Hein ?
— Pourquoi tu as l'air surpris ? murmurai-je, un sourcil haussé.
— Le soldat d'hier...
— On en parle mieux plus tard, mais tu n'as pas à t'inquiéter de lui. Je m'en suis juste servie.
— Et cette nuit ?
— Tu es le seul de ma nuit. Arrête d'être jaloux, fais-moi un peu confiance, tu veux ? souris-je plus tendrement en caressant son visage. »
Je m'amusais à dessiner son nez droit, ses lèvres légèrement pulpeuses, son menton ovale, ses joues, le semblant de pommettes que je voyais, puis ses paupières. Cela faisait tellement longtemps que je n'y avais pas touché. J'avouais que cela m'avait manqué. Il posa son pouce au niveau de ma bouche :
« Disons que c'était le néant entre nous, ces derniers temps... et te voir avec un autre homme, hier... ça m'a rendu fou. J'en ai honte tout de même. Désolé.
— J'ai cru entendre ça, oui, m'esclaffai-je. Je ne pouvais pas vraiment te regarder, mais le verre brisé, je l'ai entendu. »
Il se mit à sourire, plus attendri désormais. Il m'embrassa soudainement, et longuement. J'avais fermé l'œil de contentement. Comme il m'avait manqué, lui, son amour, ses baisers, ses caresses, son tout.
« Comme je t'aime, me murmura-t-il ensuite, le front contre le mien. Plus jamais quelque chose comme ça, d'accord ? Enfin... préviens-moi. Je ne me souviens plus vraiment de la soirée, mais je crois que si j'étais resté plus longtemps, ça se serait mal fini pour lui.
— Toi qui es si doux et diplomate ? taquinai-je.
— Je suis quelqu'un de jaloux, avoua-t-il en baissant les yeux, honteux. Alors, quand je bois, c'est un désastre.
— J'en conclus que tu n'as pas respecté les limites que je t'avais données...
— J'avais trop à penser...
— J'aurais préféré que tu oublies dans mes lèvres plutôt que dans l'alcool. »
Il leva les yeux au ciel, un sourire aux lèvres. Il caressa doucement ma joue :
« D'ailleurs, la robe t'allait à merveille. Une déesse écarlate. »
Ses compliments mielleux m'avaient manqué aussi.
« Je ne savais pas que tu cachais ça dans tes affaires, m'avoua-t-il.
— Je suis passée aux Tissus d'étoiles à Febiran. J'avais besoin de quelque chose qui me mette en valeur au cas où j'aurais besoin de me faire passer pour une femme « normale ».
— Tu m'as laissé bouche bée. Tu étais vraiment magnifique. Tu étais bien plus qu'une femme « normale ».
— J'espère que je te plais en pirate aussi ?
— Au moins tout autant. »
Il me regardait avec tellement de tendresse.
« Je suis heureux et soulagé de te retrouver. Tu m'as tellement manqué. C'était dur de ne pas pouvoir te serrer dans mes bras pour te montrer que je t'aimais. Encore plus dur quand je te voyais mal. Ne me laisse plus. Je ne veux plus t'avoir loin de moi. Et je veux pouvoir être là pour toi. Je veux t'aimer et prendre soin de toi. »
Il nichait son visage dans mon cou tandis que je caressais son crâne.
« Tu m'as beaucoup manqué aussi... Pardon. C'est une période compliquée pour moi. Je ne savais plus vraiment où j'en étais.
— Et là, comment tu te sens ? »
Je m'occupais, je me donnais des objectifs, j'avais un cap à suivre :
« Un peu mieux. »
Seulement, la peine que je ressentais en me rendant compte que Mora et Célestin n'étaient plus près de moi ne s'estompait pas. Un mois et demi déjà. Le temps semblait filer vite, mais les heures de trajet étaient terriblement longues pour moi. Je ne pouvais rien faire hormis attendre de débarquer pour agir. Alors, j'avais tout le loisir de penser.
Le joli masque que je décorais ces derniers temps, je le reposais sur la table une fois entrée dans ma cabine. J'étais détruite, dans le fond. Je pleurais moins, mais cette horrible vision à Isda me hantait toujours. Commençant à me perdre dans mes pensées, je me recroquevillai contre Malaury, lui demandant sans un mot de me serrer contre lui, et il me comprit.
Passant mon bras au niveau de ses omoplates, je touchais du bout des doigts les lignes sèches qui couvraient sa peau. Nous garderions sûrement les cicatrices de notre torture un long moment – à vie peut-être.
Malaury glissa ses doigts le long de ma nuque, puis de mon dos, suivant ma colonne avec douceur.
« Je ne vais pas pouvoir rester trop longtemps, ma chérie. »
Ce surnom fit battre mon cœur plus vite. Les papillons revenaient par salves.
« Et pourquoi ? soufflai-je, la tête nichée dans son cou aux effluves de rhum et d'amour.
— Tu oublies que je suis ton second ? »
J'avais entendu un sourire.
« Et qu'est-ce que tu as à faire ?
— Des affaires de second...
— Comme ?
— Donner le cap, les ordres, aider sur le pont, les relèves, faire l'inventaire, prendre la barre, assister le timonier...
— J'ai déjà donné le cap cette nuit, nous sommes en route, murmurai-je. Ils peuvent bien se débrouiller sans toi pendant quelques heures, non ? J'ai envie que tu restes. »
Un baiser sur le sommet de mon crâne :
« Je reste autant que je le peux. »
Je parvins à glisser ma jambe entre les siennes, me sentant totalement entourée. Ce petit baume de chaleur et d'amour qu'il m'offrait me faisait me sentir comme sur un nuage. Je ne pensais à rien, je me concentrais sur sa chaleur, sa respiration, et que c'était agréable !
Quelques minutes plus tard pourtant, il m'interpella :
« On n'a pas vraiment eu l'occasion d'en parler, ça fait un moment déjà... mais est-ce que ça va, pour le bébé ? »
À vrai dire, je ne l'avais plus en tête. Sur le moment, j'y avais beaucoup pensé, mais le poids de la mort de Mora et de Célestin était plus grand encore, alors il avait été balayé de mon esprit.
« J'ai eu un peu de peine sur le moment, mais maintenant, ça va. Mais toi, tu n'es pas trop déçu ? »
La question me brûlait : c'était ce qui m'avait le plus inquiétée.
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