Chapitre 27 - Contacts
Malaury
Neven le prit avec précipitation. Elle commença à lire, puis fronça les sourcils et se tourna vers moi. J'entrepris ma lecture :
« À contacter si besoin d'aide : Philippe Edventerg (Isda, soldat), Robert Cartengue (Isda, soldat), Cain Teurk (Febiran, marine), Paul Angus (Niliba, gouvernement).
— Si besoin d'aide ? D'aide pourquoi ?
— Rien de marqué. Continuez de fouiller, prévenez-nous si vous trouvez quelque chose. »
De retour dans la cabine, Neven scrutait le papier avec attention.
« Besoin de renseignements, je suppose. Ou d'aide côté gouvernement. Est-ce que les noms des soldats d'Isda te parlent ?
— Du tout. »
Elle s'installa à son bureau, croisa une jambe, le menton entre ses doigts.
« On va... non, pas Niliba. Trop de grabuges récemment... il faut qu'on aille à Febiran. Rah, non... s'il est de la marine, il est peut-être en mer...
— Isda, comme tu le souhaitais, alors ? »
Elle acquiesça :
« J'espère qu'il n'y aura pas trop de blocages à cause du meurtre des fermiers.
— On amarre hors du port ?
— Oui. »
Quelques jours plus tard, nous étions à nouveau aux abords de la forêt. J'ignorais comment elle comptait trouver les soldats. Elle ne connaissait que leur nom. Elle partit chaque soir en ville, habillée simplement, avec son œil de verre. Elle revenait souvent au petit matin. Évidemment, elle refusait que nous approchions d'Isda.
Le premier soir, elle avait eu un drôle de sourire en rentrant. Un semblant apaisé.
« Tout va bien ? soufflai-je.
— Oui. J'ai fait une rencontre... agréable. »
Sa silhouette s'évanouit dans les ténèbres de sa cabine sans que je ne puisse la questionner. Une rencontre... agréable ?
J'avais mal au cœur à l'idée d'y penser, mais... avait-elle pu rencontrer un homme ? Après tout, il n'y avait plus rien entre nous. J'avais pu lui tenir la main lors de notre escapade, et je pouvais caresser sa tête, au mieux. Et encore.
Je jetai un regard vers l'anneau en tissu toujours noué à mon doigt. Elle aussi, elle l'avait gardé... mais y avait-il encore quoi que ce soit entre nous ?
Les escapades de Neven duraient depuis maintenant une dizaine de jours.
« Tu trouves des choses ? questionnai-je.
— Je pense que j'ai trouvé. Je dois y retourner ce soir... espérons que ça soit la bonne.
— Les hommes s'ennuient, avouai-je. »
Et moi aussi. Je mourais d'envie de la suivre, notamment pour l'aider. Je craignais qu'elle rencontre des problèmes.
Et au fond de moi, je voulais aussi savoir si elle voyait un homme. Je détestais cette facette jalouse de moi. Je détestais avoir l'impression de la surveiller pour lui poser des interdictions sous le nez. Sa liberté avait toujours été importante pour elle, mais aussi pour moi : je ne voulais pas être un homme qui emprisonnait sa compagne sous n'importe quel prétexte. Je voulais qu'elle soit libre et heureuse avec moi.
« Avec moi. » Il n'y a plus rien entre nous.
« Je pensais qu'ils s'occupaient des réparations et des nettoyages qu'on ne peut faire qu'à l'arrêt ?
— Tu ne peux pas nier que ce n'est pas le plus agréable. »
Elle leva l'œil au ciel.
« On ne peut pas descendre boire un coup ? En restant calmes. On en a assez d'attendre sans rien faire...
— Vous risquez de me gêner. »
Je ne parviendrais pas à la convaincre...
« Même une heure, quémandai-je une ultime fois. Je les garderai à l'œil. Et un seul groupe par soir – si on reste encore plusieurs jours, bien sûr. »
Elle finit par soupirer :
« Pas plus de six hommes. Motus et bouche cousue concernant notre activité de pirate. Si on se croise dans un bar, vous ne me connaissez pas. Vous rentrez pour minuit, maximum. Compris ?
— Compris !
— Bon sang, j'ai l'impression de m'occuper d'enfants, maugréa-t-elle... partez devant. Je viendrai un peu plus tard. »
Comme si j'allais rester boire dans une taverne alors que je pourrais la chercher. En quelques mouvements, notre petit groupe de six était formé : on avait décidé qu'Issan avait besoin de boire un verre. Borg et Jack nous avaient rejoints, et un dernier qui avait fait du bon travail récemment aussi.
« La capitaine ne descend pas, ce soir ?
— Si, mais plus tard, murmurai-je en couvrant ma tête.
— J'espère que tu ne seras pas reconnu, Malo.
— Ce n'est pas comme si ma taille m'aidait à me cacher, grognai-je.
— Au pire, on rebroussera chemin, tant pis. »
Aux abords de la ville, nous entrâmes sans être appréhendés par les soldats aux alentours. J'avais retenu un soupir de soulagement.
« On a deux heures devant nous. On boit où ? questionna Jack, un grand sourire aux lèvres.
— Le premier bar qu'on croisera, proposai-je. Je risque de m'éclipser à un moment pour faire les bars de la ville pour retrouver Neven.
— Elle risque de s'en prendre à toi... prévint Borg.
— Elle ne pourra pas, puisqu'elle a demandé de faire comme si on ne se connaissait pas. Mais je devine d'avance le regard noir qu'elle va me lancer, avouai-je avec un sourire.
— D'ailleurs, reprit Jack à voix basse. Ça se passe comment, entre vous ? »
Oh, ils s'y remettaient !
« Nan, plus sérieusement. Ça n'a pas l'air d'être ça, ces derniers temps...
— Depuis l'accident, c'est le néant, confirmai-je. Mais maintenant, on se parle. Au début... c'était quelque chose.
— La bouteille que tu as failli te prendre... elle était belle, celle-là, s'esclaffa un autre. M'enfin, on va se raconter ça autour d'un verre avant que tu ne partes la chercher. »
Nous étions entrés dans la première taverne que nous avions croisée. J'avais avalé ma salive de travers en constatant que ce soir, les soldats avaient droit à un temps de repos, et ils avaient a priori décidé de s'installer ici. Mes camarades semblaient aussi mal à l'aise que moi, mais nous prîmes une table dans un coin, à l'ombre.
« On devrait pas avoir de soucis, si on se tient à carreaux. Ça va, Issan ? Tu n'as rien dit.
— Je n'avais vraiment pas envie de sortir, soupira ce dernier. »
À côté de nos entraînements, il commençait tout juste à reprendre son poste de vigie, à son grand contentement, mais je devinais que certaines choses lui déplaisaient sur le navire. Notamment les ordres sanguinaires de Neven. S'il se joignait à nous pendant les combats, il essayait de rester à distance pour éviter de trop se salir les mains, ce que je comprenais.
« Un bon verre d'alcool va te faire du bien, va ! »
L'instant d'après, je dégustais une pinte de bière que j'ingurgitais plus facilement que le rhum en papotant en compagnie de mes camarades. Ils en étaient revenus à ma relation, à me poser des questions parfois trop intimes. Au fil du temps, ils s'amusaient à me faire servir du rhum, si bien que trois shots plus tard, je me sentais incapable de faire une filature à Neven et j'étais devenu particulièrement bavard, au plaisir de mes amis qui me tiraient les vers du nez.
« Bien sûr, elle me manque. J'ai l'impression que c'est comme avant. J'aimerais la retrouver comme avant... enfin, avant le premier avant... euh non... après le premier avant... et puis... »
Malgré mon regard flou, un drapé rouge attira mon attention. Il s'agissait d'une robe écarlate, fendue au niveau des cuisses. La taille était mise en valeur à l'aide d'une ceinture en soie noire. Les manches étaient délimitées par un fin anneau doré au niveau du coude à partir duquel elles s'élargissaient comme un voile de poisson qui tombait au niveau des poignets. Un léger décolleté mettait en valeur la poitrine de la jeune femme. Son cou délicat était orné d'un collier doré. Je remarquai de nombreuses bagues à ses doigts, et plusieurs boucles d'oreilles en or qui s'emmêlaient dans ses cheveux noirs et ondulés. Tandis qu'elle avançait à pas rapides, ses talons noirs claquant le sol, je croisais son regard chocolat. Mon cœur se mit à battre la chamade. Je retombais amoureux.
« Eh ? Malo ? »
Je redescendis sur terre. Revenant à la réalité. Je regardais autour de moi, et je semblais ne pas être le seul à avoir remarqué son arrivée. On la regardait avec intérêt. L'instant d'après, elle était enlacée et emmenée à une table de soldats. Eh ? Pourquoi pas moi ?
En constatant que l'homme qui la serrait contre lui aimait placer ses mains où il le voulait, et qu'elle ne sourcillait pas, je fronçais d'autant plus les sourcils. Il caressait sa joue, son dos, ses hanches, et elle riait aux éclats à ses côtés. Mon ventre se nouait. C'était lui qu'elle voyait ?
« Vous voyez ce que je vois, pas vrai ? Je ne suis pas fou ?
— Quoi ? Que le soldat la pelote ?
— Ouais. »
Une main sur mon épaule, la voix d'Issan me parvint à peine :
« Eh, Malo, ne te mets pas dans tous tes états. Elle n'a pas de raison...
— Mais regardez ! grondai-je cette fois. Ils... »
Le verre éclata entre mes doigts. Il fallait qu'ils s'embrassent. Et pas un petit baiser. Non, ils se roulaient une pelle digne d'un roman niais d'amour ! Commençant à me redresser, on me retint :
« Eh ! Calme-toi ! »
Je baissai à peine les yeux vers mes doigts couverts de sang et de rhum. Je regardai Issan, et d'une voix pâteuse, je bredouillai :
« Elle... pourquoi ? Je ne suis pas assez bien pour elle ? Il faut qu'elle... »
Je n'aurais jamais cru qu'il me donnerait une gifle, un jour. C'était plus la surprise que la douleur à peine sentie qui m'avait rendu silencieux.
« Elle doit être en train de faire des affaires...
— Il y a besoin de se bécoter et de se peloter comme ça quand on fait des affaires ? »
Ils se parlaient à l'oreille, et désormais installée sur ses cuisses, elle caressait son torse avec intérêt.
« Le pire, c'est qu'elle m'a vu. À croire qu'elle fait exprès. Je ne lui ai jamais fait ça, moi ! Au pire, je lui parlais de Rose, oui, c'est vrai. Ça l'a blessée. Mais je n'ai jamais rien fait. Et puis...
— Pas des affaires comme ça, grand nigaud, soupira Issan. On devrait sortir, quémanda-t-il. Malo va péter un câble s'il continue de les regarder. »
Jack se leva pour payer nos collations – et pour le verre brisé – et Issan m'emmena dehors malgré tous mes grognements. En jetant un dernier regard vers le « couple », je les avais vus en train de se bécoter, le soldat profitant allègrement de ses fesses. Un mois plus tôt, elle tranchait la main de l'un qui la touchait, mais là, elle s'amusait comme ça ? Et si c'était pour ça qu'elle refusait que l'on vienne ici ? Et si c'était pour ça qu'elle passait autant de temps en ville ? Ce n'était pas si difficile de trouver des informations, si ?
« Malo, avance ! gronda cette fois Issan. »
Je levai les yeux au ciel en grommelant, tout en me faisant pousser vers la sortie de la ville.
« Elle doit chercher à l'approcher pour des informations. Tout le monde l'a compris, sauf toi.
— Et comment tu peux en être sûr, hein ? Eh puis, ça fait des semaines qu'on n'est plus rien, elle et moi ! Alors ça concorderait, et...
— Je ne te savais pas si jaloux, soupira Borg.
— Excuse-moi de voir la femme que j'aime en train de foutre sa langue dans la bouche d'un autre ! »
Les soldats nous avaient regardé sortir en lançant des regards compatissants à mes camarades : je devais ressembler à un ivrogne, à être traîné ainsi, à bougonner des jurons contre tout et rien – sauf elle.
« Je te dis que ce n'est rien ! répéta Issan.
— Tu n'en sais rien ! rétorquai-je. Tu n'es pas dans sa tête ! Elle est peut-être tombée sous le charme ! Les quelques fois où je l'ai approchée, elle m'a évitée ! Alors tout est logique ! »
Mon frère de cœur secouait la tête de droite à gauche, visiblement dépité.
« Il est totalement bourré, la capitaine ne devrait pas le voir comme ça, souffla Borg.
— La capitaine s'amuse avec un autre ! grognai-je. Alors me voir ? Pff !
— Au moins, on voit qu'il tient à elle, renchérit Issan en levant les yeux au ciel. »
J'avais grommelé dans ma barbe tout le long du trajet, refusé l'eau qu'on avait voulu me donner, et décidé de l'attendre dans sa cabine. Pour la confronter.
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