Chapitre 25 - Un vent de vengeance 2/2

   Pas de réponse. Un coup de genou sous la ceinture :

« Mora. Ce prénom te parle, n'est-ce pas ?

— Bien sûr qu'il nous parle ! souffla la femme, a priori sur les nerfs.

— Bernadette, tu...

— Chut. Elle, au moins, elle répond, murmura Neven. »

Elle se tourna vers la brune aux yeux bleus.

« C'était votre esclave, je me trompe ?

— Oui... elle était... vendue par le gouvernement, en tant qu'esclave. Nous avions besoin de bras... alors nous l'avons achetée. »

Un éclair noir passa dans son regard.

« Je sais que vous ne l'avez pas traitée correctement... mais surtout... »

Elle se tourna vers l'homme :

« Tu me l'as prise. À jamais. »

Elle appuya sa lame sur sa gorge.

« Qu'est-ce qui t'a donné le droit de me la prendre ? Hein ? C'est parce qu'elle a fui l'horreur qu'elle vivait ici, c'est ça ? Avoue-le !

— Mon fils ! »

J'avais déjà compris.

« Logan... elle a fui avec Logan. Notre fils... »

Son air était sombre.

« Cette gamine l'avait sans doute séduit... notre fils a fait une erreur en la suivant. »

Il eut un rire malheureux :

« On n'a pas eu de nouvelles de lui pendant des années... Jusqu'à la veille de votre pendaison. Un homme est venu nous voir. Il nous a dit que Mora avait tué Logan. »

Son regard était désormais glacial :

« Et que je la retrouverais sans doute le lendemain, sur la place. Que j'aurais droit à une garde rapprochée pour l'atteindre. Que c'était ma seule chance si je voulais agir. Vous pouvez comprendre, non ? Vous aussi, vous êtes sur le point de vous venger.

— Comment il était ?

— Logan ?

— L'homme ! »

Une impatience nerveuse la prenait. Elle respirait vite.

« Répondez-moi ! tonna-t-elle alors que le silence faisait place.

— Queue de cheval et moustache noire, bredouilla la femme. »

Neven tourna lentement la tête vers moi. Son regard était vide.

« Il me l'a prise. Il veut tout me prendre. Il va me le payer. »

Elle regarda à nouveau Raymond :

« Mais ça ne vous excuse pas. Vous l'avez rabaissée, salie, dévalorisée, neuf ans plus tôt. Logan que vous avez souhaité venger... a été tué par ce même homme qui vous a parlé. Il vous a menti. Logan battait Mora. Voilà, la vérité. Il l'emprisonnait comme si elle était son objet, son oiseau en cage. Il buvait et la frappait régulièrement. Et maintenant, vous, vous l'avez tuée sous mes yeux, il y a quelques semaines. Toute votre famille a fait du mal à ma sœur, jusqu'à la mort ! Et vous penseriez que moi, Neven l'Écarlate, je vous laisserais tranquille ? »

Un sourire si froid et carnassier que j'en frémis. Il mourut de sa main, lentement, mais sûrement. Ses cris agonisants me faisaient frémir. Quelques instants plus tard, elle s'occupa de la femme, mais elle écourta sa souffrance. Les deux corps baignaient dans leur sang. Neven leva le regard vers les escaliers. Commençant à avancer, je lui saisis l'avant-bras :

« Non, ça n'en vaut pas la peine. Si Logan était compté parmi les deux enfants... il ne doit en rester qu'un. Il n'habite peut-être même pas là.

— Tu préfères qu'il découvre ces corps au matin ?

— Il reste innocent. Vraiment, ça n'en vaut pas la peine. Tu t'es vengée, c'est le plus important. Partons, quémandai-je. »

Elle eut un sourire fatigué et cynique.

« Si tu insistes à jouer les héros alors que tu viens de participer à un meurtre... soit. »

Qui qu'il soit, il était sauvé. Repartis dehors, je jetai un œil derrière moi, vers la bâtisse ténébreuse. Un mouvement attira mon œil au niveau de la fenêtre du premier étage. Un corbeau était posé un mètre plus haut. Il croassait sous la lune. Il cherchait la Mort. Cette famille brisée. Je n'étais même pas sûr que Neven fût vraiment satisfaite. À part avoir remué sa rage envers Augustin, elle n'y avait rien gagné.

Je me reconcentrai sur cette dernière. Elle serrait le poing à intervalles irréguliers. Sa main tremblait. Elle marchait de travers, se prenant les pieds dans tout ce qui jonchait le sol de la forêt. Je me dépêchai de la rattraper pour passer un bras autour de ses épaules.

Elle tourna la tête. Je devinai qu'elle pleurait. De tristesse ou de colère, voire les deux.

« Tu aurais cru ça, toi ? bredouilla-t-elle.

— Qu'Augustin était encore derrière tout ça ? »

Elle acquiesça.

« Non. C'est une ordure finie. »

Et un excellent stratège. Il avait prévu que notre équipage viendrait nous secourir, ou au moins essaierait. Il avait prévu que Mora s'y trouverait. Enfin, il avait prévu et tout fait pour que ce fermier se venge, pour donner un dernier coup de couteau à Neven. Le connaissant, il lui avait murmuré des mots mielleux et acides pour faire monter sa colère. La faire grandir suffisamment pour commettre l'irréparable dans la vie d'un homme ordinaire : un meurtre.

« Je vais le massacrer... je vais le retrouver et le tuer... murmurait-elle en tremblant. »

Je resserrai ma main sur son bras, le caressant distraitement.

« On va y arriver. Tu n'es pas seule. Je suis là pour toi. »

Elle passa un bras autour de ma taille, nichant sa tête contre mon torse.

« Je le déteste, je le déteste, je le déteste... pleurait-elle. »

Je nous arrêtai pour la serrer contre moi. Elle tremblait dans mes bras, et je ne pouvais rien faire à part lui parler d'une voix douce :

« Je suis là, Neven. On va y arriver. Ne t'en fais pas. On le retrouvera, on s'en occupera. Tout va bien aller, Neven. Je suis là.

— Merci... »

Une main dans sa chevelure noire, l'autre caressant son dos, je l'écoutais se calmer, ravaler ses larmes. Elle garda sa tête contre mon torse une longue minute en silence, comme si elle se reposait. Elle s'écarta finalement, fébrile, osant à peine me regarder.

« Je ne te jugerai jamais, lui rappelai-je. Tu n'es pas n'importe qui à mes yeux. Je serai toujours là pour toi. »

J'attrapai fermement sa main, et elle glissa finalement ses doigts entre les miens.

« On rentre se reposer, murmurai-je. Tu as besoin de dormir, la soirée a été riche en émotions. »

Elle acquiesça, puis reprit :

« Il faut qu'on mette le cap quelque part. Sait-on jamais si le gouvernement nous trouve.

— Tu as des informations à propos d'Augustin ?

— Pas vraiment. J'aimerais trouver sa planque, alors je vais devoir compter sur les marchands d'informations pour ça.

— Niliba ? suggérai-je. Le Corbeau a peut-être quelque chose pour toi.

— Peut-être... je dois aussi me tourner vers les soldats et les corsaires. Il a l'air d'avoir le gouvernement dans la poche, alors s'il a fait affaire... »

Elle écarquilla les yeux :

« Voilà comment il a pu retrouver Mora... il a dû faire marcher ses relations qui connaissaient les détails de l'abordage contre mon père.

— Sans doute. Ce rat a plus d'un tour dans son sac.

— On ira à Niliba. »

Le trajet jusqu'au navire s'était déroulé dans un quasi-silence. J'avais tenté de lui changer les idées, lui montrant notamment des lucioles qui l'avaient intriguée. Elle avait voulu en attraper une, en vain, et elle s'était contentée de sourire en resserrant ses doigts sur ma main. Ensuite, son air était redevenu triste et ailleurs. J'aimerais tellement la faire sourire plus longtemps.

Elle lâcha ma main aux abords du navire et s'enferma directement dans sa cabine. Elle avait besoin de digérer les informations. Je donnai l'ordre de lever l'ancre pour mettre le cap sur Niliba, puis je m'isolai avec l'ancien pirate pour lui raconter.

« S'il n'est pas bête, il a sûrement déjà dû quitter l'Archipel. Il sait que si Neven le retrouve, c'est un homme mort.

— Je ne sais pas si elle trouvera grand-chose... acquiesçai-je. »

Je me demandais dans quoi Neven se lançait. Devrions-nous quitter l'Archipel pour espérer le retrouver ? Nous avions déjà piraté en dehors à plusieurs reprises, parfois pour plusieurs mois, mais si cet homme fuyait Neven, jusqu'où devrions-nous le chercher ?

À moins qu'il ne faille le faire revenir ? Lui tendre un piège ? Mais il n'était pas stupide. Néanmoins, je supposais qu'il voulait lui prendre la place de capitaine. Alors, fuir n'était peut-être pas totalement dans son intérêt... peut-être attendait-il une occasion pour se montrer et nous attaquer. Je détestais penser que Neven était la cible de cet énergumène, mais elle était évidemment en danger. Fragile ces temps-ci, je devais la protéger.


Le lendemain, j'étais parti voir Neven. Elle m'avait laissé entrer, et même m'approcher de son matelas. Ses traits étaient crispés, ses cernes noirs, son visage fatigué. J'avais fini par glisser une main dans ses cheveux pour caresser son crâne. Elle avait fermé l'œil – ayant repris son bandeau depuis – et elle s'était laissée aller à la douceur. Je m'étais senti enfin utile à la soulager, même quelques instants.

« Tu voudras que je t'accompagne en ville ? questionnai-je.

— Non, ça ira. Je veux y aller seule.

— Tu feras attention à toi, pas vrai ?

— Toujours. Comment pourrais-je le retrouver si je me fais emprisonner ? »

Je ne pensais pas vraiment à cela quand je lui disais de faire attention. Je voulais juste la retrouver en un seul morceau. Comme tout l'équipage, et surtout ses proches.

À Niliba, nous étions restés amarrés deux soirs. Deux soirs où elle nous avait formellement interdits de descendre en ville, et où elle était partie, avec son œil de verre, habillée d'une chemise et d'un pantalon, couplé d'une cape. Installés au réfectoire, nous mangions autour d'une bouteille de rhum que Neven nous avait autorisé à ouvrir, ce soir.

« Pourquoi la capitaine ne veut pas qu'on descende en ville, nous aussi ? questionna Jack. »

Ce dernier se tourna vers moi, les sourcils froncés :

« Même Malo n'a pas pu y aller...

— Elle doit avoir ses raisons, répondis-je simplement. »

Voulait-elle faire de sa vengeance une affaire personnelle ? Craignait-elle que nos hommes fassent trop de raffut ? Beaucoup de questions, trop peu de réponses.

« Elle a l'air d'aller mieux quand même.

— C'est déjà ça, acquiesça Borg.

— Malo, tu sais ce que fait la capitaine, toi ?

— On va se venger d'Augustin, on cherche où il se trouve. »

J'estimais qu'ils avaient le droit de savoir. De toute façon, vu ce que Neven maugréait dans sa barbe dès que quelqu'un énonçait la trahison, cela ne devait être un secret pour personne.

« Tout de même, la capitaine... la femme enceinte... »

Cet événement avait fait du bruit parmi nos hommes. Si une partie estimait qu'elle avait bien fait, d'autres, comme moi, étaient horrifiés.

« Je sais... soupirai-je. Je pense qu'elle a regretté après coup. »

Je l'espérais.

« Sa colère finira par s'apaiser. Deux proches morts sur les épaules... je ne dis pas qu'il ne faut pas lui en vouloir et tout laisser passer... mais ça peut être compréhensible. Elle va finir par se remettre sur pieds... »

En attendant, j'essaierais de moduler ses ordres, parfois bien trop sanguinaires.


Lorsque je me réveillai, on m'apprit qu'elle était rentrée au petit matin et qu'elle avait donné l'ordre de mettre les voiles vers un petit village, Iridieu, situé non loin de la Côte en Demi-Lune. Nous ne nous y étions jamais rendus, alors la destination m'interrogeait.

Lorsqu'elle se réveilla dans la journée, je vins immédiatement à sa rencontre.

« Tout s'est bien passé, cette nuit ?

— Fatigante, mais oui.

— Et pourquoi Iridieu ?

— Une de ses planques, a priori. Pas mal d'hommes qui y vivent feraient partie de ses hommes. On va devoir attaquer le village. »

Elle dut croire que j'avais mal compris puisqu'elle répéta :

« On va attaquer Iridieu. On brûlera ce qu'on trouvera. On tuera qui on trouvera.

— Ce n'est pas un village d'agriculteurs ?

— A priori non. »

Son regard était sans émotions. Je fronçai les sourcils :

« Mais... et si on se trompait ?

— J'ai risqué ma vie, cette nuit, pour ces informations, à cause de ce fichu Corbeau, souffla-t-elle. Alors j'ose espérer que tout est vrai.

— Qu'est-ce que...

— Des embrouilles avec des soldats, mais tout va bien. »

Ce ne fut que maintenant que je remarquai qu'une bande ensanglantée entourait son bras.

« Mais tout de même. On ne va pas annihiler le village entier, si ?

— Pourquoi pas ?

— Et tous ceux qui n'ont rien à voir avec Augustin ?

— Tant pis pour eux. »

J'attrapai son épaule avec fermeté :

« Tu sais aussi bien que moi que la plupart des femmes ne sont pas des pirates. Quant aux enfants... il n'y a pas plus innocent. »

Son regard me glaça le sang :

« Malaury. Tu as signé la chasse-partie. Si tu refuses de combattre, je prendrais ça pour une mutinerie. Et tu sais comment terminent les mutins. Ne me force pas à te faire du mal. »

Elle repartit dans sa cabine à pas lourds. Je ne pouvais m'empêcher de penser que Neven n'était pas comme ça. Qu'elle avait plus de cœur que les mots qu'elle prononçait. On s'en était déjà pris à des villages, bien sûr, mais nous n'avions éliminé que ceux qui nous barraient la route et refusaient de se rendre. Aujourd'hui, elle semblait vouloir annihiler tout ce qui avait un lien de près ou de loin avec Augustin, les innocents au passage.

J'ouvris brusquement la porte de sa cabine pour la retrouver, assise à son bureau :

« Neven. Je suivrai tes ordres. Tu dis vouloir détruire le village entier... mais il y a des innocents, parmi eux.

— Je t'ai déjà...

— Or, Mora était une innocente. Il y a des gens comme Mora dans ce village. Penses-y pendant le trajet. »

Je repartis. Nous étions le vingt-deux juillet. Cela ferait bientôt un mois que Mora était morte. Le temps était vite passé depuis cet accident... mais personne ne l'avait oublié. Elle devait y penser, elle aussi. À cette date qui la hanterait pour toujours. Le vingt-quatre juin. J'espérais donc avoir touché une corde sensible qui réduirait la sentence qu'elle prévoyait à l'encontre de ce village. Comme cet enfant que j'avais peut-être sauvé à la ferme des Flimband. J'avais l'impression de la perdre. Elle s'en prenait à des civils sans pitié, elle qui avait toujours eu un semblant d'humanité à leur encontre. Elle n'était pas du genre à tuer inutilement. Je détestais la voir sombrer vers cette folie destructrice et vengeresse sans pouvoir la ramener vers moi.

Doué, Augustin ? ;o;

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