Chapitre 25 - Un vent de vengeance 1/2

TW : Violence

Malaury


   Sourcils froncés, je questionnais tandis que Neven repartait vers son bureau :

« Qui ça ?

— Le fermier qui s'en est pris à ma sœur, souffla-t-elle.

— Et Augustin ?

— C'est en cours, assura la pirate en rangeant soigneusement son sac dans un coin. Je grappille des informations. Son tour viendra. Pour l'heure, je sais à peu près où se trouve ce fermier. Il suffira de demander l'emplacement précis en ville, puis de l'y retrouver et de le massacrer.

— Et c'est pour ça que tu as besoin de moi ? »

Elle se tourna à nouveau vers moi, marchant à pas lents, jusqu'à se planter sous mes yeux. Elle attrapa la dent de ma ceinture du bout des doigts pour jouer avec :

« Je ne sais pas... je ne sais pas si ça ira, à Isda. Je ne suis même pas sûre de vouloir mettre un pied dans cette maudite ville. Mais il faut que j'y aille. Pour Mora. »

Elle détourna le regard. Je me permis d'attraper son visage, posant mes paumes sur ses joues fraîchies par la nuit :

« Je suis là. On ira ensemble. »

Des larmes chaudes roulèrent sur ma peau. Elle hocha précipitamment la tête, se retourna, et me demanda de sortir d'une voix tremblante et entrecoupée de sanglots. Je m'exécutai sans rechigner. Elle était encore si fragile. Comme si elle se gonflait de courage le temps de ses excursions, pour redevenir celle qu'elle était depuis l'accident, à peine rentrée dans sa cabine.


Neven parvenait désormais à sortir prendre l'air, même si elle ne restait jamais plus d'une demi-heure sur le pont. Le trajet jusqu'aux alentours d'Isda se déroula presque sans accrocs. Nous avions croisé des corsaires et marchands à plusieurs reprises. La première fois, elle avait hésité avant de donner l'ordre d'attaquer. Concernant les marchands, elle en laissait parfois en vie, parfois pas de quartier. Les corsaires n'avaient pas eu cette chance : ils avaient été massacrés jusqu'au dernier, et les navires furent laissés, errant à l'abandon en mer. Pendant les offenses, je ne lisais que la rage et la rancœur tandis qu'elle abattait sa lame. Malgré sa faiblesse apparente – elle mangeait trop peu – elle avait gardé une certaine vigueur pendant les combats.

Le pire vint avec un navire marchand. Comme d'habitude, Neven s'était jetée la première sur le pont. Elle avait clamé que tout le monde se rende – ensuite, nous tuions chaque homme, un à un. Seulement...

« Capitaine ! Il y a une femme !

— Tuez-la ! rétorqua-t-elle.

— Mais... elle est enceinte ! »

Silence sur le pont. Un homme sembla implorer ma capitaine du regard – sans doute son mari.

« Remontez-la sur le pont, décida-t-elle. »

Blonde aux yeux bleus, les mains sur son ventre arrondi, la future mère nous fixait, les lèvres en terreur. Neven tira son sabre et souffla :

« Moi aussi, j'étais enceinte. Mais on m'a condamnée à mort malgré tout. Je ne vois pas pourquoi toi tu aurais la vie sauve. »

Avant que je ne puisse agir, la tête de l'innocente roula sur le sol dans un silence pesant, brisé par les hurlements de l'homme, qu'elle décapita à son tour.

« Le reste est laissé en vie, conclut-elle. J'attends donc de vous, les survivants, que vous racontiez ce que vous avez vécu. Le roi et ses mers n'ont qu'à bien se tenir, le Dragon des mers est enragé. Répétez ça à tous ceux que vous croiserez. »

Elle clama pour nos hommes :

« Vous avez tout volé ? Oui ? On repart. »

Le visage sombre, nous retournâmes sur le navire. Comme beaucoup, j'avais du mal à détacher mon regard de la chevelure blonde baignant dans son sang. Comment Neven avait-elle pu...

Cette dernière se précipita dans sa cabine dont elle claqua la porte. Je me rapprochai, m'adossant à la paroi de sa cabine. Elle pleurait. Regrettait-elle déjà ? Je ne savais pas sur quel pied danser. Je voulais la réconforter – dès qu'elle allait mal, c'était plus fort que moi, comme un instinct, je devais prendre soin d'elle. Mais cette femme... pourquoi ?

Cette décision de massacrer tous ceux qu'elle croisait ne lui ressemblait pas. Pour continuer d'inspirer la peur et la terreur, nous ne laissions aucun survivant de temps à autres, oui. Elle ne tuait jamais inutilement. Maintenant, qu'est-ce qui la poussait à faucher tant de vies ? Était-ce une sorte de revanche, de vengeance vis-à-vis du gouvernement ? Une expression de la rage qui grandissait en elle ? Un besoin de remonter sur le devant de la scène, d'asseoir sa force, sa supériorité, au reste des pirates – notamment Augustin ? Voulait-elle montrer la puissance de celle que l'on surnommait « Dragon des mers » ? Que désirait-elle ?


Amarrés dans un coin à bien trente minutes de marche d'Isda, Neven demanda que je la rejoigne dans sa cabine. Quelle ne fût pas ma surprise en la découvrant sans son bandeau, un œil de verre là où le sien était perdu.

« Depuis quand ? questionnai-je, déstabilisé. »

Elle ressemblait tellement à Mora, avec cet œil chocolat incrusté. Il paraissait tellement naturel qu'on aurait du mal à croire qu'elle était borgne. Que c'était étrange de la voir ainsi. J'avais déjà vu des pirates avec un œil de verre, bien trop visible, mais là... c'était comme si elle avait toujours eu ses deux yeux.

« Britanger. C'est une ville avec beaucoup de passages de pirates, je savais que je trouverais ce genre de choses là-bas. Je me suis rendue chez le meilleur artisan. »

Un sourire amusé se dessina sur ses lèvres :

« Quoi ? Je te perturbe tant que ça ? Tu vas finir par baver, attention. »

Je me rendis compte que j'avais la bouche entrouverte depuis tout ce temps. J'essayai de me rattraper :

« Euh, eh bien, c'est juste que... c'est la première fois que je te vois avec deux yeux, alors forcément...

— Moi qui pensais que tu allais tenter de me séduire... tu me déçois.

— Oh, mais, bien sûr ! Tu es vraiment belle ! »

Elle gloussa avec légèreté, puis secoua la tête :

« Vraiment pas doué, pour ce coup-là.

— Je peux me rattraper, tentai-je en m'approchant. »

J'essayai de prendre ses mains, mais elle s'écarta :

« Un autre soir, peut-être. »

J'avais la désagréable impression que nous revenions à notre relation d'avant, où je ne pouvais pas l'approcher ni lui montrer que je l'aimais. Seulement, la situation était différente : elle vivait un enchaînement de deuils, couplé d'un sentiment de culpabilité qu'elle avait du mal à surmonter. Alors, je patienterais.

« Après réflexion, je me rendrai en ville seule, assura-t-elle. Tu es trop reconnaissable. Moi... je peux encore réussir à les duper avec cet œil de verre. C'est pour ça que je m'en suis procuré un.

— Tu es sûre de toi ?

— C'est le mieux. Je ne veux pas que tu aies de problèmes... je n'ai pas envie de te perdre, souffla-t-elle en détournant le regard. Je perds trop de gens auxquels je tiens, ces derniers temps. »

J'attrapai son épaule :

« Je ne veux pas te perdre non plus... alors fais attention à toi. »

Elle hocha la tête, rabattit sa capuche, et quitta le navire pour entrer dans la forêt sombre, sous mon regard inquiet. J'observai les cieux : il était environ vingt heures, je ne la retrouverais pas avant une heure au moins. J'espérais que tout se déroulerait bien.

« Tu ne voulais pas la laisser aller, hein ? souffla Rimbel.

— Toi non plus, de ce que j'ai cru comprendre... mais Neven t'a rembarré quand tu lui as demandé de ne pas partir seule, me rappelai-je. »

J'avais entendu un morceau de leur discussion malgré moi. Le vétéran expliquait que c'était dangereux et qu'elle se ferait tuée si elle était reconnue, Neven rétorquait que c'était la seule façon d'agir pour sa sœur, et que de toute façon, elle était la capitaine, alors elle faisait ce qu'elle entendait.

« J'aimerais la rejoindre, m'avoua-t-il, mais je risque d'être reconnu. Tous les deux, d'ailleurs. On a été beaucoup vus en sa compagnie, on ne sera pas oubliés facilement. Sa seule chance, c'est cet œil de verre. Espérons que ça tiendra la route quand elle voudra entrer en ville. »

Je poussai un long soupir. Je n'aimais pas la savoir seule dans cette ville où nous avions failli mourir.

« Ensuite, elle va t'emmener pour assassiner...

— Possible, j'ignore encore ce qu'elle a en tête. On saura à son retour. »

J'avais fini par quitter le navire pour me balader aux alentours des bois au bout d'une heure : je ne tenais plus en place. Je n'avais rien à faire pour m'occuper, et l'attente m'inquiétait. Je pourrais au moins m'approcher de la ville, non ? Même si je n'entrais pas. Juste pour avoir une idée de comment ça se passait – si elle avait été reconnue, en tout cas. Au mieux, je la croiserais sur le chemin.

J'avais enfilé un long manteau à capuche noir, des armes à ma ceinture, et j'étais parti à grands pas. Je m'enfonçais sous les feuillages que la lune ne perçait plus. Comme en mer, je détestais ne pas savoir ce qui se trouvait devant moi, alors les bruissements de feuilles avaient tendance à me faire sursauter. Sur le qui-vive, j'avais sorti un sabre, prêt à me défendre, même si je savais que les forêts aux alentours de la ville ne représentaient aucun danger.

J'avais fini par longer les bois et chercher des endroits plus lumineux : moins tendu, je profitais de ma balade. L'air était frais pour juillet, le vent soufflait fort, et mes pas étaient étouffés par l'herbe que je foulais.

Je me perdis dans quelques souvenirs flous avec ma famille. Mon père aimait nous emmener camper en forêt. Mon petit frère avait toujours craint l'obscurité, comme moi. Cependant, j'étais plus âgé, alors j'essayais de montrer l'exemple, de paraître fort, pour le rassurer.

Un bruit sourd me fit sursauter.

« Qu'est-ce que tu fais là ? »

La voix de Neven me rassura.

« Je me baladais.

— En direction de la ville ? Mon œil. »

Elle quitta la pénombre des bois, toujours vêtue de noir.

« Tu as eu de la chance, j'ai failli ne pas te reconnaître. Je t'aurais laissé filer, et on aurait pu ne jamais se croiser.

— Je ne comptais pas entrer en ville, juste rester aux abords... »

Elle levait l'œil au ciel. Elle n'avait pas tort de ne pas me croire. J'aurais fini par être tenté de rentrer pour la chercher.

« En tout cas, tout s'est bien passé ? questionnai-je.

— Avec mon œil, je ne suis plus la même femme, clama-t-elle, satisfaite. Sinon, contre quelques bourses, j'ai rapidement eu les informations dont on a besoin pour trouver ce fermier. Il a sa parcelle pas très loin – ça tombe plutôt bien que tu sois là, finalement. Retourner te chercher au navire m'aurait fait faire un détour.

— Tu vois que mes idées ne sont pas trop mauvaises, plaisantai-je. »

L'once d'un sourire parut sur ses lèvres. Elle tendit la main vers moi :

« On y va ? »

Elle fit un pas de côté au moment où je voulus attraper ses doigts. Je ne pus m'empêcher de sourire : elle était d'humeur taquine, ce soir. Rapidement, son visage redevint grave :

« Raymond Flimband. Vit avec sa femme. Ont eu deux enfants. C'est tout ce que j'ai pu racler comme informations, avec l'adresse.

— C'est effrayant de se dire que tu as pu connaître tout ça en moins d'une heure...

— Il suffit de s'adresser aux bonnes personnes et de savoir se montrer généreux... Bellaud a un annuaire très fourni sur les habitants d'Isda quand on met la main à la poche, assura-t-elle avec un sourire entendu.

— Tu es retournée à la taverne de la dernière fois ?

— Toujours aussi miteuse. Si on continue tout droit, on devrait tomber sur leur terrain d'ici vingt minutes. La ferme serait située quelque part là-bas.

— On ne tue que lui ?

— Je ne sais pas. Avant de le tuer, j'aimerais comprendre qui il est et ce qu'il voulait à ma sœur. Je pense savoir de qui il s'agit, mais je veux qu'il me le confirme. Si c'est bien ce que je pense, je m'en prendrais à la famille entière. »

Je doutais que les enfants méritaient également la mort... alors j'espérais qu'elle se trompait. Si ce n'était pas le cas, devais-je l'arrêter ? Elle m'en voudrait à nouveau... pourtant, la vie de deux innocents ne valait-elle pas plus que des querelles pendant quelques semaines ? Oui, sans doute. Je ferais mon possible pour l'arrêter, dans le pire des cas. La femme enceinte de la dernière fois était déjà de trop, je voulais sauver quelques innocents sur le sillage de vengeance de Neven.

Vingt minutes plus tard, nous débouchâmes sur des champs de pommes de terre. Neven avait déjà repéré une bâtisse sans lumières. De l'appréhension me prit le ventre. J'en avais tué, des hommes qui s'en prenaient à nous. J'avais massacré des navires entiers aux côtés de mon équipage. Mais je ne m'en étais jamais pris à des civils. Il avait beau avoir tué Mora... je n'avais pas envie de faire couler le sang d'une famille entière. Je voyais pourtant aux pas de Neven qu'elle était décidée. Son regard était noir et froid. Elle était à nouveau animée de colère.

Nous nous tenions devant une maison d'un étage, en bois, assez spacieuse. Neven toqua. Beaucoup de civilité pour un meurtre prémédité.

« Qui est-ce ? »

Une voix d'homme grave.

« C'est important. S'il vous plaît, souffla Neven. J'ai des problèmes dehors, et je suis perdue. Je n'ai personne vers qui me tourner. »

Je m'écartai du champ de vision : s'il regardait par l'œil de bœuf, nous aurions l'air suspect.

« La ville n'est pas si loin... nous ne voulons pas être mêlés à des problèmes, quels qu'ils soient. Les soldats sauront mieux vous aider que nous, je...

— S'il vous plaît ! répéta-t-elle. J'ai voulu me diriger vers la ville, justement, mais des brigands ont essayé de me tuer ! J'ai réussi à m'enfuir, mais je ne sais pas quand ils me retrouveront ! J'ai peur... s'il vous plaît... »

Sa voix s'éteignait, comme si elle était sur le point de pleurer. Effrayante comédienne.

« Pitié ! Juste pour ce soir ! Je ne mangerai rien ! Vous pouvez me faire dormir sur le sol, je m'en moque ! Je veux juste avoir un toit pour ce soir ! S'il vous plaît ! »

Le cliquetis des clés. On déverrouilla.

« Bon, entrez, on va vous fournir une couche. Ce ne sera pas la plus confortable, mais... »

À peine avait-il ouvert la porte que Neven s'était jetée sur lui, le couteau sous la gorge.

« Q-Q...

— Chut ! tonna-t-elle. »

Je surgis dans son dos, et nous entrâmes. Je fermai derrière nous. Nous nous trouvions dans un couloir qui menait à différentes pièces – je devinais un salon et une cuisine. Les torches illuminaient le visage terrifié de l'homme à la moustache blonde. Neven, une lame dans son cou, retira délicatement sa capuche, un sourire mauvais sur les lèvres :

« Oh, un fantôme ! C'est ça que tu penses ? »

Plus de politesse, seulement de la méchanceté et une cruauté qu'il subirait bientôt.

« Tu ne parles pas ? C'est vrai... tu es plus doué pour assassiner des innocents ! »

Elle le poussa pour le plaquer au mur.

« Malo, trouve sa femme et ramène-la ici.

— Non ! beugla le moustachu.

— Oh ? Tu es d'humeur à parler, maintenant ? s'esclaffa-t-elle tandis que je prenais un couloir au hasard. »

Je visitai plusieurs pièces, le sabre à la main. Arrivé dans ce qui ressemblait à une chambre à coucher, je m'arrêtai. On retenait son souffle. Soit on se cachait, soit on se préparait à m'attaquer pour espérer s'enfuir.

Un pas.

J'arrêtai d'une main la chaise qu'une grande femme menue avait voulu fracasser sur mon crâne, et j'attrapai fermement son avant-bras. Je rajoutai mon sabre au niveau de sa gorge, le regard sans émotions :

« Avec moi. Pas d'agitation, sinon ça finira mal. »

Elle se laissa guider en silence. Ses bras tremblaient. Quelques instants plus tard, elle était auprès de son mari :

« Qu'est-ce que vous lui avez fait ? Elle est toute...

— Tais-toi ! grogna Neven en lui donnant un violent coup de genou dans l'estomac. Je ne t'ai pas donné l'autorisation de parler ! »

La femme regardait ma capitaine, les yeux écarquillés de stupeur.

« Reprenons. Tu connais ma sœur, c'est bien ça ? »

Sombre, sombre, sombre, Neven... ;-;

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