Chapitre 24 - Larmes

Malaury


« Est-ce que ça va aller, Malaury ? questionna Kurt en me prenant à part.

— À quel propos ?

— Neven. Ce n'est pas dans ses habitudes, de demander de tels massacres...

— Elle est en plein deuil. Je comprends que ça te dépasse. Moi aussi, soufflai-je pour espérer le rassurer. Pour l'heure, nous ne pouvons qu'écouter... »

Je finis par concéder :

« Je fais confiance à ton bon jugement. Si tu estimes qu'ils ne méritent pas la mort...

— Personne n'aura à le savoir. »

Je hochai la tête. Entendus, nous nous serrâmes la main.

« Tout mon courage à toi aussi. Il paraît que vous étiez proches...

— Oui, nous l'étions... »

Je détestais parler de notre relation au passé... mais il fallait avancer. Je devais écouter les leçons que tu m'avais laissées.

Je saluai Koda et Nesly, puis je repartis sur La Mora.

« Ah, enfin ! tonna l'un des hommes. On t'attendait pour mettre les voiles !

— Où ça ?

— La capitaine veut que l'on mette le cap sur Britanger ! »

Ce n'était pas loin, à deux jours tout au plus de navigation. Seulement, la destination me questionnait.

« Elle a dit pourquoi ?

— Des affaires à régler et du ravitaillement. »

Je décidai de directement demander à la concernée tandis que l'on mettait les voiles. En entrant, je la trouvai comme d'habitude. Elle avait délaissé son manteau écarlate, son chapeau aux décorations rouges, et elle s'était couchée sur son matelas, enserrant son oreiller.

« On part à Britanger, alors ? »

Son visage était humide et rouge.

« Oui, souffla-t-elle d'une petite voix.

— Tu as des affaires à régler, on m'a dit. Qu'est-ce que c'est ?

— Des affaires. »

Elle voulait s'en occuper seule.

« Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas. »

Les journées se déroulèrent sans encombre. Neven ne buvait plus – plus au point d'avoir une gueule de bois, en tout cas. Elle mangeait très peu, mais c'était plus qu'avant. J'avais raconté le bref regain d'énergie de Neven à Rimbel, et il avait semblé rassuré.


   Lorsque nous accostâmes à Britanger, Neven avait enfilé un manteau noir à capuche, prit un sac en toile, et était partie en ville. Elle m'avait demandé de rester sur le navire pour aider au ravitaillement : j'avais bien compris qu'elle voulait que je la laisse agir seule. J'espérais juste qu'elle ne s'attirerait pas d'ennuis, quoi qu'elle voulût faire. Rimbel m'avait expliqué que Darren vivait ici, alors il supposait que c'était en rapport avec lui. Une crainte m'avait parcouru à sa mention. Et s'il lui manquait ?

Elle était rentrée en pleine nuit, le sac visiblement plus rempli qu'au départ. J'avais attendu, flânant sur le pont, prêt à agir au moindre problème.

« Tout s'est bien passé ? questionnai-je.

— Oui. On met le cap sur Febiran. Tout de suite. »

Sa silhouette s'évanouit dans l'encadrement de la porte de sa cabine.

« Vous avez entendu ? clamai-je. On repart tout de suite. »

Qu'avait-elle exactement en tête ? Elle finirait par m'en parler s'il fallait agir avec l'équipage. Il suffisait d'être patient.


   Durant les quatre jours de trajet, Jack et Borg étaient venus me parler. Ils m'avaient emmené dans un coin éloigné, le visage anxieux.

« Que se passe-t-il ?

— C'est Issan... »

Je me tendis :

« Qu'est-ce qu'il a ?

— Il nous cause même plus, souffla Jack. »

C'est vrai qu'il était particulièrement silencieux lors des repas.

« Et il s'entraîne à se battre au sabre et au poignard sur un mannequin dans la réserve. Il ne fait que ça. On a perdu notre petit Issan... soupira Borg.

— J'y vais. »

Je me dépêchai de descendre dans les cales. À l'approche de notre réserve, des lacérations contre du tissu fusaient. De plus en plus fort à mesure que j'approchais de l'échelle. Je descendis souplement.

Les flammes d'une torche illuminaient mon frère de cœur en train de s'acharner sur un torse fait de coton et de cuir.

« Issan ? »

Pas de réponses.

Je m'approchai jusqu'à pouvoir poser ma main sur son épaule.

« Tu t'entraînes ? »

Il se tourna vers moi. Ses yeux brillaient.

« Oui... »

Sa voix était terne et entaillée par la douleur.

« Pourquoi ? »

Il fronça les sourcils, incompréhensif. Comme si s'acharner sur ces tissus était une évidence.

« Pour pouvoir me battre quand on rencontrera Augustin.

— Tu es à moitié en train de pleurer...

— Et alors ? Ce sont des larmes de colère et de haine ! »

Il planta violemment son poignard au niveau du cœur.

« J'en ai marre de repenser à ce jour-là ! J'ai essayé d'empêcher Mora d'y aller... elle n'a pas voulu m'écouter ! J'ai demandé à participer à l'opération, on a refusé ! Car je n'étais pas prêt selon les autres ! J'en ai assez d'être mis de côté car je suis jeune et inexpérimenté ! Je ne veux plus jamais perdre qui que ce soit à cause de ça ! »

J'attrapai ses deux épaules et me baissai à sa hauteur :

« Issan. Ce n'est pas ta faute si ce drame a eu lieu. Tu n'as pas besoin...

— Tu vois ! Toi aussi, tu veux m'empêcher de me battre !

— Issan. Je tiens à toi. Je ne veux pas que tu prennes de...

— Tu vois ! répéta-t-il.

— Je... écoute, je vais te raconter... mon histoire, soufflai-je d'une voix tremblante. Tu sais que je dis toujours que tu es mon petit frère ?

— Oui.

— Comme tu le sais, j'en ai eu un... mais il est mort. Mais je ne t'ai jamais raconté ce qu'il s'est passé... »

Au fil de mon récit, son regard s'était apaisé, perdu dans l'empathie et la douleur à mon égard.

« Voilà. Il ne savait pas se battre. Je n'aurais pas dû l'embarquer dans un combat. Je ne sais pas ce que j'aurais dû faire... mais j'essaie de ne pas y penser. Car ce qui est fait est fait. »

Je braquai mes yeux sur le blond :

« Je ne veux pas te perdre non plus. Personne ne le veut. C'est pour ça qu'on essaie de te protéger...

— Eh bien, justement. Apprends-moi. Comme ça, tu n'auras plus à craindre pour ma vie. Je pourrai me débrouiller. »

Ses yeux verts qui ne reflétaient que bienveillance et douceur fut un temps brûlaient désormais de détermination. En l'imaginant se battre à mes côtés, je soupirai :

« Je n'ai pas envie de te voir pris là-dedans...

— Ton frère... il ne savait pas se battre... je veux apprendre justement pour que l'histoire ne se répète pas. Et... j'en ai besoin. Je veux que chaque membre de l'équipage puisse compter sur moi. Et puis... le jour où on croisera Augustin... je veux pouvoir me battre en mémoire de Mora... »

Si je ne l'entraînais pas, il pourrait ne pas être prêt pour ce qui nous attendait...

« D'accord. On travaillera tous les jours. Les entraînements seront plus poussés que ce que je t'ai appris. J'attends que tu sois en forme physiquement, donc tu devras t'exercer en dehors de nos sessions aussi. Compris ?

— Oui, monsieur !

— Montre-moi ce que tu sais faire sur ce mannequin. »

Quelques instants plus tard, je le replaçai :

« Tiens-toi droit. Comme ça. Il ne faut pas laisser d'ouverture à ton ennemi, mais il faut que tu puisses en avoir une pour frapper. Ensuite, un poignard se tient plutôt comme ça. Je t'aurais bien dit de demander conseil à Neven... mais elle n'est pas en état pour l'instant.

— Je peux comprendre, soupira-t-il en se repositionnant. Mora... c'est dur pour moi, alors pour elle...

— Si ce n'est pas indiscret... à quel point vous étiez proches, tous les deux ? »

Il s'immobilisa, puis se tourna vers moi, les yeux larmoyants.

« La veille de sa mort... on s'est embrassés. Je suis restée avec elle pour la nuit. On n'a rien fait de plus. Juste... des câlins et des baisers. C'était juste... si doux. Elle était si douce. Je me sentais si bien avec elle... À chaque caresse sur mon visage, j'avais l'impression d'être enlisé dans un rêve dont je ne voulais jamais me réveiller. Et elle, elle était si fragile en apparence, mais si forte en détermination et en courage. Plus que beaucoup d'entre nous, j'en suis sûr. Elle aurait tout fait pour Neven... »

Je passai ma main dans ses boucles blondes :

« Je vois... le temps guérira, il faudra être patient. Courage. Je suis là si tu as besoin d'en parler. »

Il hocha la tête, sécha son visage, puis se retourna vers le mannequin :

« On continue ? »


   J'avais rassuré Jack et Borg, et petit à petit, Issan s'était rouvert à nous. Le trajet n'était pas de tout repos pour moi, je me battais sur tous les fronts : les entraînements avec mon petit frère, les instructions à donner, Neven que je visitais parfois pour lui tenir compagnie, mais elle n'était pas loquace. Morne, sombre, mais je ne la retrouvais plus aussi souvent en larmes. Elle avançait à petits pas, mais elle avançait.


   À Febiran, même histoire : Neven avait agi seule, était revenue avec un sac plus lourd, et elle avait cette fois donné le cap sur Isda.

« Isda ? répétai-je. Tu ne penses pas que les événements sont trop récents pour y retourner ?

— On mouillera à l'extérieur du port. On trouvera bien un coin tranquille, une grotte ou une crique. On part tout de suite. »

Je la suivis dans sa cabine. Lorsque la porte se referma, elle posa délicatement son sac sur son bureau.

« Qu'est-ce que tu veux y faire ?

— Des affaires. J'aurai peut-être besoin de toi, d'ailleurs.

— Quelles affaires ? »

Elle se tourna vers moi, semblant me jauger. Elle s'approcha et me déclara :

« J'ai quelqu'un à tuer. »

Issan est en train de prendre en puissance, je ne m'y attendais pas... Dans mes anciennes versions, il restait très passif... c'est cool de le voir évoluer comme ça. Vous en pensez quoi, vous ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top