Chapitre 23 - Imaginer
Je me levai et récupérai mon manteau. Tricorne enfilé, je sortis, suivie par Malaury. Nous nous dirigeâmes vers un groupe d'hommes qui discutaient. À peine à leur hauteur, le cercle s'ouvrit à la voix de Koda :
« Capitaine Neven, ravi de te revoir. »
Je serrai la main de la moustache blanche, puis celle de Kurt dont l'œil était peiné :
« Capitaine, tout mon courage pour la perte de Célestin. Nous savons à quel point vous étiez proches... »
Un hochement de tête silencieux de ma part. Ses mots ne m'aidaient pas du tout. Évidemment, que nous étions proches. On avait fait toutes nos conneries ensemble.
« Merci, Kurt, souffla Malaury en lui serrant la main. »
Heckel, son second à la tignasse rousse, me lança un regard compatissant que j'évitai. Je détestais être vue ainsi.
Entendus sans parler, nous nous dirigeâmes vers la tombe une nouvelle fois. À mesure que j'avançais, j'asphyxiais. Comme si me rapprocher de son corps défunt me tuait de l'intérieur. Les larmes aux yeux, je grimaçais en marchant, laissant les hommes me dépasser pour qu'ils ne me voient pas pleurer. Je n'arriverais jamais à m'habituer à sa mort...
On me serra doucement. Malaury. J'accueillis son accolade d'un bras autour de sa taille, la joue déjà humide contre son torse.
« Ça va aller, me souffla-t-il. »
Je ne parvins pas à hocher la tête. Comment cela pourrait-il aller alors que Célestin...
Des larmes roulèrent à nouveau sur mes joues. Mes doigts se crispèrent sur sa chemise. Je ne parvenais plus du tout à me contrôler, et tout le monde pouvait me voir. Je détestais ça. Je ne voulais pas...
Malaury me serra plus fort encore contre lui. Il me regardait avec douceur et empathie, larmoyant aussi.
Avancés jusque devant la croix, tout le monde avait posé son couvre-chef contre son cœur, mais personne ne parlait. Qui prendrait la parole ? Je voulais juste que ça se finisse... c'était trop horrible de me dire que sous ce sable, tu étais mort. Trop horrible de me rendre compte que je ne pourrais plus rire avec toi jusqu'à en pleurer. Trop horrible de savoir que je ne pourrais plus jamais ébouriffer tes cheveux et te sauter au cou. Des choses si simples... mais tellement précieuses avec les personnes qui nous sont chères.
« Célestin. Merci pour ces belles années à nos côtés, souffla Nesly. J'admire ton courage, jusqu'à ton dernier souffle.
— J'admire ta combattivité et ton adresse à la rapière, clama Kurt.
— J'admire tes capacités de capitaine et ta prestance, suivit Koda.
— J'admire... ton écoute, ta capacité à nous réconforter, et ta présence chaleureuse, murmura Malaury.
— Et moi... j'admire ta persévérance de toutes ces années, ta façon de nous faire rire pour nous voir heureux, et ton amitié à notre égard. Je t'aime, terminai-je avec quelques larmes. »
Après quelques minutes de silence, nous nous écartâmes. Tout le monde avait les yeux brillants, même Koda qui était encore moins démonstratif que Malaury. Je séchai mon visage, puis interpellai les capitaines :
« Bien, parlons piraterie, à présent. Kurt, Koda, Nesly. Augustin n'est plus digne d'être sous mes ordres, comme vous le savez. Si vous le croisez, vous me le capturez, je le veux vivant. J'ai... beaucoup de choses à lui dire avec la lame de mon couteau. »
Ils acquiescèrent.
« Ensuite, concernant les abordages. Le roi fait partie de cette machination. »
Une image. Ma sœur sur le sol, en train d'agoniser.
Ma poitrine se déchira.
Je la réparai avec une sève enragée :
« Nous allons lui montrer ce qu'il en coûte de s'en prendre à Neven l'Écarlate ! Tous les marchands, marines et corsaires croisés... bien sûr, quand l'offense est possible... je ne veux pas de quartier ! ordonnai-je d'une voix ténébreuse. Vous en laissez quelques-uns en vie pour qu'ils puissent raconter que le massacre est de notre dû, mais c'est tout. Ils m'ont tout pris... souris-je avec mépris. Alors, je vais instaurer un règne de terreur ! Le Dragon des mers est de sortie ! Ils n'oseront plus mettre une seule embarcation à l'eau sans craindre de périr ! »
Mon cœur battait au rythme de ma haine qui se disséminait peu à peu dans mon être. Oh, oui, ils allaient le regretter. Ils m'avaient pris les plus chers à mes yeux... ils m'avaient arraché des morceaux de mon âme... j'arracherais des vies jusqu'à ce que ma rage s'apaise.
« Capitaine, m'interpella Kurt. Je ne sais pas si je suis vraiment...
— Kurt, coupai-je. Je comprends que ça puisse te dépasser... mais on m'a arraché ma sœur jumelle que j'avais enfin retrouvée après neuf ans. Mon meilleur ami. On a voulu nous tuer, Malaury et moi. Je pense qu'ils méritent une leçon. Je ne vais pas laisser passer ça. Ils crèveront tous s'il le faut, grognai-je. »
Son œil à l'azur pur se baissa, résigné.
« Je vous remercie pour cette cérémonie pour Célestin. De notre côté, nous allons mettre les voiles, nous avons à faire. Bonne continuation, soufflai-je en serrant la main de chacun. Faites attention à vous. »
Je repartis en direction de La Mora. Les braises de ma colère tiédissaient. Mes épaules frémissaient. Allais-je déjà rechuter ? J'avais l'impression de passer mes journées à regagner de l'énergie pour être battue avec quelques instants plus tard, et cela m'épuisait.
Je donnai les instructions à mes marins, puis je repartis dans ma cabine. À peine la porte fut-elle refermée qu'un immense poids sévit sur mon dos. Affaiblie, je me traînai jusqu'à mon matelas sur lequel je me laissai tomber, les yeux douloureux. De terribles frissons m'arrachaient la peau alors que je pleurais.
Pourquoi en étais-je arrivée là ? Pourquoi ne pouvais-je pas simplement profiter d'une pinte en compagnie de Célestin ?
La mention de son prénom me fit sangloter.
Je serrais mon oreiller avec force, imaginant que c'était mon ami que j'enlaçais. Je l'imaginais en train de caresser ma tête et de m'inventer une de ses blagues. Que me dirait-il ? Que je ressemblais à une ivrogne avec mon nez rouge ? Ahah, oui, ça lui ressemblerait bien...
Entendre son rire détendit ma poitrine.
Quelques instants plus tard, Mora le rejoignait dans ses caresses sur ma tête. Elle me parlait avec douceur, mais je ne comprenais pas ses mots.
Mais les imaginer près de moi, en train de me réconforter...
Les larmes séchaient, ma respiration s'accordait à leurs caresses imaginaires...
Ma seule façon de supporter cela... était-ce vraiment de me perdre dans mes rêves ?
Il semblerait. C'était trop horrible de me rendre compte que je ne pourrais plus sentir leur chaleur ni entendre leur voix. Je préférais me perdre loin... très loin, là où je pouvais encore les voir et leur parler.
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