Chapitre 12 - Pomme tranchée 1/2
J'atterris sur le sol. Je pris une profonde inspiration. L'air me revenait. J'ignorais... pourquoi... j'étais tombée... mais l'air me revenait... enfin...
« On va te sortir de là ! Tu m'entends ? »
Cette voix ? J'ouvris l'œil et ne pus contenir mon sourire. L'instant d'après, mes poignets étaient détachés, ma gorge libérée, et j'attrapai la main que Mora me tendait pour me redresser. J'eus un hoquet de surprise en croisant le regard de l'homme qui aidait Malaury à se relever :
« R-Rimbel ?
— Après, Neven ! gronda ma sœur.
— Sauvez-vous ! »
Des cris dans la foule me firent tourner la tête. Je reconnaissais des visages, mes hommes menaçaient des civils le temps que nous fuyions ! Mora m'entraîna vers le bord de la plateforme haute de deux mètres et sauta la première sur les pavés. Je suivis, entendant des pas dans notre dos : les deux seconds tenaient la cadence.
Depuis l'échafaud, la route vers le port était visible, mais elle fut immédiatement barrée par des soldats. Nous devions contourner. Ma sœur m'empoigna et m'entraîna vers la droite pour nous infiltrer dans les rues de la ville, bien moins bondées que la place.
Armée d'une épée, Mora menaçait tous ceux sur notre chemin qui s'écartaient sans sourciller. Elle qui détestait la violence, la voilà en train de brandir une lame. J'oubliais parfois qu'elle était aussi la fille d'un pirate.
Elle s'arrêta brusquement à un carrefour.
« Là ! reprit Malaury en nous passant devant pour courir vers la droite. »
Rimbel fermait la marche derrière nous, a priori désigné pour assurer nos arrières.
« Quel est le plan, Mora ? questionna mon second.
— On doit aller au port ! Pour le bateau ! Les hommes doivent être en train de se replier si tout se passe bien ! On met les voiles dès que tout le monde est sur le pont ! »
Une opération rapide qui évitait les conflits.
« Suivez-moi ! »
Malaury connaissait sans doute quelques raccourcis pour nous y mener. Au détour d'une rue, au loin, un groupe de soldats courait dans notre direction. Ils ne nous lâcheraient pas.
« Eh ! Gamin ! lança Rimbel. Il faut qu'on les sème !
— Compris ! »
J'ignorais pourquoi le second de mon père se retrouvait ici, à me sauver la vie avec Mora, mais j'étais soulagée de voir ces figures familières après cette nuit éprouvante passée en prison. J'avais hâte que nous retournions sur La Mora pour enfin pouvoir nous retrouver tous les trois.
Je faillis perdre Malaury de vue à plusieurs reprises tant les ruelles qu'il empruntait étaient sinueuses et déroutantes. Je serrais fermement la main de ma sœur pour être sûre de ne pas la lâcher. Il fallait qu'on s'en sorte ensemble.
Nous arrivâmes dans un petit quartier au centre duquel se trouvait la statue d'une sirène dont la nageoire était en train de se briser. Il nous emmena dans une rue peu animée et il s'élança vers une maison dont la porte était barrée par trois planches de bois. Il entreprit de les arracher une à une.
« Qu'est-ce que tu fais ? Les soldats vont arriver d'un instant à l'autre ! criai-je.
— Aide-moi ! »
Je secouai la tête et commençai à tirer les planches avec lui. L'instant d'après, il donna un violent coup d'épaule dans la porte qui s'ouvrit. Il nous tonna d'entrer, sans oublier de récupérer les morceaux de bois abandonnés sur les pavés. Porte claquée, nous étions dans la quasi-obscurité : seuls quelques rais de lumière pénétraient la pièce par des fenêtres barricadées pour illuminer le plancher. Malaury tira une armoire devant la porte.
« Voilà, murmura-t-il. On est cachés, et dans le pire des cas, on pourra s'échapper par l'étage. »
Il se laissa glisser le long du mur pour s'asseoir sur le sol. Nous reprenions notre souffle en écoutant attentivement ce qui se tramait dehors.
« Rimbel, qu'est-ce que tu fais ici ? chuchotai-je finalement.
— Tu n'es pas heureuse de me voir, petite Neven ? »
Je l'entendais sourire.
« Si, mais... comprends que je suis surprise de te trouver ici.
— C'est grâce à Mora.
— Tu m'as dit qu'il n'habitait pas loin d'Isda... je me suis dit que ce serait toujours une paire de bras en plus, alors on a fait un crochet parmi les petits villages aux alentours, et on l'a trouvé. »
Je haussai un sourcil :
« Et tu as réussi à convaincre mon équipage, toi ? »
Pas que je doutais de son talent oratoire... mais elle n'avait strictement aucune autorité sur mes hommes, malgré notre relation.
« Euh... pas vraiment, soupira-t-elle. À vrai dire, je n'étais même pas censée être en ville, mais j'ai fait pression sur Mathurin pour qu'il accepte.
— Il a pris les commandes en notre absence ?
— Oui, et il n'y a eu aucune tentative de mutinerie. »
Tout se passait mieux que ce que je craignais. Je me sentais déjà soulagée. J'aurais juste aimé que Mora attende sur le navire, j'aurais eu l'esprit encore plus tranquille.
« Et il n'y a que La Mora ?
— Malheureusement... soupira ma sœur. Nous n'avons pas trouvé d'alliés aux alentours d'Isda. Nous n'avons pas voulu trop nous éloigner. C'est pourquoi l'opération doit être la plus brève possible nous sommes en sous-nombre. »
J'acquiesçai. Il fallait repartir dès que possible.
« En tout cas, ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas vus, souffla Rimbel en posant une main paternelle sur mon épaule. »
Je l'imaginais déjà en train de sourire malgré la pénombre.
« Oui, je suis contente de te revoir. Enfin, pas dans ces conditions, mais...
— Chut, intima Malaury. »
Des pas de course qui se rapprochaient. Ce qui semblait être des soldats dépassèrent notre cachette. L'homme me relâcha pour se mettre à pousser l'armoire qui bloquait la porte. La main de Malaury passa le long de mon bras. Je la rattrapai avant qu'elle ne me quitte, serrant ses doigts entre les miens.
« On y va, souffla ce dernier en me prenant correctement la main. On rentre chez nous. »
Mon second ouvrit la porte avec délicatesse, jeta un œil aux alentours, puis nous fit signe d'y aller :
« On a encore quelques rues à prendre, mais on devrait finir par déboucher sur le port. »
Je suivais mes compagnons sans cesser de regarder autour de nous. Les citoyens rentraient chez eux pour se cacher, et les ordres donnés aux soldats résonnaient au loin. Nous nous arrêtâmes brusquement et Malaury me tira contre un mur. Il jeta un œil dans la rue où nous devions passer, puis secoua la tête et nous emmena vers une autre ruelle :
« Des soldats. »
Il soupira en constatant qu'une barricade d'au moins un mètre quatre-vingts nous barrait la route. Il jeta un œil au-dessus, puis s'exclama :
« Neven, courte-échelle ! »
Je posai mon pied sur sa main et observai par-dessus à mon tour. La voie était libre. Je me hissai à califourchon dessus et tendis la main vers ma sœur. Également aidée par Malaury, elle termina de l'autre côté, nous attendant en tapant du pied, le poing serré.
Au tour de Rimbel qui se hissa sans problèmes, puis le colosse grimpa avec plus de facilité que nous grâce à sa taille. Au moment où je descendais auprès de mon groupe, une troupe au bout de la rue me remarqua :
« La prisonnière est là !
— On se dépêche ! gronda Rimbel. Vite ! »
Nous nous arrêtâmes immédiatement après quelques pas en avant : une autre troupe venait de nous tomber dessus. Nous étions pris en tenaille. Je regardai autour de moi. Les toits. Je me précipitai vers des caissons qui me permirent d'atteindre la gouttière :
« Par-là ! lançai-je. »
Je me hissai non sans peine sur les tuiles, puis je tendis la main pour tirer ma sœur au plus vite près de moi. Rimbel se battait déjà contre les soldats qui s'avançaient. D'autres étaient en train de grimper la barricade.
« Partez ! Allez-y ! Je vais m'en sortir ! »
Il maniait toujours aussi bien l'épée qu'avant, il les repoussait sans peine. Je pensais qu'il aurait perdu la main après toutes ces années, mais Malaury effleurait à peine son niveau.
« Je reste avec ! rajouta mon second en s'armant d'un morceau de bois. »
Ma sœur et moi nous lançâmes un regard hésitant. J'écarquillai l'œil et tirai Mora dans mes bras. Une flèche vola à quelques centimètres de sa tête.
« On file ! On ne peut pas les attendre ! décidai-je en lui prenant fermement la main. »
Ils s'en sortiraient, pas vrai ?
« Malo, je veux te retrouver ! lançai-je. »
J'entraînai Mora sur les toits de la maison d'à côté en observant autour de nous. Le port se profilait. Je repérai mon navire, ainsi que des hommes courir vers celui-ci, parfois suivis par des groupes de soldats. Les archers qui avaient manqué Mora de peu étaient situés en contrebas des maisons.
Ils nous visaient avec attention tandis que nous courions sur les tuiles en direction de la mer. Plus d'une fois, des flèches nous frôlèrent, mais je me consolais en me disant que Mora était inatteignable tant que j'étais debout.
Au fil de nos pas de course, ma sœur commençait à s'essouffler. Elle respirait vite et peinait à suivre la cadence.
« Allez, Mora ! Il faut qu'on reste en mouvement à cause des flèches ! »
Encore quelques maisons et nous descendrions pour rejoindre le quai.
« Ha... Je...
— Tais-toi et cours ! »
Je serrai plus fermement sa main, peut-être plantais-je mes ongles dans sa peau, mais je voulais m'assurer qu'elle serait toujours avec moi. Quelques instants plus tard, je la pressai de descendre par un caisson, et je suivis, non sans qu'une flèche ne se plante dans mon chapeau. Nous avions encore du chemin avant d'arriver au navire.
« Par ici ! soufflai-je en l'entraînant tout droit. »
Il ne semblait pas y avoir de soldats dans la partie du quai où nous nous trouvions. Pour le moment. Cet endroit était réservé au commerce, et les grands caissons parfois recouverts de toiles en laine représentaient un labyrinthe idéal pour se cacher.
« A-Attends ! souffla Mora. »
Elle respirait fort, le visage rouge.
« Tu veux faire une pause ?
— Quelques secondes... quémanda-t-elle. »
Je l'entourais d'un bras tandis qu'elle se reposait, la tête contre mon épaule. Malgré ses inspirations toujours rapides, elle murmura :
« C'est bon... on peut y aller...
— Tant mieux, retournons vite sur le navire. On y est presque, souris-je désormais. »
Savoir que Rimbel se trouvait avec Malaury me rassurait. Cet homme de la cinquantaine avait toujours été un homme doué, une lame à la main. J'avais entendu bien des histoires à propos de ses talents d'épéiste, avant de le voir à l'action - trop d'entraînements contre lui subis - je savais donc que mon second était entre de bonnes mains. Il n'y avait plus qu'à nous sauver.
« On va éviter de courir pour l'instant, murmurai-je en retirant la flèche de mon tricorne. Si on peut arriver sur La Mora sans trop se faire repérer, ce serait...
— Elles sont là !
— Bon sang ! jurai-je en rattrapant la main de ma sœur. »
Des soldats se trouvaient à vingt mètres derrière nous. Un arbalétrier était parmi eux : il faudrait y faire attention. Nous courions dans le sens opposé. Si mes estimations étaient bonnes, mon navire se trouvait à plus de cinq cents mètres devant nous. J'espérais que les méandres du port nous permettraient de les semer.
Nous courions entre les caissons, nous faufilant à droite, à gauche, alors que les pas se rapprochaient au fur et à mesure. Mora me serrait la main plus fort. Je m'arrêtai subitement : une patrouille sur le chemin que nous devions emprunter. Je nous décalai sur le côté. Soit nous revenions en arrière et croisions ceux qui nous cherchaient, soit nous foncions dans ceux devant. Pas d'autres échappatoires.
Mora me lança un regard paniqué, les lèvres entrouvertes. Une idée. Je tirai ma sœur vers un groupe de caissons recouvert d'une bâche :
« Entre, vite ! soufflai-je. »
Nous nous faufilâmes par une déchirure au niveau du tissu, et je la pressai d'avancer pour que nous ne soyons plus visibles. Elle se hissa sur l'une des caisses, et je m'installai à côté d'elle. Nous avions suffisamment d'espace pour ne pas toucher la bâche tendue dont le plus haut point se trouvait une caisse plus haute, dans notre dos.
Mora resserra ses doigts une nouvelle fois. Je l'enlaçai d'un bras, et elle glissa sa tête contre mon épaule.
« Calme-toi, chuchotai-je. Donne-moi l'épée si ça peut te rassurer. On va s'en sortir. »
Elle hocha la tête, les sourcils froncés par l'inquiétude. Je caressais lentement son dos pour la détendre, tenant fermement la lame de l'autre main. Les soldats arrivèrent peu après. Ils communiquaient avec la patrouille que nous avions aperçue.
« Vous n'avez vu personne ? Vous êtes sûrs ? Elles n'auraient pas pu passer en hauteur ?
— Non, on surveille attentivement les alentours, affirma un homme.
— Alors elles ne doivent pas être bien loin... »
Ma sœur avala sa salive de travers. Elle se replia un peu plus contre moi. Je me redressai pour m'accroupir et me tenir prête à me lever et courir. Elle m'imita, tout en écoutant attentivement les bruits alentours.
« Où ont-elles bien pu se cacher... peut-être là ? »
Un bruit de déchirure. Ils savaient où chercher. Sabre à l'horizontal devant nous, j'étais prête à repousser n'importe quel assaut. Les pas et les coups d'épée dans les tissus se rapprochaient. J'étais tendue, sur le qui-vive, prête à bondir au moindre mouvement suspect.
Un coup de couteau près de moi, de l'autre côté de la caisse. On nous contournait en bavardant. Je lançai un regard à ma sœur : il fallait qu'elle se tienne prête. Elle hocha la tête. Je lui pris fermement la main.
Coup d'estoc entre nos deux visages, je le repoussai avec violence, déchirant toute la toile au passage. Debout, nous quittâmes le drap. Le caisson sur lequel nous nous trouvions était encerclé par les soldats. Ma sœur s'accola à la caisse dans notre dos et je me plaçai devant elle pour la protéger.
« Il faut la maîtriser ! tonnaient-ils. »
Bon sang ! Plus nous patienterions, plus nombreux ils seraient. Je saisis fermement le bras de ma sœur et je m'élançai en avant : il n'y avait que deux soldats à repousser pour l'instant, tout le reste s'était amassé sur les côtés.
Atterrissant sur le sol, je me battais férocement pour les repousser avant que nous ne soyons piégées, et après deux coups d'épée mortels, je repoussai les corps, me remis à courir, ma sœur dans les talons.
Nous retournions dans notre labyrinthe de caissons, bien plus dégagé que dans la zone où nous nous trouvions. Les soldats, plus nombreux désormais, continuaient de nous poursuivre depuis plusieurs minutes déjà.
Je me hissai rapidement sur une caisse et tirai ma sœur vers moi. Elle sauta de l'autre côté tandis que je gardais nos arrières, attentive aux soldats qui se rapprochaient. Je détournai le regard pour bondir et la rejoindre, mais mon souffle se coupa. Je m'effondrai malgré moi.
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