Chapitre 8 - Avancer 2/2
Après avoir terminé mon petit festin, je me rendis dans la salle de bain pour masser mon visage avec la crème que Darren m'avait fournie. Les bleus sur mon visage étaient un peu plus violacés, toujours enflés, et le coin de ma lèvre commençait à peine à cicatriser. J'avais grogné à plusieurs reprises, mes hématomes me lançant dès que j'appuyais un peu trop fort. Ce salopard de Barry m'avait bien arrangée. Je lui ferais la peau dès que j'en aurais l'occasion. À tout l'équipage, d'ailleurs. Je n'avais pas oublié leurs regards lubriques ni leurs paroles salaces.
J'attachai mes cheveux pour éviter qu'ils ne collent à ma peau grasse, puis je me tournai vers l'immense chemise blanc cassé de Malaury étendue sur une chaise. En touchant le coton, je constatai que c'était sec. Je laissai tomber le vêtement de Darren pour enfiler la chemise de mon amant. Elle avait perdu l'odeur de l'amour. Désormais, elle sentait la mer, le sel, et la peine.
Je posai la main sur ma poitrine, là où se trouvait mon cœur compressé. Je n'aimais pas être dépassée par mes émotions et mes sentiments. J'avais l'impression qu'ils m'empêchaient d'agir de la façon la plus logique et raisonnable possible. Or, j'avais besoin de toutes mes capacités pour me battre contre DN. Je devais laisser Malaury de côté pour le moment. On se retrouverait bientôt de toute façon, n'est-ce pas ?
Une demi-heure plus tard, Darren rentra. Installée sur le canapé, je l'observai, un sourcil haussé :
« Alors ?
— Déjà, je suis en un seul morceau. »
Je levai l'œil au ciel :
« Merci, je ne suis pas encore aveugle. »
Il retira ses chaussures et s'installa à mes côtés :
« Bon, j'ai vu un bateau qui ressemble à ce que tu me disais.
— Évidemment... il y avait de l'activité dessus ? Qu'est-ce que tu as pu voir ?
— Des gens qui montaient, qui descendaient. Ils avaient une tête de mafieux.
— Ils semblaient chercher... quelqu'un ?
— Un peu, ouais. Un type était en train de donner des instructions à d'autres. »
Sans doute Barry.
« Tu as vu des embarcations que je pourrais « emprunter » ?
— Éventuellement un tout petit voilier. Tout le reste ne semblait pas vide.
— Je suppose que ça fera l'affaire. En espérant que les temps ne changent pas et que je ne croise aucun phénomène marin un peu trop puissant, soupirai-je.
— Tu es sûre que ça va aller ?
— Pas le choix. »
Je redressai ma jambe droite pour l'étirer, bougeant ma cheville avec prudence.
« Neven ? »
Je tournai la tête vers lui.
« Comme tu as attaché tes cheveux, je n'ai pas pu m'empêcher de constater... tu as des marques dans le cou. »
Silence. Au moins, il me laisserait tranquille :
« Je suis passée à autre chose, confirmai-je.
— Je m'en doutais un peu, après toutes ces années... ce n'est pas comme si j'avais été exemplaire après tout. »
Il sembla vouloir rajouter quelques chose, mais ses yeux se baissèrent, ses épaules s'affaissèrent, et finalement, il se ravisa. Son regard était vissé sur le sol, sombre, si sombre qu'il ne reflétait plus rien. Les émeraudes de ses prunelles qui scintillaient quelques instants plus tôt s'étaient éteintes comme une braise incandescente à son dernier souffle.
Malgré moi, je ressentais de la peine de le voir dans cet état. Seulement, je ne pouvais pas le soulager.
« Bon, au moins, cette personne te rend heureuse ?
— Oui. Sans hésiter, oui. »
Un léger rictus se dessina sur mes lèvres en imaginant Malaury en train d'essayer de me faire rire avec l'une de ses blagues médiocres. Mon idiot.
« Tant mieux. »
Darren avait soufflé ces mots avec un sourire grimaçant. Je détournai le regard. Il mettrait du temps à digérer que la place était prise. Enfin... la mer avait peut-être fait valser mon amant au cours de la nuit.
Mon sourire retomba comme une plume. Penser à lui me rappelait que je n'étais pas certaine qu'il ait pu s'agripper à quelque chose, et de ce fait, survivre. Un frisson me parcourut.
« Tu as l'air triste...
— Celui que j'aime est aussi mon second passé par-dessus bord, alors je ne sais pas... je ne sais pas où il est, et s'il va bien, surtout... ça m'inquiète beaucoup, lui confiai-je. »
À son regard, je sentis qu'il était peiné.
« Essaie de rester optimiste, comme avant.
— Je le suis toujours, mais je suis aussi terre-à-terre. C'est ce qui me fait peur. Rêver, c'est beau, mais dès que tu te réveilles... Plus tes espoirs te font pousser de grandes ailes pour papillonner, plus la retombée est douloureuse. J'ai tellement envie d'espérer. D'espérer des milliards de possibilités... mais pour cette fois, je ne sais pas. J'ai peur pour lui... »
Tout indiquait qu'il ne pouvait pas survivre. Un jour en mer, poignets liés, sans pouvoir s'accrocher à quoi que ce soit...
« Je suis désolé si jamais... il lui est arrivé malheur... »
Ne plus revoir mon Malaury ? L'imaginer sous l'eau, lèvres entrouvertes, yeux clos, coulant au fond des abysses, dévoré par une Zanlya affamée, fit naître de nouveaux frissons. Mes larmes débordaient de mes cils. Une roula sur ma joue. Puis une autre. Je me dépêchai de les sécher et de me sermonner : il m'avait déjà trop vue pleurer, c'était la sixième fois à présent.
Darren posa une main amicale sur mon épaule :
« Tout va bien aller... ne t'en fais pas... »
Évidemment que je m'en faisais ! Quel idiot ! Les larmes coulèrent de plus belle, et je me retenais de sangloter. Cette fois, il m'enlaça, posant sa main sur le sommet de mon crâne.
« J'ai l'impression de te consoler comme quand ton père t'avait grondée, tu te souviens ?
— Oui, soufflai-je d'une voix nasillarde.
— Car tu n'avais pas osé tuer lors d'un abordage... tu me disais que tu n'étais même pas sûre d'être une vraie pirate, alors devenir capitaine était hors de ta portée... »
Il glissa ses doigts dans mes cheveux.
« Regarde où tu en es, maintenant. Une des capitaines les plus puissantes de nos temps. Tu as bien changé depuis la dernière fois que l'on s'est vus. Tu as atteint un de tes plus gros objectifs. Tu es incroyable, tu sais ? »
Je m'apaisais petit à petit sous ses mots. Je me sentais un peu mieux. Toujours inquiète à propos de Malaury... mais ses paroles me calmaient. Il fallait aussi que je cesse de pleurer comme une enfant. J'étais une grande capitaine pirate, comme il le disait. Une capitaine de ma trempe ne pleurait pas.
« Tu vas mieux ?
— Un peu. Je vais essayer de ne pas trop y penser, mais ça va être compliqué. Je l'imagine souvent encore à la mer, en train de grelotter, de paniquer car il déteste les abysses, de se demander si je retournerai le chercher... et ça, c'est dans le meilleur des cas, bien entendu. »
Je n'avais pas envie d'imaginer pire. Mon esprit refusait cette idée et cette image. Il devait être en vie. Il ne pouvait pas me lâcher.
« J'imagine à quel point ça doit être dur... tu me manquais, mais au moins, j'entendais parler de toi. Je savais que tu te portais bien – en apparence du moins. Là, tu es dans l'incertitude totale...
— Un épais brouillard que je ne suis pas sûre de vouloir écarter...
— Tu as peur que...
— Oui. »
Après une profonde inspiration, je bombai le torse :
« Il faut que je reste optimiste. Je ne peux pas me lamenter sur son sort. De toute façon, je n'y peux plus rien, c'est la mer qui a sa vie entre ses mains.
— C'est le mieux que tu puisses faire, rester forte. »
Je me détachai de lui, séchai mon visage d'un revers de manche, et lançai :
« Bon, on doit se remettre au travail. Je dois partir dès aujourd'hui. Tu peux me fournir des chaussures et un manteau à capuche ?
— Tout de suite.
— Prépare également un sac de provisions : nourriture et eau. Les poignards et la longue-vue, j'en trouverai en ville. »
Il y avait forcément des vendeurs d'armes dans cette ville mal famée. Un quart d'heure plus tard, j'enfilai un manteau sombre, m'assurai que ma chevelure était cachée par la capuche, puis marchai avec prudence dans le salon pour faire travailler ma cheville. J'espérais ne pas avoir besoin de la faire plus souffrir que lors de mon escapade.
« Tu as besoin de quoi, déjà ?
— Poignards ou sabres, et longue-vue.
— Tu n'as vraiment rien sur toi ? »
Je me tournai vers lui, malicieuse :
« Après ce que tu m'as fait, tu peux bien me payer tout ça, non ? »
Il leva les yeux au ciel en souriant :
« Soit. Je suis convaincu. On y va ? »
J'enfilai des souliers et nous sortîmes ensemble. Il décida de se couvrir également la tête. Nous nous rendîmes dans divers magasins pour mes achats.
« Tu veux vraiment cette longue-vue ? soupira Darren.
— Elle est mieux que les autres.
— Et plus chère, rétorqua-t-il.
— Comme si tu manquais d'argent... qu'est-ce que tu as acheté, ces dernières années ?
— Rien de particulier... »
Je me tournai vers lui, taquine, et il accepta finalement.
« Plus sérieusement, les autres ne permettaient pas de voir assez loin. Et elle est mieux que celle que j'ai sur mon bateau, lui expliquai-je en sortant. Donc c'est un achat pour le long terme, et je t'en remercie.
— Si ça peut faire plaisir à madame... Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? On va tout de suite au voilier ?
— Cette petite peste, on va finir par mettre la main dessus... entendîmes-nous dans notre dos. »
Un homme portant une veste verte dévalée me dépassa, frôlant mon épaule. Barry faisait des tours entre le port et les magasins de la place où nous nous trouvions. Il n'y avait certainement pas que lui dans le secteur. Je lançai un regard inquiet à Darren. Il m'enlaça d'un bras et m'entraîna dans une autre direction, plus au cœur de la ville.
« Eux ?
— Oui. Tu as bien tous les vivres avec toi ?
— Tu veux partir maintenant ?
— C'est mieux, soufflai-je. On ne va pas les berner longtemps... Emmène-moi à ce voilier au plus vite.
— Baisse la tête et reste bien près de moi, d'accord ? Je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose... »
J'acquiesçai vivement en le laissant m'enlacer plus fortement.
« Continuons de discuter...
— Ne parle pas fort, on pourrait reconnaître ta voix, me quémanda-t-il en m'entraînant vers le port. »
Nous nous trouvions à trente mètres du port, mais j'ignorais où se situait le voilier. Sa main me tenait fermement le bras.
« Tu as l'air très inquiet...
— Je n'ai pas envie qu'ils te fassent du mal... c'est toi qui devrais être inquiète, pirate sirène... »
Un baiser sur le sommet de mon crâne, par-dessus ma capuche. Ça, ce n'était pas nécessaire, mais je ne pouvais lui faire une scène maintenant. Nous marchâmes sur les quais, bordant la mer qui se jetait doucement contre le bois. Nous contournions les amas de provisions et fournitures soigneusement ficelées par paquets qui s'entassaient.
« Je tiens à toi... vraiment... je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose, continua-t-il de m'expliquer en me faisant passer entre les marins du port.
— Je sais... »
Un petit sourire naquit sur ses lèvres :
« Normalement, à ce moment-là, tu dois me dire que tu tiens aussi à moi, et alors, les deux personnages principaux du roman se rendent compte qu'ils s'aiment et s'embrassent, et...
— Je ne sais pas lire. »
Il éclata de rire en grimpant sur un amoncellement de caisses qui nous barrait la route, puis il me tendit la main :
« Neven...
— Nous ne sommes pas dans un livre, Darren, soupirai-je en montant sans son aide.
— On pourrait. »
Ses yeux brillaient alors qu'il descendait. Avait-il déjà oublié l'existence de mon amant ? À moins qu'il ne tentait seulement de détendre l'atmosphère. Je secouai la tête de droite à gauche en sautant sur le sol à l'aide de mon pied valide :
« Jolie tentative de me ramener à toi, mais c'est toujours non, bachi-bouzouk.
— Pirate sirène, tu m'envoûtes toujours autant... je peux avoir un peu de ton attention, non ? »
Je lui donnai une tape sur la tête :
« C'est tout ce que tu auras.
— Je m'en contenterai.
— Maintenant, on file, je préfère ne pas traîner ici, soufflai-je en l'empoignant.
— Je dirais que ça nous fait une bonne couverture d'agir de façon proche, non ? Car tu n'es pas connue pour être chaleureuse.
— Certes, mais je préfère vite partir. Tu en vois beaucoup, des silhouettes encapuchonnées, ici ? »
Il jeta un œil aux alentours.
« Pas vraiment, non... »
Me prenant la main, il me guida à l'est du port en m'expliquant que le voilier était amarré au bout d'un ponton. Je jetais des regards inquiets autour de nous, tout en me collant à Darren pour avoir une « couverture » comme il appelait ça. J'avais la désagréable sensation qu'on nous observait. Lorsque je me retournais, j'avais l'impression de voir des hommes se cacher ou brusquement changer de direction. Comme s'ils cherchaient à nous faire croire qu'ils ne nous suivaient pas... je chuchotai :
« Je me demande si on ne m'a pas remarquée...
— On se dépêche... murmura-t-il en m'entourant d'un bras, avançant à grands pas. On y est presque.
— C'est elle ! »
Dans notre dos.
« Avance, avance ! Ne te retourne pas ! soufflai-je en accélérant la cadence. »
Toujours des doutes à propos de Darren ? Plus du tout ?
Que va-t-il se passer ? :p
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