Chapitre 40 - Poignarder
Le lendemain, sur le point de sortir, je jetai un œil à Mora qui se réveillait en bâillant. Les cernes étaient plus profondes qu'avant, ténébreuses. Son visage était pâle et crispé. Je fronçai les sourcils :
« Tu as l'air vraiment fatiguée... tu devrais te reposer, aujourd'hui. J'ai l'impression que tu es malade.
— Non, ça va, ne t'en fais pas, s'efforça-t-elle de sourire.
— Tu as des cernes noirs...
— Ce n'est rien ! insista-t-elle.
— Tu as bougé pendant une bonne partie de la nuit. Quelque chose te tracasse ? Je suis d'autant plus inquiète parce que tu as failli faire un malaise hier. »
Je plissai l'œil face à son regard embrumé de fatigue.
« Tu m'en parlerais, n'est-ce pas ? »
Je m'avançai et m'accroupis face à elle pour prendre les devants :
« Parle-moi.
— Il n'y a rien de particulier, je t'assure, bredouilla-t-elle en regardant ailleurs. »
Je la connaissais depuis le temps, ma sœur. Je haussai un sourcil :
« Mora, commençai-je.
— Non, vraiment, baragouina-t-elle. »
Elle avait du mal à soutenir mon regard, préférant le perdre sur son chat.
« Tu es ma sœur, je te connais. Tu m'évites. Allez, parle-moi. S'il te plaît.
— Eh bien... c'est juste qu'Isda me rappelle de mauvais souvenirs, et nous ne sommes pas loin, alors... »
J'écarquillai l'œil : ma pauvre Mora. J'avais appris par Issan que l'énonciation de sa vie à Isda avait été l'origine du malaise d'hier.
« Nous n'irons pas, ne t'en fais pas. Je veux que tu te sentes le mieux possible. Repose-toi aujourd'hui, tu veux bien ? Pour me faire plaisir. »
Elle acquiesça avec un sourire triste.
Elle mettrait du temps à se remettre de son passé.
J'embrassai tendrement ses joues, puis son front, et je lui souhaitai de bien se reposer.
Pourtant, en début d'après-midi, elle était sortie sur le pont pour travailler. Je la fixais avec insistance, lui demandant silencieusement d'arrêter, mais elle m'ignorait. J'envoyai mon second une énième fois.
Alors qu'ils discutaient, un crochet se balança, manquant de peu le crâne de ma sœur : Malaury l'avait tiré contre lui à temps. Je souris de gratitude à mon amant avant de me tourner vers Mora qui le suivait :
« Alors comme ça, tu as la tête ailleurs ?
— Malaury me parlait, c'est logique que...
— Chut, tu as besoin de te reposer, c'est tout. Installe-toi et profite de la traversée. Je sais que tu aimais regarder la mer quand on naviguait avec papa. »
Je l'encourageai à prendre place près des bastingages, au plus près des vagues pour en profiter. Je voulais qu'elle se détende et oublie tout ce qui la tracassait.
Seulement, quelques heures plus tard, son visage avait à nouveau pâli. Elle n'avait même pas remarqué que je la fixais. Je laissai la barre à Jack et m'approchai. Accroupie face à elle, je l'interpellai :
« Mora ? Tu as l'air malade. Tu es toute pâle. Comment tu te sens ? »
Elle haussa les épaules, penaude, le sourire grimaçant.
« Tu peux te reposer dans ma cabine.
— Non, l'air me fait du bien, assura-t-elle d'une petite voix.
— Tu es sûre ? Si tu es malade, il faut que tu te reposes pour récupérer des forces. »
Je restai un moment à ses côtés, à lui parler et essayer de la faire sourire. Elle était crispée, mais essayait tant bien que mal de se raccrocher à mes plaisanteries. Je détestais savoir ma sœur ainsi. Si seulement je pouvais faire plus pour l'aider...
Retournée au gouvernail, je lui lançais des regards de temps à autres. Son état ne s'améliorait guère. Comment faire ? Isda la perturbait tant ? Enfin, elle avait tout de même été traitée comme un esclave pendant deux ans...
Lorsque je croisai le regard de Malaury, je lui demandai de me rejoindre d'un mouvement de menton.
« Un problème ? souffla-t-il.
— Mora ne va vraiment pas bien à cause d'Isda... je ne sais pas quoi faire pour la faire aller mieux...
— On ne peut pas faire grand-chose, murmura-t-il en se tournant vers elle. Tu veux que j'essaie de lui parler ? »
Je jaugeai sa grande carrure. Malgré toute la gentillesse et douceur dont il savait faire preuve, je craignais qu'elle ne soit intimidée par son apparence :
« Je ne suis pas sûre que ça l'aide...
— Issan, alors ? Ou Mathurin ?
— Hum... peut-être. »
Je jetai un regard vers l'horizon. Des îlots apparaissaient.
« Après notre passage aux Écueils, décidai-je. On arrive bientôt.
— Entendu. J'espère qu'elle ira mieux entre temps. »
Je donnai des ordres, notamment de surveiller les alentours : le navire aux voiles noires était peut-être encore dans les parages. Seulement, si les îles d'un périmètre de quelques kilomètres étaient plutôt petites en termes de superficie – on pouvait en faire le tour en moins d'une heure de marche – leur végétation était souvent épaisse, nous empêchant de discerner ce qui se trouvait de l'autre côté.
Je repérai rapidement la terre qui nous intéressait, en forme de griffe. Là où se trouverait la couronne du Roi. Cependant, il nous était impossible de discerner le centre de l'îlot.
« Neven, m'interpella Malaury en grimpant jusqu'à moi. Est-ce qu'on visite l'île ?
— On dirait qu'il n'y a pas de navires aux alentours, alors ils sont sûrement déjà passés... Je ne suis pas certaine que ça soit utile, confiai-je.
— Tu ne penses pas qu'il faut vérifier ? suggéra une voix fluette. »
Les sourcils froncés, je me tournai vers Mora qui s'était redressée.
« Tu crois ?
— Juste pour voir. Ils vous ont peut-être laissé un message qui nous indiquerait par où ils sont partis, supposa-t-elle d'une voix plus douce.
— Mais pourquoi ? Quoique... pour me narguer, Augustin serait capable de me laisser un petit quelque chose, oui.
— Et surtout... tu m'as dit qu'Augustin avait fui sur le navire de DN, mais peut-être qu'Augustin ne souhaite pas que DN mette la main sur la couronne.
— Donc il aurait pu volontairement omettre les informations qu'il a en sa possession pour revenir plus tard ? Oui, c'est une possibilité. On doit jeter un œil, tu as raison. »
Je me tournai vers le pont :
« On s'arrête près du bord ! On va vérifier la cache, puis on revient ! Malo, avec moi ! »
Je scrutai les hommes pour commencer à en interpeller :
« Et puis, je vais aussi emmener...
— Moi ! m'interrompit Mora. »
Je lui lançai un regard déconcerté. Elle avait certes repris un peu de couleurs, mais ce n'était clairement pas prudent.
« C'est trop dangereux, tu restes ici.
— Mais pourquoi ? Tu as toi-même dit qu'il n'y avait aucun bateau à l'horizon...
— On ne sait pas ce qu'il peut y avoir sur cette île. Je dois te ramener chez nous, saine et sauve, lui rappelai-je.
— Tu as dit qu'il n'y avait rien à l'instant, reprit-elle avec un regard peiné. Laisse-moi aller avec toi, ce ne sera qu'une simple vérification, quémanda-t-elle d'une petite voix.
— Pourquoi tu tiens tant à venir ? Il n'y a rien d'intéressant... »
Je plissai l'œil. Ce n'étaient clairement pas dans ses habitudes, de vouloir visiter des îles inconnues où le danger pouvait rôder partout. C'étaient plutôt les miennes.
« Eh bien, j'ai besoin de me dégourdir les jambes sur terre, j'ai des nausées à cause du roulis... avoua-t-elle d'une voix faible en regardant la mer. Et puis, je crois qu'avec papa, on n'a jamais fait ça, chercher un trésor. Je me disais que ça pourrait être amusant d'y aller ensemble. »
Elle n'avait pas tort à propos des navires. On n'avait rien vu dans les alentours. Je lançai un regard interrogateur à Malaury pour lui demander son avis, mais il haussa les épaules. Sans doute estimait-il que c'était sans danger. Et si cela pouvait lui faire du bien...
« Soit, repris-je sèchement. Tu sais toujours te servir d'une arme ?
— Je dois pouvoir me débrouiller.
— On fera vite. Au moindre bruit suspect, tu fuis vers le navire et tu t'enfermes dans ma cabine. Compris ? »
Elle hocha la tête.
« Je vais peut-être emmener des hommes avec nous, au cas où...
— Mais l'île est petite... souffla Mora. Ce ne sera qu'une vérification, comme tu as dit. Plus vite on ira, plus vite on reviendra. »
Je regardai à nouveau aux alentours. Elle n'avait pas tort. Mieux valait dépêcher une expédition minime pour le repérage. Et puis, on atteindrait sans doute le centre de l'île en moins de dix minutes.
« Bon, juste Malo ! »
Ce dernier grimpa jusqu'à moi pour me chuchoter à l'oreille, les sourcils froncés :
« On devrait mettre les hommes en position de combat. La végétation des îles profite totalement à la discrétion de nos ennemis. On les aurait sans doute remarqués, mais on ne sait jamais...
— Tu as raison. »
Je me tournai vers l'équipage :
« Augustin est peut-être dans les parages ! Tenez-vous prêts à vous battre ! Restez attentifs et sur vos gardes ! Vous êtes autorisés à engager le combat si on vous attaque ! »
Nous posâmes le pied sur l'île tous les trois. Je pris la tête, Mora suivait et Malaury fermait la marche. Nous pénétrâmes la forêt et ses feuillages en silence. Armée d'un coutelas, je déblayais les branches qui nous gênaient, les sens aux aguets. Rien d'étrange, seulement les bruissements des arbres et les mouvements de petits animaux entre les fougères.
Quelques minutes plus tard, nous atteignîmes une clairière feuillue. Un roc noir s'élevait en son centre. Notre objectif !
Je jetai un coup d'œil aux alentours. Rien d'étrange, alors je me risquai à sortir des bois. Une silhouette menue me dépassa largement. J'écarquillai l'œil en suivant sa chevelure noire du regard : que faisait-elle ?
Je me crispai :
« Te voilà enfin, Neven ! »
Cette voix !
Un grand homme avec une moustache soignée et une queue de cheval noire s'avança, quittant sa cachette derrière un arbre. Mon cœur se jeta contre ma cage thoracique en le voyant aux côtés de ma sœur. Arme resserrée entre mes doigts, je hurlai :
« Qu'est-ce que tu fiches ? Mora, écarte-toi ! Il est dangereux !
— Écoute ta sœur ! renchérit Malaury. Viens vite près de nous ! »
Elle restait immobile, toujours à quelques pas de lui. Je fronçai les sourcils, le ventre pressé avec violence. Ma voix s'affaiblit :
« Mora ? »
Pourquoi elle ne bougeait pas ? Pourquoi ? Je la suppliais du regard de revenir près de moi. Loin de ce danger ambulant. Pitié. Mais elle ne faisait qu'éviter mon œil, le visage crispé et laiteux. Un rictus fleurit sur les lèvres d'Augustin :
« C'est en en voulant trop qu'on finit par tout perdre... »
Les mots qu'il prononça me tétanisèrent :
« Vous l'avez en ligne de mire ? »
Alors ?
Qui s'y attendait ?
Qu'avez-vous compris ?
Que spéculez-vous ?
Qu'imaginez-vous ?
Je veux tout savoir !
Je poste le tome 3 dans la semaine (je dois écrire le résumé et un prologue !)
Par rapport au tome 2 (désolée pour toutes les questions, mais vos réponses m'aideraient beaucoup !) :
- Est-ce que le sauvetage de Malo était un peu trop "gros" ? Ou ça vous a paru potable / possible ?
- Est-ce que vous vous êtes attachés à Mora ?
- Et Célestin ? Assez développé ?
- Votre personnage préféré ? 'o'
- Sinon... des moments qui vont ont paru longs / peu intéressants ? (n'hésitez pas, ça m'aidera à la réécriture)
- Des moments que vous avez bien aimé ? Que vous auriez aimé voir encore plus développés ? :)
- Des choses qui ont manqué dans ce tome ? Que vous auriez aimé voir ?
- Et niveau rythme, ça allait ?
- Est-ce que vous auriez terminé le tome là-dessus ? Anciennement, je le termine au chapitre d'après où on a les explications... et j'hésite encore, je vous avoue. Je vais rester dans cette configuration pour l'instant, je vous redemanderai votre avis à la fin du chapitre 1 du tome 3 !
- Je prends toute autre remarque ! N'hésitez pas ! ♥
Merci, en tout cas, de me suivre depuis le tome 1 ♥
Un merci particulier à Beorn17, Ellzace et Casapen_Ivryss qui lisent et commentent activement, merci, ça me touche énormément ♥
J'espère que vous êtes hypés pour la suite en tout cas ! Ce sera mouvementé, croyez-moi ! A bientôt ! ♥
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