Chapitre 39 - Affûter 1/2
Lorsque je me réveillai, ma première pensée fut pour Célestin. Je me précipitai au hublot, mais seule la mer orangée voguait sous mon œil. Mes épaules s'affaissèrent.
« Célestin n'est pas là ? supposa Mora d'une petite voix.
— On ne dirait pas... soit les négociations durent... soit ils ont eu un imprévu. Or, je lui ai demandé de ne pas insister sur ces négociations. »
Je me retournai à pas lourds, fixant un point invisible, en pleine réflexion :
« Elles ont peut-être duré quelques heures, et il serait logique qu'ils ne nous rattrapent pas immédiatement. »
Oui, je devais rester optimiste. Comme toujours.
Dehors, je trouvai Malaury penché aux bastingages situés à la poupe. Remontée près de lui, je passai mon bras autour de sa taille :
« Toi aussi, tu croyais qu'il serait là ?
— Oui... »
Nous nous observâmes. Son regard était grave. J'enveloppai son visage et lui souris pour espérer nous rassurer :
« Allez, tu connais Célestin, il adore négocier. Peut-être que ça prend juste beaucoup de temps. »
Un léger rictus parcourut ses lèvres :
« C'est vrai qu'il a tendance à détester perdre la face dès qu'il s'agit d'affaires.
— Tu te souviens quand on allait négocier ensemble pour le ravitaillement ?
— De vrais radins. Mais on économisait beaucoup d'or grâce à vous, concéda-t-il. »
Peut-être essayait-il simplement de minimiser le coût en or ? Oui, ça lui ressemblait bien.
À midi, tout en fixant une bouteille de rhum posée sur une table du réfectoire, je levais l'œil au ciel :
« Une petite gorgée, ça irait, non ?
— Neven... souffla Malaury.
— Mais... rah ! Tu ne sais pas tout ce que j'ai bu quand tu n'étais pas là, et...
— Et on ne prend plus de risques, justement. »
Je poussai un profond soupir.
« Sinon, repris-je, des nouvelles de Célestin ?
— Rien à l'horizon.
— Je suppose que ça prend juste du temps... »
Il glissa sa paume sur ma joue et embrassa mon front délicatement :
« Il finira par nous rattraper. »
J'acquiesçai en croquant dans mon biscuit, perdue dans mes pensées.
« Mora ? Tu vas bien ? clama Issan. »
Je me redressai et la cherchai. Assise à une table avec Issan, Borg et Jack, elle avait le regard vague, le visage d'un blanc laiteux qui ne lui correspondait pas. Je me précipitai jusqu'à elle et attrapai sa main :
« Mora ? Tu m'entends ? »
Pas de réactions. Elle fixait le néant, perdue quelque part. Je me tournai vers le blond :
« Qu'est-ce qu'elle a ?
— J-Je sais pas ! Elle a commencé à ne plus répondre...
— Un verre d'eau ! Et un truc sucré ! Vite ! »
Sa main se resserra légèrement sur la mienne. Elle avait peur.
Quelques instants plus tard, elle buvait, mangeait, et reprenait des couleurs.
« Mora ? interpellai-je.
— Je vais bien... souffla-t-elle d'une petite voix. Vraiment, tout va bien... »
Elle nous regarda tour à tour, semblant émerger d'un songe.
« J'ai failli faire un malaise, c'est tout, ce n'est rien...
— On parlait de sa vie d'avant, bredouilla Borg. Ça a dû lui raviver des souvenirs... compliqués. Désolé, capitaine, ce n'était pas le but... »
Accroupie face à Mora, je restais concentrée sur ses yeux chocolat :
« Mange et bois bien, d'accord ? Si ça ne va pas, tu m'appelles, compris ?
— Oui, oui... mais ça va, sourit-elle faiblement. »
Durant l'après-midi, Mora avait tout de même voulu travailler. J'avais envoyé Malaury lui parler à plusieurs reprises, mais il était revenu bredouille à chaque fois.
« Son état m'inquiète, lui confiai-je.
— Je comprends. Son passé l'a sans doute beaucoup marquée. Et, pour tout t'avouer, je n'ose pas insister, elle est aussi têtue que toi... »
Tout en prenant la barre, je la surveillais attentivement du coin de l'œil, prête à bondir pour m'occuper d'elle au moindre souci.
Le soir, je récupérai ma longue-vue pour regarder à nouveau, mais je ne rencontrais qu'une mer ténébreuse, effleurée par des touches de reflets des cieux. Pas de navire. Pas de Célestin. Mon cœur se débattait au fond de moi.
« Toujours rien ? supposa une voix douce dans mon dos.
— Rien... »
Tendrement, Malaury se colla à mon dos et m'entoura de ses bras. Les soulèvements réguliers de son torse me calmaient en partie.
« On arrive aux Écueils demain ? supposa-t-il.
— En fin de journée, oui. »
Silence. Pensait-il aussi à Célestin ?
« Tu devrais te reposer un peu. On risque d'avoir du boulot, demain.
— Tu as raison. »
Je me dégageai de ses bras :
« J'espère que Célestin nous aura rattrapés d'ici là.
— Moi aussi. »
Il m'embrassa avec tendresse, dans l'espoir de me rassurer, en vain, je n'avais que soupiré. Dans ma cabine, je saluai Mora d'une voix distraite, l'œil ailleurs.
« Tu vas mieux depuis ce midi ? questionnai-je en me couchant près d'elle.
— Je t'ai déjà dit que ce n'était rien, bredouilla-t-elle.
— Je t'ai vue travailler, cet après-midi, rappelai-je d'une voix cassante.
— Je sais, mais j'allais bien. Je me serais reposée si je me sentais trop mal. »
Je tournai la tête vers elle, mais la pénombre régnait.
« Bon, tu te reposes bien, d'accord ?
— Oui, ne t'en fais pas. J'irai mieux dès demain. »
Je l'espérais.
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