Chapitre 36 - Fripouille 1/2


   Malaury et moi nous fixions en silence. Les lèvres entrouvertes, j'aimerais trouver une échappatoire, détourner la conversation, mais son visage froid m'indiquait qu'il était sérieux, et surtout, qu'il n'était pas prêt de lâcher l'affaire.

Son regard s'adoucit, trahissant une certaine inquiétude. Il posa sa main sur ma joue pour la caresser :

« S'il te plaît, parle-moi. Je suis là. »

J'attrapai sa paume chaude et rassurante pour entrelacer mes doigts aux siens.

« S'il te plaît, ne panique pas, quémandai-je. »

Il fronça les sourcils.

Mon estomac n'était plus qu'un sac de nœuds.

Je n'avais aucune idée de comment il réagirait. Nous n'avions jamais vraiment parlé d'avenir. Même si je savais qu'il était prêt à tout pour moi, j'avais toujours quelques craintes, cette maudite peur qu'il me lâche la main. Alors, pour ne pas m'infliger de pression, il évitait généralement le sujet, et nous nous concentrions sur notre présent.

Je pris une bouffée d'air, puis avouai d'une voix bredouillante, d'une traite :

« Lors de notre première nuit, la protection... il y a eu un souci avec. Alors... peut-être que... que j'attends quelque chose, voilà... »

Pas de réaction. Il ne cillait pas. Il ne respirait même plus.

Quelques secondes plus tard, il fronça les sourcils. J'avais l'impression que mon annonce l'avait totalement déstabilisé et perdu.

Est-ce qu'il pourrait m'abandonner à cause de ça ? Car il aurait trop peur ? Car...

« C'est... c'est certain ? souffla-t-il.

— Je ne sais pas... en tout cas, ça prend le chemin pour. Je devrais avoir mes menstruations à l'heure actuelle, mais je n'ai toujours rien... »

L'angoisse remontait, elle serrait les nœuds, tirant sur la nausée. Et lui, il ne s'était toujours pas exprimé. Je me voulus rassurante malgré ma voix bredouillante et pressée :

« Enfin, j'ai discuté avec Mathurin, et il existe des plantes abortives. Il faut les trouver... et, puis... bon... elles ne sont pas totalement efficaces... mais peut-être que ça suffira pour interrompre la grossesse. Et c'est sans danger. »

Il écarquilla les yeux. Ses iris brunes brillaient.

« Je... je croyais... »

Son visage se referma :

« Non, oublie. Désolé. »

Ce fut à moi de froncer les sourcils :

« Qu'est-ce que tu voulais dire ? Parle-moi.

— Non. Ça ne me concerne pas, je n'ai pas mon mot à dire. »

Je plissai l'œil :

« Mais bien sûr que ça te concerne... Malo, c'est... c'est notre couple. Notre relation. Notre bébé.

— Même. Il s'agit de ton corps. Ton ventre. Ta vie. Je n'ai pas mon mot à dire. »

Quelques temps plus tôt, je n'aurais même pas essayé de connaître ce qui n'allait pas, considérant que cela n'en valait pas la peine puisque ma décision était prise. Désormais, je commençais à comprendre que je devais lui laisser de l'espace dans notre relation. Je l'interpellai :

« Malo... La décision me revient, oui. C'est vrai. Mais je veux t'écouter tout de même. Notre relation a toujours suivi le même schéma : je décidais, tu suivais sans rétorquer. Je ne prenais même pas le temps de vraiment t'écouter. Maintenant, je veux entendre ce que tu as sur le cœur. Je veux qu'on traverse ça ensemble. Tous les deux. »

Il enveloppa tendrement mon visage avec ses paumes chaudes. Il cajola mes pommettes, le regard mielleux.

« Tu as changé, tu sais ?

— Changé ?

— Tu penses à nous, plus seulement à toi. »

Je posai délicatement mes lèvres sur les siennes, l'embrassai, puis chuchotai :

« Je fais des efforts...

— Merci. »

Il baisa mon front, puis noua ses bras autour de ma taille :

« Je peux être honnête, alors ?

— Bien sûr. »

La chaleur de ses yeux amoureux me transperça les entrailles, déchira les nœuds et libéra les papillons :

« Déjà, je t'aime. Je t'aime toute entière. Que nous ayons cet enfant ou non, je t'aime. Je ne t'abandonnerai jamais. Pour rien au monde. »

Il marqua une petite pause.

« Et, pour tout t'avouer, j'étais heureux quand tu me l'as annoncé. »

J'écarquillai l'œil.

« Tu sembles étonnée.

— Eh bien... nous sommes jeunes, alors...

— Je comprends, sourit-il. Comment t'expliquer... Pour moi, avoir une famille a toujours été un rêve. J'ai vécu des moments... difficiles, comme tu le sais. Mais j'ai toujours trouvé du réconfort auprès de mes proches. Alors, plus tard, je savais que je voudrais fonder une famille pour vivre de beaux moments avec. »

Il rajouta en bredouillant :

« Enfin, pour un bébé, ça reste très tôt pour nous. D'une, parce que je ne suis pas prêt non plus. De deux, car tu veux une belle carrière de pirate en premier. De trois, car notre relation est encore naissante, alors un événement pareil... c'est très tôt, je t'avoue que je ne le concevais même pas... J'ai été heureux, oui... mais très surpris, surtout. »

Il conclut :

« Mais, voilà. Si maintenant, tu me disais que tu veux fonder une famille avec moi... je te suivrais sans hésiter. Dans le cas actuel, les circonstances sont différentes, bien sûr. Mais si jamais ces plantes ne fonctionnent pas... »

L'une de ses mains dessina ma hanche jusqu'à se poser sur mon ventre :

« Je l'aimerais autant que je t'aime et je ne vous abandonnerais pas. Jamais. Et surtout, je serais heureux. Heureux de fonder une famille avec la femme que j'aime et de m'occuper de notre enfant. »

Il m'enlaça :

« Mais je comprends que tu n'en veuilles pas tout de suite... Quand est-ce qu'on saura si tu es enceinte ?

— Je ne sais pas trop, sans doute d'ici une ou deux semaines ? Pour l'instant, je suis censée avoir mes menstruations, ou au moins ressentir les signes avant-coureurs, comme des douleurs, ou des bouffées de chaleur, mais rien de rien... »

Mon cœur se crispa. Ces plantes pourraient ne pas fonctionner. Encore fallait-il les trouver ! Tellement d'inconnues. Je détestais ne pas avoir la main là-dessus. Malaury caressa ma joue, captant à nouveau mon attention :

« Quoiqu'il arrive, je ne te lâcherai pas, Neven. Je t'ai dit que je resterai à tes côtés, et c'est le cas. »

Un long baiser sur mes lèvres. Il reposa sa paume chaude sur mon ventre.

« Et si jamais il y a un peu de nous ici et que ces plantes ne font pas effet... je l'aimerais autant que je t'aime. »

Mes muscles se détendirent sous ses marques d'affection à répétition. Cet homme était définitivement merveilleux. Je ne pouvais pas rêver mieux et je ne voulais personne d'autre que lui. Tête nichée dans son cou, je restais silencieuse un moment, bercée par ses caresses sur mon ventre, l'œil clos.

« Je t'aime, Malaury, finis-je par souffler.

— Je t'aime aussi, Neven. D'ailleurs, je suis désolé. Pour la protection. J'avais voulu m'en occuper, alors... sans doute que ce qui arrive aujourd'hui est de ma faute. Pardon.

— Tu as voulu bien faire, ne t'en fais pas. »

Il m'enlaça avec force, la chaleur de ses bras m'enveloppa, me faisant frissonner.

« Couverture ? suggéra-t-il.

— Couverture. »

Quelques instants plus tard, nos corps nus étaient enveloppés dans un drap épais, les membres entremêlés dans l'amour.

« Est-ce que ça te travaille beaucoup, ce bébé ? questionna Malaury en passant ses doigts sur ma tête.

— J'essaie de ne pas y penser, avouai-je en caressant distraitement son torse. Quand je me dis qu'il est possible que les plantes ne fonctionnent pas, ça me fait peur. Si je suis vraiment... enceinte... c'est un vrai souci pour moi. Ce serait mettre en suspend ma carrière de pirate pendant un moment... tout pourrait changer. Tout peut si vite changer, sur ces mers... la vie est faite d'intempéries, et parfois, elles nous tombent dessus sans qu'on ne puisse rien faire. Alors en même pas deux ou trois mois, je ne suis pas sûre de retrouver ma place de capitaine.

— Dans le pire des cas, on trouvera les solutions qu'il faut pour que tu reviennes et reprennes ta place sans problèmes, je te l'assure. On trouvera toutes les solutions qu'il faut.

— Il y a un truc un peu plus idiot qui me dérange.

— Raconte. »

J'avais l'impression qu'il était toujours mon meilleur ami malgré notre relation amoureuse. Je glissai ma main sur la sienne :

« Toujours dans la supposition où je dois garder l'enfant : je ne pourrais plus faire grand-chose à partir d'un moment, que ce soit en mer ou sur terre... j'ai peur de m'ennuyer... »

Il sourit :

« Tu serais avec ta famille, dont ta sœur. Je doute que vous vous ennuyiez beaucoup.

— Et toi, qu'est-ce que tu ferais ?

— Comme tu veux. Je pourrais rester avec toi sur terre, comme rester sur le navire pour aider.

— Ou commander, songeai-je. »

Je fermai l'œil un moment pour imaginer. Rester sur terre avec ma famille, et mon ventre arrondi, et attendre patiemment que Malaury, capitaine temporaire, rentre de la mer. Lui sauter dans les bras dès qu'il descendrait du pont et l'embrasser, heureuse de le ravoir pour quelques jours. Comme maman. Quelle étrange sensation de me voir comme une compagne de marin. Je fronçai finalement les sourcils :

« Je vais vraiment ressembler à l'image qu'on a d'une femme... »

Il éclata de rire :

« C'est ce qui t'inquiète le plus ? »

Je haussai les épaules :

« C'est bizarre, c'est tout. Je n'aime pas ne rien faire... et là, je devrais rester assise bien tranquille, sans bouger, sans gestes brusques, sans rien faire, à t'attendre... pff...

— Eh, m'interpella-t-il avec un baiser sur ma tempe. Peut-être que dans quelques jours, on se rendra compte que tu n'as rien. Et si tu es enceinte... peut-être que les plantes agiront.

— J'aimerais bien, avouai-je. Car, franchement. Moi, Neven l'Écarlate, m'occuper d'un bébé ? C'en est risible... il va finir avec un poignard dans la bouche au lieu d'un biberon. »

Il rit à nouveau :

« Je sais que je ne devrais pas me moquer alors que tu es inquiète, mais il faudrait que tu te voies en train de ronchonner comme ça. »

Il reprit d'un air plus sérieux :

« Et puis, tu sais, peut-être qu'au bout du compte... tu serais ravie. »

Je voulus me montrer à nouveau rude et moqueuse, mais je n'y parvins pas, je laissai tomber le masque :

« J'y ai pensé, figure-toi... Si tu... si tu étais vraiment mort... »

Un frisson. Je me repris :

« Je songeais à peut-être le garder. Pour avoir un dernier morceau de toi...

— Neven...

— Je me disais que je ne pourrais que l'aimer. L'idée d'avoir un enfant ne me semblait plus aussi terrible que ça... enfin... ça me faisait tout de même peur, bien sûr. Mais je t'aime tellement... j'aurais voulu garder ça de toi, de nous... »

Il m'embrassa doucement.

« Je nous ai même imaginés tous les trois, avouai-je en sentant mes joues se réchauffer. »

Son sourire s'attendrit et il caressa mon ventre :

« Je pensais que tu n'en voudrais vraiment pas... je suis surpris que l'idée ne te paraisse pas tellement désagréable.

— J'y ai beaucoup réfléchi, récemment. Je sais que si ces plantes ne fonctionnent pas, je ne pourrais que l'accepter. Je me dis qu'il fait partie de nous deux... c'est un fruit d'amour... »

Je glissai mes doigts sur les siens :

« Je t'aime tellement, je ne pourrais que l'aimer aussi. »

Il me laissa un long baiser sur le front, puis me murmura :

« Moi aussi, mon amour, ma reine. Je t'aime plus que tout. »

Il me sourit, rassurant :

« Pour l'instant, laissons tout ça de côté. Je ne veux pas que tu t'inquiètes. Dans le pire des cas, nous prendrons les mesures nécessaires pour que tout se déroule bien. »

J'acquiesçai vivement et me lovai encore plus dans ses bras. Il était sans aucun doute l'homme de ma vie. Je ne me voyais pas avec qui que ce soit d'autre.

Enfin, je me disais la même chose pour Darren...

Je repoussai ces pensées et me concentrai sur ses mots :

« Tu restes dormir ?

— J'aimerais bien... est-ce que tu m'y autorises ?

— Ce serait avec plaisir... mais Mora va finir par m'en vouloir si je te garde tous les deux jours avec moi.

— Elle comprendra... et puis, elle dormait quand je suis partie, donc tout va bien.

— D'ailleurs, elle va mieux ?

— Pas trop. »

Il glissa sa main le long de mon dos :

« Elle veut que tu fasses une pause, c'est ça ?

— Oui.

— Tu n'y songes pas du tout ? Même pendant deux semaines ? Comme pour des vacances, finalement. »

Je haussai un sourcil :

« Des vacances ? Mais je suis bien, ici.

— Pour des circonstances exceptionnelles...

— On verra, soupirai-je. »

Non.

Je prendrais du temps pour elle, mais je ne voulais pas me tenir trop éloignée de la piraterie. Surtout ces temps-ci avec la couronne. A priori, il me suffisait de rattraper Augustin pour mettre la main dessus, mais j'avais la sensation que ce ne serait pas aussi simple que ce que j'espérais.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top