Chapitre 32 - Retrouver son chemin 1/2

Malaury

   Sans le vouloir, je claquai la porte du réfectoire derrière moi. Sur le point de retourner en arrière pour m'excuser, je me figeai : ce serait plus ridicule qu'autre chose, et je ne voulais pas recroiser le regard froid de Neven. Si, encore, elle m'adressait un quelconque regard.

J'avais terminé mon repas sans appétit suite à sa demande.

J'avais la terrible impression de n'être rien pour elle. Comme avant.

Je pensais qu'on avait passé un cap, elle et moi. Qu'enfin, elle ne repousserait plus notre amour à cause d'une honte ou de peur.

Il faut croire que nous avons encore du chemin à parcourir.

Bien sûr, je comprenais ses craintes. Son image avait toujours compté pour elle, et je respectais cela. Seulement... tout le monde était au courant pour nous, à présent. Pourquoi ne pouvions-nous pas simplement assumer ? J'avais l'impression de lui faire honte. Pire, je craignais qu'elle ne m'aime pas suffisamment pour montrer notre relation aux yeux de tous. Je ne demandais pas à ce que l'on fasse une annonce officielle ou que sais-je. Je voulais simplement pouvoir l'aimer dans la vie de tous les jours sans devoir me cacher pour un baiser ou une accolade.

Je me sentais déboussolé.

Neven était mon premier amour. À vrai dire, je voulais qu'elle soit aussi le dernier. Je n'avais jamais autant ressenti d'émotions avec quelqu'un. J'avais toujours considéré que j'étais quelqu'un qui savait garder son sang-froid en toutes circonstances – avec mon métier de soldat, c'en était presque obligatoire. J'avais déjà perdu le contrôle à quelques reprises – dès que l'on touchait à quelqu'un qui m'était cher, pour être exact.

Et Neven...

Elle me déstabilisait pour un oui ou pour un non. Pour un sourire ou pour une larme. Pour une caresse ou pour un murmure.

Je ne pus m'empêcher de sourire en l'imaginant rire aux éclats. Elle était si belle, heureuse.

Je secouai la tête : elle m'envoûtait définitivement, à la manière d'un parfum qui ne s'en va jamais vraiment, et dont les effluves effleurent toujours nos narines, juste assez pour être présent dès que l'on ose ne plus y penser.

Seulement, j'avais la désagréable impression que comme pour notre mise en couple, j'allais devoir la confronter. Cela avait déjà été compliqué : j'avais détesté être en conflit avec elle, mourant d'envie de tout abandonner pour simplement trouver refuge dans ses bras. Cette nuit où elle avait cauchemardé avait été un moment de répit pour elle comme pour moi, un moment où je m'étais autorisé à l'enlacer pour la consoler.

À vrai dire, j'avais peur de pousser le bouchon trop loin. J'apprenais l'amour à ses côtés et je craignais que cette vague de froid ne l'emporte à l'horizon. J'avais tellement peur de la perdre que je faisais attention à chaque mot ou geste envers elle, plus encore que d'habitude, pour m'assurer que je la traitais avec tout le respect qu'elle méritait.

Je ne savais pas vraiment comment je réagirais si je la perdais. Ça me rendrait peut-être fou. Je n'avais pas envie de savoir. Je ne me voyais pas sans elle. J'avais beau prendre des sueurs froides dès qu'une nouvelle idée dangereuse s'invitait dans sa tête, je ne pourrais jamais m'empêcher de l'aimer et de la chérir tant elle me surprenait et me faisait rire quotidiennement. Alors, j'espérais que ce mur tout juste érigé ne briserait pas tout entre nous.

Je rentrai en collision avec quelqu'un. Sur le point de m'excuser, je me crispai face à la paire d'yeux verte qui me fixait. Darren.

J'avais toujours accueilli les nouveaux venus dans la bienveillance, sans me laisser influencer par les rumeurs ou l'apparence. Mais lui, je n'y arrivais pas. Je me tendais à sa simple vue, l'imaginant en train de bécoter Neven, voire plus. C'était son premier amour, après tout. Dès qu'il s'approchait ou la regardait, je m'interposais avec froideur. Je ne pensais pas pouvoir être si jaloux. Et pourtant.

« Alors, c'est toi ? »

Je plongeai mon regard dans le sien, froid.

« Moi ?

— Celui qu'elle aime. »

Je me retins de lever les yeux au ciel. J'étais déjà perturbé par ma relation avec Neven, et voilà qu'il voulait me provoquer. Soit.

« Oui, et je te déconseille de l'approcher. »

Il fronça les sourcils. Je repris avec dureté :

« Navré que ça ne soit pas réciproque, mais n'essaie même pas de poser un seul doigt sur elle. C'est clair ?

— Je ne te cache pas que je l'aime toujours, mais je ne suis pas une ordure non plus, rétorqua le jeune homme. Mais le truc, c'est que je me demande comment elle peut aimer un type comme toi. T'es sûr que t'es fait pour elle ? C'est une fille rayonnante, qui aime rire et passer des bons moments. Toi, t'as une tête d'enterré, tu souris à peine. Franchement, je comprends pas ce qu'elle te trouve. »

Mon cœur pulsa plus fort.

Il n'avait pas tort. Je n'étais pas connu pour sourire à tout bout de champ, même si elle était particulièrement douée pour illuminer mon visage... mais si je l'ennuyais ? Et si j'étais trop calme pour elle ? Et si...

« Vivement le moment où elle se rendra compte que tu ne lui apportes rien, termina-t-il en me passant devant. »

Le moment où je la perdrais.

Je l'empoignai avec force et le plaquai contre le mur :

« Je t'ai dit de ne pas l'approcher. »

Il serra les mâchoires, le regard froid. Du peu que je l'avais observé, je l'avais toujours trouvé mou et frêle, mais dès qu'il s'agissait de Neven, une drôle de détermination brillait dans son regard.

« Tu te rends déjà compte que tu n'es pas fait pour elle, alors ? cracha-t-il. »

Ma main se crispa sur son bras.

« Je lui apporte certaines choses qu'elle apprécie suffisamment pour m'avoir choisi. J'ai patienté deux années avant de pouvoir l'embrasser. Deux années parce que toi, tu l'as brisée. T'as pas été foutu de la suivre sur un navire. Moi, je la suivrais jusque dans les abysses. Voilà la différence entre toi et moi. »

J'avais déblatéré tout cela avec le cœur. Je m'étais même rassuré.

Je n'étais pas un piètre amant. Pas trop.

Puis, c'était vrai. Je la suivrais partout où elle irait, même dans mes pires cauchemars, tant que c'était avec elle.

Sur le point de le relâcher, le regard défiant, le sourire en coin, il grogna avec un supplément de haine :

« Les abysses ? Ouais, ça irait bien avec ta face de cadavre. »

La pression de mes doigts s'intensifia, mon autre poing se referma, et... Je devais garder mon sang-froid. Je soufflai longuement, puis murmurai :

« Bon, soyons bien clairs. Ce n'est pas l'envie qui manque pour te fracasser le crâne, mais j'ai autre chose à faire. Toi, tu vas déjeuner tranquillement sans coller Neven, et juste l'oublier. Tu n'as rien à faire sur ce bateau. Si ça ne tenait qu'à moi, je t'aurais déjà jeté à l'eau.

— Neven ne te laisserait jamais...

— Mais elle est certainement de mon avis quant au fait que tu es un poids mort ici. Tu as de la famille ?

— Mon père.

— Alors occupe-toi plutôt de lui. Il n'est pas éternel. »

Je le relâchai et repris ma route, le visage froid et crispé. Cette discussion m'avait encore plus tendu que tout à l'heure. J'étais encore plus angoissé à l'idée de mener une bataille de froid avec Neven vis-à-vis de notre relation.

Et si Darren avait raison ?

Et si elle se lassait de moi ?

Devais-je être plus... vivant ?

Je l'étais toujours à ses côtés. Comment ne pas rire, de toute façon ?

Mais ce n'était peut-être pas assez ?

Je me reconcentrai sur mon trajet et me rendis sur le pont. D'ici, je fis signe à l'équipage de Célestin, comme prévu. Le navire se rapprocha. J'attrapai un cordage et m'élançai vers le bateau. J'atterris dans un bond souple.

« Bienvenue à bord ! clama l'homme habillé de bleu marine en me tendant une main. »

Je la serrai en m'efforçant de sourire,toujours tendu. 

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