Chapitre 28 - Ensemble 2/2

   Je sautai sur le pont et me penchai aux bastingages : La Mora approchait. Ils manœuvraient pour s'arrêter près de nous. Dix minutes plus tard, une planche était placée entre nos navires, et je grimpai dessus, suivie par mon second.

« Ohé ! criai-je en m'avançant vers mon bâtiment. Malaury est sauvé ! Ce soir, nous festoyons ! Double... non, quadruple ration de rhum pour tous ! »

On acclama et on tonna le prénom de mon bras droit. À peine arrivé sur le pont, le voilà entouré et enlacé par l'équipage qui hurlait en sautant. Malaury souriait en serrant fort chacun d'entre eux. Les blessures qui constellaient son corps de couleurs ne passaient pas inaperçues. Les hommes lui tapotaient le dos en lui disant qu'il avait été courageux, féroce, digne, un pirate !

« Neven ! »

Enserrée dans les bras de ma sœur au regard brillant, je la laissai me sermonner :

« Regarde-toi ! Tu as du sang partout sur ta chemise ! Tu as l'air exténuée ! Tu m'as dit que tu ferais attention, et regarde-toi !

— Eh ! souris-je finalement en l'attrapant par les épaules, frôlant ses cheveux. Je vais bien, c'est bon. Je suis là, je suis saine et sauve. »

La profonde inquiétude de ses yeux s'évanouit à peine, et elle se contenta de me serrer plus fort contre elle. Ses mains se crispèrent sur mon dos et elle se pencha à mon oreille ; ses mèches chatouillèrent mon cou. Dans un murmure, elle bredouilla :

« Je ne veux vraiment pas te perdre... tu comprends que je veuille que tu restes sur terre, pas vrai ? Dis-moi que tu comprends...

— Je comprends, je te comprends... je ferai plus attention, répondis-je en l'enlaçant à mon tour. »

Elle baissa les yeux. Je me tournai vers mon second toujours entouré par les hommes.

« Eh ! Malo ! l'interpellai-je. »

Il s'écarta difficilement des marins pour se diriger vers nous. Son regard passait de l'une à l'autre, à la fois curieux et surpris, à la recherche de nos ressemblances. Un bras entourant ma sœur par la taille, je la présentai avec un sourire fier et ravi :

« Voici Mora !

— La fameuse ! sourit-il. Enchanté, Malaury, second de Neven, se présenta-t-il en lui serrant la main. Je ne suis pas très habillé pour une première rencontre, excuse-moi... en tout cas, j'ai beaucoup entendu parler de toi, tu lui as énormément manqué. »

Le regard de ma sœur s'adoucit, touchée par ses mots. Elle répondit, l'air amusé :

« J'ai aussi beaucoup entendu parler de toi, crois-moi... »

Malaury m'observa avec une certaine curiosité, mais aussi un semblant de tendresse.

« Tout se passe bien sur le navire ? questionna-t-il.

— Oui, vos hommes naviguent bien, et ils m'ont intégrée, je crois ?

— Tu n'es pas obligée de travailler, tu es notre invitée, pas un marin de notre équipage. »

Ma sœur éclata de rire, une main cachant ses lèvres :

« Neven m'a dit exactement la même chose quand je suis arrivée à bord. »

Nous nous observâmes avec un sourire : sur la même longueur d'onde.

« Mais je me sens bien, vraiment. Pas de soucis pour ça. Je ne me force pas, et si je fatigue, je fais des pauses...

— Et des hommes t'ont dérangée ?

— Pas vraiment... enfin, le seul qui a essayé, Neven s'en est occupé.

— Alan, murmurai-je à l'attention de Malaury.

— Pas trop étonnant, il aime passer du bon temps, soupira-t-il. Enfin, si tu as le moindre souci, tu peux aussi te tourner vers moi. »

Elle acquiesça avec un sourire ravi. Ils semblaient bien partis pour s'entendre, c'était parfait. Mora me lança un regard plein de curiosité et de taquineries. Je devinais déjà ses « Alors, c'est lui, ton Malaury ? Il est intimidant avec ses muscles, mais il a l'air vraiment gentil ! Parle-moi plus de lui ! Et alors... il t'a déjà fait de belles déclarations ? Et tu as déjà songé aux fiançailles ? Et avec ta fripouille, vous seriez si beaux ! »

Je nous imaginai brièvement sur le pont. Malaury tiendrait une fillette dans ses bras. Elle rirait sous les assauts du vent qui soulèveraient ses boucles noires disciplinées par un foulard rouge bien connu. Elle serait cramponnée à son père, sa précieuse ancre. À leurs côtés, je les enlacerais et baiserais les joues rondes et arrondies de la petite dont les yeux chocolat brilleraient sous notre amour. À moins qu'il ne s'agisse d'un petit garçon aux cheveux bouclés ?

Le ventre en papillons, je revins à la réalité lorsque Mathurin nous dépassa pour rejoindre le navire afin de parler blessés.

J'étais de plus en plus confuse par rapport à cette potentielle grossesse.

J'avais toujours cru qu'avoir un enfant ne m'intéresserait aucunement. J'avais cette optique à l'annonce de Mathurin, après tout.

Et maintenant, je rêvassais d'un enfant avec Malaury ?

Je n'y étais peut-être pas aussi insensible que ce que je croyais.

Peut-être car c'était Malaury.

Peut-être car c'était le bon.

Mais était-ce le bon moment ?

« D'ailleurs, souffla Mora en prenant ma main, où est Issan ? Je ne le vois pas... On m'a dit qu'il était blessé, mais...

— Il se repose, rassura Malaury. Il en a besoin, une partie de son oreille a été sectionnée. »

Ma jumelle fronça les sourcils :

« Il est tiré d'affaire ?

— Oui, sourit mon second. Je suis allé le voir quand Neven dormait, il est très fatigué, mais il va bien. »

Son regard se détendit.

Je fronçai brusquement les sourcils en cherchant quelqu'un du regard. J'avais l'impression de m'occuper d'un enfant.

« Mora, tu as vu Darren ? »

Elle poussa un long soupir et se tourna vers moi :

« Oh, oui. Plus que vu, crois-moi.

— Qu'est-ce qu'il a fait, cette fois ? grognai-je en levant l'œil au ciel.

— Il a voulu se battre avec tes hommes, alors il est resté sur le pont... quand les combats ont commencé, il a tambouriné à la porte de ta cabine pour que je lui ouvre... »

Je levai l'œil au ciel à nouveau. Quel bachibouzouk ! Il ne savait pas tenir une épée et il voulait participer à un combat en pleine mer ?

« Et tu lui as ouvert ?

— Il m'a fait un peu de peine, avoua-t-elle en baissant le syeux.

— Il aurait pu vous mettre tous les deux en danger quand tu lui as ouvert la porte... il va m'entendre, cet imbécile ! Où il est ? »

Elle regardait derrière moi. Je me retournai à pas lourds. Darren avait glissé une main dans ses cheveux noirs et m'observait, mal à l'aise, à l'allure d'un chien battu un jour d'averse.

« Tu sais que ma sœur et toi auriez pu mourir à cause de ton inconscience ?

— Oui, oui...

— Tu sais aussi bien que moi que tu es un incapable au combat. Arrête d'essayer de jouer les héros. Tu es doué pour d'autres choses, soupirai-je. Enfin, pour tout ce qui ne met pas ta vie en jeu, en tout cas... donc la prochaine fois, reste caché directement dans les cales, tu éviteras de mettre d'autres personnes en danger et tu devrais y être en sécurité. »

Il acquiesça, les lèvres plissées d'embarrassement :

« Je suis désolé, Neven. »

Je me tournai vers mon homme, fière :

« Sinon, voici Malaury, mon second. S'il te demande quelque chose, tu le fais, il est une figure d'autorité »

Ce dernier le jaugeait en silence, le regard sombre et froid. Sa carrure musclée et droite, bien que martelée de blessures, se dressait devant Darren avec puissance. Le civil acquiesça vivement.

« Tiens, d'ailleurs, tu as travaillé pendant mon absence ?

— Euh... non... »

Je levai l'œil au ciel :

« Ma sœur en fait plus que toi, et elle ne devrait pas... m'enfin, je pense qu'on te redéposera d'ici une ou deux semaines, le temps qu'on repasse par Britanger. »

Un vrai poids mort sur un bateau, cet homme. Je me demandais bien ce que j'en aurais fait si je l'avais ramené sur le navire de mon père. Il aurait fallu tout lui apprendre.

Je me retournai finalement vers Malaury :

« On va fêter ton retour ce soir, j'ai hâte ! »

Il acquiesça en souriant :

« Je vais passer par ma cabine pour me trouver une chemise, tout de même... »

Il maintint brièvement le regard et partit vers l'écoutille.

« Je reviens, je vais passer à la coquerie, j'ai un peu faim ! »

Je partis en courant. Je le suivis dans les couloirs vides jusqu'à sa cabine. À peine déverrouillée, je me précipitai à l'intérieur. À peine refermée, il plaqua une main sur la porte, à côté de ma tête, et se pencha vers moi. J'attrapai sa nuque, le tirant plus vite à moi, affamée de ses baisers, l'autre main abandonnée sur son torse chaud qui se soulevait de plus en plus vite.

Nos lèvres brûlantes se frôlèrent, se touchèrent un instant, et...

« Neven ? »

Darren. Les papillons dans mon ventre chutèrent. Malaury s'écarta, les sourcils froncés. Oui, moi aussi je te voulais. Je glissai mon index sur mes lèvres.

Darren toqua à la porte.

Évidemment.

« Oui ? demanda Malaury.

— Neven est là.

— Non.

— Ce n'était pas une question. »

Je levai l'œil au ciel. Je poussai mon second et ouvris violemment la porte, main sur la hanche :

« Quoi ? »

Il fronça les sourcils en nous jaugeant :

« Je ne trouve pas la coquerie. »

Saleté ! J'arquai un sourcil :

« Oui, bien sûr. Ça doit bien faire une semaine que tu es sur le navire, mais tu ne connais toujours pas l'endroit où on mange midi et soir ? Évidemment ! »

Il soutint mon regard malgré tout.

« On se revoit plus tard, Malo ! Il faut que je guide un mollusque qui a paumé la coquille qui est sur son dos ! »

Je l'empoignai avec tant de force qu'il gémit. Pressée, je le tirai quelques portes plus loin :

« Qu'est-ce qu'il y a, avec moi ? Tu crois que je suis stupide ?

— J'étais perdu ! glapit-il en se laissant emmener.

— Je déteste ceux qui me mentent ouvertement ! grognai-je en le poussant dans le réfectoire. »

Il trébucha et se retint de justesse à la porte bancale.

« Voilà ! T'as retrouvé ton chemin, c'est bon ? »

Ses yeux verts brillaient, intimidés. À peine sortie, il me suivit.

« Tu vas où ?

— Tu poses des questions à la capitaine, maintenant ? »

Un brouhaha remplit le couloir. Je retins un soupir : Malo et moi nous retrouverions plus tard, je ne pouvais pas m'enfermer avec lui maintenant, nous serions vus. Ce bachibouzouk avait réussi à nous enquiquiner au moment de nos retrouvailles. Je lui lançai un regard si noir qu'il hoqueta.

Une heure plus tard, j'étais debout aux côtés de Malaury. Les hommes étaient éparpillés sur nos deux navires, installés sur les ponts. Je montai sur les bastingages pour être un peu plus haute que mon second. Un bras autour de son cou pour ne pas tomber, un verre d'eau dans l'autre main – Mathurin m'avait aidée en baragouinant que c'était dû à mes blessures – j'attendais que l'on regarde vers nous.

C'était un soir de fête, mais aussi d'annonces.

Agaçant, le Darren, hein ? x_x

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