Chapitre 24 - Un ami en or 2/2

   Dans l'eau, les vagues me poussaient avec violence, m'emportant dans les profondeurs alors que je luttais pour remonter à la surface. Je parvins à inspirer une bouffée d'air, et on m'attrapa la main. On me fit monter sur un navire immense aux voiles noires.

On me tira violemment en arrière, et on me poussa vers le mât. Un grand homme y était attaché, couvert de blessures. Sur le pont, des morceaux de doigts patientaient dans une mare de sang.

« Libérez-le ! m'entendis-je crier. Il est avec moi ! C'est mon second !

— Justement, justement ! C'est ta faute ! Tout est ta faute ! »

J'avais beau me débattre, crier, pleurer, les hommes qui me retenaient ne bougeaient pas d'un pouce.


Réveillée en sursaut, une douleur me prenait le poing et le poignet droits.

Des bribes de cauchemars me revinrent. Je soupirai, perdue dans la pénombre, et je me redressai, remontant la couverture jusqu'à mon menton. Mes mains tremblaient malgré tout l'effort que je mettais à contrôler ma respiration saccadée.

Ma faute ?

J'aurais pu... faire mieux, oui...

Peut-être que là... il se fait trancher les doigts, voire... voire la gorge.

Peut-être qu'il est en train de mourir.

Tout ça par ma faute...

Un cliquetis me fit sursauter.

« Neven ? Tu as tapé dans le mur, tu as besoin de quelque chose ? »

J'eus du mal à reconnaître la voix claire de Célestin pendant un instant, totalement déboussolée. Ma tête était prise dans des nuages de ténèbres et de sang que je ne parvenais pas à chasser.

Célestin referma derrière lui et s'avança à pas souples. Installé au bord du lit, il m'interpella :

« Neven ? Tu vas bien ?

— Je... je sais pas... »

Il m'attrapa le bras et s'aventura jusqu'à prendre ma main qui ne cessait de tressauter. Je me cramponnai à ses doigts chauds.

« Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Je peux faire quelque chose pour toi ? »

Je devais me remettre sur pieds :

« O-Oui, ça va... Juste un cauchemar...

— Juste un cauchemar ? Tu m'as fait peur en tapant dans la paroi. Nos lits sont juste à côté, et crois-moi, tu n'y es pas allée de main morte. »

Je haussai les épaules, avant de me souvenir qu'il ne me voyait probablement pas :

« C'est rien, c'est bon... tu devrais te recoucher...

— Tu plaisantes ? Tu es toute tremblante. »

Il réajusta mieux la couverture sur mes épaules, puis il passa sa main le long de mon dos :

« Tu pensais à Malaury ?

— Oui... »

Il poussa un léger soupir, peiné, et l'instant d'après, il se plaça dos à moi :

« Allez, grimpe. Je te ramène dans mon lit.

— Je t'ai dit que ça allait, grondai-je.

— Oui, eh bien, si Malo sait que je t'ai laissée toute seule dans cet état, il va me tuer. »

Je soupirai avec un léger sourire : certes. Je m'accrochai à son cou, et il se redressa :

« Prends ta couverture, sinon on va se battre, je nous connais. »

Drap attrapé, il referma la cabine de Nesly, puis se rendit dans la sienne et me déposa délicatement dans son lit. Je m'écartai contre le mur et attrapai un oreiller en me couvrant.

« Et, outre Malaury, laisser ma chère amie toute remuée, ce n'est pas dans mes principes. Toi aussi, tu t'es déjà occupée de moi.

— Ah ? »

Je l'entendis sourire en s'installant près de moi.

« Je vois que ça ne t'est pas resté... mais toutes les fois où je ne me sentais pas très bien et que j'avais une sale mine, tu te montrais présente pour moi. Tu me faisais rire, entre tes grimaces et tes idioties dont tu es la reine. Et on se buvait une bouteille ensemble, rien que tous les deux. »

Il se recouvrit de sa couverture et continua :

« Tu ne me posais pas trop de questions sur ce qui m'arrivait, tu me faisais juste penser à autre chose, et je t'en remercie sincèrement. Je suis heureux d'avoir une amie comme toi.

— Contente de pouvoir te soulager un peu l'esprit.

— Mais je ne suis pas le sujet... si tu veux me parler de ton cauchemar, je suis là. Mais je n'insisterai pas. Je ne suis pas notre bon vieux Malo, s'esclaffa-t-il.

— Il est terrible dès qu'il voit que l'un de nous deux est tracassé, grondai-je en resserrant mon oreiller.

— Il nous aime beaucoup... »

Il se mit dos à moi dans un bâillement :

« Je te souhaite une bonne nuit. Si tu as besoin de parler, tu peux me réveiller, n'aie pas peur. Tant que tu n'abîmes pas mon magnifique visage, bien sûr. Puis, moi, au moins, je ne suis pas ronchon comme t-... »

Il grogna en recevant un léger coup sur la cuisse.

« Veuillez m'excuser pour mon manque de délicatesse, Votre Altesse.

— Bonne nuit également, mon cher prince-serviteur. »

Je gloussai, puis me réinstallai mieux, le sourire aux lèvres.

Je me réveillai à nouveau en sentant un souffle froid courir sur mes bras et le long de mon dos. Je grommelai en me rendant compte qu'il avait piqué ma couverture. Il en avait déjà une, pourtant ! Insupportable au lit, cet homme !

Je tirai de mon côté, mais elle ne bougea pas d'un pouce. Je soupirai et soulevai son drap, et pour en être parfaitement entourée, je me collai à son dos chaud, passant un bras autour de sa taille.

« Hm, bredouilla-t-il en tapotant ma main. Un souci ?

— Voleur de couvertures, soufflai-je simplement. »

Il repoussa du tissu sur moi :

« C'est mieux, là ?

— On va dire ça... bâillai-je en reposant ma main sur son ventre. »

Le lendemain, je me réveillai contre le dos de Célestin. Je n'eus pas la motivation de me redresser tout de suite. J'avais l'impression qu'au moindre mouvement, toute la chaleur emmagasinée pendant la nuit s'échapperait.

À vrai dire, je me sentais bien contre lui. J'avais l'impression de me retrouver contre ma sœur ou Malaury. Je me sentais apaisée par la présence de quelqu'un que j'aimais. Pas seule et perdue dans mes cauchemars.

Je me collai un peu plus à lui dans un murmure, et ses doigts se resserrèrent doucement sur les miens.

On toqua à la porte. Je levai l'œil au ciel. Mon ami soupira :

« C'est pour quoi ?

— La capitaine Neven ne semble pas se trouver dans sa cabine ! répondit Nesly.

— Oui, normal, elle a passé la nuit avec moi ! tonna-t-il. »

Il gémit quand je lui pinçai le téton.

« Enfin, elle a trop bu hier et s'est endormie ici ! se reprit-il.

— Tant mieux ! Je retourne sur le pont ! »

Il se retourna vers moi, les cheveux en bataille :

« Je te l'ai déjà dit mille fois, pas les tétons. Je t'assure que ça fait mal !

— Je voulais être sûre que tu comprennes le message... souris-je en pinçant sa joue. »

Il me donna une pichenette sur le front :

« Après, qui serait étonné de voir une demoiselle tomber dans les bras du magnifique Célestin Arg-... »

Je pinçai son téton plus fort. Il répliqua en chatouillant mes côtes. Dans le rire, je me tortillais alors qu'il s'exclamait :

« Je te laisse me maltraiter depuis des jours, tu vas voir à présent ! »

J'essayais de le repousser, en vain, il évitait toutes mes offenses et se débrouillait pour ne jamais cesser de m'attaquer.

« Allez ! Pitié ! tonnai-je finalement.

— Pardon ? Répète pour voir ?

— Pitié !

— Je ne suis pas convaincu ! »

Je secouai la tête de droite à gauche, en larmes, et je soufflai :

« Je vous en prie, Ô grand Célestin Arguy, de bien vouloir me... comment on dit ça ? Ahah, attends ! Je réfléchis ! De bien vouloir me laisser en vie ? C'est ça ?

— Raté ! »

Je ris d'autant plus fort, essayant de réfléchir. Ce n'était pas mon genre, de me rendre, alors je n'y connaissais rien ! Je retentai :

« Je vous en prie, Ô grand Célestin Arguy, de bien vouloir m'implorer ! »

Il éclata de rire :

« Non, là, c'est toi qui es en train de m'implorer ! Neven, enfin !

— Je suis une gagnante, moi ! C'est pour ça que j'connais pas le terme !

— Mais là c'est toi qui perds ! pleura-t-il de rire. »

J'essayai à nouveau :

« Je vous en prie, Ô grand Célestin Arguy, de bien vouloir m'épargner ! »

Il cessa enfin de me torturer, le visage rieur, quelques larmes au coin des yeux :

« Neven, tu es incroyable. Vraiment.

— Dans quel sens ?

— Le mauvais ! s'esclaffa-t-il en se dépêchant de quitter le lit. »

Je lui balançai un oreiller à la figure qu'il me renvoya immédiatement.

« Attends ! Trêve ! quémanda-t-il en levant ses mains. »

Je m'installai contre la paroi, serrant l'oreiller dans mes bras. Il s'approcha et s'installa à mes côtés :

« Tu as pu dormir ?

— Hormis le moment où j'ai eu froid car tu as volé ma couverture... Oui.

— T'es pas frileuse, pourtant.

— Peut-être qu'il y a un hublot cassé. »

Il haussa les sourcils et lança un regard dans la pièce, réellement interrogatif. Il finit par passer un bras autour de mes épaules :

« En tout cas, ma chère, on devrait atteindre le continent en fin de journée. On arrivera sûrement à Febiran...

— Demain matin, l'interrompis-je.

— Exact. J'espère que tu n'es pas trop inquiète ? »

Je haussai les épaules :

« Le cauchemar que j'ai fait cette nuit...

— Je vois. Je ne veux pas te consoler en te donnant des faux espoirs, mais on fera tout pour le sauver si c'est encore possible. Vraiment. »

Je pliai le coude, cherchant sa main posée sur mon épaule. Il l'attrapa, glissant ses doigts entre les miens.

« Vivement qu'on se retrouve tous les trois. »

Je me tournai vers lui, posant ma tête contre son torse :

« Perdre l'un de vous deux... pff... »

Il rajouta son autre bras pour m'enlacer :

« On va tout faire pour se réunir. On va faire au mieux. Et dans le pire des cas... on se soutiendra pour surmonter cette phase. Comme on s'est toujours soutenus depuis trois ans. En tout cas, Neven. Si jamais... si jamais ça se passe mal, pour une raison pour une autre, ne t'en veux pas, d'accord ? Tu as fait au mieux cette nuit-là. Et je sais d'avance que tu feras au mieux demain. D'accord ?

— D'accord. »

Je soupirai en fermant l'œil un moment.

« Je n'ai pas l'habitude de te rassurer, m'avoua-t-il. C'est rare de te voir comme ça, tu sais...

— Disons que ces derniers temps, tout est très mouvementé. C'est parti d'une bourrasque : la piste de Mora. Et maintenant, j'ai l'impression de subir les humeurs de la houle en pleine tempête...

— Tout va bientôt s'apaiser. Les vagues se calment toujours au bout d'un moment. Elles vont déferler sur les côtes, tranquillement...

— Violemment, corrigeai-je. La bourrasque était puissante. La houle est forte. Le déferlement ne sera pas sans dégâts.

— Mais ce sera fini, au moins. Allez, on va tenir le coup ensemble. On va affronter ces vagues. Ça va aller. »

Je hochai la tête, un sourire fatigué sur les lèvres. J'avais la chance d'être aussi bien entourée. Célestin était un ami en or, assurément. 

Est-ce que je viens de vous donner le nom du tome 3 ? Peut-être !

Dans tous les cas, j'espère que vous appréciez autant la relation Neven-Célestin que moi ! Je ne l'avais pas développée sur mon ancienne réécriture, alors là... je m'amuse !

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