Chapitre 13 - À quelques pas 2/2


   Au fil des heures, nous avions débarqué à plusieurs reprises. Pas de traces de Mora, seulement les passages d'Augustin avant nous. Je me sentais dépassée par la situation. Je jetai parfois un œil vers mes marins. Ils ignoraient tout du conflit sur le point d'éclater. Nous allions peut-être devoir nous battre. Tout dépendait de ce noble de pacotille.

Aux alentours de neuf heures, au loin, j'aperçus un point. Un point qui ressemblait à un navire. Un navire qui avait jeté l'ancre. Je saisis ma longue-vue. Cette figure de proue. Ce lion. La Belicande. Je me tournai vers mes marins, le regard sombre :

« Que tous les hommes s'arment et se préparent au combat ! Que dix d'entre eux se préparent à descendre avec moi ! Mathurin ! interpellai-je. Tu es le maître à bord le temps de mon absence ! Ce sera à toi de donner l'ordre ou non d'attaquer ! »

Son visage devint écume. Il n'avait jamais été mêlé aux abordages et aux batailles. Il se hâta de monter jusqu'à moi en bredouillant :

« Combattre ? Combattre Augustin ?

— Tout dépendra de cette ordure. »

Je jetai un œil vers le navire à l'aide de ma longue-vue. Pas d'agitation. Ils semblaient patienter.

« Je ne le vois pas sur le bateau, il doit être sur terre... je vais le rejoindre avec des hommes pour ne pas être trop démunie. Le reste restera sur La Mora avec toi. L'équipage d'Augustin ne devrait pas pouvoir prendre l'initiative de se battre sans leur capitaine... à moins qu'il ait donné des ordres en amont. Le but de nous montrer armés est simplement d'imposer une pression, et normalement, il ne devrait pas y avoir de combat. Si les marins – ceux d'Augustin ou les nôtres – te posent des questions sur la situation, réponds qu'il faut voir avec moi. Comme ça, tu te dédouanes de toute responsabilité. Compris ?

— Eh bien... eh bien, compris, capitaine. J'aurais préféré que ce soit Malaury qui gère ça...

— Moi aussi, soupirai-je. »

En termes de combat, Malaury était bien mieux placé que moi et Mathurin pour diriger nos hommes et donner des ordres. Quand il fallait mener des offenses, je désignais toujours Malaury. Mon œil brillait. Il me manquait déjà tellement...

Je me repris :

« Est-ce que ça ira ?

— Je ferai au mieux, capitaine. »

Dix minutes plus tard, nous arrivâmes à hauteur du navire d'Augustin. Les marins sur le pont d'en face nous regardaient, dans l'incompréhension et la surprise. Un homme dont le coin des lèvres était fendu par une cicatrice joua des coudes pour se pencher aux bastingages :

« Capitaine ? Un problème ? »

Les mains agrippées au bois, le second d'Augustin, Avel, me jaugeait de son regard brun.

« Où est Augustin ? demandai-je, main sur la hanche.

— Sur terre, dans le village. »

Je me tournai vers Mathurin pour murmurer à son oreille :

« Ils ne semblent pas hostiles, tout devrait bien se passer... »

Je fis signe à une partie de mes hommes de descendre sur le ponton avec moi. Armés, nous nous dirigeâmes à grands pas vers le village. Un poids sauta sur le ponton :

« Vous ne m'en voudrez pas si j'vous accompagne ? tonna Avel en s'approchant, lame dégainée. »

En voyant un pan de son manteau couleur cuivre danser à mes côtés, je tirai le sabre accroché à ma ceinture :

« Je suppose qu'il n'y a pas de raison, mais passe devant.

— Vous ne m'faites pas confiance ? »

Il avait lancé un regard accusateur vers ma lame qui étincelait au soleil timide.

« Je mentirais en disant que si. »

Nous nous observâmes, glacés.

« Soit. Si la capitaine le demande. »

Après un regard de travers dans ma direction, il prit de l'avance sur nous. Sourcil haussé, je le laissai ouvrir la marche. J'ignorais ce que son second nous voulait, mais il ne m'inspirait pas confiance. Je le savais très fidèle à Augustin. Craignait-il une offense contre son capitaine ? Si Avel savait ce que ce satané noble préparait, il se doutait probablement que je ne resterais pas les bras croisés en le voyant s'en prendre à ma sœur.

Une idée me traversa l'esprit, dessinant un sourire carnassier sur mes lèvres. Je mettrais cet homme à contribution dans les prochaines minutes.

Pour l'instant, il fallait nous diriger vers une petite maison en bois. Beaucoup de monde était attroupé autour. Surtout des hommes. Les femmes se tenaient à distance, retenant leurs enfants curieux. L'atmosphère était déjà tendue, et en me voyant arriver, les villageois se turent. La plupart me regardaient avec méfiance.

Au fur et à mesure de nos pas, une désagréable odeur de fer que je ne connaissais que trop bien parvenait à mes narines. Qui était mort ?

Mon bras trembla en imaginant le visage de ma sœur. Le cœur battant, j'ordonnai :

« Écartez-vous ! Tout de suite ! menaçai-je en dressant mon sabre. »

Les villageois s'éloignèrent dans des balbutiements. Sur le pas de la porte entrouverte, une grande flaque de sang venait de l'intérieur, s'écoulant par gouttes sur la terre à mes pieds. J'ouvris.

Un jeune homme était allongé sur le dos. Son torse était poisseux et rougi, a priori transpercé d'un coup d'épée. Son visage exprimait une profonde souffrance, les traits crispés par la douleur. Il n'était sans doute pas mort sur le coup. Ses yeux verts étaient perdus dans le vide, et quelques gouttes de sang avaient taché sa chevelure blonde.

« Qui est-ce ? Que s'est-il passé ? demandai-je en m'approchant à pas prudents, refermant mes doigts plus fort sur mon sabre.

— C'est un garçon qui est arrivé, il y a quoi ? Trois ? Quatre ? Cinq mois ? Avec sa femme ! tonna un homme.

— Logan, son nom ?

— Oui ! »

J'étais sur la bonne voie. Je regardai mieux l'intérieur de la maison. À ma droite, le salon était jonché de bouteilles d'alcool vides, négligées autour d'un canapé et sur une table basse. Sur le mur face à moi, près d'une porte, se trouvait un tableau représentant un fermier en train d'arracher la pomme d'un arbre. À côté de celui-ci, plusieurs personnes étaient attelées autour d'un seau d'eau où flottaient les morceaux d'une pomme coupée. Enfin, à ma gauche, la cuisine était plus soignée, plus rangée. Des marmites étaient alignées sur un comptoir à côté de deux coquillages. Un nacre et un coloré de lignes brunes.

« Et Mora ? criai-je cette fois en rentrant et en poussant une première porte.

— Un homme l'a emmenée ! C'est celui qui a tué Logan ! Ils sont sur la plage, un peu plus loin ! »

Je me précipitai à l'extérieur pour courir dans la direction que m'indiquait un villageois, mes marins derrière moi. Je plissai l'œil. À vingt mètres, cinq pirates étaient alignés, comme une barrière. En m'apercevant, ils s'écartèrent immédiatement pour me laisser passer. Alors que des membres de mon équipage me suivaient, je leur fis signe de rester en arrière, mais j'agrippai le bras d'Avel pour le tirer à moi. L'instant d'après, mon sabre était posé sur sa gorge. Il voulut parler, mais je pressai ma lame plus fort contre la chair fine de son cou. Il déglutit et se tut. Je le savais frustré, et j'avouais me délecter de cette impuissance. Oui, tu étais descendu pour aider ton capitaine, pas pour devenir une épine à son pied. Dommage que tu n'aies pas pris plus de précautions.

Deux silhouettes se trouvaient à quelques pas de nous, nous tournant en partie le dos. Un grand homme à la queue de cheval noire faisait face à une jeune femme plutôt petite et menue, portant une longue robe émeraude à dentelle blanche. Ses cheveux noirs ondulaient, coupés aux épaules. Son visage était pâle, une frange couronnait ses yeux chocolat brillants et cernés. Ses traits étaient crispés, fatigués. Ses jambes semblaient peiner à soutenir son poids. Elle attrapait du bout des doigts l'un de ses bras fin qui frémissait à chaque coup de vent.

Elle semblait tellement fragile face à Augustin qui la dominait par sa taille, et mon cœur battait tellement fort face à cette vision d'amour et de terreur.

Mes yeux brûlaient.

C'était toi ?

Allais-tu bien ?

T'avait-il blessée ?

Mes doigts tremblèrent sur mon arme, mon souffle se saccada quelques instants, mais je repris mon sang-froid :

« Eh ! interpellai-je. Je ne sais pas ce que tu lui veux, mais je t'interdis de toucher à une seule parcelle de sa peau ! Si ça peut te convaincre, je peux découper celle d'Avel sous tes yeux ! »

Le regard ténébreux d'Augustin se tourna vers moi, les sourcils haussés de surprise :

« Oh, la capitaine est arrivée... nous t'attendions, sourit-il. » 


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top