Chapitre 12 - Tourments 2/2
« Nan, il retournera à sa petite échoppe de pêche dès que nous repasserons devant Britanger, assurai-je plus fermement. Je suis à peu près persuadée que l'aventure de pirate ne te tente pas vraiment... n'est-ce pas, Darren ?
— Un peu quand même. »
Oh non. Il s'était remis cette idée en tête. Essayons de lui faire peur :
« Toi ? Tu sais qu'il faut se battre et tuer, non ? Je ne crois pas que ça te convienne. »
Je ne veux pas de toi, arrête.
« Eh bien...
— Il n'a qu'à essayer, capitaine, coupa Mathurin. Ça nous ferait une personne en moins à recruter, et qui plus est, de confiance. »
Mon quartier-maître ne m'aidait vraiment pas, pour ce coup ! Il se pencha à mon oreille :
« Et peut-être qu'avoir une personne familière t'aidera à surmonter cette mauvaise phase... non ? »
Je me tournai vers lui, sourcil haussé. Avoir à mes côtés mon premier amour qui m'aimait encore ne m'aiderait définitivement pas à surmonter le vide que laissait mon homme. Il sembla comprendre que quelque chose me dérangeait et il se résigna :
« Enfin, tu es la capitaine, tu n'auras qu'à en discuter avec lui. »
Je le remerciai du regard. Je comprenais bien que Mathurin était inquiet à propos de mon état. Je ne montrais rien, je gardais tout pour moi, j'avais pris l'habitude en tant que capitaine. Lorsque je m'étais rapprochée de Malaury, j'avais pu me confier, un bien fou de ne pas se sentir seule au monde ! D'avoir une épaule pour se reposer, une oreille pour écouter, une main pour me rassurer... Sans doute pensait-il que Darren pourrait m'aider à aller mieux, mais je ne croyais pas cela possible.
Je jetai un regard vers le jeune homme aux cheveux noirs. Il était toujours amoureux de moi, et il avait la possibilité de se rapprocher. D'autant plus depuis ce qu'il savait du probable état de Malaury. J'étais à peu près persuadée que c'était cette raison qui lui avait remis cette idée dans le crâne. Je poussai un léger soupir : quel bachi-bouzouk.
Dans la soirée, je continuai de tenir la barre. Je me concentrais du mieux que je le pouvais sur la mer, pensant à Mora plutôt qu'à Malaury. Je ne voyais aucun navire devant nous, nous ne rattrapions pas Augustin. Selon mes estimations, il faudrait commencer à se rendre dans les villages que nous croiserions aux alentours de sept heures du matin. Je n'avais malheureusement pas plus d'indications à propos de cet endroit. Si elle s'y trouvait encore, tout du moins. J'espérais de tout cœur qu'il n'arriverait pas à la retrouver avant moi. Que faire pour m'en sortir ? Il me ferait chanter, c'était certain. Je n'avais aucun pouvoir sur cet homme actuellement.
« Capitaine, tu devrais peut-être te reposer ?
— Je peux encore tenir la barre, assurai-je. »
Être aussi vigilante m'empêchait de me perdre trop facilement dans mes pensées.
« Il est tard, tu as fait un malaise dans la journée – à vrai dire, je n'aurais peut-être même pas dû te laisser reprendre la barre à ce moment-là – et tu as vécu des derniers jours éprouvants. Je pense sincèrement que tu devrais dormir. »
Il ne me lâcherait pas.
« Je veux tenir la barre. Je veux m'assurer que nous naviguerons sans problème. Ma sœur avant tout. J'ai perdu une personne importante, oui. Pas question d'en perdre une autre.
— Neven, tu as besoin de te reposer. Le navire peut avancer sans toi... »
Bien entendu, mais j'avais besoin de me vider la tête. Je ne pouvais pas lui donner cette raison, sinon il me harcèlerait de questions pour que je « m'exprime » et me « libère ». Il plissa les lèvres et me proposa finalement :
« Allons, laisse Borg prendre la barre pour la nuit, comme d'habitude. »
Il resterait là jusqu'à ce que j'accepte... Puis, il faudrait que je sois en forme pour demain, de toute façon. Si je devais me confronter à Augustin, je devais être prête. Je cédai enfin :
« Soit. J'accepte. Appelle-le. »
J'avouais commencer à fatiguer. Parfois, je voyais flou, et le ciel se confondait avec la noirceur de la mer. Cette mer qui avait dévoré mon Malaury...
« Parbleu ! lança une grosse voix. »
Je laissai la place à Borg qui m'assura :
« Capitaine, prenez du temps pour vous reposer, et n'ayez pas peur de faire appel à moi pour vous soulager. »
Il montra le crochet en bois qui faisait office de main gauche :
« Ce n'est pas ce moignon qui m'empêchera de prendre la barre et même de me battre, croyez-moi !
— Je n'en doutais pas, souris-je.
— Alors réclamez plus souvent mon aide, j'en suis capable, quémanda-t-il en me fixant avec son regard bleu perçant. »
Je hochai la tête :
« Merci. S'il y a un quelconque souci, demande à quelqu'un de me réveiller. Il faudra dans tous les cas que l'on me réveille vers six heures et demie. Bon courage. »
Un peu de soutien par ce mauvais temps ne faisait pas de mal. Mathurin me suivit sur le pont.
« Neven, d'ailleurs... »
Sur le point de rejoindre ma cabine, je me retournai vers lui, sourcil haussé. Ses traits étaient tirés. Si tirés que c'était étrange quand on avait l'habitude de le voir souriant.
« Il faudra que tu songes à faire voter un nouveau second, prochainement... »
Le remplacer ?
« Mathurin, grondai-je, laisse-moi tranquille avec ça ! »
Il s'excusa d'un signe de tête, faisant glisser ses lunettes en demi-lunes sur le bout de son nez. Sur le point d'entrer dans ma cabine, on m'interpella à nouveau :
« Neven ? »
Darren.
« Hum ? questionnai-je en me retournant, agacée : je voulais me reposer.
— Où est-ce que je dors ? »
Il voulait venir avec moi. Je n'en avais aucune envie : il me parlerait de ce soudain désir de piraterie, voire il tenterait de m'enlacer. Je me sentais fatiguée, je n'avais pas la force de parler, de lutter. Je voulais juste me coucher sans avoir à penser.
« Laisse-moi tranquille et va dans les cales avec les autres, soufflai-je en entrant dans ma cabine. »
Il bloqua la porte avec son pied :
« S'il te plaît.
— Tu m'ennuies, soupirai-je. J'ai besoin de me reposer...
— Neven. S'il te plaît. »
Les marins commençaient à regarder vers nous. Je finis par le laisser entrer dans un profond soupir. Porte refermée, je débouclai ma ceinture et accrochai mon manteau et mon chapeau. Je m'installai directement sur mon matelas :
« Voilà, tu es entré. Elle est belle, ma cabine de capitaine, tu as vu ? Tu peux sortir, maintenant. J'ai besoin de repos. »
Il s'assit à mes côtés. Il avait un regard de chien battu. Oh, que ça m'agaçait ! Qu'il parle, au lieu de se montrer tout flasque !
« Quoi ? lançai-je sèchement.
— Tu ne vas pas bien, je n'aime pas ça.
— J'ai besoin d'être seule. »
Il leva la main pour la poser sur ma tête, mais il abandonna l'idée face à mon regard assassin. Il reprit :
« Quand ça n'allait pas, dès que l'on se voyait, tu te tournais vers moi. Tu avais besoin de réconfort...
— Oui, parle au passé. Depuis que je suis devenue capitaine, j'ai dû apprendre à mettre de côté mes tracas et à me débrouiller toute seule. Tu imagines si j'avais besoin de quelqu'un à chaque fois que j'allais mal ? Je ne m'en sortirais pas.
— Tu avais Malaury, avant... »
Ma poitrine se serra.
« Tais-toi. Si c'est pour me parler de lui, tu dégages. »
Une profonde tristesse sur son visage.
« Chez moi, tu n'étais pas si agressive... on pouvait encore discuter...
— J'ai appris il y a quelques heures que l'homme que j'aime est sûrement mort, le coupai-je, le regard noir. Je peux rester seule ? Je peux me reposer ? »
Je m'étais petit à petit redressée, tendue. J'étais prête à me lever pour le pousser à l'extérieur.
« Pardon. Je voulais juste être là pour toi. Je me disais que tu avais sûrement besoin de parler, et que du coup, tu devais te sentir seule... un peu comme quand Mora a disparu... »
Mes muscles se détendirent. Je baissai l'œil. Il me comprenait bien, je ne pouvais pas le nier. Je me laissai retomber sur le matelas et me tournai dans un soupir. Évidemment que je me sentais seule. Nous avions tellement partagé, ensemble... et le voilà qu'il disparaissait, tout d'un coup !
Des larmes. Je les essuyai sèchement en tournant la tête. Je ne voulais pas qu'on me voie, je voulais me cacher, fuir.
« Je suis là si tu as besoin... murmura Darren en caressant doucement mon épaule. »
J'acquiesçai en silence, puis je me redressai :
« Tu peux me laisser ? Je n'ai pas envie que les hommes croient des choses entre nous.
— Je comprends. Bonne nuit, repose-toi bien. »
Accompagné jusqu'à la porte que je fermai à clef, je retournai sur mon matelas en soupirant. Allongée, j'étais pensive. Faire voter un nouveau second ? Je ne voulais personne d'autre que lui. Parler de cela, ainsi... il n'était vraiment plus là, n'est-ce pas ? Je ne parvenais pas à m'y faire. Il lui faudrait une cérémonie digne de ce nom. Il était un homme admirable. Un pirate de renommée, un amant exemplaire.
Je soupirai longuement, attristée, retenant les larmes brûlantes qui voulaient s'échapper. Je me reconcentrai sur Pirate, allongé près de moi. Les oreilles baissées, il était étalé de tout son long sur la couverture. Lorsque je le caressai, il réagit à peine.
« Qu'est-ce qu'il t'arrive, mon matou ? Tu es triste, toi aussi ? »
Il ouvrit un œil, puis le referma, sans énergie.
« Je me sens comme brisée... j'ai l'impression que je ne pourrai jamais m'en remettre... »
Se sentir maussade dès que je pensais à Malaury. Retenir constamment ses larmes et sanglots. Chercher à se calmer, à respirer, pour ne pas se noyer dans les pleurs. Pourquoi avais-je tant tardé à propos de mes sentiments ? J'avais l'impression d'avoir perdu tellement de beaux moments à ses côtés...
« Mais il faut que je continue d'avancer, ma sœur m'attend. J'ai perdu une personne très importante pour moi... pas une autre. Elle aime beaucoup les chats, tu vas sûrement te faire chouchouter... »
Si j'arrivais avant Augustin, et rien n'était sûr. Elle était peut-être encore partie ailleurs, qui sait ? Enfin... Logan avait peut-être encore décidé de partir ailleurs. Anxieuse, je fermai l'œil, la main toujours glissée dans le pelage chaud de Pirate. La fatigue finit par m'emporter. Je me réveillai à plusieurs reprises durant la nuit, tourmentée, pensant à Malaury et à Mora. Angoisse nichée au niveau de la poitrine, j'avais parfois du mal à respirer, ayant l'impression d'étouffer. Quand je parvenais à me calmer, je me rendormais, épuisée.
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