En entendant ces tambourinements, le premier réflexe de Lucia fut de cacher ses livres derrière le matelas. 

Le coeur battant à toute allure, elle tenta de respirer calmement avant d'ouvrir la porte. Etait-ce la police ? Qu'avait-elle fait d'illégal? Lire des livres n'était en soi pas interdits, étant donné que le gouvernement était persuadé de la disparition de tous les formats papiers. Faille juridique. En revanche, avoir créé un profil sur Noxa était clairement interdit. Axon était le seul réseau social autorisé. Mais elle avait utilisé un pseudo, alors comment auraient-ils pu remonter jusqu'à elle ?

- Lucia, c'est moi ! fit une voix que Lucia reconnu. C'est moi, Justine !

Rassurée, elle ouvrit la porte à sa collègue de travail. Justine, aux cheveux rouges détachés, entra dans la pièce. Elle semblait paniquée.

- Qu'est-ce qu'il t'arrive ? demanda Lucia. 

- La police me cherche. Mais je suis innocente, je t'assure ! 

- Mais pourquoi, et de quoi t'accusent-ils ?

- Il pensent que je fais partie d'une certaine résistance. Mais je n'y connais rien moi ! Ils affirment avoir trouvé la trace d'une fille de notre âge travaillant à l'usine dans les quartiers des Magnolias. 

Lucia se sentit très inquiète. Visiblement, c'était elle qu'ils cherchaient. 

- Mais il y a pleins de filles qui travaillent dans cette usine, remarqua-t-elle. Pourquoi t'avoir ciblé toi en particulier ? 

- A cause de mes cheveux... J'ai appris à coiffer toute seule, en autodidacte, sans passer par leur machine. Et ça ne leur plait pas. 

- Oui, je comprends, tu as essayé de réaliser ton rêve de devenir coiffeuse par toi-même. 

- Mais je ne savais pas que c'était interdit, se désola Justine. 

Lucia réfléchit. Fallait-il lui avouer que c'était elle la recherchée ? Non, elle ne connaissait pas si bien que ça Justine. Elles étaient collègues, un peu amies, mais pas meilleures amies non plus. Si elle lui avouait tout, Justine risquait de tout répéter à la police pour sauver sa peau. Non, elle ne pouvait pas lui faire confiance aveuglément. 

- Pourquoi m'avoir contactée moi et pas un autre ? demanda Lucia. 

- J'ai essayé de contacter un ami qui vit dans la même résidence, mais il ne m'a pas ouvert la porte. Et puis je ne connais pas assez de gens ici, donc j'ai immédiatement pensé à toi, puisque l'on s'entend bien. 

Lucia se sentait mal. Mais si elle se dénonçait pour sauver Justine, elle ne pourrait pas sauver Léonor. C'était Léonor ou Justine. Donc, c'était Léonor en priorité. Tant pis pour Justine... Mais cette réflexion lui déchirait les entrailles. Elle ne pouvait qu'espérer que les policiers se rendent compte que Justine était innocente, et ils la libèreront après. Ainsi, Lucia gagnerait du temps pour s'enfuir avec les Libérateurs du Savoir. 

- Je suis désolée, dit-elle. Je ne peux pas prendre ce risque de te cacher, sinon je risque la prison. et si je suis en prison, alors Leonor mourra...

Les yeux de Justine s'embuèrent de larmes. 

- Non, Lucia... Tu ne peux pas me faire ça ! 

- Je dois sauver Léonor, justifia Lucia.  

- Lucia, je suis désolée de te dire ça mais... Leonor est déjà condamnée. Tu t'acharnes pour rien. Tu ne réussira malheureusement jamais à réunir les 100 000 MindCoin. 

Ces mots ne firent qu'énerver Lucia. 

- Sors de chez moi, ordonna-t-elle. Moi j'ai espoir, alors je tente le tout pour le tout. 

- Ne t'énerve pas. 

- Ma copine risque mourir et toi tu ne penses qu'à toi.

- Très bien, se ravisa Justine. Ne compte plus sur moi alors. 

Et elle claqua la porte en partant. 

Lucia se mit à pleurer. Elle se sentait lâche, si nulle. Elle ne méritait rien. Le pire, c'était qu'au fond d'elle, elle savait que Justine avait raison, mais son subconscient refusait de l'admettre : Léonor était condamnée. 

Elle regarda machinalement son téléphone. Sur Axon, sa vidéo avait atteint les 1000 vues. Ce n'était pas assez. Ses yeux parcoururent l'écran, quand une publicité attira son attention : 

"Adoptez Axon Diamon pour augmenter votre réseau". 

En effet, il existait une version premium de Axon. Elle cliqua sur le lien. On lui demandait de payer 300 MindCoin par mois pour s'abonner. Quels étaient les avantages ? Un paragraphe répondait à cette question  : 

"- Mise en avant sur les fils d'actualité des plus grands influenceurs

- Possibilité de contacter en message privé tous les influenceurs. 

- Pas de publicité

- Nouveau filtres et nouveaux effets spéciaux débloqués

- Compte certifié. "

Elle pouvait par exemple payer un mois, puis résilier l'abonnement. Elle perdrait 40 MindCoin, mais elle pouvait potentiellement faire un retour sur investissement après. Elle cliqua sur le bouton "s'abonner". Sa carte bancaire étant numérique sur son téléphone, elle fut débitée instantanément. Un message s'afficha :

"Félicitation, vous faites maintenant partie de l'élite !"

Une élite très pauvre, se dit-elle en reprenant ses livres en main. 

Elle avait presque terminé la lecture de ses manuels d'informatique. Elle décida de tester ce que ça donnait sur son ordinateur. Elle écrivit un programme permettant de calculer des pourcentages et des sommes d'argent. 

Le programme fonctionnait. Elle se sentit fière. 

Mais immédiatement, la pensée de Justine en prison refit surface. La culpabilité était lourde à porter.  

*

Le lendemain, elle se rendit à la nouvelle adresse donnée par Jérôme. 

- Ca va Lucia ? demanda-t-il. 

- T'as l'air toute bizarre, remarqua Mareva. 

Et Lucia s'empressa de leur raconter l'histoire de Justine. 

- Tu as bien fait de ne rien lui dire. Malheureusement, ce n'est pas de notre faute si les policiers arrêtent des innocents. 

Lucia pensait quand mêle avoir une part de responsabilité dans tout ça. 

- Mais ne perdons pas de temps, reprit Jérôme. Tu as tout lu ? 

- Oui. 

- Peux-tu me dire ce qu'est le chiffrement informatique ? 

- Alors, la cybersécurité, c'est comme un bouclier numérique qui protège les informations et les données des attaques extérieures. 

- Très bien. Ensuite ? 

- En fait, imagine que tes données sont un trésor enfermés dans un coffre-fort virtuel. Le chiffrement informatique, c'est comme la serrure sophistiquée de ce coffre-fort. Il transforme les informations en un code secret incompréhensible pour les personnes qui essaient de les intercepter. C'est comme écrire un message dans une langue secrète que seuls ceux qui ont la clé peuvent comprendre. 

- C'est exactement ça, tu expliques bien, remarqua Mareva. 

Elle ne faisait que réciter ce qu'elle avait lu. 

- Quel est le plan ? Demanda Lucia. 

- On veut débloquer la base de données du Cortex, la grande base qui contient toutes les informations sur le monde d'aujourd'hui et d'hier. Qui représente l'équivalent d'internet d'autrefois. Et on va le rendre public. 

- Sous quelle forme ? 

- Nous allons créer une intelligence artificielle. 

- Qu'est-ce que c'est ? demanda Lucia

Mareva lui expliqua : 

- Une intelligence artificielle, aussi appelée IA, c'est comme une sorte de cerveau numérique. C'est un programme informatique extrêmement avancé capable d'apprendre, de traiter des informations et de répondre à nos demandes. L'une des première IA développée a été ChatGPT, en tout cas la première IA à avoir connu un grand succès. Mais il faut former les IA, avec d'énormes quantités de texte pour comprendre et générer du langage de manière cohérente. Dans notre cas, nous allons créer une IA qui pourra accéder à la base de données du Cortex et en extraire les informations. Une fois que nous aurons ces informations, nous les partagerons avec le monde entier, mettant fin au monopole du gouvernement sur la connaissance et permettant à tous d'accéder librement à l'information.

- Impressionnant, dit Lucia. 

Mais une pensée restait en tête qu'elle posa à haute voix : 

- Et Léonor dans tout ça ?