Chapitre 2 - Sauvetage & soûlard

Gia et Azalaïs se sont rencontrées pour la première fois sur les planches d'un théâtre.

Sur scène, Gia, alors âgée de dix-neuf ans, jouait le rôle d'une courtisane folle amoureuse d'un soldat du royaume. Il bravait les trois océans contre les pirates, tandis qu'elle restait à la cour d'Alecia, à l'attendre et à refuser les tentations de l'amour.

Azalaïs, moitié moins âgée que son amie en devenir, n'était présente que pour vider les poches des spectateurs, et si chance il y avait, voler dans la caisse même de la troupe. La jeune orpheline survivait tant bien que mal. Quand elle ne mendiait pas, l'enfant vagabonde dérobait les passants inattentifs.

C'était le metteur en scène qui avait attrapé la petite Azalaïs la main dans le coffre. Il était partisan de lui raccourcir les bras afin de lui donner une bonne leçon, mais Gia s'était opposée à cet acte barbare. Accusée de complicité, sa sollicitude envers une voleuse lui avait coûté sa place dans la troupe.

Malgré la perte de son unique emploi, la jeune femme n'en voulait guère à Azalaïs. On comptait autant de théâtres que de forêts dans le royaume d'Alecia : "la terre des arbres".

C'est depuis ce jour qu'elle avait prit la petite fille sous son aile. Bien plus qu'une amie, Gia était la seule famille qui lui restait.

L'angoisse se transformant à chacun de ses pas en une fureur incontrôlable, Azalaïs bousculait quiconque se trouvait entre elle et Gia. Une fois l'escalier en colimaçon escaladé, elle courut vers la chambre de son amie, devant laquelle quelques clients s'agglutinaient.

– Dégagez de là ! siffla la jeune femme, son couteau à la main.

Elle joua des coudes pour progresser dans cette foule compacte. Quand son impatience sortit de sa gorge en un râle de rage, la jeune femme donna un violent coup de pied contre le dos devant elle. Le pauvre bougre qui reçut son courroux de plein fouet s'écrasa contre le lit en libérant le chemin.

Gia était immobilisée, les bras tordus, dans ceux du client qu'Azalaïs avait arnaqué plus tôt. Son corps nu, d'une beauté certaine, vacillait de peur derrière le tissu transparent qui ne le cachait pas. Ses larmes ruisselaient sur ses joues à mesure que le couteau s'enfonçait dans sa gorge. Un autre corps ensanglanté et sans vie au sol venait clôturer les détails macabres de ce tableau surréaliste. Cette scène à peine croyable constituait le quotidien des filles du Merlan-coquillé.

La jeune femme avançait, le pas sûr mais prudent. Elle se trouvait à présent à mi-chemin entre la porte et Gia, son petit couteau derrière son dos. D'une voix tranquille, Azalaïs engagea la discussion :

– Pose ton arme l'ami, et tout va bien se passer.

– C'est encore toi petite ?! Tu vas pas m'avoir une deuxième fois, c'est moi qui te l'dis !

– Tu veux quoi ? Pourquoi il est au sol celui-là ? Tu l'as tué ?

– Aye ! On me double pas moi...

Il avait dans son regard, cette chose que l'on retrouvait chez les ivrognes, des yeux vides et dangereux. Bien qu'il était plutôt bel homme - avec sa large cicatrice horizontale au milieu de son visage - , sa peau était rongée par l'alcool et le soleil. Ses cheveux noirs coulaient le long de sa figure, jusqu'à sa mâchoire carrée, touffue d'une barbe de pirate mal entretenue.

– Quand tu m'as dit qu'il m'avait doublé, ça m'a pas plu, non, continua-t-il. Alors je suis rentré et il a voulu jouer au plus fort et il a perdu.

– Si c'est juste ça, alors laisse la partir, elle n'a rien à voir là-dedans, précisa Azalaïs.

– Elle ? Oh non, je ne la laisserai pas partir, j'ai payé deux fois, alors j'en profiterai deux fois plus.

Il passa sa langue du cou jusqu'à l'oreille de Gia, puis fixa Azalaïs d'un regard narquois. Malgré la fréquence de ce genre d'incident et sa capacité à les gérer d'une main de maître, la jeune femme redoutait toujours le pire. Encore plus quand cela concernait son amie.

– Gia, commença-t-elle, tu me fais confiance ?

Elle acquiesça d'un léger geste de la tête et commença à retenir ses larmes.

– Tu comptes faire quoi petite ? demanda l'agresseur. Tu crois que j'ai peur de toi ?

– Maintenant ! cria Azalaïs.

Gia donna un violent coup de tête en arrière la dégageant quelque peu de l'emprise du soûlard. Pendant ce même temps, Azalaïs bondit aussi vite qu'elle put sur le lit et attrapa la main armée qui menaçait son amie. Elle lui tordit le poignet en un angle aigu et ce dernier lâcha le couteau aussitôt. Une fois la jeune femme dégagée, elle maîtrisa son assaillant dans une position de soumission.

– Ça fait quoi de se faire battre par une fille, mon ami ?

Azalaïs l'emmena hors de l'établissement sous les moqueries des clients amusés. Entre les applaudissements et les jets de bière - car on ne gâche pas le rhum -, le gaillard n'avait plus fière allure. D'un coup de botte dans l'arrière-train, il chut au sol, se mêlant au sable et à la végétation desséchée en une roulade ridicule. Il se releva tant bien que mal, il courut la queue entre les jambes et le pied boitant. Il lança un regard noir à la jeune femme avant de cracher par terre.

– Qu'est-ce qu'il s'est passé encore ? demanda Guillermo sortant de la taverne.

– Rien, rétorqua Azalaïs, revenant à l'intérieur.

– Tu crois aller où comme ça ? l'arrêta-t-il, d'une prise de main ferme.

– Je retourne au charbon.

– Nettoie-moi la chambre de l'autre catin, lui ordonna-t-il, je veux plus voir ce cadavre ce soir.

Guillermo n'avait aucun respect pour ses employées. Il ne les considérait même pas en tant que telles. Pour lui, ces filles n'étaient que de la chair remplaçable et bonne qu'à forniquer. Ce fut donc avec un goût amer que la jeune femme répondit :

– D'accord, patron.

Alors que Paca, l'autre serveuse, donnait les ustensiles de nettoyage à Azalaïs, Gia courait à travers la salle, toujours aussi peu vêtue. Le souffle court, la main plaquée sur son torse, sous les sifflements du public, elle s'arrêta devant la jeune fille.

– C'est une catastrophe Azalaïs ! s'exclama-t-elle.

– Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

– Le type de tout à l'heure, que tu viens de frapper.

– Oui ?

– Il a volé mon collier ! déclara-t-elle, en tapotant le bas de son coup. La seule fortune qu'il me reste !

– Et merde ! jura Azalaïs.

Elle se retourna et commença à cavaler à toute vitesse sur le sable chaud, bousculant par la même occasion ce chauve de Guillermo. Saoul comme il était, ce pirate ne pouvait aller bien loin !

Si jamais il parvenait à s'enfuir avec ce collier, Gia serait condamnée à travailler au Merlan-Coquillé pour le restant de ses jours.

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