HUMAIN.E


Petit texte écrit dans le cadre d'un concours, mais comme j'ai perdu je peux vous le poster mdrrr. Il y avait une limite de 10 000 caractères, d'où le fait qu'il soit aussi court. Et c'était un concours Edilivre en partenariat avec Le Refuge (j'avais parlé de cette association à la fin de Shooting Stars) , il fallait donc écrire quelque chose ayant un rapport avec la cause LGBT ! Bonne lecture. x


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Il est vingt heures.

Nuit noire sur le trottoir glissant de pluie.

Je marche en évitant les flaques, les yeux rivés sur le sol, doigts crispés autour du parapluie. Un réverbère au loin fait un tâche de lumière jaune sur la rue.

Ils sont dessous.

La peur légère tombe lourde sur mon ventre. Il l'écrase.

Je marche encore. Je ne veux pas m'arrêter.

Ils sont trois.

Toujours les mêmes.

Je sais exactement ce qu'il va se passer, la même chose que depuis des mois.

Des regards insistants. Des ricanements.

Je vais changer de trottoir, en faisant semblant de ne rien voir. La sueur dans le bas du dos, malgré le froid. Ils vont m'appeler. D'abord doucement, et puis plus fort. En gueulant. Alors je vais accélérer le pas. Et peut-être qu'ils me suivront. Jusqu'au hall de l'immeuble. Jusqu'à l'ascenseur. En posant leurs mains sur mes épaules, et en me disant que je suis immonde, que je devrais avoir honte, que je ne suis pas normal.

Toutes ces choses qui rentrent dans ma tête et qui n'en sortent pas.

Mon pas se fait plus lent à mesure que j'approche. Ce soir, j'ai décidé d'être courageux. De ne pas dévier de trajectoire. Ce soir, je veux leur montrer que je suis plus fort, que ce sont eux qui me dégoûtent et qu'ils devraient avoir honte.

Je respire profondément, en pensant à Franck il y a une heure qui m'a regardé dans les yeux en me disant de ne plus baisser la tête, en me disant « tu existes et tu as le droit d'être qui tu veux et jamais cela ne fera de toi quelqu'un de moins bien qu'un autre, jamais ». Je ne veux pas les laisser gagner.

Les talons de mes boots résonnent sur le goudron. Ils sont là. L'air surpris que j'ose les affronter de face, pour la première fois.

Mes yeux dans les leurs et dans ma tête je leur dis que ce sont eux les monstres. Que si j'étais quelqu'un de violent, il y a longtemps que je leur aurais enfoncé mon poing dans le ventre, pour qu'ils sachent la douleur de la peur qui ne part jamais.

Mais je reste silencieux.

Ils sont trois. Ils fument. Et quand je passe devant eux, invariablement, ils ricanent.

Ce soir aussi.

Mais plus fort.

Près de mon oreille.

Et puis il y en a un qui attrape mon bras. Me tire en arrière. J'entends mon sang battre dans mes oreilles, mais je suis incapable de prononcer un mot, englué dans une terreur sans nom. Parce qu'ils ont toute cette haine dans les yeux, une haine que je ne comprends pas et finalement je ne suis pas courageux, j'ai même peur de me battre.

Je suis peut-être vraiment une tapette.

Ils me coincent contre le mur. Je ferme les yeux.

Le premier coup dans ma joue. Ma mâchoire craque et j'ai du sang dans la bouche. Je crache en pleurant.

Ils me disent tous ces mots qui font mal, qui s'incrustent sous la peau et la ronge jusqu'à tout détruire, faire tout exploser, et l'estomac et les os et le cœur. Ils me disent tous ces mots et moi j'ai cette envie grandissante de disparaître, de me fondre dans le mur froid, de n'avoir jamais existé.

Ils me laissent là.

Sur le trottoir, sous la pluie.

Lumière jaune qui éclaire mon corps recroquevillé, secoué de sanglots.

Le sang dans la bouche au goût métallique.

Je me hais. Tellement.

J'ai leurs mots qui tournent dans la tête et qui brûlent, qui me donnent envie d'hurler.

Longtemps.

Je déteste le monde entier. Moi. Franck et ses jolis mots invisibles face à la réalité. Mon corps pas comme il faut. Eux.

Le silence, obsédant, partout autour de moi.

La pluie qui s'étale doucement.

Mes vêtements collés à ma peau.

Je suis incapable de me relever.

Ce n'est pas de la douleur physique, c'est un terrassement, l'envie d'en finir pour de bon, parce que je n'ai plus la force d'avoir mal encore. Je n'en peux plus.

Je ferme les yeux.

Le temps s'étire.

Un bruit de pas.

Au fond de la rue, qui remonte jusqu'à moi.

La pluie a cessé de tomber, et la lumière du lampadaire grésille.

Quelqu'un se penche au-dessus de moi.

-Vous m'entendez ?

Je ne réponds pas.

Des mains me retournent. L'inconnu murmure quelque chose que je ne comprends pas. Il faut que j'ouvre les yeux et la bouche mais je ne veux plus qu'un être humain me regarde et me parle. Alors je le laisse faire. Il m'enroule dans sa veste et me prends dans ses bras.

Il court, je ne sais pas où. Je m'en fous. J'entends juste le bruit de sa respiration dans sa poitrine. C'est suffisant.

*

Il est assis face à moi, sur la table basse. La nuit a tout avalé autour de nous. Il m'a emmené chez lui, déposé sur son canapé, donné une couverture et maintenant il me pose des questions tout en nettoyant ma bouche meurtrie avec un morceau de coton et de l'alcool qui pique.

-Combien de fois ?

-Je ne sais pas... Jamais à ce point.

-Tu les connais ?

-Non. Juste de vue.

Il hoche lentement la tête.

C'est mon voisin du dessus. A qui je n'avais jamais parlé avant ce soir. Et maintenant je suis là, les doigts encore tremblants autour du verre de jus d'orange qu'il m'a servi et la peur qui gémit toujours dans mon ventre, comme un océan en colère.

Il m'interroge, inlassable, l'air froid et distant. Je le devine : monstrueusement en colère.

-Ils vivent dans le quartier ?

-Oui. Ils étaient dans mon lycée.

-Et au lycée, ils t'emmerdaient aussi ?

Je ne réponds pas. C'est difficile. Je ne le connais pas. Il m'a juste tendu la main parce que je chialais comme une merde allongé la rue, la lèvre fendue pleine de sang et ma joue qui virait au violet.

Il repose le coton avec lequel il soignait ma bouche. Ses yeux sont d'un bleu nuit profond et il me regarde et pour la première fois de ma vie j'ai l'impression qu'un être humain se soucie de moi. S'inquiète vraiment. Et... Je crois que ça me fait du bien. Il a la même façon de parler que Franck, en ayant l'air de penser que ceux qui m'ont fait ça sont vraiment des monstres.

Encore plus quand il vient s'asseoir à mon côté, et qu'il pose doucement sa main sur ma cuisse.

-Pourquoi ?

Son odeur de tabac m'envahit comme dans un nuage.

Pourquoi ? Qu'est-ce que j'en sais moi ? Parce que je suis différent, depuis toujours. Parce qu'au lycée je me suis mis à porter des fringues de garçon tous les jours, à compresser ma poitrine pour qu'elle disparaisse tout à fait, à demander du bout des lèvres, un peu timidement au début, à ce qu'on m'appelle Louis et plus Louise. Parce que j'ai osé et parce que je me suis senti heureux de le faire. Parce qu'ils sont cons.

Comme je ne réponds pas, il n'insiste pas. Il se contente de me regarder lentement et puis il soupire et secoue la tête, l'air désolé.

-Je n'arrive pas à réaliser et juste... A comprendre. Ils t'en veulent pour quelque chose, ces mecs ?

-Non... Je crois que c'est juste parce que je suis moi.

Il hausse un sourcil et se mordille la lèvre. Je sais qu'il voudrait me poser la question, mais il n'ose pas vraiment et sa réserve me rassure. Du bout des lèvres, dans un murmure timide, il finit par demander :

-C'est quoi « toi » ?

Je voudrais lui dire que c'est tellement de choses, moi. Des choses contradictoires parfois, qui s'opposent et qui font des étincelles brûlantes au sein de mon propre corps. Moi c'est Louise, depuis longtemps, et moi c'est aussi Louis, depuis peu. Et Louis a encore du mal face aux regards des autres, et parfois Louis est obligé de redevenir Louise pour un instant, un repas de famille, mais ce n'est pas grave parce que j'ai tout mon temps pour être vraiment moi, pour me trouver mon identité, avoir du courage, affronter les connards. J'ai toute la vie.

Alors comme je ne sais pas comment lui expliquer tout ça, je hausse les épaules et je dis :

-Ce corps-là.

Pendant quelques secondes, il n'a pas l'air de comprendre et puis il finit par sourire.

-D'accord.

Son regard se pose sur le médaillon autour de mon cou, et machinalement il tend la main. Je le vois déchiffrer mon prénom gravé au milieu.

Il relève les yeux vers moi. Je ne sais pas s'il est étonné, parce qu'il n'en laisse rien paraître.

-Louise.

-Louis. Aujourd'hui, c'est Louis.

Il hoche la tête. Laisse retomber le médaillon dans le creux de mon cou. J'attends qu'il se lève, qu'il ait l'air embarassé puis qu'il me dise gentimment de partir de chez lui mais il se contente de me sourire à nouveau et de dire :

-Moi c'est Malo. Tu veux manger quelque chose, Louis ?

*

Je retourne chez Malo ensuite, souvent.

Les trois garçons sous le réverbère ne sont plus là, jamais. Je ne sais pas pourquoi. Mais Malo lui, l'est toujours. Il m'attend dans la rue le soir quand je rentre du travail et il me tient la main jusqu'à mon appartement.

Petit à petit, je lui fais confiance.

Il m'apprend.

Mon âme, mon corps. Toutes les choses qui sont en moi et que j'ai du mal à comprendre, mais que je veux aimer.

Parfois, je ne me sens ni femme, ni homme, alors Malo m'appelle « Lou ». Il y a des matins où je porte des robes en étant Louis. Ca n'a aucune importance. Malo m'aime dans toutes mes peaux. Je ne baisse plus la tête, je n'ai presque plus peur.

Ca disparaît, doucement.

Grâce à lui, beaucoup, et puis à moi qui grandit, qui m'accepte de plus en plus.

Au monde aussi, j'ai envie d'y croire. Au monde qui change.

Et je sais qu'il y aura toujours des regards, des chuchotements sur mon passage. Mais il y aussi des gens qui me sourient dans la rue, qui viennent me voir et me disent qu'ils me trouvent beau ou belle ou les deux à la fois.

Qui me trouvent humain.

C'est le plus important.

Etre humain.

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