Elle


La lumière est comme verte. Elle éclaire une chambre, minuscule, vide. Juste un lit au milieu. On ne voit que ce lit, les deux personnes à l'intérieur. Il y a un homme et une femme. La femme a sa tête posée sur la poitrine de l'homme, les seins nus, la peau brillante d'une sueur éparse. Elle a l'air plus jeune que lui, dans la lumière verte. Elle a un visage comme on en voit peu, comme on ne sait pas les nommer, un visage d'une tristesse amoureuse qu'on ne saura jamais guérir. L'homme fume. Lui aussi à l'air triste, mais d'une autre manière, c'est de la colère qu'il y a dans sa tristesse à lui. On fixe longtemps leurs visages, et puis la bouche de la femme se met à parler.

-Ce n'est pas de ma faute. Est-ce que ça l'est ?

-Racontez.

-Je ne veux pas vous embêter. Je veux dire... C'est toujours à vous que j'en parle. Vous ne devez certainement pas avoir envie d'écouter.

-J'adore votre voix. Et je n'ai rien à faire. Racontez.

La femme est toujours sur la poitrine de l'homme, mais on se rend compte que ce geste n'a rien d'intime. Elle est allongée sur lui comme elle pourrait l'être sur n'importe qui. Elle attend un peu, et puis reprend :

-Elle est partie ce matin. Elle a dit qu'elle ne reviendrait plus. A dit « c'est fini », très exactement. Vous savez ce matin il pleuvait et quand je l'ai vu fuir, j'ai pensé aux films que vous faites. C'aurait été une très belle scène.

-Vous avez pleuré ?

-Beaucoup. Si ce n'était pas pour vous, je ne serais pas venu.

-Elle a dit pourquoi ? Pourquoi elle partait ?

-Pour... Non. Je ne sais pas. Autre chose. Autre chose que moi. Quelque chose... De mieux. Je crois.

-Mais clairement ?

-Clairement ? Oh, non. Elle n'a rien dit vous savez. Elle ne dit jamais rien de toute façon. Pas des choses comme ça.

-Des choses comment ?

-Des choses tristes. Des choses de la vie qui font mal.

-C'est étrange. Elle était peut-être jalouse ?

-Elle déteste mon travail, c'est sûr. Elle veut que je change. Elle le dit souvent. Mais moi, je n'ai toujours fait que ça, et quelque fois... je suis lasse mais ne peux pas me résoudre à arrêter. J'ai peur, vous comprenez ?

-Je vous trouve courageuse.

-Oh non. Je suis... plutôt à éviter.

La femme rit un peu. L'homme a toujours le même air grave, mais sans colère. Elle tend la main. Il dépose sa cigarette entre ses doigts. Elle fume en racontant encore.

-Elle faisait aussi ça avant. Mais il y a longtemps. Trois ans je crois. Quand je l'ai rencontré, elle ne le faisait déjà plus, alors elle me dit tout le temps que c'est possible d'arrêter. Elle dit aussi que je ne fais pas d'efforts.

-C'est vrai ?

-C'est vrai. Je l'aime, mais n'y arrive pas. Je n'ai pas sa force. Je ne suis pas comme. C'est ce qu'elle a du mal à comprendre. Ce n'est pas que je ne l'aime pas assez pour ça, je crois que même que ça n'a rien à avoir, c'est juste que j'ai peur et mal en ventre en imaginant arrêter. Ca me terrifie.

-C'est en vous.

-Oui. C'est ça. C'est en moi. Une partie de moi qui se dit que je ne peux cesser d'être autre chose qu'une pute. Il faut croire que j'aime coucher avec des inconnus contre quelques billets. Ne le prenez pas mal. Vous n'êtes pas comme tous les autres. Je crois même que je pourrais coucher avec vous gratuitement. Pas par plaisir, mais comme une amie. Quelque chose comme ça.

L'homme ne dit rien. Mais il l'a repousse un peu. Elle retourne sur son oreille, sourire aux lèvres.

-Ne dites pas ça. Ne dites pas que vous êtes une pute.

-Pourquoi ? Vous avez honte de me toucher ?

-Vous vous dénigrez.

-Je suis réaliste. Je n'ai pas de problème avec ça.

L'homme regarde la femme. Son profil. Ses seins qu'il pressait entre ses mains tout à l'heure. Son ventre nu. Elle est belle. Il ne le dira pas, mais elle est belle. Il pense à la femme qu'elle aime et qui est partie ce matin. Il demande :

-Comment c'est, de faire l'amour avec elle ?

La femme sourit. Elle ferme légèrement les yeux. Plus elle parle, plus sa voix est lente et basse et plus l'homme l'a désire sans oser la toucher.

-Oh, c'est différent d'avec vous. Meilleur, je ne sais pas. Différent. Quand elle me touche, je sais qu'elle m'aime. Que ça a un sens. Ses mains, sa bouche. Tout...

L'homme regarde la femme parler et il pense qu'il est amoureux d'elle et que cet amour là va le dévorer. Il se lève en silence. Il récupère ses affaires, se rhabille. La femme parle encore.

-Quand je ferme les yeux, j'ai son corps à l'infini sous les paupières et si vous pouviez voir comme elle est belle et lumineuse, rien à voir avec le monde entier.

-Je vais partir.

-Comment ? Déjà ?

-Oui.

L'homme est habille avec un costume sombre. Il sort des billets de sa poche, les pose sur la couverture. L femme ne se rend pas compte qu'il est triste. Ou peut-être qu'elle le sait mais ne dit simplement rien.

-Merci.

-Qu'est-ce que vous allez faire ?

-Oh... Je ne sais pas. Rester là. Dormir un peu. Penser à elle.

L'homme tourne la tête vers la porte. Il est malheureux. Il demande encore.

-Quand nous avons fait l'amour, vous pensiez à elle ?

-Bien sûr. Vos lèvres sur mes seins, c'était les siennes. Votre dos le long de mes paumes. La douceur de vos cheveux. Vos doigts caressant mon sexe. Vous entier. C'était elle.

L'homme regarde la femme, la tristesse dans ses yeux, le souvenir comme une douleur impensable. Il sourit un peu.

-Vous n'allez rien faire pour la rattraper, n'est-ce pas ?

-Je ne sais pas. Peut-être un autre jour. Quand le soleil se couchera plus tard.

Un silence. Elle ajoute, se relevant un peu.

-Vous revenez la semaine prochaine ?

-Oui, toujours.

-Alors, je vais attendre. Vous êtes un peu elle maintenant.

Fin.

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