é c r i r e
- Je n'arrive plus à écrire.
Il est assis devant la caméra. Mal à l'aise. Mains entre ses cuisses serrées. Il avale sa salive, fixe le point rouge au dessus de l'appareil. Sa propre voix résonne dans la pièce et lui semble absolument ridicule. Mais il se force quand même, parce qu'il en a besoin. Il répète :
- Je n'arrive plus à écrire. Je ne sais pas pourquoi... Je crois que j'ai peur de quelque chose en moi que j'ignore. Je crois que j'ai peur de... De ne plus savoir. D'avoir écrit déjà trop de mots et d'être arrivé au bout de quelque chose.
Il respire longuement. Ses lèvres tremblent un peu. C'est tellement con de parler tout seul et de se filmer, il ne sait même pas pourquoi il fait ça, c'est tellement con, mais il a l'impression que son visage sur l'écran le comprend et lui répond, en quelque sorte. Il a envie de se lever, d'éteindre le film et de le supprimer mais il se force encore, c'est plus fort que lui, il faut parler.
- Il y a ce livre déjà, sur mon étagère. Je n'arrête pas de le regarder et de me dire : c'est le mien. Ce sont mes mots. Ils sont là, sur le papier, noirs et je les aime je crois, quand je les lis c'est l'impression que j'ai, de l'amour. Et en même temps ils me font peur, en même temps je ne me souviens pas d'eux, des histoires qu'ils voulaient raconter. Des gens lisent ce livre. Des inconnus. Et des proches. Des gens de tous les jours et des gens du passé. J'ai peur d'eux. De leurs regards sur moi, de leurs questions. Parfois, je déteste le livre. Je me déteste de l'avoir écrit, d'avoir écrit cette histoire là en particulier. Je me déteste d'écrire des choses si tristes et de l'être si peu, en réalité. Je... Je ne sais plus. C'est difficile. J'ai envie d'écrire, j'ai terriblement, terriblement envie d'écrire et en même temps je ne sais plus quoi écrire. J'ignore si j'en ai encore le droit. J'ignore si j'en suis encore capable. J'ai peur que ce ne soit plus le cas. J'ai peur d'avoir tout épuisé. J'ai peur que les regards des autres m'empêchent maintenant de jeter des mots noirs et coupants sur les pages, j'ai peur qu'ils m'enferment dans une lumière trop douce, qui ne m'appartient pas. J'ai peur de tout, c'est fatiguant, c'est...
Il baisse les yeux. Sa bouche est sèche d'avoir trop parlé. Son coeur bat dans sa poitrine. Il se sent à nouveau con, tout seul, les joues rouges, les yeux brillants. Merde alors. Il se lève brusquement, attrape l'appareil photo. Ses doigts tremblent. Il arrête le film, respire longuement en fixant le drap du lit.
Il supprime le fichier.
C'est idiot, ça ne sert à rien, et il ne se sent pas mieux maintenant.
*
*
*
Harry aimerait bien que quelqu'un comprenne. Que quelqu'un lise dans ses yeux que ça ne va pas. Que ça ne va pas du tout.
Mais les gens ne le regardent pas. Dans le métro, tout le monde est serré et tout le monde s'ignore.
Il a une boule dans la gorge depuis une semaine, c'est fatiguant, tout, absolument tout, l'impression de lutter pour sourire et de s'enfoncer dans le noir. Il sort de la rame, les gens poussent et ne s'excusent pas, les gens sont cons et lui rêve de partir, de s'éloigner, de n'avoir plus besoin de parler à quiconque, d'être seul sur une île déserte, ou dans le trou d'un volcan, d'exploser, de se répandre, de n'être absolument plus rien. Il s'arrête quelques secondes dans le couloir du métro, pour refaire son lacet. Tous ses mouvements lui semblent insupportablement lents, mais il se promène avec une étrange envie de vomir depuis ce matin, ce n'est pas très agréable. Il se relève, remet son sac correctement sur ses épaules. Quelques minutes encore et il pourra s'enfouir dans la chaleur de son lit, avant il n'attendait que ça, le Graal, le moment de grâce de sa journée, et maintenant même plus, maintenant le silence de son appartement l'insupporte, maintenant il étouffe dans sa couette.
C'est stupide. Il n'a aucune raison d'être triste.
Il monte l'escalier en retenant sa respiration. Il y a toujours une odeur de pisse à cet endroit, et il déteste ça. En haut, près d'un distributeur de bouteille d'eau, un adolescent est en train de jouer une mélodie sur un piano portatif. Harry s'arrête. Il y a un courant d'air mais tant pis, il aime bien les artistes de rue, ça le rend heureux. Le garçon a les côtés du crâne rasé de près, et un piercing au milieu de la lèvre. Harry le trouve beau. Sa coiffure lui rappelle celle de Cillian Murphy dans Peaky Blinders. Mais son visage est plus doux, presque rêveur. Et en même temps terriblement concentré, tout entier pénétré par la musique.
Ce qu'il joue est étrange. Harry ne sait pas s'il aime. D'ailleurs, les gens passent rapidement, sans vraiment s'arrêter. Ils haussent des sourcils dubitatifs ou font la grimace. Harry est tout seul face au garçon, à écouter. Les sons sont très électroniques et parfois aussi lents et profonds qu'une Nocturne de Chopin. Le mélange est étrange. Mélancoliques, agressifs, lunaires, violentes, les notes se succèdent, s'enroulent autour du corps du garçon, le font vibrer des pieds à la tête. Il ferme les yeux, les ouvrent, ses mains glissent comme des mygales sur les touches du piano, puis se déroulent à l'envers, se lèvent, semblent danser un ballet inégal sur l'instrument. Harry n'arrive plus à repartir, hypnotisé par cette musique qui semble tout dire et ne rien dire à la fois. Hypnotisé par le visage de l'adolescent, par les traits coupants de sa mâchoire et la rondeur de son nez.
Il écoute jusqu'à la fin, jusqu'à ce que les notes meurent d'un seul coup, comme tombantes d'une falaise, après avoir couru sans fin et dans le noir. Les mains du garçon tombent elles aussi, contre ses hanches, et il se recule un peu pour pouvoir s'adosser au mur. Il a l'air épuisé. Il ferme les yeux. Harry hésite et puis s'avance.
Planté devant le piano, il ne sait pas quoi dire.
Son coeur bat la chamade.
L'adolescent ouvre à nouveau les yeux, et les plantent dans ceux d'Harry. Ils sont très bleus, très beaux. Ils lui sourient. Harry n'avait jamais vu un regard comme ça, qui pouvait sourire. Il ne savait même pas que ça existait.
- Salut.
Il ouvre la bouche. Salut. Ça paraît dérisoire. Il voudrait dire quelque chose d'intéressant, mais il ne trouve pas ses mots, c'est le problème décidément. Alors il murmure aussi : salut. Le garçon dit, je suis Louis, et toi ? Harry donne son prénom à son tour. Louis le remercie de l'avoir écouté. Il a l'air d'attendre quelque chose et Harry comprend soudain. Il fouille dans son sac et lui donne de l'argent, tout ce qu'il avait sur lui. 10 euros. Louis écarquille les yeux. Il le remercie chaleureusement. C'est beaucoup. Harry hausse les épaules. C'est peu par rapport à ce que la musique lui a fait ressentir. Il aimerait le dire à Louis, mais décidément, non, les mots ne passent pas.
Harry n'a jamais su réellement s'exprimer. Mais écrire, ça oui, il sait. Du moins, il savait.
Il remercie Louis encore une fois et rentre chez lui, presque en courant.
Dans son lit, il sort son carnet et le noircit.
Enfin.
_ _ _
Je ne sais pas si ce texte aura une suite ou pas du tout, si ce sont juste des mots lancés comme ça, parce que j'en avais besoin.
Je meurs d'envie de vous poster le début de mon OS (qui ressemble plutôt un petite fiction vu sa taille pour le moment...) mais comme j'écris trèèèès lentement en ce moment je me dis que ce n'est pas terrible pour vous d'avoir un début et de devoir ensuite attendre quelques semaines pour la suite ?
Dites-moi ce que vous en pensez !
Bonne fin de dimanche (snif). x
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