Chapitre 1 : Panne de neige

« Panne de neige, on est dans une putain de panne de neige, là ! Comment on va faire, hein ? Explique-moi comment on va faire ! J'arrive pas à croire qu'on soit coincés là, alors qu'on devait arriver à Gjengrhas avant le soir... Et merci qui ? Merci, Semmy ! Bravo, Semmy !
Est-ce que tu comprends ce que ça signifie pour nous, au moins ?
Bordel, Semmy, je ne t'ai demandé que ça : vérifier que le moteur chauffe pas trop pendant que je dormais. Et t'as pas été foutu de le faire ! C'était pas grand-chose, pourtant. Tu savais que j'avais besoin de dormir.
Je m'étais occupé de tout, Semmy, de tout. Mais t'étais décidé à tout faire foirer, hein ? Tu veux nous faire tuer, c'est ça ? »

Luka donna un grand coup de pied à la moto, fou de rage. Semmy baissa la tête sans répondre, frissonnant. Son frère et lui étaient les seuls êtres vivants dans cette immensité vide et blanche, où le froid seul se faisait compagnon des voyageurs égarés ou trop téméraires, sous le ciel noir et bas, chargé de cendres.

Luka s'accroupit et gratta le sol neigeux. A une dizaine de centimètres de la surface poudreuse et immaculée, se dessinaient de longues traînées noires et toxiques, veines du sol souillé.
L'homme se redressa en jurant, les mains déjà rouges et gonflées. Il les agita devant le nez de son frère cadet : « Y a assez de poison dans le sol pour crever un cheval. »

Semmy, toujours silencieux, sortit de la moto-neige une mallette de soins. Il en tira un contrepoison et l'injecta dans le poignet tendu de son aîné. Luka reprit : « Saloperie de Zone Noire ! La nuit va tomber, Semmy, et on est bloqués ici. Préparer de la neige propre prend des heures et les Mordeurs ne tarderont pas à arriver. »

Il frotta énergiquement ses mains et ses avant-bras pour aider la circulation du sérum dans son sang.

Semmy retira le masque qui couvrait sa bouche et son nez. Il sortit un paquet de sa poche et se mit à fumer, l'extrémité de sa cigarette rougeoyant au milieu de leur monde noir et blanc, froid et mort, de fumée et de silence.

Ce retard et cette immobilité forcée pouvaient leur coûter la vie. Peu osaient s'aventurer dans la Zone Noire, et plus rares encore étaient ceux qui survivaient. Même les convoyeurs faisaient le trajet le plus rapidement possible, en priant pour rejoindre la ville avant la nuit.

Luka soupira et se dirigea vers l'arrière de la machine dont il sortit deux caisses.

Avec ses énormes lunettes cerclées de cuivre et de caoutchouc, son manteau de fourrure dont les plis voletaient autour de lui, il ressemblait à une gigantesque chauve-souris.

Semmy masqua un sourire et ouvrit le plus petit des deux coffres. Il étala le matériel sur le sol, choisit un alambic et alluma le réchaud, tassant déjà la neige toxique.

Ses gestes étaient sûrs et Lukas consentit à s'éloigner, un peu hésitant, pour coucher la moto devant eux, en guise de protection.
La machine effondrée semblait un monstre venu des âges anciens, chargé de les protéger.

Au loin, on entendait déjà des hurlements sourds, portés par le vent.

Les Mordeurs approchaient.

Luka fit sauter la couvercle de l'autre boîte et renversa son contenu sur le sol. Les armes se répandirent sur la couverture qu'il avait étalée.

« J'en suis à espérer que je me ferai engueuler pour avoir ouvert les caisses ! »

Il choisit deux fusils aux reflets cuivrés, au canon fin et les cassa en deux pour les remplir de cartouches.

Les deux frères s'activèrent ainsi un moment sans un mot, avec la concentration inquiète des soldats qui se préparent à affronter l'ennemi.

Les Mordeurs. Ces bêtes féroces et sauvages.

Une race relativement récente, qu'on disait issue de mutations, de croisements entre l'homme et le loup, échappée des laboratoires avant la Catastrophe.

Ils restaient très mystérieux. 

Nul ne savait comment ils pouvaient survivre dans la Zone Noire, où aucune espèce ne subsistait jamais. 
Nul ne savait où ils vivaient ni pourquoi ils chassaient seulement la nuit.

Mais tous connaissaient leur dangerosité .

Semmy se redressa. Le réchaud jetait des flammes violettes. La neige dans le récipient posé au-dessus commençait déjà à changer de forme.

Luka lui tendit à la fois alcool et arme.

Toute colère semblait l'avoir quitté.

L'horizon était bas et noir, mais la nuit se refusait à tomber. De longues traînées pourpres déchiraient encore les nuages de cendre.

Il n'y avait plus rien à faire qu'attendre, à présent.

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