Prologue

« Cette histoire est celle de l'affrontement qui opposa jadis les dieux de l'Ennéade à Apophis, le destructeur. Elle commença dans les flammes et se termina dans le sang et les larmes. Apophis, l'incarnation du Mal sur Terre, était aussi puissant que déchaîné. Il s'adonnait à faire régner le chaos dont il se nourrissait pour être plus fort encore. En un mot, il était le mal incarné. Né de la rancœur du Monde, Apophis n'avait qu'un but en tête ; détruire ce que l'Ennéade avait créé de plus précieux.

La Vie, dans toutes ses formes.

Apophis massacra les animaux, terrassa les végétaux et extermina les hommes. Sur son passage ne restait que la terre et la poussière, souillée de pourpre. Son acharnement à réduire à néant la vie força l'Ennéade à descendre sur Terre pour l'arrêter. Débuta alors un affrontement qui marqua à jamais l'histoire de l'Égypte.

Apophis était un adversaire féroce, et seuls les dieux pouvaient lui tenir tête. Leur affrontement dura des jours. La Terre se gorgea de sang, l'air se satura de cris, et les ruisseaux débordèrent, peu à peu inondés de larmes. La colère des dieux se confrontait à celle du Mal originel dans une explosion de puissance.

Le Nil était déjà présent lors de cet affrontement antique. Il était aux côtés des dieux de l'Ennéade pour défendre la terre d'Égypte. Si Apophis était le destructeur, le Nil incarnait le rôle du protecteur. Il n'était pas une divinité comme Osiris ou Thot, mais il était l'une des forces de la Nature primaire. Il appartenait à l'équilibre des forces, et cela impliquait qu'il devait le maintenir. Alors, à leurs tours, ils s'affrontèrent dans un combat d'une terrible rage. La force du Nil, couplée à celle de l'Ennéade, finit par payer et Apophis fut vaincu. Son corps de serpent immense et aussi sombre que la rancune qui l'avait vu naître fut traîné jusque dans l'autre Monde. Ce n'était ni le monde des mortels, ni celui des morts, pas même celui des dieux. C'était simplement le Monde. Celui qui les reliait tous.

Celui des élus.

Ce fut Osiris, en qualité de roi des dieux, qui décida du sort du vaincu. Pour lui, le Dieu des dieux ne vit qu'une possibilité ; la prison éternelle. Apophis devait être scellé pour ne plus pouvoir faire régner le malheur sur Terre. En tant que divinité, Apophis ne pouvait être tué, c'est pourquoi Osiris se résigna à l'enfermer dans le temple du pardon, lors d'une cérémonie sacrée qui réunit tous les dieux de l'Ennéade et les forces primaires de la Nature. À ce moment-là aussi, le Nil était présent. Il assista, aux côtés des divinités, à la façon dont le corps d'Apophis le destructeur fut transpercé de chaînes sacrées, puis scellé au fond du temple. Mais juste avant que le vaincu ne soit envoyé dans son tombeau, sa voix résonna une dernière fois comme une sinistre promesse.

« Je reviendrais. »

À la suite de l'emprisonnement d'Apophis, l'ordre put reprendre sa place et renverser le chaos. La Nature se réappropria la Terre, et la Vie put renaître. Mais cela avait un prix. Les dieux de l'Ennéade ne s'en étaient pas sortis sans blessures. L'affrontement contre Apophis les avait affaiblis. Le Nil aussi avait subi de lourds dégâts. Mais ils s'étaient tous battus bravement au nom de la Vie, et pour protéger leurs fils ; les Hommes. L'Ennéade et le Nil les observèrent évoluer sur la Terre avec fierté.

Cependant, cette douce fierté se transforma bientôt en dégoût, puis en colère. Voici que sous leurs yeux, leurs propres enfants se détournaient du Bien. D'abord, imperceptiblement, certains de leurs fils se rapprochèrent du Mal et de ses forces obscures. Ces quelques déviants devinrent bientôt des dizaines, puis des centaines. L'équilibre naturel de l'ombre et de la lumière s'effrita de nouveau. Le Nil voyait le sang se mêler aux larmes. Il observait les lames trancher la chair, les haches briser les crânes, et le poison corrompre un peu plus chaque jour leurs fils. La luxure et l'envie étaient en train de pervertir chacun de leurs enfants comme un virus.

- « Ce sont les effets de l'aura d'Apophis, avait expliqué Thot, le dieu scribe, lors d'une réunion de l'Ennéade. Même scellé, Apophis regagne sa puissance un peu plus chaque jour. Son aura s'échappe du temple du pardon et se répand dans l'air et dans l'eau. Sa simple présence suffit à corrompre les Hommes les plus faibles.

- Que peut-on faire ? avait demandé Isis, la femme d'Osiris.

- Nous devrions punir nous-même les corrompus, fit valoir Sekhmet, la déesse à tête de lionne.

- Nous n'avons pas à intervenir directement auprès des mortels, rappela Set, dieu du chaos.

- Nous ne ferons rien, avait finalement cinglé Osiris. Nous avons risqué nos vies pour sauver nos fils. S'ils décident de se détourner de la voix de la raison, qu'il en soit ainsi. Nous n'observerons pas leur chute, et nous ne les observerons plus du tout. Nous allons nous endormir, jusqu'à ce qu'ils soient redevenus assez purs pour nous réveiller. Nous verrons si cela arrive un jour, ou s'il faudra attendre leur mort à tous. »

Et sans une parole de plus, le Nil avait observé Osiris et les dieux de l'Ennéade s'en aller au sommeil.

- « Osiris a parlé, avait constaté Thot avant de s'endormir. Nil, l'interpella-t-il. Va t'endormir sur Terre. Il faut que l'un de nous reste au plus près de nos fils pour les surveiller. Tu restes le protecteur, ta place est auprès d'eux. Tu seras le premier à te réveiller si la présence d'un être pur se manifeste en Egypte. Ton rôle sera de le guider pour ramener l'ordre et le Bien sur Terre. En attendant, je nous souhaite un bon sommeil à tous. »

Thot s'en alla rejoindre les autres dieux de l'Ennéade, et le Nil s'en retourna sur Terre. Il s'allongea dans son lit et s'endormit. Une dernière pensée traversa néanmoins son esprit avant de s'endormir. Il se demanda combien de temps il faudrait pour qu'une âme assez pure foule de nouveaux le sable d'Egypte. Aussi puissant qu'il fût, il ne pouvait pas le dire. Il ne pouvait qu'attendre, méditer et attendre.

Il s'endormit. »

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L'an 1340 avant Jésus Christ, quelque part en Égypte antique.

Le ciel avait revêtu son habit obscur, plongeant l'Egypte dans une nuit sombre. Le désert n'était plus qu'une marée noire qui s'étendait à l'infini. Le Soleil avait laissé sa place à la Lune, cachée derrière d'épais nuages. Dans ce monde d'obscurité, la Vie continuait. Le vent soufflait et chassait les nuages. Les grains de sable roulaient sur les dunes. Les petits animaux courraient ou volaient. Partout, la Vie continuait de se mouvoir, même imperceptiblement, même dans la pénombre.

Derrière les nuages, la Lune se découvrit enfin. Sa lumière inonda le désert et suspendit le temps. Lézards et oiseaux levèrent la tête vers le Lune comme un seul être. Le temps d'une respiration, l'activité du désert se stoppa. Puis, de nouveaux nuages prirent la suite des précédents et renvoyèrent la Lune dans son intimité. Les souffles se relâchèrent et le temps reprit son cours. Ce bref répit s'évanouit dans le vent. La course reprenait.

Au centre du désert, six silhouettes foulaient les grains de sable des dunes. Elles étaient enveloppées dans de chaudes capes pour se protéger du froid mordant de la nuit. Mais ni le froid, ni le danger ne sauraient les faire flancher. Ces six Hommes marchaient comme un seul en suivant celle qui les menait. Ensemble, ils formaient le groupe des élus. Ils étaient braves, et courageux. Ils étaient les fils et les filles de Thot, et à leur tête se tenait l'unique parmi les uniques ; Néferti, l'ombre du Jour, l'aube de la Nuit, et l'Aube du Crépuscule.


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