Chapitre IV

Néfertiti était allongée sur leur lit, nue parmi les draps. Son corps couleur crème brûlée reposait sur le ventre. Ses longs cheveux noirs cascadaient le long de sa peau jusqu'aux fossettes au-dessus de ses fesses. La grande épouse royale observait avec tendresse son mari enfiler sa tunique de nuit au bord de leur lit. Akhénaton termina de s'habiller puis se retourna pour plonger ses yeux dans ceux de sa belle. Son visage était apaisé, bien loin de celui neutre qu'il arborait lorsqu'il était le pharaon d'Egypte. En cet instant, il était simplement le mari, et rien ne pouvait le rendre plus heureux.

Akhénaton se pencha pour voler les lèvres de Néfertiti dans un tendre baiser.

- « Je t'aime, lui souffla-t-il en se reculant pour l'admirer. »

Ses yeux parcoururent le corps pour qui il venait de montrer une nouvelle fois son amour. Il admira chaque courbe, chaque bosse, non plus avec envie, mais avec fascination. Son regard s'arrêta sur le sourire de Néfertiti qui ne la rendait que plus somptueuse encore. Sa femme n'avait pas besoin de lui répondre à sa déclaration. Ses yeux qui ne le lâchaient plus parlaient pour elle ; c'était de l'amour dans sa forme la plus pure. Cet amour-là ne nécessitait pas de mot.

Akhénaton ne savait toujours pas ce qu'il avait fait pour mériter l'amour d'une telle femme, mais chaque jour, il s'évertuait à s'en montrer digne. Le pharaon posa une main douce sur la joue de sa belle qui ferma les yeux en réponse, l'encourageant à continuer. Akhénaton ne se fit pas prier et caressa sa peau lisse et douce de son amour. C'était leur moment à eux, et peut-être trop souvent, le pharaon espérait qu'il dure à jamais. Mais ce n'était pas possible. Il était le pharaon, et sa belle était la reine. Ils dirigeaient ensemble l'Egypte, et ce n'étaient pas les défis qui manquaient.

Comme en réponse à ses pensées, on toqua à la porte de leur chambre. Les yeux de Néfertiti se rouvrirent et la main d'Akhénaton se figea. Le charme de ce moment hors du temps et intime était rompu. Pharaon et reine s'échangèrent un regard en accord. Néfertiti se redressa et après avoir volé un rapide baiser à son mari, récupéra sa tunique de nuit et l'enfila. Sa peau disparue derrière le tissu clair tandis qu'Akhénaton quittait le lit pour s'installer à la table de leur chambre. Il attrapa un raisin qu'il avala. Néfertiti le rejoignit et s'assis à ses côtés, prête à recevoir leur invité tardif.

- « Entrez, sonna Akhénaton, et immédiatement les portes de leur chambre s'ouvrirent. »

Farah apparu alors, entouré de deux gardes royaux. Le pharaon fit signe aux soldats de les laisser tandis que la nourrisse s'inclinait devant ses dirigeants. Néfertiti invita Farah à rentrer et à les rejoindre. Les portes de leur chambre se refermèrent derrière elle, et la pièce retrouva sa quiétude.

- « Excusez-moi de vous déranger, noble pharaon, ma reine. C'est au sujet de Mâkhétaton, expliqua Farah. »

Néfertiti et Akhénaton étaient déjà au courant. Cette entrevue était prévue.

Sur les murs, les flammes des différentes lampes à l'huile s'agitaient, projetant des ombres aux formes fantastiques. Le feu rendait l'atmosphère chaleureuse et calme. Les flammes semblaient défier le ciel nocturne qui peignait le désert à l'extérieur. Ce soir-là, le firmament était sombre, à peine parsemé de quelques étoiles timides. A l'extérieure, le temps s'était rafraichi.

- « Tu peux parler librement Farah, lui sourit Néfertiti. Dis-nous, qu'as-tu vu ? »

Farah se détendit et accepta même l'invitation à s'assoir de la reine. Elle prit place autour de la table avec ses souverains. Jamais une nourrisse n'aurait dû avoir ce privilège, mais Farah avait depuis longtemps compris qu'Akhénaton et Néfertiti n'étaient pas des dirigeants classiques. Ils étaient différents, à plus d'un titre, de leurs prédécesseurs. Pour Farah, ça faisait leur charme. Mais tous n'étaient pas de cet avis.

- « Mâkhétaton est spéciale, déclara sa nourrisse en observant tour à tour ses souverains. C'était un fait lorsqu'elle était petite, mais ça ne fait que de se confirmer à mesure qu'elle grandit. Nous avons déjà eu l'occasion d'en parler, et vous le savez sûrement mieux que moi. Mais ce qui m'inquiète ce n'est pas ça, avoua-t-elle, et sa mine pris un air soucieux. En vérité, j'ai l'impression que Mâkhétaton n'est pas heureuse. Au départ, elle parvenait à le cacher, mais je voyais parfois dans un regard ou dans un sourire que ce n'était pas tout à fait sincère. Comme si elle se forçait. Puis ses regards vides, ou absents se sont multipliés et son sourire s'est fané. Elle agit comme si tout allait bien, mais je sais qu'elle n'est pas heureuse. J'en ai discuté avec elle, mais elle n'a pas voulu m'avouer ce qui la rendait ainsi. Je pense la connaître tout de même assez pour me demander si ce n'est pas d'une certaine manière le palais qui la rends ainsi. »

Farah s'arrêta là dans son explication. Elle semblait moins sûre d'elle à continuer. Cela se comprenait car elle s'aventurait à remettre en question le confort du palais, devant leurs propriétaires. Mais ni Néfertiti ni Akhénaton ne se bridèrent. Au contraire, ils s'échangèrent un regard entendu. Visiblement, ils en étaient venus à la même conclusion. Et s'ils avaient demandés l'avis de Farah ce n'était pas sans raison. En tant que nourrisse, elle était peut-être la plus qualifiée pour parler au nom de leur fille. Farah et Mâkhétaton passaient presque tout leur temps ensemble. Néfertiti avait choisi elle-même Farah. Contrairement aux autres nourrisses, elle ne venait pas d'un milieu noble ou bourgeois, et c'était ce qui avait plu à la reine.

Farah était une danseuse de rue. Elle venait d'une famille modeste. Néfertiti l'avait rencontré au cours d'une de ses sorties dans les rues de Thèbes. Elle l'avait aperçu dans la foule, dansant et chantant avec grâce et élégance. Mais c'était son regard qui lui avait fait comprendre la nature de la jeune femme qu'elle avait en face d'elle. Farah avait des yeux de braises, animés par un désir de survie aussi fort que la profonde gentillesse qui s'exprimaient en elle. Elle était douce, sensible, mais aussi forte et courageuse qu'une lionne.

Néfertiti l'avait élevé de sa classe pour en faire la nourrisse de sa seconde fille. Farah s'était tout de suite acclimaté au palais, et peu de nourrisse savait qu'elle venait du peuple. Mâkhétaton elle-même n'en savait rien.

- « Dis-m'en en plus Farah, la pria Néfertiti. Je t'en prie, ton avis nous est précieux.

- Merci ma reine, lui sourit la nourrisse. Je ne pense pas me tromper lorsque je dis que le palais semble étouffer Mâkhétaton. Je l'ai surprise plusieurs fois à se perdre dans l'immensité du désert autour de la capitale, ou à observer le ciel infini. Je crois qu'elle aurait besoin de voir le monde, de voyager, de découvrir. Je crois que le palais lui apparait comme une prison infranchissable.

- Merci Farah pour ton avis, la remercia Akhenaton en se relevant de la table pour s'avancer jusqu'aux grandes ouvertures de leur chambre. »

De là, il observa sa capitale qui s'endormait peu à peu. Pour lui, sa place était ici, c'était évident. Mais il n'en était pas si sûr concernant sa fille, et Néfertiti avait partagé son avis. Mérytaton et le reste de leurs enfants semblaient parfaitement épanouies au palais. Il n'y avait que Mâkhétaton.

Derrière lui, Néfertiti raccompagna Farah à l'extérieur de leur chambre. Les portes s'ouvrirent et se refermèrent, puis son épouse la rejoignit aux fenêtres.

- « Farah pense comme nous, et tu sais combien je l'estime. Mâkhétaton est un livre ancien, et Farah est l'une des exceptions à qui Mâkhétaton à confier la façon dont comprendre ses lignes. »

Akhénaton approuva. Il enlaça Néfertiti dans ses bras, son dos contre son ventre. Il posa sa tête sur le sommet de son crâne. Ensemble, ils observèrent leur capitale en contre bas, puis le désert qui l'entourait jusqu'au point où le sable se mélangeait à la voûte céleste.

- « Dire qu'elle a déjà quinze ans déjà, et Mérytaton dix-sept. Même Sétepenrê est devenue une vraie petite fille. Mérytaton pourrait gouverner dès à présent, et Mâkhétaton pourrait se marier demain, alors que je les revois encore bébés. » Et à ces mots, une lueur de tendresse s'alluma dans le regard de la reine. C'étaient les yeux d'une mère face à la pensée de son enfant. Bien que mère de six filles, Néferti portait une affection toute particulière à ses deux aînées, car elles étaient les plus proches de la quitter, soit physiquement en se mariant à une autre puissance, soit en devenant reine à sa place. Et dans cette paire qu'elle formait avec sa grande sœur, Mâkhétaton occupait une place toute particulière. Ce n'était pas une question de préférence, non, mais quelque chose de bien plus profond. Mâkhétaton était spéciale. Farah l'avait évoqué d'elle-même. Néanmoins, Néfertiti savait qu'être spéciale allait rarement de pair avec le fait d'être heureuse. Et à cette pensée, le regard de la grande épouse royale se teinta très légèrement de tristesse. « Dès bébé Mâkhétaton étais déjà rayonnante, reprit-elle dans les bras de son mari. Quand elle est née, le ciel lui-même était atypique. Tu t'en souviens ?

- « Oui, lui sourit avec tendresse le pharaon en humant son odeur. Je m'en souviens comme si c'était hier. Notre première fille est née au bout milieu de la journée sous un soleil de plomb, et notre deuxième fille a découvert le monde lorsque la lune était au plus haut. Mâkhétaton est née un soir de pleine lune.

- J'ai l'impression de revivre cette nuit, alors que c'était il y a déjà quinze ans. Je me revois lui donner la vie dans ma chambre du palais de Thèbes. Farah était déjà là, elle l'attendait. Je me souviens de la douleur. Elle n'était pas bien placée dans mon ventre. La sage-femme me l'avait dit, mais je l'avais senti avant elle. J'avais déjà accouché de Mérytaton, et je savais reconnaître à présent lorsque quelque chose clochait. Mâkhétaton s'était présenté par les pieds. Il avait alors fallu la retourner dans mon ventre. La douleur était terrible, sourit Néfertiti en fermant les yeux, et pourtant, j'y pensais à peine. A la place, j'étais subjuguée. Mes yeux, même emplis de douleur ont vu l'incroyable par les grandes fenêtres de ma chambre. J'ai vu la façon dont les étoiles semblaient avoir pris vie dans le ciel. Elles pleuvaient, comme une averse de lumières dans le ciel noir. Ça ne dura que quelques minutes, mais ça suffit pour rester dans la mémoire de tous ceux qui l'ont vu, moi compris. Puis la pluie d'étoiles filantes s'évanouit dans le ciel, et la lune apparut. Elle était magnifique ce soir-là, scintillant d'un bleu clair anormal, mais si beau. J'ai poussé une dernière fois à ce moment-là, et Mâkhétaton est née. Elle est née sous le signe des dieux. Dès que Farah m'a donné son petit corps et que j'ai rencontré ses yeux sombres, j'ai eu la certitude qu'elle était spéciale.

- Et c'est bien le problème, termina Akhénaton pour elle. »

Néfertiti acquiesça lentement et s'enfonça un peu plus dans l'étreinte de son mari. Akhénaton avait raison, être spéciale, surtout pour une princesse, représentait plus qu'un problème, mais un danger. La reine et le pharaon pouvaient l'être, ils avaient le pouvoir de s'imposer avec leurs différences. Mais même eux n'étaient pas tout à fait à l'abri du danger. Chez Mâkhétaton, son caractère spécial menaçait chaque jour un peu plus d'être remarqué. Farah l'avait noté d'elle-même et à nouveau, Néfertiti et Akhénaton la rejoignaient. Même si elle le cachait, la cour finirait bientôt par s'apercevoir de sa différence. Or, dans ce milieu, alliés et ennemis étaient mélangés. Ils avaient appris depuis longtemps à se méfier de sa cour. De toutes les cours d'ailleurs.

Néfertiti avait pensé à s'arracher le cœur et celui de chaque membre de sa famille en envoyant Mâkhétaton se marier au prince d'un de leur allié. Dès ses douze ans, sa seconde fille aurait pu se marier, et échapper à la cour égyptienne. Mais ni Néfertiti ni Akhénaton n'avaient pu s'y résoudre. Même à l'étranger, Mâkhétaton ne serait pas plus en sécurité. Ses ennemis seraient simplement différents. Au moins à Akhétaton, ils pouvaient la protéger. Mais jusqu'à quand ? Et comment ?

Ils arrivaient à la limite de ce qu'ils pouvaient faire, et ils en avaient conscience.

- « Mon amour, je sais que tu penses comme moi, lui murmura Akhénaton en la retournant délicatement pour pouvoir plonger son regard dans le sien. » Néfertiti y rencontra un mélange d'amour pur, mais aussi de tristesse qui répondait à ses propres sentiments. « Tu sais que l'on a fait tout ce que l'on pouvait faire au sein du palais pour elle. On l'a protégé au mieux en la confinant comme ses sœurs dans l'enceinte du palais. On lui a forgé une prison de verre, mais elle est sur le point de se briser. Quelqu'un pourrait à chaque seconde la briser par l'extérieur et la découvrir aussi spéciale qu'elle est. Dans l'autre cas, c'est Mâkhétaton qui brise elle-même sa prison par l'intérieur, quitte à se couper les mains. Mâkhétaton est spéciale, plus que nous tous. Elle a ce quelque chose en elle qui demande à s'exprimer, à rencontrer le monde extérieur. Elle a quelque chose à donner au monde. Je crois qu'on devrait se préparer à la possibilité qu'elle aille remplir son devoir bien plus rapidement que prévu.

- Je sais, et la voix de Néfertiti craqua, et des larmes dévalèrent ses joues. »

Akhénaton l'attira contre lui et la serra fort.

- « Je suis là, lui murmura-t-il, tout va bien. Ça va aller. Je suis là mon amour. »

Akhénaton resta auprès de sa femme jusqu'à ce qu'épuisée, elle s'endorme dans ses bras. Là, le pharaon la coucha dans leur lit et recouvrit son corps de leur drap pour la tenir au chaud. Il s'installa à ses côtés et la serra de nouveau contre lui. Avant de se fermer, ses yeux se posèrent à nouveau sur le ciel étoilé à l'extérieur. Il croisa la lune, haute et pleine dans le firmament. Dans sa forme, il revoyait les traits de sa seconde fille.

Il s'endormit.

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De l'autre côté de l'aile royale, Mâkhétaton était aux côtés de Mérytaton, son aînée. Les deux sœurs s'étaient rejointes dans la chambre de la future grande épouse royale. Farah et Satis les attendaient dans le couloir en discutant avec les gardes. Les deux princesses avaient toujours été proches, voir fusionnelles, sûrement dû à leur différence d'âge pratiquement négligeable. Néanmoins, au fil des années elles avaient été forcées de s'éloigner à cause de leurs obligations. Mérytaton deviendrait reine d'Egypte, elle n'avait pas autant de temps que sa cadette, si bien qu'elles avaient finis par se voir qu'à de rares occasions. Néanmoins, la présence de l'autre représentait toujours un réconfort certain. Elles chérissaient chaque moment qu'elles passaient ensemble. Ce soir-là ne fit pas exception. Assises côtes à côtes, les deux sœurs fixaient le ciel étoilé depuis le lit de l'aînée. Le firmament était envoûtant, mais il n'était pas le seul à avoir du charme.

Mâkhétaton était sans nul doute magnifique, mais Mérytaton était sublime. Peut-être dû à son âge plus élevé qui la rapprochait la plus de la beauté de leur mère, mais Mérytaton ressemblait de plus en plus à Néfertiti. Elle avait hérité de son physique élégant, et de sa prestance. Son port de buste était celui d'une future grande reine, et son regard, maquillé à la dernière mode, inspirait puissance et respect.

Mérytaton resplendissait par ses fonctions d'héritière, et chérissait sa vie au palais. Mâkhétaton ne pouvait pas en dire autant, mais c'était dans leurs différences qu'elles puisaient leur affection. Ce soir-là encore, les deux princesses d'Egypte passèrent leur soirée à observer en silence les étoiles.


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