Chapitre III
Un mois plus tard, nouvelle année. Début de l'an 1342 avant Jésus Christ, Egypte Antique, Akhetaton
Mâkhétaton se promenait dans les jardins du palais. Elle profitait de l'après-midi et de sa douce chaleur. Au-dessus d'elle le soleil brillait au centre d'un large ciel bleu.
Partout autour d'elle, le temps était à la fête. De la musique et des chants s'élevaient de part et d'autre des jardins. La fête de la nouvelle année agitait le palais d'une animation bourdonnante. La jeune princesse devrait y assister, cela faisait partie de son devoir de princesse d'Égypte. Pourtant, Mâkhétaton était là, et elle déambulait entre les arbres et les petits végétaux des jardins. Elle fêterait bientôt son quinzième anniversaire. Sa silhouette était définitivement plus proche de celle d'une femme que d'une jeune fille. Ses hanches s'étaient élargies, sa taille affinée, et sa poitrine avait commencé à gonfler. Ses formes ne faisaient que la rendre plus élégante. Sa nourrisse et ses domestiques s'évertuaient à lui confectionner les plus jolies tenues pour mettre son charme en valeur. Pour autant, son plus grand atout physique restait son visage. Mâkhétaton était la fille de la sublime Néfertiti, et elle avait hérité comme toutes ses sœurs de la beauté de leur mère. Ses traits étaient harmonieux, mais la forme définie de sa mâchoire lui conférait une prestance digne d'une reine. Ses yeux couleurs onyx resplendissaient toujours par leur profondeur, joliment mis en valeur par son grain de beauté sur la pommette gauche.
Mâkhétaton était magnifique, c'était indéniable. Néanmoins, il manquait un sourire sur ses traits pour illuminer son visage.
Les échos de la fête derrière elle, Mâkhétaton laissa ses pieds la mener jusqu'à un bassin dans lequel se reflétait le bleu du ciel. C'était ici que sa mère et elle venaient lorsqu'elle était plus jeune. Les traits de la princesse d'Egypte s'adoucirent face à ce lieu plein de souvenirs. Elle s'assit au bord du bassin. Calmement, Mâkhétaton retira ses sandales et plongea ses pieds dans l'eau tiède. Le reflet du ciel se brouilla et au même moment, un corps poilu vint caresser son bras nu.
Mâkhétaton se tourna pour croiser le regard de jade d'un chat aussi noir que la nuit.
- « Bastet, souffla-t-elle en reconnaissant la petite féline. »
Tout naturellement, la jeune princesse se mit à caresser le petit corps poilu. Un petit sourire apaisé s'immisça enfin sur le visage de Mâkhétaton. Sous ses caresses, l'animal se mit à ronronner. La petite féline se roula au sol et se gratta le dos sur la pierre autour du bassin, les quatre pattes en l'air. Tandis que la princesse lui gratouillait le ventre, Bastet se mit même à bailler. Le soleil se refléta sur son collier doré. Dessus était gravé son nom, en hommage à la déesse féline du panthéon égyptien. La petite féline était ainsi rattaché à la famille royale. Les doigts fins de Mâkhétaton retracèrent les caractères gravés dans l'or tandis que son regard devenait nostalgique. Ses yeux voyagèrent du félin noir à l'immensité du firmament au-dessus de la capitale égyptienne. Mâkhétaton laissa son buste épouser l'herbe derrière elle, sans se soucier de sa robe et de ses bijoux couteux. Ainsi, elle pouvait mieux observer la voute céleste. Bastet choisi ce moment-là pour se glisser contre l'un de ses flancs et ronronna de plus belle.
« Tu sais, murmura finalement la jeune princesse, son sourire évanoui, je crois que j'ai peur de mes propres souhaits. »
Mâkhétaton ne dis rien d'autre, et laissa ses paroles s'évanouirent dans l'air tandis que le vent emportait l'écho de sa voix. La jeune princesse resta un instant à admirer l'immensité du ciel au-dessus d'elle, puis elle se redressa et rassembla ses genoux contre sa poitrine. Ses jambes mouillées tachèrent le tissu de sa robe blanche sans manche. Mâkhétaton n'y fit pas plus attention qu'auparavant, et serra un peu plus ses genoux contre elle. Elle posa son visage dessus et observa les mouvements de l'eau dans le bassin. Ses yeux onyx semblèrent chercher une réponse dans les ondulations aquatiques, sans succès.
Mâkhétaton se résigna et prêta attention au petit corps aussi noir que ses cheveux qui se frottait contre elle. La jeune fille sourit. Ses jambes replongèrent dans l'eau aux reflets azur tandis qu'elle caressait doucement Bastet. Au loin, elle entendait encore clairement les échos de la fête qui secouait à la fois la capitale et le palais. Malgré ça, Mâkhétaton n'eut pas de mal à discerner les bruits de pas qui se rapprochaient d'elle. C'est pourquoi elle ne fut pas surprise lorsqu'on l'appela.
- « Princesse Mâkhetaton ! Je vous cherchais ! Quand arrêterez-vous donc de disparaître sans cesse ? »
Mâkhétaton se retourna à temps pour voir sa nourrisse se pencher en avant pour reprendre son souffle. Elle se redressa et ses yeux sombres plongèrent dans ceux de la jeune princesse. Au lieu d'être en colère, la femme semblait plutôt rassurée. Elle prit un instant pour épousseter ses jupes blanches puis s'accroupit à ses côtés dans l'herbe fraîche. Son visage doux et harmonieux était joliment maquillé. Ses yeux étaient allongés par un long trait noir qui les faisaient plus encore ressembler à ceux de Bastet. Ses lèvres fines mais bien remplies étaient étirées dans un sourire remplie de tendresse.
Sa nourrisse était plus jeune que celles de ses sœurs, et c'était peut-être pour ça que Mâkhétaton se sentait aussi proche d'elle. Un peu comme si elle était sa deuxième grande sœur.
- « Désolé de t'avoir inquiétée, Farah, s'excusa la jeune princesse. »
Le visage de sa nourrisse s'adoucit et elle lui fit signe de retirer ses pieds de l'eau. Mâkhétaton s'exécuta immédiatement. Elle laissa la nourrisse attraper ses chevilles et sécher ses pieds dans les replis de sa robe blanche. Ses longs cheveux sombres étaient tressés avec élégance et reposaient sur son épaule. A chacun de ses mouvements son odeur s'envolait. Mâkhétaton inspira cette senteur florale qui l'accompagnait depuis toujours.
- « Alors, reprit tranquillement Farah en terminant de sécher ses pieds. Pourquoi tu es parti de la fête ?
- Je ne me sentais pas bien, murmura Mâkhétaton en faignant de sourire. »
Elle attrapa ses sandales que lui tendait Farah et s'appliqua à les enfiler à ses pieds. Sa nourrisse l'observa faire avec tendresse et calme, mais l'ombre de l'inquiétude se glissa dans son regard. Elle disparut presque aussitôt et la jeune femme s'assit dans l'herbe aux côtés de sa protégée, un large sourire aux lèvres.
- « On va attendre dans ce cas, reprit sa nourrisse en grattant la tête de Bastet à ses côtés. On va attendre jusqu'à ce que tu te sentes mieux. »
Mâkhétaton lui sourit en retour. Elle avait toujours pu compter sur Farah, et c'était encore le cas.
- Merci, souffla-t-elle en réponse. »
Sa nourrisse lui sourit de plus belle et s'occupa à observer le désert à l'horizon. Sa protégée suivit son regard et se perdit dans l'immensité sableuse autour d'Akhetaton. Ces images en firent émerger d'autres dans l'esprit de Mâkhétaton qui répondirent toutes à son cœur, à son désir.
- « Mâkhétaton, l'interpella Farah. » La jeune fille se retourna vers sa nourrisse qui la regardait avec tendresse. « Je tenais à te dire que je crois en toi, et j'ai hâte de voir la façon dont tu vas continuer d'évoluer. En tant que nourrisse, je te soutiendrais toujours. Ne l'oublie pas, jamais. C'est ce que je voulais te dire, Mâkhétaton, sourit-elle en se relevant avant de tendre la main à sa protégée. Maintenant viens, le Pharaon et la Reine vont s'inquiéter. »
Et Mâkhétaton ne trouva rien à répondre. Elle se contenta d'acquiescer, prise de court, mais Farah ne manqua pas la façon dont ses yeux luisaient. En tant que nourrisse, elle connaissait la princesse depuis sa naissance, mais parfois, elle avait l'impression de ne pas tout à fait la connaître. Mâkhétaton était une énigme vivante, qui n'avait pas de secret que pour sa mère. Pour discuter de leur protégée avec les autres nourrisses royales, Farah savait que sa princesse était unique. Ses amies parlaient toutes des études de leur protégée, ou de leur beauté à couper le souffle. Farah, elle, ne pouvait pas limiter Mâkhétaton à ce genre de paramètre. La jeune fille à ses côtés était bien plus que simplement belle ou studieuse. Elle était mâture, et complétement hors-norme. Parfois, sa nourrisse se demandait ce que ça ferait de vivre dans sa tête rien qu'une journée. Elle était persuadée qu'elle en sortirait elle-même grandie. Farah était heureuse d'avoir su trouver les mots pour alléger Mâkhétaton.
Pourtant, la nourrisse eu un pincement en cœur en voyant l'expression sombre de Mâkhétaton lorsqu'elles arrivèrent dans la grande salle d'audience. Pour l'occasion elle avait été décorée et deux longues tables offraient des somptueux buffets à volonté. L'odeur des plats se mêlaient à la musique et à la danse et rendait l'atmosphère festive. Les gens riaient, buvaient et mangeaient, le sourire aux lèvres. Sur l'estrade qui dominait la salle, le Pharaon et sa famille surplombaient la fête. La grande Néfertiti resplendissait comme toujours de beauté dans sa robe ajustée et ses parures d'or. Mérytaton, sa fille aînée était assise à côté de son père, et ressemblait de plus en plus à sa mère. Elle était vêtue d'une somptueuse robe en lin resserrée à sa taille par une large ceinture en tissu. Du haut de ses dix-sept ans, elle ressemblait à une jeune reine. Elle avait ça dans le sang.
Farah serra un peu plus fort la main de Mâkhétaton dans la sienne pour récupérer son attention. Lorsque les yeux onyx de la princesse revinrent à elle, elle lui sourit jusqu'à ce que son visage retrouve un semblant de légèreté. Puis, sa nourrisse lui lâcha la main et Mâkhétaton partit rejoindre sa famille. Elle s'avança à travers la longue salle en souriant à tous ceux qui s'inclinaient sur son passage. Elle garda son sourire tout du long, et rejoignit sa famille calmement. Mâkhétaton s'installa à côté de sa mère, à l'inverse de Mérytaton. Néfertiti lui offrit un doux sourire protecteur qu'elle lui rendit. En contre-bas, Farah avait rejoint le reste des nourrices et des invités. Bientôt, sa silhouette se perdit dans la foule et Mâkhétaton se retrouva seule face à ses pensées.
_________________________________________________________________________
L'an 1342 avant Jésus Christ, Sud de l'Egypte
L'aube se levait lentement lorsqu'un nouveau rugissement résonna depuis le fond de la crevasse. C'était loin d'être le premier, et ce ne serait pas non plus le dernier. Plusieurs lionnes rôdaient devant la tanière, attentifs. Elles s'échangeaient parfois des regards en biais, et s'agitaient maladroitement sur leurs pattes. Certaines grognaient, et elles n'hésitaient pas à affubler d'un coup de griffes celles qui s'approchaient trop près de la crevasse. Les doyennes veillaient à maintenir l'ordre chez les plus jeunes. C'était leur rôle en l'absence de la dominante.
A l'intérieur de sa cachette, Syriaze essayait de se balancer légèrement sur ses flancs pour alléger ses contractions. Depuis déjà une vingtaine de minutes, le travail avait commencé. Dès qu'elle l'avait senti, la future mère s'était étendue contre la terre humide et elle avait rugit. Ses petits arrivaient, et elle le faisait savoir au reste de son groupe. Immédiatement, Serval s'était enfoncé dans la crevasse pour la rejoindre, et il était le seul autorisé à le faire. Il la protégeait tout en léchant le sommet de sa tête avec application.
Sa lionne s'apprêtait à donner naissance à leurs premiers petits. Et malgré son manque d'expérience, Syriaze savait quoi faire. Son instinct la guidait et lorsqu'elle sentit une contraction plus violente que les autres, elle sut que c'était le moment de pousser.
La lionne roula sur l'autre flanc. La terre fraiche contre son pelage suffit à la divertir de la douleur et elle poussa de toute ses forces. Ses grandes pattes se refermèrent dans le sol lorsqu'elle poussa de nouveau, plus fort encore. Syriaze répéta l'action autant de fois qu'il le fallut, bravant la douleur et la fatigue pour mettre bas. Elle sentit clairement le corps de son premier lionceau quitter son corps, tout comme elle sentit celui de chacun de ses autres petits. Lorsqu'enfin son dernier lionceau tomba sur la terre fraîche, Syriaze se relâcha. Doucement, elle se retourna et fit la connaissance de chacun de ses petits. Elle les lécha pour les délivrer de la poche qui les protégeait lorsqu'ils étaient encore dans son ventre. Des petits couinements remplirent bientôt la crevasse. Syriaze s'imprégna de leur odeur à chacun, puis elle les poussa vers ses mamelles. Les lionceaux se mirent à téter tout de suite, et leur mère en profita pour ingurgiter son placenta. Il était riche en énergie et Syriaze en aurait besoin pour les jours à venir.
A ses côtés, Serval se remit à lécher sa tête. Syriaze ronronna calmement en se rallongeant sur le flanc. Elle avait réussi. La meute comptait quatre nouveaux membres.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top