Chapitre II

Cinq ans plus tard. L'an 1345 avant Jésus Christ, Égypte antique, Akhetaton.

Le quotidien du Pharaon et de son épouse avait changé. Leur famille s'était agrandie et comptait à présent six petites filles en parfaite santé. Malgré tous ses accouchements, Néfertiti resplendissait toujours de beauté. Elle portait sans mal son titre de reine, de mère et d'amante. Akhenaton savait jongler entre tous ses titres également. Cette famille heureuse avait été l'occasion pour le Pharaon de briser une autre coutume ancestrale. Encore une, sur une liste déjà longue.

Depuis toujours, le dirigeant de l'Egypte était représenté seul ou avec son épouse, mais jamais avec ses enfants, et encore moins avec ses filles. Et pourtant, Akhenaton n'en avait que faire. Il insista pour qu'on le représente avec sa famille au complet, dans des scènes de leur vie quotidienne. A priori banal, ce souhait renvoyait à sa conduite générale en tant que Pharaon. Akhenaton cherchait la proximité avec son peuple, et il était convaincu qu'elle résidait dans une absence de filtre. Pour ça, il n'hésitait pas à enfoncer les portes closes. Quitter Thèbes n'avait été qu'une première étape sur son parcours, et le révolutionnaire n'avait jamais compté s'en tenir là.

Une nouvelle capitale. Un nouvel art. Un nouveau dieu.

Akhenaton et Néfertiti étaient les visionnaires que l'Egypte n'avait jamais connu jusque-là. Ils reliaient le passé au futur sans peur et avec détermination. Pour cet idéal, ils n'hésitaient pas à mettre la main à la pâte jusqu'à l'épuisement. Ils avaient tant à faire encore.

Ce n'était que le soir venu, dans l'intimité de leur jardin, que Néfertiti et Akhenaton pouvaient souffler. C'était en ce lieu que le couple royal avait pris l'habitude de se retrouver, loin des regards et des oreilles indiscrètes du palais. Le Pharaon et sa reine en profitaient pour discuter plus intimement et échanger également sur leurs dernières idées concernant leur pays, l'Egypte. Dans ces moments-là, Néfertiti écoutait toujours attentivement Akhenaton, tout en profitant régulièrement d'un massage à l'huile ou de tendres baisers.

Néanmoins, il arrivait que son mari ne soit pas disponible, même le soir venu. C'était le cas ce jour-là. Néfertiti était seule dans leur jardin. Akhenaton avait été convoqué comme c'était parfois le cas. Son épouse aurait pu en profiter pour lire ou se reposer, mais elle savait qu'elle n'aurait pas à trouver d'occupation.

La raison à cela s'approchait justement de Néfertiti. Les yeux fermés, la reine resta calmement à sa place. Ses pieds trempaient dans le grand bassin d'eau au centre des jardins. Dans le ciel, le soleil faisait briller ses derniers rayons du jour qui réchauffaient avec douceur sa peau. Néfertiti sourit en sentant du mouvement à ses côtés, puis le bruit d'un corps rentrant l'eau. Ses paupières se soulevèrent lentement pour rencontrer l'image de sa fille, assis à sa droite. Mâkhétaton, la seconde princesse d'Egypte était à ses côtés. Elle avait plongé ses pieds dans le bassin. Ses jambes bougeaient lentement dans l'eau et brouillaient l'image du crépuscule qui s'y reflétait.

Néfertiti nota sans mal la présence d'un livre posé derrière Mâkhétaton, dans l'herbe verte. Tendrement, la reine passa une main dans les cheveux sombres de sa fille. Ils étaient lisses et soyeux, coupés au carré au-dessus de ses épaules. Un collier en or reposait sur le sommet de sa tête. La mère replaça une mèche derrière son oreille pour admirer le visage de sa fille. Du haut de ses douze ans, Mâkhétaton était déjà magnifique. Sa beauté n'était plus tout à fait celle d'une jeune fille, mais celle d'une future jeune femme. Sa peau était lisse, et le grain de beauté qui reposait sur sa pommette gauche donnait à son visage un caractère sensuel. Ses yeux sombres, joliment étirés par du khôl, trahissaient une certaine maturité. Ils semblaient briller doucement, comme une étoile dans le ciel noir. Lentement, presque timidement, ces orbes noirs se posèrent dans ceux de Néfertiti.

- « Mère, demanda Mâkhétaton, est-ce que vous pouvez me lire un livre ? »

Et lorsque Néfertiti lui sourit, le visage de la jeune fille s'illumina. Sa mère l'invita à se rapprocher et Mâkhétaton s'exécuta immédiatement.

- « Ta nourrisse n'est pas disponible ? lui demanda la reine. »

Néfertiti profita de cette nouvelle proximité pour passer un bras autour des épaules de sa fille et la serrer tendrement contre elle. Son nez se plongea dans ses cheveux aussi sombres que la nuit pour y humer le parfum d'hibiscus qui s'en dégageait.

- « Si, avoua Mâkhétaton, et ses yeux revinrent chercher ceux de Néfertiti, mais je voulais que ce soit vous qui me le lisiez.

- C'est donc ça, s'amusa Néfertiti. Alors laisse-moi te le lire... »

La grande épouse royale attrapa le livre de sa fille et l'ouvrit à la première page. Ses yeux parcoururent le texte qu'elle connaissait par cœur. C'était le livre qu'elle avait offert à Mâkhétaton il y a quelques années déjà. C'était son préféré quand elle était elle-même une enfant, et c'était devenu celui de sa fille également. L'histoire était assez banale en vérité, et plutôt enfantine. Le Soleil prenait vie, et rencontrait la Lune. Les deux astres tombèrent amoureux au premier regard, même si tous les opposaient. L'un était chaud. L'autre était froid. L'un brillait dans le jour. L'autre scintillait dans la nuit. L'un était solaire. L'autre était lunaire. Jamais les deux astres ne pouvaient se rencontrer. Ils étaient en quelque sorte voués à se fuir, trop souvent séparé par la Terre et la Vie en personne. L'histoire racontait leur combat pour s'entrevoir, se voir et s'admirer. Chaque seconde était précieuse pour eux. C'était une sorte de leçon de vie.

Une histoire de jour et de nuit. De Soleil et de Lune. Celle de la recherche de sa personnalité propre, de l'Amour, et du temps qui passe.

L'histoire se terminait lorsqu'avait lieu un événement extraordinaire ; le Soleil et la Lune se rejoignaient enfin et pouvaient se câliner dans le firmament. La Terre ne les bloquait plus, et ils pouvaient se retrouver pour une étreinte d'un instant mais c'était suffisant parce qu'ils s'aimaient. Les derniers mots sortaient de la bouche de la Lune et étaient les suivants ; « A bientôt mon soleil, on se retrouvera dans aussi longtemps qu'il le faudra, mais on se retrouvera. »

Le livre était parsemé de dessins réalisés à la main par l'un des plus grands scribes du pays. Néfertiti observa sa fille les admirer en souriant.

La reine aimait de tout son cœur ses filles. Elles étaient toutes différentes et scintillantes à leur façon. Bien souvent, la reine regrettait de ne pas avoir eu plus de temps pour les voir grandir. Mâkhétaton savait déjà parfaitement lire, écrire, calculer et connaissait par cœur l'Histoire de son pays. Ankhésenpaaton, Néfernéferouaton, Néfernéferourê et Sétepenrê étaient encore trop jeunes pour connaître parfaitement les grands moments de leurs pays, mais leur tour viendra bien assez vite. Pour Mérytaton, son aînée, c'était autre chose. En tant qu'héritière, elle était vouée à devenir la prochaine grande épouse royale. Sa nourrisse était sévère sur ce point. Elle se chargeait de son éducation et de sa bonne tenue comme un général entraînerait ses soldats. Son rythme de vie était éprouvant, mais Néfertiti avait vécu une situation similaire à son âge.

Du haut de ses quatorze ans, Mérytaton était déjà en âge de se marier. Néfertiti ne l'approuvait pas, mais c'était ainsi.

Mâkhétaton avait évité ce genre de destin, mais sa mère ne savait pas s'il était plus doré. En tant que seconde princesse, elle était vouée à les quitter pour entretenir les alliances entre l'Egypte et ses voisins. Ses petites sœurs étaient dans le même cas. L'aînée devenait la grande épouse royale, et les cadettes partaient renforcer les traités de paix. Néfertiti n'était pas pressée d'assister aux départs de ses filles. En attendant, elle profitait du temps qui lui restait avec elles.

Ce soir-là, le soleil s'était couché lorsque Mâkhétaton referma son livre. Le crépuscule touchait à son terme et ses couleurs flamboyantes se faisaient progressivement chasser par l'obscurité.

- « Mère, demanda Mâkhétaton alors qu'une petite ride se dessinait entre ses sourcils, pourquoi le soleil se couche-t-il si c'est pour se relever ensuite ? Pourquoi ne reste-t-il pas toujours haut dans le ciel ? »

Et à cette question, Néfertiti ne put s'empêcher de sourire. Ce n'était pas rare que sa fille pose ce genre de question. Sa mère n'était plus tellement surprise. A l'inverse, elle aimait ce genre d'interrogation imprévisible. De prime abord, la question de Mâkhétaton pouvait paraître enfantine, mais elle cachait en vérité une interrogation philosophique. Sa seconde était sans cesse en quête de compréhension, même sur ce qui la dépassait complétement. Néfertiti ne pouvait pas la brimer, elle était pareil au même âge. Depuis, elle avait compris que parfois, aucune réponse ne venait compléter ses questions, et c'était peut-être mieux ainsi. Elle se demandait néanmoins si Mâkhétaton ne trouverait pas les réponses qui lui faisait défaut depuis toujours.

- « Qu'est-ce que tu en penses toi, Mâkhetaton ? lui sourit simplement Néfertiti. Pourquoi faut-il qu'Aton nous laisse si c'est pour revenir inlassablement à l'Aube ? »

Le visage de Mâkhétaton se tendit un peu plus, signe qu'elle réfléchissait sérieusement. Ses grands yeux sombres fixaient l'étendue céleste au-dessus d'elles comme si la réponse s'y trouvait. Mais à sa moue sérieuse, Néfertiti su qu'elle ne l'avait pas trouvée. Alors quand Mâkhétaton fit glisser son regard dans le sien, sa mère attrapa l'une de ses mains dans la sienne. Sa fille observa leur main jointe, et soudain, elle sembla avoir trouvé une idée.

- « Et si c'était pour qu'on apprenne à se débrouiller sans son aide ? proposa-t-elle. »

Et ses yeux sombres cherchèrent immédiatement confirmation dans ceux de sa mère. Mais Néfertiti avait été prise de court et son regard trahissait sa surprise. Un petit rire la quitta finalement tandis qu'elle se mettait à observer les première étoiles briller dans le ciel.

- « Peut-être bien, réfléchit-elle. Un Dieu ne se fait pas désirer, il se vénère, parce qu'il est tout puissant. Aton chasse les ténèbres le jours pour nous protéger, pour que nous puissions vivre. Le soir, il s'éclipse pour nous laisser dormir, pour qu'on combatte par nous-même les ombres de la nuit. Il nous laisse cependant l'assistance de Thot, la Lune, afin que l'on puisse voir dans l'ombre. »

Mâkhétaton resta un moment immobile, puis elle se releva sans un mot. Debout, la jeune fille se mis à marcher le long du bassin d'eau. Ses yeux sombres semblèrent alors chercher quelque chose dans la nuit tombante. Néfertiti l'observa faire, intriguée et curieuse. Le crépuscule terminait sa descente ardente, et dans le ciel, les premières étoiles scintillaient. Mâkhétaton les observa plusieurs minutes, en silence, puis se retourna vers sa mère.

- « Je les regarder mère, fit-elle savoir. J'ai observé l'ombre, mais elle ne m'attaque pas. Elle est, elle existe, comme la lumière. Pourquoi Aton cherche à la faire fuir ? »

Et à nouveau, la reine ne put s'empêcher de rire. Elle fit signe à sa fille de venir s'assoir près d'elle, un sourire amusé toujours accroché au visage.

- « Laisse-moi te raconter une histoire, lui murmura-t-elle. Ecoutes bien. Cette histoire est celle de la création de la lumière, et de celle de l'ombre. C'est l'histoire originelle du monde. Elle commence ainsi ; Les dieux primordiaux ont créé notre terre. Ils étaient le ciel, l'eau, la terre, la vie et l'amour, mais aussi la lumière et l'ombre. Ils ont créé les sensations, les sens et bien plus encore. »

Pour appuyer ses propos, Néferti plongea sa main dans l'eau puis la fit tournoyer dans l'air. Elle invita alors sa fille à en faire de même d'un petit signe de tête.

- « C'est froid. commenta Mâkhétaton en s'empressant de sécher sa main sur ses vêtements lorsque l'eau mêlée au vent avait rafraichie sa peau. »

Sa mère acquiesça doucement.

- « Ce sont ces dieux primordiaux qui ont donné naissance à l'Ennéade. Puis, ces dieux se sont alors endormis, et leurs enfants ont pris leur place. C'est ainsi qu'est né Aton, notre dieu, entre autres. Il est la couronne solaire. Il est notre lumière. Mais comme toute chose, il à son opposé, son contraire fusionnel. Et ce contraire, c'est Thot, le dieu lunaire. Quand Aton va se reposer, c'est Thot qui veuille au maintien de l'ordre sur Terre. Et lorsque Thot est fatigué, l'Aube revient avec Aton. C'est un cycle, un partage des énergies primordiales et une règle de vie. Il y a toujours deux faces, deux façons de voir les choses, deux vérités aussi. Et il faut bien souvent être deux pour les voir. »

Mâkhétaton pris un moment pour réfléchir aux paroles de sa mère. Ses grands yeux sombres étaient fixés sur la Lune, encore basse mais pleine dans le ciel. Puis elle posa son regard hypnotisant sur sa mère.

- « C'est pour ça que tu es avec père ? demanda-t-elle

- En partie, oui, confirma Néfertiti en hochant la tête. Chaque personne a besoin d'un compagnon à ses côtés. Ça peut être un amant, une amante, un frère, une sœur, pourquoi pas un ami, ou une amie. C'est un équilibre. Mais pour que cet équilibre fonctionne, il faut de l'amour aussi. On est fait pour aimer, à l'image de la Lune et du Soleil.

- Alors tu es amoureuse de père ? sourit Mâkhétaton, et son regard brilla comme un ciel étoilé.

- Oui, très amoureuse même, confirma Néfertiti. »

Mâkhetaton revint fixer l'eau trouble du bassin en souriant, l'air serein. Son esprit de jeune fille rêvait d'histoires d'amours aussi belles que celle de ses parents. Néfertiti l'observa jouer avec ses pieds dans l'eau. Son instinct maternel ronronnait à cette vue. Elle était apaisée elle-aussi. Même si sa fille partait dans un avenir proche, elle saurait se débrouiller. Mâkhétaton avait ce pouvoir en elle. Et ce pouvoir, il passait par ses grands yeux sombres qui cachaient milles mystères. Néfertiti était sûre d'une chose ; Mâkhétaton aurait un rôle à tenir dans les événements des prochaines années. Elle avait quelque chose à donner au monde, et c'était phénoménale. Sa mère le sentait aussi clairement que la brise qui vint jouer avec ses cheveux.

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Deux ans plus tard. L'an 1343 avant Jésus Christ, Egypte Antique, quelque part dans le Sud du pays

La saison des pluies venait de se terminer en Egypte. L'eau était tombée du ciel et avait nourris le sol. Les berges du Nil resplendissaient. Les fleurs avaient éclos entre les herbes hautes et sauvages des plaines. La période des sécheresses ne tarderait pas à revenir, mais pour le moment les températures conservaient une certaine douceur. Ce climat plus humide signait le commencement de nouvelles vies. Bientôt, la période des naissances sonnerait. Mais pour le moment, les mères étaient encore gestantes. Syriaze était dans ce cas en tant que lionne dominante de sa meute.

Dehors, le crépuscule était tombé sur la plaine verte dans un somptueux dégradé de rouges, d'orange et de rose. Mais Syriaze ne le voyait pas. Epuisée par sa grossesse, la lionne s'était retranchée dans une crevasse terreuse. Sa cachette de fortune l'épargnait des dernières fortes chaleurs de l'année et des éventuels ennemis. Là-bas, Syriaze attendait le retour de sa meute en se reposant.

Ce fut Serval qui vint à sa rencontre lorsque le soleil se coucha. Le mâle dominant de la meute s'avança lentement pour la rejoindre dans la crevasse étroite. Dans sa gueule pendait le corps d'une petite gazelle dont l'odeur du sang excita Syriaze. La lionne grogna, et remua sa queue d'anticipation. Ses iris se rétrécirent sur le gibier. La future mère roula sur le côté pour s'appuyer de nouveau sur ses quatre pattes. Aplatie contre le sol et tendue sur ses membres, elle était prête à bondir pour manger. Un grognement d'avertissement quitta sa gorge lorsque son mâle mis du temps à lui déposer la gazelle. Syriaze laissa même échapper un rugissement et s'apprêta à le lui donner un coup mais Serval comprit à temps le message et lâcha son dîner. Immédiatement, la lionne plongea son museau dans la chair fraîche. De ses crocs puissants, elle déchira les muscles et la graisse qu'elle avala tout rond. La crevasse se retrouva bientôt inondée par des bruits de déglutitions et des os qui craquent. Syriaze ne s'arrêta de manger que lorsque la gazelle n'était plus qu'une masse osseuse et méconnaissable.

La future mère ronronnait, rassasiée. Son museau et ses pattes étaient couvert de sang. Syriaze fit calmement sa toilette tandis que Serval en profitait pour se glisser derrière elle. Le lion se mit alors à l'assister et lécha précautionneusement les poils couleur pourpre. Les paupières de Syriaze papillonnaient de plus en plus lentement en réponse. Elle appréciait son moment.

Rapidement, la fatigue vint la trouver et ses yeux étonnements verts se fermèrent pour de bon. Syriaze savait que la mise bas ne tarderait plus. Elle devait prendre des forces

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