8. Aya
L'an 4031, Époque Harmonieuse, Aides-moi.
Aujourd'hui, c'est le grand jour, ou le pire — ou le dernier.
L'analyste du KMaster sonnera à notre porte ce soir à dix-huit heure, de quoi me laisser le temps de déprimer dans mon lit. Évidement, mes frères en ont décidé autrement et me retirent ma couverture dès midi. Je grogne comme un animal qui a été dérangé dans son hibernation, je tente de couvrir ma tête de mon oreiller mais Trave me l'arrache également tout en éclatant de rire.
Moi aussi je m'ennuie, lève-toi.
Trois hommes contre moi, c'est d'une injustice scandaleuse. Tout ce vacarme m'oblige à sortir de mon sommeil et à me redresser sur mon lit. Le regard de mon petit-frère sur mes cheveux gonflés et emmêlés sur le haut de mon crâne en dit long, ils se moquent et me balancent l'oreiller à la figure.
Quel réveil bienveillant ! Même Sanaru ricane en prenant bien soin de déposer ma couverture à l'autre de bout de ma chambre.
- Oui, dépêche-toi ! On aimerait profiter de cette journée avec toi, s'exclame-t-il en calmant enfin sa folie.
De mauvais poils, je sors de mon lit et traîne des pieds jusqu'à la salle de bain de ma chambre. Le luxe de la maison de père nous permet à tous d'avoir notre intimité complète.
Cette chambre est d'ailleurs la mienne, depuis le début, il voulait que j'ai une chambre à moi si jamais je venais habiter chez lui. Et ça me surprend encore. Je n'ai toujours pas résolu son changement de comportement vis-à-vis de moi. Alors que, quelques années plutôt, il aurait voulu ma mort.
Peut-être que, maintenant que le KMaster s'intéresse à moi, il met tous ses espoirs d'avoir un enfant Protecteur sur mon dos — ce qui, j'espère, n'est pas le cas. Même si je le pouvais je ne le ferai pas, ce n'est pas une vie qui m'épanouira, au contraire. Et je suis sûrement pas assez forte pour porter les responsabilités du monde sur les épaules. Sauver les autres, ce n'est pas trop dans mes convictions.
Je m'enferme dans la salle de bain, montrant bien explicitement à mes frères que je n'ai plus besoin de leur tornade délirante.
Face au miroir, j'observe ma mine fatiguée que j'asperge rapidement d'eau pour tenter de reprendre des couleurs. J'ai beau être bronzé par le soleil du village de mère, j'ai l'impression que ça ne suffi pas à me ranimer.
Alors, je dévie sur la guerre sanglante contre mes boucles acharnées. Elles sont si emmêlées que je dois plonger ma tête entière sous la douche pour pouvoir séparer les noeuds. J'ai eu l'horrible idée de ne pas me coiffer hier à cause de la fatigue et me voilà en train d'en payer le prix.
Même mes pouvoirs ne pourront pas t'aider.
Toujours là pour se moquer, il ne changera pas cette mauvaise habitude. Enfin bon, je préfère le voir se moquer de moi que de me menacer, au moins ça forge le peu de lien entre nous et nous permet de mieux cohabiter.
Certaines règles ont d'ailleurs été établis en cours de route, comme le fait qu'il doit me laisser dormir la nuit et arrêter de miroiter sans cesse dans ma tête car ça fait également tourner mes neurones.
Si Siskann réfléchit, alors je réfléchis, et malheureusement je ne sais pas dormir en réfléchissant.
Il y a aussi un point important que je voulais aborder et c'est l'utilisation de ses pouvoirs dont je peux me servir sans son autorisation. Maintenant, nous savons tous les deux que je peux user de ses capacités sans forcément faire appel à lui, et il faut bien que cette fusion astrale est un avantage à mon égare. Ça me permettra également de me débrouiller seule. Il ne me sauve que pour son propre intérêt, mieux vaut que j'évite de trop compter sur lui.
Je ne lui fais toujours pas bien confiance, mais je n'ai pas le choix de vivre avec lui. Et si je veux éviter d'autres incidents, nous devons chacun être gagnant dans nos arrangements.
Une fois coiffée, je me brosse rapidement les dents et étale sur mon lit les vêtements que j'avais préparé la veille.
Je me déshabille face au miroir mural tout en observant ma silhouette, j'étouffe soudainement un cri en voyant un étrange tatouage sur mon dos. Je tourne telle une toupie dans l'espoir qu'il disparaisse mais non, il est bien là. Le seul réflexe que j'ai, à cet instant, c'est d'hurler son nom sans détourner le regard du miroir.
- Siskann ! C'est quoi, ça ?
Il rit puis, voyant que je commence à suffoquer de stresse, il me répond enfin :
C'est une marque, du moins l'une des miennes.
- Et donc ? Pourquoi c'est sur mon corps ?
Parce que la fusion astrale est assez poussée pour que je déteigne sur toi, apparement.
Je lâche un hoquet de surprise en levant mes mains à ma tête comme si je devenais folle.
Toujours en sous-vêtement et dos au miroir, j'observe soigneusement la marque qui longe ma colonne vertébrale. Elle débute de mes lombaires et remonte comme une rivière jusqu'à ma dernière vertèbre.
Je tourne encore et encore pour mieux le cerner et voir ce qu'elle représente.
Ce dessin est magnifique, il suit les courbes des chakras les plus importantes du corps d'une ligne fine et gracieuse, mais n'est pas assez épais pour me déranger. Ma respiration se calme soudainement alors que j'admire cette œuvre d'art. J'aimerais pouvoir la voir de plus près mais je n'ose pas demander à mes frères de me prendre en photo, ils en profiteraient pour me poser d'innombrables questions dont je ne suis pas prête à répondre.
Je savais que t'allais aimer.
Je fronce les sourcils, et retire mon sourire.
- Donc, si je ne l'avais pas vu dans ce miroir tu me l'aurais jamais dit ! m'écris-je horrifiée par ce gigantesque mensonge. Ça veut dire que d'autres marques vont apparaître ?
En même temps, quelle demoiselle ne regarde jamais son dos ?
- Mais ça ne me sert à rien de regarder mon dos !
Il éclate de rire.
D'un soupire d'exaspération, je me détourne de ce miroir et enfile enfin ma tenue du jour.
C'est une tunique blanche tellement légère que je la pensais transparente, elle frôle mes chevilles et est cintrée d'une ceinture d'or aussi méticuleuse qu'une chaîne.
Avant de sortir de ma chambre, j'admire une dernière fois le dessin noir sur ma colonne vertébrale grâce à l'ouverture de ma tunique qui expose tout mon dos.
Pour répondre à ta question : Oui, tu finiras sûrement pas avoir le reste de mes marques.
- Si elles sont aussi belles que celle-ci, alors ça ne me dérange pas.
La vague de chaleur qui se répand en moi trahis son sourire que je ne peux voir. Je lui fais rarement de compliments, mais si ça peut le soulager quelques fois alors autant ne pas s'en priver.
Je serai bientôt une Siskann féminine, l'idée ne m'enchante pas beaucoup car c'est une preuve qu'il sera bien difficile de nous séparer, mais je n'ai pas d'autres choix que de l'accepter.
Je dévale les escaliers de l'entrée pour rejoindre mes deux frères au seuil de la porte, ils m'attendent, habillés fraîchement d'une chemise d'été et de pantalon de cavalier rentré dans leurs hautes bottes.
Nous déboulons dans le quartier des affaires et bifurquons dans un boulevard lumineux où trônent les plus grands magasins de la ville.
Impossible de cacher ma stupeur, je cache ma bouche tant elle est ouverte. Les bâtiments sont gigantesques et forment un arc de cercle au-dessus de nous, chaque mètre nous offre un plaisir des yeux qui m'empêche de les cligner par peur de manquer quelque chose. Les boutiques se comptent par centaines, elles dévalent tout le boulevard et se distinguent de leurs couleurs et leurs devantures toutes aussi démesurées que les précédentes. Il y a des énormes ballons de verre qui flottent dans les airs et diffusent des émissions télévisées comme des écrans volants, le public ne les regardent même pas, mais moi je tente de récolter les milliers d'informations transmises en même temps.
- Attention, tu fumes des oreilles, me taquine Trave en voyant mes yeux bondir dans tous les sens.
À l'entente de sa voix, je retrouve mon calme et reste concentrée sur ce qu'il se passe devant moi, du moins j'essaye, tellement choses se déroulent en même temps que je n'arrive plus à discerner quoi que ce soi.
C'est l'un des désavantages de mon pouvoir, je suis hypersensible à tout, je perçois tout, mais quand il y en a trop je suis incapable de faire le tri. Et les informations se bousculent dans mon cerveau sans que je ne puisse les attraper.
J'envie leur bien-être, le fait de ne pas devoir se préoccuper des autres et de s'en désintéresser complètement. De mon coté, je lutte pour ne pas fouiller dans les esprits de tout ceux qui m'entourent. Il y a tant de regards différents, tant de variations de personnalités, tant de souvenirs et de connaissances dont je pourrais m'abreuver en seulement quelques secondes, je suis sûr que Siskann en rêve aussi.
Mais ce n'est pas le moment de faire une erreur, pas en sachant que je ferai face au KMaster dans moins de quelques heures.
Alors que nous traversons le boulevard, étouffée par ce monde fou, je remarque que tout le monde s'écarte soudainement. Pas par peur, mais instinctivement. La foule me laisse un chemin libre en faisant bien attention à ne pas m'approcher.
Ne me remercies pas, surtout.
Je ne comprends pas de suite, jusqu'à ce que mes deux frères se tournent vers moi horrifiés.
- C'est quoi cette aura...? bafouille le plus grand.
Ah.
Si je panique, Siskann s'énerve. Il ne supporte pas ressentir ce genre d'émotions qui me suivent depuis des année pourtant. À force, j'ai fini par m'y faire. Mais lui semble vouloir y remédier pour son plus grand bien personnel. Le stresse, la peur, la tristesse, l'oppression... tout ce qui me représente finalement, Siskann s'en décharge totalement et fait en sorte de les éloigner de nous.
Alors il a déployé son aura autour de moi pour faire fuir ceux qui s'approcheraient trop près. Ce n'est pas cruel, loin de là, les grands magiciens fonctionnent ainsi.Ressentir une puissante aura n'est pas non-plus douloureux, c'est légèrement désagréable comme un bracelet trop serré autour du poignet. On souhaite s'en débarrasser mais ça n'est pas insupportable.
Rouge de gêne, je poursuis ma marche en talonnant mes frères. Nous passons la journée en ville. Traversant les ruelles et les allées, les mains pleines de sacs de vêtements, de bijoux, d'accessoires, de chaussures et de gadgets magiques. Je ne sens plus mes bras à point que Sanaru me prend l'un de mes sacs et me devance sur un sourire de supériorité que je répugne. Il prend la tête de la marche jusqu'à la maison et laisse Trave est à la traine, essoufflé de tous ses bagages.
Heureusement que nous arrivons rapidement à la résidence, une fois le seuil de la porte passée nous lançons les sacs sur le carrelage et courrons à la piscine.
Le soleil frappe fort aujourd'hui et j'aurais aimé pouvoir me baigner avant l'arrivée de l'analyse, de quoi bien me changer les idées. Nous enfilons nos maillots et sautons pieds-joints dans l'eau de manière peu gracieuse, nos rires résonnent même sans la présence de toit et font vibrer le minuscule lien familial que je pensais éteint.
Siskann semble se prêter aussi au jeu et apaise mon esprit, il me laisse profiter de ces derniers instants et disparaît de ma tête durant quelques instants. J'ai presque l'impression qu'il a complètement disparu, c'est surprenant.
Évidement, ça ne dure pas assez longtemps pour que je m'en contente.
Ils sont là.
- Qui ? peine-je à dire entre deux essoufflements.
Le KMaster, ils sont déjà là.
Je sors de la piscine en m'enroulant de ma serviette et me dirige vers nos chambres sans un seul regard à mes frères.
Ma panique m'envahit et je ne peux nier toutes les mauvaises idées qui me viennent en tête, elles me brouillent l'esprit et me plombent la marche.
Aucune issue n'est bonne, aucune.
Mes frères ont finalement compris que leurs précieux invités étaient arrivés et accourent jusqu'à leur chambre également. Impossible qu'ils ratent l'arrivé du KMaster dans leur demeure, pour eux c'est un rêve qui se réalise mais pour moi un cauchemar.
Je retire mon maillot trempé et prends une rapide douche avant d'enfiler ma robe blanche de tout à l'heure. Je relève mes boucles trempées en une queue et tresse une natte sur le bout. Maintenant prête physiquement, mais pas encore mentalement, je m'arrête face à mon miroir et m'observe un instant. J'ai toujours eu cette habitude, c'était une manière de voir mes yeux, la seule chose puissante venant de moi, la couleur de mes iris qui capte l'attention du monde entier et qui peut tous les renverser.
Mais depuis l'apparition de Siskann, me regarder face au miroir me fait également rappeler que je ne suis plus seule. J'ai aussi l'impression de le voir à travers mon reflet. Lorsque je m'observe, j'ai aussi la sensation de le regarder.
En regardant mes yeux, je m'aperçois qu'ils changent de couleur et vrillent au violet. Perturbée, je cligne plusieurs fois des paupières pour être sur que ce n'est pas une illusion mais je comprends que c'est un signe que m'envoie Siskann pour me rappeler également qu'il est là.
Je ne suis plus seule, maintenant.
Ses iris violets, aussi brillants qu'une nébuleuse, sont la première chose que j'ai regardé chez lui. Après tout, c'est à travers le regard qu'on comprend mieux autrui.
Le violet disparu, je prends une grande inspiration et sors de ma chambre.
Des voix discutent à la salle à manger, plusieurs personnes, mon stresse me hurle qu'ils sont une armée alors qu'ils ne pourraient jamais tous rentrer dans la maison. Je descends un à un les escaliers en m'agrippant à la rambarde. Père et mes deux frères sont en bas. En entrant dans la salle à manger, les mains moites et croisées dans le dos, je les salue timidement d'un sourire gêné.
Il y a six invités, dont l'analyste. Je pourrais le reconnaître parmi un chantier humain. Les lunettes sur le bout du nez, les cheveux brillamment plaqués et ramenés en un minuscule chignon, tout ce qui reflètent d'un analyste parfait. Il dépose son sac en cuir sur la table et croise les bras à mon apparition. Son regard de docteur me perce le crâne comme une flèche et je ne peux m'en détacher.
Si seulement je pouvais entrer dans son esprit pour anticiper, mieux connaitre ses attentions et peut-être me sauver de cette situation. Si seulement...
Ne fais pas ça.
Mon regard était en train de se perdre dans celui de l'analyste avant qu'il n'intervienne. Est-ce donc un deuxième sauvetage de sa part, aujourd'hui ? J'ai si honte de me laisser autant aller, je me demande comment mère faisait à mon âge.
Je secoue la tête comme pour faire disparaître mon alter de mes options et poursuis mon chemin vers les invités. À quelques mètres de la table à manger, je reste immobile à dévisager tout le monde.
- Approche, Aya, m'invite père en désignant une chaise au milieu de cet enfer.
Je m'exécute méfiante et m'assois les jambes serrées comme si j'étais en plein interrogatoire. Mes frères sont sur le canapé et m'offrent un sourire rassurant. Après tout ils sont heureux, eux qui adorent les Protecteurs comme des héros, ils n'auraient pas mieux rêvé comme invité. Père, de son côté, nous sert juste d'intermédiaire en attendant que la véritable discussion sérieuse commence.
Je n'observe que l'homme à lunette, lui non plus me quitte pas des yeux ce qui rend ce duel de regard intense. Je brûle d'envie de plonger à travers les verres de ses lunettes qui fait barrage, de voir plus loin que cette limite glaciale qu'il a bâti entre lui et moi. Mais Siskann a raison, la pire stratégie serait de leur déclarer la guerre, alors je reste sage sur ma chaise et secoue mes jambes comme une enfant la veille d'une épreuve.
- Monsieur Preck, jeune homme et jeune garçon, je vous prie de nous laisser seul, demande l'analyste en déviant enfin son regard du mien pour le fixer sur ma famille. Aucun témoin n'est autorisé lors d'un contrôle d'alter.
Non en mesure de discuter, père ainsi que mes deux frères sortent immédiatement du salon et nous enferment à l'écart du monde.
Dorénavant il n'y a qu'eux et moi.
Moi et Siskann contre nos futurs ennemis.
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