8.2 Aya

Dorénavant il n'y a qu'eux et moi. Moi et Siskann face à l'analyste et ses collègues.

En cercles autour de ma chaise, ils m'observent un par un comme si j'étais leur prochain repas. Aucun d'eux ne me fait peur, seul l'analyste me terrifie.

Heureusement il a le nez plongé dans son sac, ce qui me laisse quelques secondes de répits. Il défait son bagage et y sort des outils pour entamer l'examen, il les aligne sur la table et choisit minutieusement le premier qu'il utilisera. C'est une loupe, enfin une sorte de tuyau électronique avec plusieurs verres permettant sûrement de percer les secrets à travers n'importe quel regard.

Lorsqu'on parle d'œil, mon stresse augmente instantanément. Est-ce que je dois à nouveau cacher Siskann ? Ou s'est-il déjà fait petit pour être indétectable ? Impossible de lui demander, l'un de ces hommes le remarquera forcément. En parlant d'homme, celui à lunette se dresse devant moi.

- Commençons par faire connaissance, voulez-vous ? Mon prénom est Marco, je suis l'analyste du Conseil Dynastique de la Magie, ce qui justifie ma présence ici, dit-il avant de marquer une pause.

Il tourne son outil dans tous les sens pour vérifier qu'il est en ordre et s'approche de moi, lentement, lui laissant le temps de reprendre sa phrase.

- J'ai été contacté plusieurs fois pour venir vous voir. D'abord par votre père, mon très chère ami, dont j'ai autrefois refusé la demande. Il n'y avait pas assez de constats assez fiables qui me permettaient d'ouvrir un dossier à votre égard. Mais lorsque c'est votre école qui nous a appelé, aussi terrifiée que jamais par la dangerosité de leur élève, alors nous n'avions plus le choix. Vous ignorer encore aurait été scandaleux.

Face à moi, il m'invite à basculer ma tête en arrière pour examiner mon œil.

- Alors, permettez moi de commencer l'examen, madame Preck.

Un de ses hommes vient me tenir le menton tandis que l'analyste approche son outil de mon œil.

Mes mains sont plantées dans mes cuisses pour ne pas leur montrer à quel point je tremble, leur proximité me perturbe et cet outil trop proche de mon iris me brule légèrement la rétine. J'ai peur, à chaque respiration mes ongles me griffent, j'ai envie de hurler, non de douleur mais de peur, j'ai juste peur. Moi qui avait peur de Siskann, finalement c'est son absence qui me terrorise, sans lui je me sens si vide, si faible, la jeune Aya incapable de se défendre seule.

J'entends l'outil pivoter, avancer, glisser, l'analyste ne perd pas de sa concentration et tente sûrement de voir en moi avec cet engin. Voir en moi mais aussi en lui, celui qui se cache dans mon esprit.

Impossible de restée les yeux figés sur cet outil maléfique, je dévie mon regard ailleurs, vers le plafond blanc et ennuyeux de père. Mais l'analyste m'attrape les cheveux pour me faire le regarder à nouveau, je ne peux plus lui échapper. Il veut capter mon regard, il veut comprendre ce qu'il se passe. Mais s'il est aussi déterminé c'est que lui-même a compris la réalité de ce rendez-vous. Connaitrait-il donc la présence de Siskann ?

Mes yeux sont de retours face à la loupe géante qui semblent m'absorber, je ne vois rien d'autre.

Enfin si, j'aperçois un autre regard.

Ce n'est pas le mien, ni celui de l'analyse — dommage, d'ailleurs — mais celui de l'homme qui me tient le menton. Son visage est juste au-dessus de moi et s'assure que je reste immobile. Mais savent-ils que c'est en étant immobile que je suis dangereuse ? Son regard... Il est bien proche de moi, il recouvre le plafond et m'appelle.

Oui, il m'appelle. Ses yeux m'appellent.

Aya, si tu fais ça, je devrais...

Pourquoi me priver alors que je peux le faire ?

Il n'a pas le temps de finir sa phrase que je plonge dans le regard chaleureux et innocent de cet homme.

Il ne sentira même pas ma présence alors que moi je prendrai du plaisir en traversant les moindres recoins de son esprit. Je fouille ses pensées, observe ses désirs et entre dans l'ancre des souvenirs. C'est là le plus interessant, le savoir des autres. Et connaître sur le bout des doigts sa cibles est la meilleure des armes. La faiblesse humaine est aussi sa force, c'est ce qui peut nous trahir.

Notre seul ennemi, c'est nous-même, me disait mère.

En cherchant bien, je tombe sur un souvenir récent, encore fraîchement présent dans sa tête, se promenant entre les neurones à la recherche de sa prochaine destination.

Je plonge dedans comme je le ferais dans un océan et y découvre l'intérieur du palais royal, la plus belle merveille du monde, le diamant le plus haut jamais vu, c'est un plaisir des yeux. Nous sommes dans l'une des pièces de réunion, une immense pièce fait d'or et de pierres blanches, recouverte de chaises autour d'une ronde et lourde table. Des dizaines d'hommes y sont, dont l'analyste, et quelques soldats autour. Ils discutent, alors j'ouvre les oreilles et distingue mon prénom parmi leurs mots.

En m'approchant du centre pour parvenir à tout entendre, je comprends qu'il parle de notre rendez-vous, « l'examen d'alters » comme ils appellent ça. Mais aucune phrase ensuite ne mentionne ma libération, au contraire, ils sont là pour jouer les professionnels et ensuite m'emmener avec eux de forces. Ils enchaînent les hypothèses de fuite que je pourrais tenter, les pouvoirs que je pourrais utiliser contre eux, les stratégies qu'il faudra déployer pour m'arrêter, tout est annoncé. Sauf une chose : ma libération et mon innocence.

A quoi aurais-je dû m'attendre ? Siskann m'avait lui-même prévenu. Il faut fuir avant qu'ils arrivent, ils ne sont pas là pour ma gentillesse. Et me voilà pris dans leur piège alors que je pensais bien faire.

Sortant de sa tête, je reviens à la réalité.

Deux secondes seulement se sont écoulées et je suis toujours entre leurs mains. Je ne peux pas rester là. Je tente de bouger mais l'homme qui me tient le menton me menace de ses yeux noirs, ce même regard qui m'a convaincu d'une chose : Faire confiance à Siskann.

Et je ne peux plus attendre, il faut agir.

- Siskann, aide-moi, murmure-je.

En entendant mes faibles paroles, l'analyste sursaute et se retire d'un bond mais c'est déjà trop tard, mon corps ne m'appartient plus.

Mes iris deviennent d'un violet si intense qu'ils paralysent les hommes autour de moi, ils les font tous reculer de plusieurs pas tout en sortant leurs armes prêts à faire feu. C'est à lui de jouer maintenant, je n'ai pas la force d'affronter cette situation seule.

Plongée dans notre subconscient, au milieu de ce même océan noir et glacial, je peux voir et entendre ce que mon corps fait. Mais mon manque d'expérience m'empêche de lire dans les pensées de Siskann autant qu'il le fait, ce qui me laisse un regard très extérieur de mes actions. Tant pi, après tout, je suis censée lui faire confiance.

Alors que les six hommes tendent leurs armes magiques, Siskann, lui, s'entoure d'un dôme électrique violet impénétrable, faisant reculer d'avantage ses adversaires. Un cercle magique se forme au sol, juste sous mes pieds, et Siskann y dépose mes mains. En quelques secondes, un immense portail se crée en-dessous de moi et m'aspire, me permettant de fuir la résidence de père et d'atterrir dans un tout autre endroit.

Au vu de la respiration saccadée de mon corps, je comprends que ce n'était pas exactement là où Siskann voulait aller. Il grogne et serre les poings tout en observant ce qui l'entoure.

Nous sommes dans une pièce, un salon plutôt, très spacieux d'ailleurs, et au sommet d'une tour assez haute pour y toucher les nuages. Siskann est face à la baie vitrée, lui aussi ébahis parce qu'il voit, c'est magnifique. Mais je sens sa méfiance, et c'est ce qui m'inquiète. Je pense avoir mon idée mais elle me terrorise. Est-ce le palais royal ?

- Je ne savais pas que ton genre de fille, c'était les jeunes à bouclettes, ironise une voix masculine derrière nous.

Siskann pivote, les pieds prêts à bondir, et grogne à la vue d'un jeune homme.

Il porte une tenue officielle de combat, manches longues et recouvertes de lames en métal. Ça ne peut qu'être l'un des personnels du Royaume de Sola et, avec un salon pareille, je peux donc confirmer que nous sommes dans le palais. Ses cheveux mi-longs et d'un blanc effroyable frôlent ses sourcils mais ne cachent pas ses yeux violets, les mêmes que Siskann.

Les mêmes que je porte, d'ailleurs, actuellement sur mon visage tandis que je n'en ai plus le contrôle.

Siskann serre les dents, il s'immobilise et respire difficilement, ce qui ne fait pas reculer l'homme qui s'avance lentement vers nous, l'air toujours plus intrigué.

- Je t'ai tant cherché. Tout le Royaume était en alerte depuis ta disparition, et te voilà simplement dans le corps de cette... fille ? Pourquoi elle ?

Siskann ne répond rien, il se remue les méninges au vu des vibrations que je sens dans l'eau qui m'entoure. Il cherche sûrement un échappatoire, une sortie.

Pourquoi ne se téléporte-t-il pas à nouveau d'ailleurs ? Est-ce cet homme qui a changé notre destination ? Est-il plus fort que nous ? Et comment se fait-il qu'ils possèdent le même pouvoir, et surtout les mêmes yeux ? Et comment se connaissent-ils ? Tant de questions, comme d'habitude, mais aucune réponse. Juste cette énorme tension entre nous qui s'apprête à exploser.

Sans savoir qui exactement, l'un des deux montrera les crocs en premier et j'ai tout intérêt à me faire petite.

Évidement, Siskann fait le premier pas. Il se craque les doigts — enfin, mes doigts — et se redresse prêt à mordre. Notre adversaire le remarque mais ne cache pas son sourire.

- Si tu pouvais éviter de casser ma chambre, ça m'éviterai un énième sermon de l'Impératrice, lance-t-il en créant en-dessous de nous un gigantesque portail, nous emportant tous les deux.

Nous atterrissons ailleurs, notre destination a encore changé. Cette fois, nous sommes au milieu de ruines en plein désert.

Vu le climat, nous sommes sûrement sur Afa, le continent oublié, celui qui a subi la guerre effroyable de la Grande Chute.

Les bâtiments détruits autour de nous révèlent la monstruosité de ce conflit. Tout a été rasé, brulé, anéanti, tué, torturé et oublié. Ce lieu est un mauvais souvenir de notre Royaume, c'est une époque où nous perdions plus de soldats qu'ils en arrivaient, le sang coulait à flot et sans l'aide des Protecteurs tout aurait fini aux mains de l'ennemi. Je peux encore voir des traces de sangs sur les pierres malgré les années passées, ça m'écœure.

Siskann semble observer les ruines aussi avant de se concentrer sur notre adversaire assis juste à coté de nous. Il n'a pas l'air plus tendu que ça, contrairement à moi qui suis prête à me noyer dans mon océan.

- Je ne suis pas obligé de me battre avec toi, mais je veux bien essayer de te comprendre, explique-t-il soudain, le sourire qui s'éteint.

Je suis surprise, mais apparement pas Siskann qui se marre. Puis, d'un mouvement de bras inattendu, il projette l'homme aux cheveux blancs contre l'un des murs sableux qui forme un trou à sa silhouette lorsqu'il retombe au sol. Ça n'a pas dû lui faire bien mal au vu de son atterrissage gracieux.

Siskann grogne et forme des éclairs violets autour de ses mains pour riposter, il s'élance sur son adversaire et fait exploser le mur d'un seul coup de poing. Mais, malheureusement, l'homme est plus rapide, il a esquivé tout en grimpant sur un autre mur derrière nous.

- Si tu crois que j'ai envie de discuter avec toi. Vas crever, s'énerve Siskann avec ma voix féminine.

L'homme pousse un soupire et un combat entre les deux éclate. Ils enchaînent les coups, les dévient, lancent des sorts et font exploser les derrières ruines de cette ville en seulement quelques minutes.

Malgré le risque de cette situation, une chose ne m'échappe pas ; ils ont les mêmes pouvoirs. Tout est identique, même si Siskann semble plus faible sûrement à cause de mon corps, le reste est aussi ressemblant que deux verres d'eau. Leurs techniques de combat se combinent comme s'ils se connaissaient sur le bout des doigts, ils jonglent entre les sorts tous aussi impressionnants les uns que les autres mais aucun n'arrive à mettre au fin de son adversaire. Comme s'ils n'étaient pas fait pour s'affronter.

Aya, fais-moi confiance.

Sur ses soudaines paroles, Siskann me laisse à nouveau le contrôle de mon corps en plein combat. Je découvre les sensations que j'avais perdu, le gout métallique de mon palais sûrement dû à un coup, mes jambes engourdies et mes bras tremblant à cause du nombre de sorts lancés. J'ai un mal de tête terrible qui me fait vaciller mais je ne me laisse pas abattre, je suis encore en plein combat.

J'ouvre les yeux et m'aperçois que Siskann m'a laissé mon corps au pire moment.

Le dixième de secondes qui a fallu pour s'échanger les rôles a fait que je me retrouve la cible d'une projection de lames ensorcelées, traversant l'air dans ma direction.

Ma mort est proche, si proche que je pousse un hurlement de peur en voyant les lames à quelques centimètres seulement de mes yeux, elles sont bien trop rapides pour que j'ai le temps de me protéger. Comment ont-ils pu se battre à une vitesse aussi élevée ?

Incapable de faire quoi que ce soit, j'utilise mes cordes vocales pour exprimer mes dernières émotions ; la peur, le dégoût. Pourquoi Siskann est-il parti à ce moment-là ? Pourquoi m'a-t-il laissé mon corps pour mourir ? C'est sûrement trop tard pour en avoir les réponses. Je sens les lames me frôler.

Prête à sentir ces couteaux acérés me transpercer le corps, l'homme aux cheveux blancs surgit de ma droite tout en attrapant mon bras pour me rapprocher de lui et esquiver les lames. Combien de millièmes de secondes lui a-t-il fallu pour me secourir ? Combien de temps incalculable a-t-il eu pour savoir que je n'étais plus Siskann ?

Les chances que je sorte de cette attaque entière étaient si minime que j'ai dû mal à tenir debout. Bouleversée par ce brouhaha d'émotions, je trébuche sur une pierre en voulant reculer et tombe sur le dos, l'homme inconnu toujours face à moi. Ses yeux s'adoucissent lorsqu'il voit que je grimace en étant tomber sur des pierres pointues. Je suis de loin la plus faible des créatures qu'il est dû rencontrer, loin de Siskann en tout cas.

Je mets du temps à retrouver mes esprits et me frotte les yeux avant de le regarder aussi. Pendant quelques secondes on s'échange un regard intrigué. Lui comme moi ne savons ce que nous devons faire.

Je ne suis pas sa cible, la preuve, sinon il m'aurait laissé mourir de ses lames. Il ne sait sûrement pas quoi faire de moi, il met ses mains à sa taille et incline la tête comme pour réfléchir à une idée qui nous conviendrait à tous les deux.

J'en profite pour me relever mais le fais trop rapidement et manque de retomber en arrière comme une enfant qui apprend à marcher. Heureusement l'homme me rattrape et m'aide à me relever. J'ai si honte.

- Merci, peine-je à dire en sentant mes joues rougir.

A l'instant où ses doigts attrapent mon bras pour me faire tenir debout, à l'instant où il allait me répondre, Siskann surgit. Il reprend mon corps de force et me laisse tomber dans son gouffre infini jusqu'à notre subconscient.

C'était son plan ; me faire revenir pour faire croire à son adversaire qu'il pouvait baisser sa garder et ensuite l'attaquer.

C'est si malsain que j'en suis écœurée. Il charge un coup de point en énergie violette et l'écrase dans le foie de l'homme. Ce dernier crache une pluie de sang en étant projetée à une dizaine de mètres dans les airs. Mais ça n'arrête pas Siskann qui envoie une onde autour de lui qui se propage jusqu'à son adversaire et le clou au sol un instant, tentant bien que mal de cracher le sang qui bloque sa gorge.

Siskann en profite pour créer un portail sous ses pieds et plonge à l'intérieur, fuyant une bonne fois pour toute ce conflit et laissant son adversaire souffrant au milieu des ruines.

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