7. Rika

L'an 4031, Époque Harmonieuse, Membre du Conseil.

Un portail me suffi à atteindre la porte de mes appartements. Une seconde à peine, un trou de ver entre deux réalités, un pont capable de me faire traverser deux lieux lointains si rapidement.

Quelle facilité s'est de maîtriser l'espace-temps. Tout est modulable, rien ne nous échappe et pourtant très peu comprenne notre alter. Enfin, mon alter. Je suis le dernier de ma famille. Si on ne compte pas mon frère à moitié vivant ou mort.

Encore aujourd'hui, je ne sais plus ce que je dois croire. Est-il réellement revenu ? Y a-t-il un lien avec l'apparition de Tyko à notre précédente mission ?

Sûrement. Siskann et Tyko étaient de grands amis, des partenaires de front. Ils régnaient mais massacraient également ensembles. L'un comme l'autre est coupable du plus triste événement de notre ère.

Depuis que le tombeau de Siskann s'est ouvert, mon esprit est ailleurs.

Je bobine et rembobine sans cesse la guerre que j'ai mené pour pouvoir l'enfermer lui dans ce maudit tombeau. Tout était prévu pour que personne ne puisse le libérer, personne à part moi. Je devais le garder enfermé et veiller à ce qu'il y reste. Mais tout a basculé, une guerre subite à été déclaré dans divers lieux et nous a fait perdre le regard que nous avions sur la grotte comportant le tombeau.

Tyko et Astrid se sont chargés de le libérer et voilà que eux aussi réapparaissent alors que nous les croyions morts depuis plus d'un siècle. Du moins, je n'ai aperçu que Tyko, et j'espère que sa soeur est belle et bien morte, elle.

Les soldats face à ma porte de diamant m'ouvrent le passage dans un bruit sourd et apaisant. Mon repère. C'est ici que je suis lorsque je ne suis pas en mission, c'est là que je dors et que je réfléchis.

Il n'y a que moi et la famille royale qui vivons au palais. Le reste des Protecteurs ont une résidence à l'extérieur, près du jardin royal, qui leur est réservée. Et pour ce qui est des Nobles entourant la famille royale, ils s'agglutinent autour du palais également.

Personne n'a accès au palais sans l'autorisation officielle d'un membre de la famille royale, des règles très strictes permettant leur meilleure sécurité. Car depuis la terreur de Siskann il y a plusieurs siècle, plus personne n'ose prendre le moindre risque.

Il nous a fait comprendre que tout pouvait basculer bien rapidement.

J'entre enfin dans mes appartements gigantesques et pousse un soupire de soulagement lorsque la porte se referme derrière moi. Tout est en ordre, le repas est posé sur la table comme habituellement et les volets entièrement ouverts comme je le demande. Avec en plus une lumière tamisée et une musique de fond mélodieuse, aucun rêve ne peut m'apporter un tel bonheur.

Je m'empresse d'aller à la douche et retire toutes les couches de vêtements qui me protègent lors de mes missions. Je dépose mes armes sur le comptoir du salon, là où se trouve presque une armurerie en tout genre —comme si je n'étais pas assez protégé dans ce palais — et file me laver.

L'eau chaude me détend tellement que je grince des dents en sentant la tension de mes muscles qui persistaient depuis quelques jours.

Difficile de se détendre lorsqu'on sait que la guerre est à notre porte.

Une fois propre et essuyé, j'entoure ma taille de ma serviette et sors de la salle de bain le sourire aux lèvres. Une joie qui s'efface rapidement lorsque mon ouïe fine perçoit la princesse Armada marcher dans le couloir, dans la direction de mes appartements. Même aussi loin, je ne peux passer à coté du claquement régulier de ses talons qui s'approchent de moi.

Encore elle...

Je l'imagine vêtue d'une des robes moulantes de princesse qu'elle aime tant, et venir comme tous les jours me tenir compagnie alors que mes humeurs se dégradent considérablement.

Je ne prends pas la peine de me rhabiller et traine des pieds jusqu'à ma chambre qui est aussi grande que le salon. À vrai-dire, c'est le seul endroit que j'ai trouvé pour y mettre ma bibliothèque et les centaines de livres que je voulais garder près de moi.

- Rika ? prononce Armada, ma promise, en entrant.

Toujours à l'abris dans ma chambre, je ne réponds rien. J'arpente les étagères à la recherche d'un livre manquant. Armada circule dans mon salon, faisant claquer ses souliers sur mon carrelage. Ce bruit est si pénible que je perds le file de mes comptes et dois recommencer plusieurs fois la liste de mes ouvrages.

- Tu ne manges pas ? souligne-t-elle en se promenant dans mon salon.

Il en manque un. Il manque un livre sur cette étagère, mais lequel ? Je relis plus soigneusement chaque titre à la recherche de celui qui m'a échappé.

- Il a perdu sa langue, le Général ? provoque-t-elle en passant sa tête à travers l'encadrement de ma porte de chambre. Est-ce Tyko qui la prise ?

Me mettre en rogne, c'est l'une de ses plus grandes qualités. Elle sait y faire, mieux que personne même. Armada Yurii est la princesse du Royaume. La plus belle et plus forte femme de sa génération, dit-on. J'attends encore de voir lorsqu'elle maniera une épée, pour l'instant je reste sur le statut de « belle princesse ». Armada sait danser, elle sait chanter, elle connaît les plans du Royaume par coeur, l'entièreté des villes du monde, l'entièreté des langues, des écrits, des livres, des bourses, des alters... Je crois qu'elle sait tout.

Mais Armada Yurii ne sait certainement pas se battre. Elle est faible.

La famille royale Yurii est plutôt spéciale, ils ont une quantité d'alter astronomiques en eux, ce qui les rend presque imbattables. Évidement, ils ont leur secret, ce ne sont pas les élus des cieux mais ils sont plutôt lié à une histoire bien plus tragique.

Une histoire que je préfère garder pour moi car chaque secret mérite son heure de gloire et son silence. Pour l'instant, le silence est préférable.

- Il manque un livre, marmonne-je en frottant mon menton, toujours la serviette autour de la taille.

Armada se glisse près de moi le sourire aux lèvres. En ouvrant sa main, un livre apparaît entre ses doigts : Celui qu'il me manquait. Elle me l'avait emprunté pour sûrement s'occuper dans ses journées ennuyantes de princesse. Je l'attrape pour le remettre à sa place et la fusille du regard.

- Ce sont mes livres.

Son regard descend furtivement vers mon torse qui est rejoint rapidement par ses deux mains glacées. Le froid de ses doigts qu'elle fait danser entre chacun de mes abdominaux me lance une vague de frissons.

- Je m'ennuie quand tu n'es pas là, soupire-t-elle, ses mains descendant bien plus bas.

À contre-coeur de la repousse. Se laisser distraire alors que mon frère rode sur cette planète pour nous réduire en cendres, c'est la pire idée que je puisse avoir. Je n'oublierai jamais son massacre lorsqu'il est venu au palais en l'an 3432. Il est entré dans ma chambre, a tué ma femme, mon premier enfant et pour ensuite abattre toute notre famille.

Il pourrait s'en prendre à Armada.

- On a déjà battu Siskann, et on le battra à nouveau, encore et encore... Ne t'en fais pas, me murmure-t-elle d'un air réconfortant.

On ? Battre à nouveau ? Encore ? Ai-je bien entendu ?

Armada Yurii n'est jamais sortie de son foutue palais depuis sa naissance, et ça comme la plupart des princesses. Elle traîne dans les couloirs en attendant mon retour, portant en elle un alter surpuissant qu'elle n'utilisera sans doute jamais.

Mais pourtant, elle parle de mon frère comme si elle le connaissait. Personne n'a jamais vu Siskann de ses propres yeux, ma famille était la seule à être immortelle et elle a été exterminé.

Ce n'est donc pas la belle princesse en robe rose clair qui me chavire l'esprit rien que par sa transparence — me laissant clairement tout voir — qui va me faire croire qu'elle battra Siskann. Armada est née il y a une vingtaine d'année, mon frère était déjà mort depuis plus d'un siècle.

- Sors de ma chambre, lui lance-je simplement en espérant pouvoir m'habiller tranquille.

Elle fait une moue si mignonne que n'importe qui aurait pu craquer, mais pas moi. Des femmes, j'en ai par milliers, et malheureusement je ne m'en prive pas malgré que ce soit ma promise.

Non, je ne suis pas un connard.

J'ai été forcé. Enfin, demi-forcé. C'est l'Empereur en personne qui m'a ordonné de prendre comme promise sa fille. Il voulait que je lui donne un enfant pour que mon alter perdure. Ils veulent refaire naître la famille Saba en sachant que j'en suis le dernier survivant, sans compter mon frère. Je suis le seul survivant Saba, le seul capable de maîtriser l'espace-temps. 

Je suis le plus fort. Et si je meurs, tout le monde meurt.

Quelle tragédie.

Mais moi j'en ai rien à faire de leur héritage, être le Général des Protecteurs est déjà bien épuisant. Alors si je dois m'occuper d'un enfant... Non merci. Surtout que mes sentiments ont disparu depuis la mort de mon frère, je suis incapable de ressentir le moindre amour.

Je n'aime pas Armada et je ne l'aimerai jamais. Tout ceux qui tenaient pour moi, tout ceux pour qui j'aurais donné ma vie, ils sont tous morts et des mains de mon propre frère, celui que j'aimais le plus parmi tous. L'amour est un sentiment si confus.

- Tu mets quoi ce soir ? me demande-t-elle soudainement en ouvrant violemment mon armoire à vêtements.

- Un pyjama ? Je sais pas, c'est ce qu'on met pour dormir, non ? ironise-je en me laissant tomber sur mon lit, toujours en serviette.

Elle ne m'écoute pas et continue d'enfourner ses mains entres mes centaines d'habits.

- J'apprécie ton aide, mais je n'ai pas besoin d'être beau pour aller dormir, lui fais-je savoir alors qu'elle cherche la tenue parfaite dans mes étagères.

- Dormir ? Le grand Rika ne va pas dormir, il est invité à participer au Conseil ce soir, m'informe-t-elle comme si c'était évident.

- Je te demande pardon ? m'étonne-je en me levant de mon lit.

Elle se tourne et rapproche sa poitrine de mon torse avec un sourire au coin. Ses mains se lèvent pour ébouriffer mes cheveux blancs encore mouillés mais je l'arrête en lui attrapant le poignet. Son visage ne perd pas de son éclat, au contraire, elle se mord les lèvres désireuse de voir l'emprise que j'ai sur elle. Ça a l'air de lui plaire, ce qui m'agace encore plus. Je vois qu'elle veut simplement s'amuser et elle en oublie de me répondre.

- Comment ça : je suis invité au Conseil ? m'impatiente-je en lâchant son bras, ce qui semble presque la décevoir.

Elle hausse les épaules et me tourne autour comme une prédatrice, ses doigts glissent sur mon dos et remontent vers mes épaules. Quelle sale manie de jouer avec mon impatience dans un moment pareille.

- Tu as déjà oublié le maître des flammes ? Il t'a pourtant si bien échappé...

À cet instant, la tuer est dans mes projets. Elle le ressent et dépose un baiser sur ma joue pour accentuer ma rage. Et après on me demande comment je peux refuser de l'enfanter ? Sérieux, son comportement me rend fou de rage tellement de fois.

- Choisis, alors, souffle-je en désignant mon armoire. Dépêches toi, je suis en retard.

Elle agrippe une tenue de cérémonie droite et sombre comme je les aime. En me l'a tendant, elle sourit timidement et me laisse m'habiller seul dans ma chambre.

La connaissant, Armada aurait pu faire une crise pour que je la laisse me mater en m'habillant. Elle n'a rien d'une femme réservée, elle est expressive, assurée et certainement pas hésitante. Mais ce soir, elle fait un effort car elle sait que le retour de Tyko ne présage rien de bon. Prendre la catastrophe en humour est une stratégie digne des Yurii, mais il n'y a rien de drôle.

La guerre est notre porte.

Malgré ce contrat de descendance qui me lie à la princesse, Armada est une femme que j'aime beaucoup. Enfin, par encore par amour, mais par amitié — c'est déjà pas mal. Elle reste la princesse que j'ai toujours apprécié et qui rêve de trouver le prince charmant qui la comblera.

Je la connais depuis si longtemps. Étant immortelle, je l'ai vu naître, puis grandir et enfin devenir ma promise. Quelle étrange relation.

Mais ce n'est rien comparé à ce que cache les Yurii depuis des millénaires. Ce secret enfouis qui pourrait se retourner contre eux à chaque instant. Et je sais qu'une seule femme en serait capable, faut-elle encore la trouver.

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