7.2 Rika

Direction : Le Conseil Dynastique de la Magie.

Je descends les escaliers tout en remettant mes grades de généraux en places et ajuste mes cheveux aux mèches encore humides. Ce n'est pas ma meilleure silhouette mais au moins la tenue est propre et cache mon corps encore fatigué de la mission de ce soir.

Deux soldats m'escortent à travers le palais, nous traversons les couloirs de diamant et les portes marbrées aussi lourdes que des navires. Et enfin, nous arrivons dans l'auditorium du palais aux milliers de fauteuils de cuir. La salle forme un demi cercle avec d'un coté le public ainsi que les membres du Conseil et de l'autre les fauteuils de la famille royale. Une minuscule estrade sépare ces deux parties qui permet à l'auditionné d'être vu de tous mais surtout d'être face à l'Empereur et l'Impératrice Yurii.

Tout le monde est déjà en place, et au vu des peu de places libres, cette réunion promet d'être importante.

Je traverse la salle comme personne n'oserait le faire, contourne l'estrade centrale et fais face à la famille royale qui s'incline à mon arrivé.

Je fais de même, c'est bien les seules personnes qui méritent que j'abaisse ma tête. Ils sont tous là sauf les deux princesses. Armada sûrement couchée dans mon lit et sa petite-sœur, Oreyna, doit également dormir. Il se fait tard, rare sont les réunions après le couché du soleil sauf quand elles sont révélées urgentes.

Les deux princes, Kronos et Yassimi, croisent les bras simultanément alors que je m'avance vers eux. Leur regard sérieux me fait rire. Me rapprochant d'avantage de leur siège comme pour leur tenir tête, je lance :

- Vous n'êtes pas en tenu pour vous battre, vous le savez ? Déjà que vous n'aviez aucune chance...

Yassimi éclate de rire et se détend. Et de un. Mais son frère fronce les sourcils, alors je poursuis :

- Peut-être veux-tu régler ça maintenant, alors ?

Kronos hausse un sourcil et se lève pour me défier. Sous mon grand sourire, je fais craquer mes doigts et me prépare à lui faire regretter de ne pas être resté sur son siège. Évidement, tout ce cirque n'est que plaisanterie, Kronos sait pertinemment qu'il a aucune chance face à moi et se rabat rapidement en s'étirant. Yassimi ne s'arrête pas de rire.

- C'est qu'elle m'étrique cette tenue, maintenant que tu le dis, ironise Kronos avant de s'affaler sur son siège.

Nous rions alors tous les trois.

La famille royale a beau avoir des pouvoirs souvent dits comme invincibles, ce ne sont pas des guerriers. Ils ne connaissent ni le sang, ni la guerre, ni la peur, ni la folie, ils vivent entre les murs du palais toute leur vie. Même si mon alters est puissant, il n'égale pas celui d'un seul membre de la famille royale, pourtant, je suis capable de les battre. Le simple fait de connaitre la dure vie du terrain me donne l'avantage.

Ils sortent si peu de fois du palais, la dureté de la vie leur est complètement inconnue.

L'Empereur Alecia Yurii, droit dans son fauteuil, me fusille du coin de l'œil pour m'inviter à m'asseoir également et ainsi reprendre le sérieux que je suis censé adopter. Je me redresse alors et m'exécute avant d'attirer l'œil de l'Impératrice Fémi qui n'hésitera pas à hausser le ton. Je n'ai guère envie de terminer cette journée humilié.

Mon siège se trouve devant les rangées des Protecteurs, juste à la droite de la famille royale. Je m'y assois et croise le regard de Trônn assis juste derrière moi qui me sourit amèrement. Lui non plus n'est pas très enjoué de cette réunion tardive.

- Fais pas la gueule, on va pouvoir se plaindre publiquement à l'Empereur, ironise-je.

- Je veux dormir, je me plaindrai demain, grommelle-t-il en regardant l'heure sur sa montre.

Son attitude s'est bouleversée à l'instant où je lui ai annoncé l'apparition soudaine de Tyko. Évidement, il pense comme moi que nous ferions mieux de tirer cette histoire au clair avant que nous soyons pris par surprise.

Je m'installe confortablement et croise les jambes en attendant que l'Empereur prenne parole.

L'auditorium est séparé en plusieurs factions. D'abord, les Protecteurs à la droite des sièges royaux et l'Armée royale à sa gauche. Nous sommes les principales grandes familles de ce Royaume, notre rôle au Conseil Dynastique de la Magie est précieux car c'est nous qui sommes envoyés sur le terrain. Et sans nous, nous n'aurions jamais su que Tyko était en vie.

Ensuite, les autres factions se partagent le reste de la salle en fonction de leur utilité : Entre les magiciens du soin ; de l'administration ; de la culture ; de l'éducation ; de la justice ; des affaires étrangères et territoriales ; de la recherche et de la technologie ; ect... Il y en a tellement que je ne saurais pas tous les citer.

En tout cas, tous ont une fonction bien précise au sein du Royaume de Sola, ce qui nous permet d'avoir de solides piliers face aux carnages extérieurs.

Après quelques minutes d'attente, l'Empereur Alecia Yurii se lève de son siège orné d'or et de fer, montrant ses richesses mais aussi sa force, et toise le public avant de prendre la parole.

- Bonsoir chères membres du Conseil Dynastique de la magie, commence-t-il avant de marquer une fine pause. Malgré l'heure tardive et la fatigue de nos soldats, je n'ai pas voulu prendre le risque de perdre plus de temps avec les nouveaux rapports qui me sont parvenus.

Il se tourne vers moi et m'ordonne de me lever. Je me redresse, droit comme un mur et attend patiemment qu'on me donne à mon tour la parole. L'Empereur demande le silence complet avant de poursuivre.

- Comme vous le savez si bien, 142 ans se sont écoulés depuis l'ouverture du tombeau de Siskann, un lieu dans lequel nous pensions le savoir enfermé éternellement. Malheureusement, deux de ses plus fidèles soldats sont parvenus à le libérer. Puis, malgré nos profondes recherches, nous avions décrété que son âme avait pu disparaître sans pouvoir trouver d'hôte.

Cette fois son regard se pose aisément sur moi, il se tait et laisse le temps au public de comprendre la gravité de notre rapport d'il y a quelques heures.

- Rika Saba ici présent, Général des Protecteurs, bras droit de notre famille depuis des siècles et plus grand magicien de notre monde, a assuré avoir aperçu l'un de ses fidèles soldats sur Ama ; il s'agirait de Tyko.

Le public s'agite, il chuchote et se tourne dans tous les sens à la recherche d'explication.

- Veillez prendre conscience de l'ampleur de cette nouvelle. Si Tyko s'est montré au grand jour après tant de temps à jouer les morts, c'est qu'une raison l'en a poussée.

Cette fois les bras se lèvent, les factions souhaitent intervenir, ils supplient presque l'Empereur de leur laisser la parole.

C'est là que j'interviens, Alecia Yurii me fait signe de prendre place sur l'estrade au centre de l'auditorium et me laisse poursuivre le débat. Je connais ce conflit mieux que personne, c'est moi qui est arrêté Siskann lors de son ascension, j'ai affronté ses soldats, si ce n'est pas moi qui y reprend les rênes alors personne ne pourra le faire.

D'une marche militaire et confiante, je me place à l'endroit désigné, face au public. Je décide de leur donner parole directement pour leur permettre de combler leur ignorance.

Le porte-parole de la faction des magiciens des soins pose la première question :

- Permettez-moi de vous demander la raison de son retour, Rika ? Peut-être n'est-ce en rien lié à Siskann et que Tyko s'est montré à vous par pure hasard.

C'est bien une faction des soins ça, ils redoutent plus que moi cette guerre. La peur dans sa voix est si bien cachée qu'on pourrait le croire courageux, mais sa question le trahis. Il veut éviter ce conflit, il veut croire à la disparition définitive de Siskann, ce que je comprends. J'aurais aimé que ce soit possible.

- J'aimerais vous dire oui, mais malheureusement nous ne pouvons rien affirmer sans fondement. Les chances que Tyko soit revenu pour retrouver Siskann sont très grandes. Il disait vouloir mourir pour son lui et c'est d'ailleurs ce qu'il était censé faire en ouvrant son tombeau. Pourtant le voilà de retour. Et pour quelle autre raison que de rejoindre Siskann serait-il là ? Mieux vaut prévenir que guérir, vous devriez le savoir.

Il s'assoit en silence, en espérant que mes mots lui ont percuté l'esprit. Leur déni leur coutera chère s'ils ne se remettent pas sur pied rapidement.

Le porte-parole de la faction de la justice se charge de la deuxième question.

- Vous nous aviez confirmé l'accès au tombeau impossible, vous nous aviez affirmé que séparer l'âme de Siskann à son corps était l'unique moyen d'y mettre un terme... Alors pourquoi nous retrouvons-nous dans cette situation ?

C'est littéralement de la provocation.

Mes poings se serrent derrière mon costume alors que je fusille du regard mon interlocuteur. Il ne cille pas, me toisant de sa hauteur.

Sa question m'est arrivée comme une flèche que je n'avais pas anticipé. Évidement que le tombeau devait être inaccessible, et bien sur que tout ça était mon idée. Une idée que je pensais juste, pas bonne mais juste, car pour une fois j'avais décidé d'écouter mon cœur au lieu de ma raison. Et voila où ça nous mène.

Le cœur, quel organe stupide.

- Revoyez votre ton, d'abord. Sauf si finir la journée démembrer vous enchantes, le menace-je.

Je peux l'entendre glousser malgré la distance et ça m'aide à m'apaiser. Le silence devient lourd dans la salle, mes yeux ont surement dû virer au violet éclatant, perçant le public comme deux lasers armées.

Ce n'est ni le moment ni l'endroit pour faire bouillonner ma mauvaise humeur déjà bien présente.

- Ensuite, oui, mon plan a échoué, je l'avoue. Mais qu'aurions-nous pu proposer de mieux ? Brûler son corps sans y enfermer l'âme nous aurait mené à la même situation, vous ne croyiez pas ? Alors la prochaine fois, merci de prendre la parole après avoir réfléchi, non avant.

L'Empereur se lève dans mon dos et fait tomber un silence encore plus effrayant dans la salle, suivis de quelques bruits de bouches choqués de mes paroles. Je ne prends pas la peine de me retourner et affronter son regard, sa colère me tombera dessus au moment où il verra dans mes yeux la haine que j'ai éprouvé en répondant à sa stupide question.

Il sait que cette histoire m'irrite, mais il sait aussi que mon rôle est de rester aussi stoïque que possible, chose que j'ai du mal lorsque le nom de Siskann me parvient.

Je pousse un soupire et pivote finalement vers l'Empereur pour le saluer avant de quitter l'estrade. Je n'attends pas son accord, il sait aussi bien que moi que je finirai par étriper quelqu'un en restant ici. C'était la réunion de trop. Si les questions deviennent de plus en plus épineuses, je ne pourrai plus me retenir, et mieux vaut éviter de me mettre les factions à dos.

Je sors de l'auditorium la tête en feu, prêt à embraser le moindre obstacle, mon corps tremble et m'empêche de bien respirer. Mon état se dégrade sévèrement, le retour de mon frère me rend nerveux. Sa simple présence peut faire basculer tout mes plans et je ne peux pas me le permettre.

Un homme apparaît à mes cotés alors que je remonte les escaliers pour rejoindre mes appartements. C'est Marco, l'un des analystes du Conseil. Il est accompagné de quelques médecins et me prend le bras pour m'arrêter. Lorsque nos regards se croisent, il recule, comme si trois têtes m'étaient poussées soudainement.

Mes iris doivent être encore d'un violet effroyable avec la montée de colère que j'ai eu à l'auditorium. Plus je m'emporte plus mes yeux brillent, c'est la particularité de certains magiciens capables de surpasser les limites légales. C'était également ainsi qu'on reconnaissait les fameux Luna, apparement. Encore l'un des mensonges de la famille Yurii que je me dois de garder pour moi.

- Quoi ? crache-je impatient de mettre un terme à cette journée.

Il se racle la gorge et ajuste ses lunettes pour reprendre son allure professionnelle.

- Navré de vous déranger, Rika, vous n'êtes pas allés faire votre suivi médical cette semaine. Je tenais à vous...

- Sérieux ? m'énerve-je, comprenant que je suis dérangé pour un stupide suivi médical. Va emmerder quelqu'un d'autre que moi, Marco...

Il se tait, hésitant, apeuré, il recule et sa pomme d'Adam tressaute. Mon regard balaye les médecins qui l'entourent et leurs visages décomposés par la panique m'agacent encore plus. Tous m'agacent, depuis que cette journée à commencé je ne fais qu'être sur les nerfs. S'ils ont si peur de moi, alors qu'ils m'évitent.

- Rika, relance Marco, je sais bien que c'est difficile pour vous depuis...

- C'est n'est pas difficile, je suis juste de mauvaise humeur, tranche-je sans lui laisser le temps de finir la moindre phrase.

- Bien, ça me rassure alors, se convainc-t-il en esquissant un sourire forcé.

- T'es venu juste pour ça ?

L'idée qu'il me retienne de dormir juste pour rien me met hors de moi, j'ai déjà assez subi aujourd'hui pour ne pas avoir à me coltiner le personnel médical toute la nuit. Avant même que je puisse montrer les crocs, il s'empresse de me répondre :

- Non, à vrai-dire j'avais autre chose à vous annoncer.

Je croise les bras impatient et le laisse poursuivre.

- J'ai été appelé pour rendre compte d'un cas particulier. On m'a affirmé que c'était une possession.

Mes yeux s'écarquillent. Tout en moi explose, mes bras se laissent tomber alors que ma bouche s'entre-ouvre de stupeur, mais avant de dire le moindre mot j'attends la conclusion de Marco. Mieux vaut éviter de s'emballer trop vite, je pourrais être déçu.

- Ce serait une jeune fille, et il semblerait que la chose qui se trouve en elle soit... puissante. Très puissante.

Cette fois j'en suis sûr, ça ne peut être que lui, du moins je l'espère. Mon cœur cogne ma poitrine alors que je ne peux quitter Marco des yeux en essayant de digérer sa révélation.

- Vous pensez que ça serait... commence-je sans pouvoir avouer le prénom de mon frère

Marco acquiesce et hausse les épaules en même temps, un geste qui me dit qu'il ne saura la réponse que demain. Mais que son intuition se place sur la même longueur d'onde que moi.

Les cas de possessions sont tellement rares et instables qu'on n'arrive jamais à rencontrer l'hôte avant qu'il ne meurt. Mais cette fois, ça a marché, pourquoi ? Parce que c'est Siskann ou parce que c'est cette fille ? En espérant que nous parlions, d'ailleurs, bien de Siskann et pas d'une autre âme perdue.

Nous aurions enfin retrouvé mon frère ?

Je suis à deux doigts de courir jusqu'à ma chambre chercher mes armures et sonner à la porte de cette jeune fille. Mais cette imprudence peut me couter très chère. Si c'est bien Siskann, il saura que j'approche avant même que je frôle sa demeure. Son pouvoir s'égalise presque au mien, de quoi me faire prendre des précautions avant la moindre action. Un sourire au coin surgit sur mon visage, je vais enfin mettre la main sur celui qui nous tourmente tous, dont moi. 

- Bien. J'attends ton rapport demain, que ce soit Siskann ou non, lui ordonne-je alors.

Siskann, je sens qu'on s'approche de toi, attention, pense-je tout en riant.

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