31. Siskann
L'an 4031, Époque Harmonieuse, Origine.
Le temps est compté — depuis le début, d'ailleurs — mais à cet instant c'est bien pire que le reste.
J'ai été obligé d'ouvrir un portail pour rejoindre le père de Aya qui se trouve très proche de la capital, un endroit donc truffé de barrières magiques et de soldats. Ce qui fait que le palais a été averti d'une faille dans leurs capteurs et qu'ils ne tarderont pas à débarquer. Avec un peu de chance, Rika sera trop occupée avec Aya pour me rejoindre, même si la chance n'a jamais été très de mon coté ces derniers temps.
Et puis laisser Aya aussi loin de moi, dans un endroit aussi risqué que le palais, est un sentiment insupportable que je dois faire taire.
J'ai peur pour elle, du moins c'est une sorte d'émotions étrange qui me tord l'estomac depuis que nous nous sommes séparés. Peut-être que ce n'est pas réellement de la peur, ni de l'angoisse, mais du manque. Quoi que je ne saurais même pas différencier toutes ces sensations. Pour moi, tout est pareille. Elles me font de drôles d'effets d'ailleurs, j'ai la gorge qui se noue, le cœur qui ne ralentit pas, mes sens toujours aux aguets, l'esprit focalisé sur notre subconscient au cas où elle aurait besoin d'aide.
Je ne pense que pour Aya, comme si elle était mon dernier souffle. Comme l'était aussi Petra. Difficile de ne pas les comparer, elles se ressemblent tellement.
J'attrape ses carnets d'écritures déposées sur le bureau de sa chambre, chez son père, et feuillette rapidement les pages.
Toutes ses affaires sont encore là, intacts et mal rangés. Exactement comme lorsqu'elle y a mis un pied il y a maintenant un mois et quelques jours, la chambre de chez son père est devenue une bibliothèque géante. Les livres sont éparpillés dans toute la pièces, les vêtements encore rangés dans ses valises tout comme les sacs remplis qu'elle s'est infligée de porter lors de l'après-midi shopping avec ses frères. Tout est encore comme si nous n'étions jamais partis.
Je repose les carnets là où je les ai trouvé et me dirige vers la porte de sa chambre.
Malgré que tout ici semble donner raison à ce que Aya soit revenue, la vérité est que ce n'est qu'un mensonge bien ficelé. La fausse Aya que j'entends rire depuis quelques minutes dans le jardin est une comédienne qui joue son rôle à la perfection. Son père à l'air d'être complètement tombé dans le panneau, tout comme les deux frères qui rient avec elle.
Seule sa mère aurait vu la supercherie. Cette femme était incroyable, elle me terrifiait certes, mais je regrette sa mort tout comme Aya. Elle nous aurait été d'une grande aide. Surtout qu'elle semblait bien me connaître...
Malheureusement, les grandes personnes ont tendance à mourir plus vite que les autres, c'est le destin tragique que nous impose la valorisation des idiots de ce monde. Gloire aux mensonges qui s'accommodent mieux, n'est-ce pas ? La vérité qui dérange peut être mis de coté, tant que la majorité n'y croit pas, hein ?
Je déteste ce monde.
En sortant de la chambre, j'entends le père de Aya dans la cuisine, cherchant quelque chose au frigo. Un autre homme s'y trouve, un vieux. Je crois d'ailleurs l'avoir déjà croisé. Le grand-père adoptif de Aya, il était tout aussi perché que sa mère mais il n'avait pas l'air de trop m'en vouloir. Mieux vaut me faire tout de même discret, les trahisons sont bien plus régulières qu'on ne le pense.
Mon objectif est de tuer Calice, mais aussi d'avoir des informations.
Je décide de descendre au-rez-de-chaussée et d'entrer dans la cuisine, m'enfermant au passage avec le père et le grand-père. Les enfants sont dehors, dont Calice, ils discutent sur la terrasse et ne semblent pas se préoccuper de ce qu'il se passe à l'intérieur.
À l'instant où la porte de la cuisine se referme, les deux hommes pivotent vers moi. Le père lâche son verre au sol qui éclate en morceau — une réaction que j'attendais, évidement. Toutefois, le fait que le grand-père me sourit me déroute totalement.
Lui et la mère de Aya savaient sûrement plus de choses que je ne le pensais. Bien des choses qu'ils cachaient également à Aya.
- Je crois qu'il faut qu'on parle, dis-je à l'attention du grand-père principalement, vu que le père semble perdre ses mots.
Le père nous dévisage tour à tour et s'éloigne le plus de moi à reculons. Je m'adosse à la porte et reste concentré sur le vieux, le plus dangereux à mon goût.
- Où est ma petite-fille ? Je l'ai cherché jour et nuit, mais apparement tu as été bien fort pour la cacher, répond-t-il en s'asseyant sur une chaise près d'une table murale.
- Je vois... Vous êtes donc au courant que la vraie Aya n'est pas ici ?
Le grand-père acquiesce et ma curiosité d'en apprendre plus sur lui s'intensifie. Il sait des choses impossibles à décrypter, ce qui pourrait m'intéresser. Je ne connais pas son alter mais ce n'est certainement pas le même que Aya, lire dans la tête il ne sait pas faire. Alors comment a-t-il deviné que celle actuellement dans le jardin est une usurpatrice ?
J'étire un léger rictus qui n'arrange pas la peur sur le regard du père cette fois à l'autre bout de la cuisine. Il s'est même procuré un couteau de cuisine au cas où il devrait se défendre. Seulement, un couteau ne suffira pas. Contre le vieux peut-être mais pas contre moi.
- Mais qu'est-ce que vous racontez ! Aya est là, dehors ! s'énerve le père en gigotant sa misérable arme dans les airs.
Je lève les yeux au ciel et me concentre plutôt sur le grand-père. Le temps est compté et je n'ai encore rien accomplis de mon objectif.
- Très bien, vous avez deux minutes pour m'expliquer ce que vous voulez à Aya. Ensuite, je m'occupe de celle qui est dehors, lui ordonne-je.
Il soupire et pivote vers le père qui semble tétanisé, la main qui tient son couteau tremble et il s'agrippe au plan de travail derrière lui. Leur comportement est bien étrange, ils savent tout les deux ce que je cherche et sont également complices, ce qui me met d'autant plus en alerte.
Mais n'ayant pas le temps d'attendre qu'ils aient le courage de m'avouer leur secret, je m'avance vers le père et me dresse devant lui. Nous faisons la même taille, mais mon aura étouffe la sienne de très loin, ce qui rend sa respiration difficile et l'empêche d'user de son couteau. À la place, il lâche son arme au sol et recule du mieux qu'il peut pour éviter mon regard.
- Je commence par toi, lui dis-je d'un ton relativement calme. Que caches-tu à Aya ?
Je sais que leur secret la concerne, j'ai toujours su que quelque chose se tramait derrière son dos. Mais je ne pensais pas que ça viendrait de ses propres parents. À moins que ça soit bien assez coriace pour la mettre en danger, et que l'ignorance était sa seule chance de survie.
Un peu comme le fait d'ailleurs mon frère, actuellement ; faire genre qu'il ne sait rien alors qu'il est aux premières loges. Quelle comédie insupportable.
- Qui es-tu ? bredouille-t-il.
Le vieux répond à ma place :
- Siskann, l'âme caché au fond de votre fille. Dis-lui la vérité, vas-y.
- Au moins un qui coopère, ironise-je tout en défiant du regard le père.
- Mais... peine à articuler le père. Mais je ne peux pas, elle m'a ordonné de ne rien dire... Je...
Le vieux l'interrompt d'un levé de main avant de trancher radicalement :
- Dis-lui.
Ce sujet est encore bien plus complexe que je ne l'imaginais. Je commence presque à ne plus rien comprendre. J'enroule ma main au cou du père et le plaque violemment contre le meuble. Ça le fera sûrement avouer plus facilement. Il est bien moins puissant que Aya, son alter est si faible qu'il semble humain. Il n'ose à peine me regarder dans les yeux et tente par tous les moyens de fuir la pression que je lui inflige.
- Que... que voulez-vous savoir ?
- Tout ! m'impatiente-je.
Il jette un coup d'œil au grand-père qui l'incite à me confier ce qu'il sait. Et il n'était pas trop tôt, lorsque je suis pressé je suis bien moins tolérant. Je ne peux pas les tuer — Aya m'en voudra — mais je peux au moins accélérer l'interrogatoire à ma manière.
- Je savais qu'elle nous apporterai des problèmes, je le savais... murmure le père les yeux imbibés de larmes haineuses. Pourquoi crois-tu que je l'ai quitté ! Je n'avais plus le choix, on aurait tous été tué sinon.
Sa tristesse se mélange à la rage, il daigne enfin lever ses yeux vers moi et serre les dents de colère. Un secret bien trop lourd pour lui coule dans ses veines et j'ai l'impression que l'avouer est aussi une tâche bien difficile.
- De qui tu parles ?
- De sa mère ! Elle était obnubilée sur sa descendance, elle disait vouloir absolument une fille, seulement une putain de fille, et que le reste ne l'intéressait pas. Elle n'aimait pas ses fils, non, elle ne s'en occupait même pas, elle n'avait de yeux que pour Aya. Oh Aya... la fille parfaite, le pouvoir puissant, l'héritière d'une grande lignée. Je ne pouvais plus vivre avec elle, c'était trop pour moi. Même Aya, pauvre enfant qui porte les responsabilités du monde sur les épaules, je n'arrivais pas à la considérer comme ma fille. C'était sa fille, à elle.
Les larmes finissent enfin par couler sur son visage, et sans que je puisse comprendre les mots qu'ils prononcent. Il débite à grande vitesse, ne prenant même plus le temps de respirer.
Aya viendrait d'une grande famille, une famille bien assez puissante pour que sa mère prenne à cœur son héritage. Apparement, elle voulait absolument une fille qui adopterait son alter, et rien d'autre. Pourquoi pas deux filles ? Et pourquoi une fille et pas un garçon ? Une fois Aya née, la mère ne se préoccupait apparement même plus de ses deux autres fils, ni du père d'ailleurs. Toutefois, je ne comprends toujours pas pourquoi, ni qui peut bien être cette fameuse lignée dont Aya fait partie.
Si seulement sa mère n'avait pas été assassiné, nous aurions pu avoir des détails bien plus importants qui nous auraient bien aidé. Pour l'instant, je dois me contenter des paroles absurdes du père qui sanglote devant moi.
- Merde... Si je savais que c'était une Neferani, j'aurais jamais été me frotter à cette femme... , se plaint le père.
Neferani ? Je connais cette famille, de très loin. D'avant ma naissance même vu qu'ils ont été rapidement exterminé par les Yurii. C'était une lignée de magiciens aux pouvoirs psychiques, je crois.
Comme Aya.
Tout semble se relier enfin.
- Je suis obligé... murmure-t-il soudainement en me contournant pour rejoindre un meuble de l'autre coté de la cuisine. Je suis obligé, obligé de l'écouter. Je suis obligé. Je...
Tout en répétant cette phrase en boucle, il ouvre l'un des tiroirs et en sort un couteau. Je reste à l'affût en cas d'attaque surprise.
Mais, dans un énième sanglot, alors que je ne m'imaginais pas qu'il en serait capable, il se poignarde au niveau du cœur avant de s'effondrer sur le carrelage.
La scène me retourne l'estomac, non pas pour tout ce sang qui s'écoule par terre, ni d'avoir assisté à un suicide, mais plutôt parce que cet homme était le père de Aya. Je ne devais pas le laisser mourir, ni des mains de Calice ni de toutes autres mains. Pourtant le voilà allongé au sol, le cœur poignardé, le visage mouillé de larmes, emportant son savoir avec lui.
Le grand-père détourne le regard du père pour le rapporter sur moi. Il ne semble pas plus étonné que ça de ce qu'il vient de se passer.
- Comprends-tu donc pourquoi je l'ai laissé s'exprimer à ma place ?
Soudain, les dernières paroles du père me reviennent. Il disait être obligé. « Obligé de l'écouter ». Était-il sous hypnose ? Mais de qui ?
Mon regard se fronce et s'interroge sur ce que veut me faire comprendre le vieux.
- Il savait bien des choses interdites, mais la mère de Aya a fait en sorte qu'il se suicide avant qu'il ne puisse trop en dire. Ce sont les conséquences lorsque l'on trahit leur famille.
Je nage en plein délire. Moi qui pensait simplement venir ici pour tuer Calice, je me retrouve piégé dans une vague de secrets qui semblent détrôner toutes mes espérances sur l'importance de Aya. Je savais qu'elle était spéciale, mais comment se fait-il qu'elle ne soit au courant de rien ? Et comment se fait-il que moi, ou même Rika, ne sache pas non plus ce que sa famille cache ?
- Je ne suis pas sûr de bien tout comprendre, finis-je par dire encore sous le choc de cette révélation.
Le grand-père étire un sourire avant de se redresser lentement de sa chaise, tenant son dos au passage à cause de la douleur qu'il lui inflige.
- Malheureusement pour vous, Siskann, votre seule réponse sera les dernières paroles de cet homme, m'avoue-t-il en désignant le corps mort du père au sol. Si je vous confie le secret que porte la famille de Aya, je finirai dans le même état.
- Vous êtes tous sous hypnose ?
Ma surprise laisse place à un silence de sa part. Lui aussi compatit. Pousser aux suicides ceux qui oseraient trop en dire n'est pas la meilleure des méthodes pour être sûr de garder un secret, mais il n'a pas l'air de s'y opposer non plus. Il ne pourra donc rien m'expliquer de plus. Mais peut-être puis-je lui soutirer des informations en exprimant moi-même ses réponses. Il n'aura rien besoin de répondre, son silence suffira.
- Très bien... Alors, comment retrouver sa famille ? Je croyais que tout les Neferani avaient été tué...
Il abaisse légèrement son regard comme peiné par la réponse qu'il aurait à m'apporter.
- Ne me dîtes pas que Aya est la dernière de sa lignée ? m'étonne-je.
Ses yeux répondent à la place de sa bouche, il semble fortement intéressé par cette question. Sûrement celle qui apporte la preuve que Aya est importante, que c'est la dernière héritière d'une famille importante, qu'il faut la préserver.
- A-t-elle des responsabilités vis-à-vis de ça ?
Il pointe du doigt le corps du père comme si la réponse avait déjà été évoqué plus tôt. Dans un plissement de paupières, je tente de recoller les morceaux.
Il existe une famille puissante, du moins, il existait : Les Neferani. Dorénavant Aya en est la dernière, la seule de son sang, l'héritèrent d'un grand pouvoir. D'après les paroles du père, la mère aurait été dans l'obligation d'enfanter une fille pour faire perdurer son alter mais également sa lignée. Pourquoi une fille spécifiquement ? Est-ce un critère pour hériter de l'alter ? En tout cas c'est ce que je commence à croire en sachant que les deux frères de Aya ont hérité du don du père.
Ce qui rejoint ma question : Quel devoir avait cette famille ? La mère devait-elle seulement se contenter de faire naître son héritière ou avait-elle d'autres responsabilités à coté ? Et comment se fait-il qu'elle n'en est rien dit à Aya ? Porter un secret si lourd alors que sa fille était sûrement en danger, quel est l'objectif derrière tout ça ?
Et ce tout ça ne m'apporte rien, aucune des questions que j'avais n'a eu de réponses. Au contraire, de nouvelles interrogations font surface et j'ai l'impression que ce n'est pas ici que je les aurais.
- Vous ne pouvez pas m'en parler à moi, mais pouvez-vous au moins le faire auprès de Aya ? Elle doit le savoir, elle ne peut pas vivre éternellement dans le secret.
Le grand-père semble troublé. Il se mord la lèvre le temps de trouver les bons mots.
- Sa mère devait lui avouer, elle devait attendre qu'elle soit prête. Mais elle est morte, alors je crois que Aya le découvrira d'elle même. C'est le mieux pour elle.
- Mais comment ? Que puis-je faire pour l'aider ?
Il se rapproche de moi, amène son index à sa tempe comme pour désigner quelque chose dans sa tête.
- Ouvrir son esprit à ses ancêtres, c'est ça qu'il faut.
- Vous ne savez pas parler sans que ça soit indéchiffrable ! m'énerve-je, n'ayant des morceaux de réponses depuis le début de cette conversation.
Dans un sourire moqueur, il conclu :
- Vous souvenir, c'est ce que vous voulez, non ? Alors, plongez dans vos mémoires, les réponses apparaîtront d'elles-mêmes.
Dans un mouvement lent, il se tourne vers le père puis vers la porte de sortie qu'il s'apprête à ouvrir. Alors qu'il dépose sa paume sur la poignet, cette dernière s'ouvre et laisse entrer la fausse Aya. Son regard longe le cadavre du père au sol avant de remonter doucement vers moi, et une rage profonde m'anime. Ce n'est pas la vraie Aya, ce n'est pas son regard, ses expressions, son attitude, ce n'est pas la femme que j'aime.
Et je ne perds pas une seconde pour agir. Ses quelques secondes de réflexions la ralentisse puis j'en profite pour me jeter sur elle, plaquant violemment son dos contre le mur. Ma main sur son menton que je sens craquer sous mes doigts, je ne lui demande qu'une chose :
- Que viens-tu faire ici ?
Elle se débats mais c'est peine perdue, malgré ma force diminuée depuis que j'ai partagé ma magie avec Aya, je suis tout de même bien au-dessus de la plupart des magiciens.
- Que veut Rika ? persiste-je.
Car je sais que c'est lui qui est derrière tout ça, je sais qu'il a un truc en tête et qui commence réellement à m'agacer. Son regard s'affole en me voyant resserrer ma prise, sa mâchoire se tord sous ma poigne et Calice gémit de douleur. Toutefois, elle trouve le courage de me répondre dans un murmure douloureux :
- Mon travail est déjà fini, Siskann...
Avant que j'ai pu lui demander pourquoi, un homme m'attrape violemment par la nuque et me propulse en arrière.
La force du coup était si forte que j'ai traversé la cuisine ainsi que son mur pour atterrir dans le jardin, sous les yeux des deux frères de Aya. Je me redresse rapidement et les dévisage pour les faire partir le plus loin d'ici, mais leur regard sont focalisés sur autre chose.
Sur un homme, celui qui vient de me faire voler à travers la maison, il se trouve derrière moi. Je me tourne lentement, sachant déjà à qui j'ai à faire. Car une seule personne est capable de me faire aussi mal. Et c'est la seule que je redoutais de voir ici.
- Alors t'es vraiment là, en chair et en os, dit Rika en s'avançant vers moi, les mains entourées de milliers de filaments électriques violets.
Je pousse un soupire, n'ayant vraiment pas envie de l'affronter maintenant. Pas après tout ce que je viens d'apprendre sur les origines de Aya, et tout ce que je dois faire pour en savoir d'avantage.
Mais mon frère semble déterminé à m'arrêter aujourd'hui, il poursuit sa marche lente jusqu'à moi et fait vriller ses pupilles qui deviennent deux rondes lanternes violettes époustouflantes. J'avais oublié à quel point son regard me terrifiait, surtout lorsque nous étions petits. Même si nous étions pratiquement jumeaux et que beaucoup nous confondait.
Heureusement que j'ai changé de coiffure, nous aurions pu être jumeaux et je n'avais vraiment pas envie d'être lié à ma famille. Être un Saba est une honte pour moi, si je les ai tué c'est pour ne plus avoir affaire à eux. Si j'avais pu tuer Rika également, ma vie aurait été tellement plus simple.
- Elle est où ? demande-je en ne me préoccupant que de Aya.
Je sais qu'elle va bien, mais ça ne me dit pas où elle peut être. Je n'ai pas eu de nouvelle d'elle depuis que Rika l'a mis inconsciente, elle doit sûrement être encore sonnée. Ce dernier ne fait que hausser les épaules et me met déjà en rogne.
- Et à part Aya, il a quelque chose d'autre qui t'intéresse ? ironise-t-il. Comme le fait que tu as marchandé avec un mage noir, par exemple.
Il s'avance d'avantage, laissant cette fois plus que deux misérables mètres qui nous séparent. Il m'observe un instant, redécouvrant le corps de son petit-frère qu'il a dû presque oublier. Environ 5 siècles se sont écoulés depuis ma mort, et me voilà de nouveau face à lui, en chair et os — du moins, pas totalement, mais passons.
Son regard s'attarde sur mon visage qu'il contemple alors que je me mets déjà en garde face à ce qu'il pourrait faire. S'il décide de m'abattre, je n'y pourrais rien, et ça sera bien plus rapide que le dernier combat que j'ai fait contre lui lorsque j'étais dans le corps de Aya. À l'époque, j'avais plus ou moins mes pleins pouvoirs, mais aujourd'hui je n'ai que la moitié. Aucune chance que je puisse vaincre mon frère dans cet état, il est devenu bien plus fort que moi depuis ma mort. Comme s'il savait que j'allais revenir.
La seule chose que je peux tenter est la fuite, comme habituellement. Fuir pour éviter de m'acharner sur mon propre frère. Tant que je n'aurais pas la puissance pour le battre, ça ne sert à rien que je me blesse en essayant de me montrer à la hauteur.
- Siskann, dit-il d'un ton soucieux. Qu'as-tu encore fait ?
Lui dire la vérité ? Jamais. Seul Tyko sait à quel point ce pacte est important à mes yeux, et à quel point je mets de l'espoir en lui. Je mourrai avec mes réponses, ça c'est certain.
- Où-Est-Elle ? persiste-je en prenant bien soin de changer de sujet.
Me voir borné, c'est bien une chose que déteste Rika chez moi. Et c'est ce qui nous a d'ailleurs conduit à nous entretuer. Je n'ai jamais pris la peine de suivre ses conseils, il avait beau utiliser n'importe quelle menace, aucune ne m'atteignait assez pour me faire changer de camp. J'ai toujours fait ce qui me passait pas la tête et Rika n'y changera jamais rien.
C'est ce qui me fait à cet instant mériter un énorme coup de poing en plein dans la mâchoire. Mon corps percute le sol sous la pression du coup. Mon frère n'y vas pas de main morte lorsqu'il veut se battre. Je me relève aussitôt mais ne riposte pas, je me prépare juste à mon défendre. Toutefois il est trop rapide, une fraction de seconde après et le voilà dans mon dos pour me donner un coup au centre des deux omoplates. Je me sens encore une fois projeter en avant et crache du sang.
Va falloir que je fuis, et vite.
- Rien ne change jamais, mon frère. On doit sans cesse s'affronter et je finis toujours pas te vaincre, m'annonce-t-il en s'avançant vers moi, toujours le corps au sol après le coup qu'il vient de mettre. Mais pour la première fois depuis longtemps, j'ai vraiment envie de te tuer.
Dans un réflexe, je tente de me redresser pour m'éloigner de lui mais des éclairs s'abattent autour de moi. Un cercle lumineux nous entoure et m'empêche de m'échapper de son emprise. Il m'emprisonne avec lui.
Je tente d'appeler Aya mais elle ne répond toujours pas, encore inconsciente sûrement. Alors je me relève, sachant pertinemment que je n'ai plus le choix. Me battre contre lui ou me laisser mourir. Dans les deux cas, l'issue est la même.
La rage que j'aperçois dans les yeux de mon frère est la même que j'ai vu avant de mourir il y a deux cents ans, et ce jour-là, alors que je pensais qu'il ne serait pas capable de m'abattre, il l'a fait.
Il tend sa main gauche vers moi toujours au sol et fait trembler toutes mes cellules comme si je m'apprêtais à m'évaporer.
Son espace-temps est bien plus développé que le mien, bien plus performant.
De mon coté, j'ai toujours eu une préférence pour les liaisons électriques et la foudre de notre alter, la destruction en masse et les exploitions — comme si c'était surprenant, d'ailleurs. La maîtrise du temps ainsi que tout l'aspect scientifique qui se cache derrière, comme les formations moléculaires et la relativité spatiale, étaient plus du coté de Rika.
Après tout, nous nous complétons comme deux frères.
Mais pourtant, aucun équilibre sensé s'est formé entre nous. Comme si seul l'un de nous deux devait mourir pour pouvoir laisser l'autre prospérer. Ce qui est injuste car aucun de nous deux n'a demandé à être plus valorisé que l'autre, nous voulions au départ être aussi inséparables que la lune et le soleil. Mais ce n'est pas ce que le destin a choisi.
Aujourd'hui, l'un de nous deux mourra. Et ça sera sûrement moi.
Même si mes chances sont minimes, je forme une boule d'énergie à ma paume de main et la dirige vers mon frère qui l'arrête d'un seul doigt.
- T'aurais pas dû revenir, crache Rika en faisant apparaître dans sa main droite une grande lame noire que je reconnais.
Le sabre du jugement de Aya. Il l'admire quelques instants, faisant briller son acier de ses éclairs, puis pointe la lame sous mon menton.
- Je n'aurais jamais dû naître, c'est ça ? Dis-le. Avoue-le enfin, maintenant que tu as décidé d'en finir, m'emporte-je.
J'essaye de ne pas paraître aussi troublé que je le suis au fond de moi. Ce sabre est capable d'emprisonner n'importe quelle âme éternellement dans sa lame. Mais qu'en est-il pour moi ? Ou pour Aya ? Notre fusion astrale peut-elle subir le même sort ? Sera-t-elle aussi prisonnière si j'y suis enfermé ?
J'espère que non...
- Je ne regrette pas de t'avoir eu comme frère, Siskann. Je regrette seulement que la solution à tout ça soit ta mort.
Il se plante devant moi et enfonce doucement la pointe du sabre dans mon cou. J'attrape la lame de ma main et m'ouvre la paume au passage. Mais la douleur est invisible à coté de ce que je ressentirai une fois emprisonné dans cette arme. Alors je resserre mon poing, empêchant la lame de traverser ma gorge.
Rika ne force pas, il me laisse user de mes dernières forces pour me protéger du coup fatal. Il profite une dernière fois de son petit-frère. Son regard s'attendrit, ou alors ce n'est qu'une illusion de mes espoirs ; voir mon frère, le dernier membre de ma famille, hésiter à me tuer. C'est ce que je souhaite par dessus tout, il le faut, et ainsi je pourrais en profiter pour fuir. Encore et encore..
Pourtant son regard n'est pas comme je l'imaginais, il est simplement indifférent. Pas attendrit, par empathique, mais indifférent. Et ce qu'il me reste d'espoir se brise en de milliers d'éclats que je ne pourrai jamais recoller.
- Tues-moi s'il ça te fait tant plaisir, mais ça n'y changera rien. Le monde périra de mes mains, même mort, lui crache-je.
Il arque un sourcil, curieux de mes menaces.
- Je vais finir par croire que tu es plus dangereux en étant mort...
La vérité est encore bien plus sombre qu'il ne l'imagine. Autant pour moi que pour tout ce qui reste de notre humanité, et seule Aya y survivra. Car elle a été ma flamme d'espoir, et qu'elle est l'unique étincelle à mériter de briller. J'éteindrai toutes les autres sans exceptions. Puis Rika hausse simplement les épaules, brandissant le sabre au-dessus de ma tête avant de l'abattre sur ma gorge.
L'histoire est une abominable boucle immortelle.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top