30.1 Aya
Dans un acte de défense totalement non-maitrisé, j'ai formé une multitude de dimensions miroirs et j'ai reproduit à l'infini la salle ainsi que ses Nobles autour de nous. Au lieu de m'en prendre qu'à l'homme qui me draguait, j'ai embarqué toute le monde avec moi, dont Rika qui se lève de sa chaise d'un bond pour essayer de comprendre ce qu'il se passe. Je ne bouge pas de mon siège, essayant de ne pas me porter coupable de ce sort typique de la famille Saba.
Comme si ça pouvait être quelqu'un d'autre que moi... Évidement que non.
La salle semble infinie, notre table s'est multipliée éternellement autour de nous comme les Nobles qui s'y trouvent. Chacun regarde ses propres clones et s'effondre de terreur, ils ne comprennent pas ce qui leur arrive et restent pétrifiés sur place le temps que tout revienne dans l'ordre.
Mais comment tout remettre dans l'ordre ?
Pour fuir le regard sombre de Rika, je le détourne vers ma gauche et croise celui de l'homme dragueur qui m'a poussé à lancer ce sort. Mais son visage n'est pas comme d'habitude, une rivière de sang s'écoule de sa bouche et, regardant de plus près pourquoi, je remarque un couteau planté en plein dans son abdomen.
Je pousse un cri d'horreur et recule d'un bon en me relevant de ma chaise. Je manque de trébucher avec mes escarpins avant que des mains me rattrapent par le bras.
- Attention où tu mets les pieds, me lance une voix féminine qui ressemble étrangement à la mienne.
Je me redresse et croise le regard de ma jumelle, habillée exactement comme moi, les mains en sang. Elle est à mon identique, mais semble bien plus décontractée que moi. On dirait presque c'était son repas d'anniversaire, son sourire est grand et ses yeux de félins révèlent son plaisir d'être ici.
Pourquoi tant de joie ? Ne me dites pas qu'elle apprécie les Nobles...
Puis je comprends.
En observant de nouveau ses mains rouges et le couteau planté dans l'homme dragueur, je comprends qu'elle en est à l'origine. C'est elle qui a tué le Noble, c'est elle qui m'a sauvé de ses mains.
Ou c'est moi qui l'ai appelé.
Quelle horreur, je ne comprends plus rien.
Tout comme Rika qui m'attrape par l'autre bras et me fusille de son regard violet éclatant, il sait très bien que c'est l'un des sorts de sa famille. Ça doit lui faire tout drôle que je le maîtrise aussi bien. Enfin, quand je dis aussi bien c'est surtout la manière dont ça s'est formé. Le fait que je ne le contrôle pas complètement pose tout de même problème.
Ma jumelle vient de nouveau à mon secours et empoigne le poignet de Rika pour le menacer de me lâcher. Nous voilà dans un trio terrifiant de qui en sortira vainqueur. Ça ne sera certainement pas moi, ni ma jumelle qui ne fera pas grand chose si je jette l'éponge.
- Lâche-là, ordonne-t-elle soudainement, alors que je tremble de peur sous cette tension effrayante.
Le visage de Rika se fronce d'avantage en voyant la main de ma jumelle lui resserrer le poignet, mais il n'y prête pas attention. Et d'un mouvement de doigts, il fait disparaître toutes mes dimensions dont ma jumelle avec. Tout redevient comme avant, les pièces se dissipent, les clones aussi, la vie reprend son cours et moi je manque de m'effondrer d'angoisse.
Alors que j'allais constater la réaction terrifiée des Nobles de ce qu'il vient de se passer, je suis soudainement aspirée dans un portail juste sous mes pieds et tombe, allongée, pile sur le canapé du salon de Rika.
De son coté, il atterrit délicatement face à moi et s'approche le regard noir. Je reste allongée sur le canapé, agrippant le coussin sous mon dos au cas où il s'en prendrait à moi. Ce qui est très ironique vu que rien ni personne n'est capable d'arrêter cet homme, et certainement pas un coussin.
- Vu que tu n'en fais qu'à ta tête, je n'ai pas le choix de t'éloigner avant que tu ne commettes d'avantages de victimes, me gronde-t-il, debout devant moi, les bras croisés.
Je me redresse et m'assois en tailleur. Je ne le quitte pas des yeux et encore moins lorsqu'il empoigne ma mâchoire de sa main. Je suis prise d'une panique soudaine, cette proximité et son regard glacial qu'il me lance me prennent de court. Il enfonce délicatement ses doigts dans ma peau et attire toute mon attention, éveille tous mes sens. Je me refuse même de trembler par peur qu'il explose de colère face à moi. Muette et figée, je l'observe.
- Tu étais intouchable là-bas, entourée de Nobles, de témoins et de projecteurs, raye-t-il d'un ton malsain. Mais ici, seul avec moi, c'est différent.
Je déglutis, resserre les dents pour m'empêcher d'éclater en sanglot. Pour la première fois depuis longtemps, il m'effraye. Son regard violet prend de l'éclat, il s'agrandit et me fait tomber de haut. Mes yeux ne sont pas capables de supporter un tel adversaire, je détourne le visage de lui et referme mes paupières pour fuir cette situation. Mais il m'attrape le menton d'une main et m'oblige à de nouveau le regarder, à faire face à son autorité.
Son silence est oppressant, il semble durer une éternité alors que nos regards se défient. Du moins, seulement le sien, le mien se soumet dès lors où il croise un rayon violet dans son champs de vision.
- Pourquoi as-tu si peur ?
Je ne dis rien, mes tremblements font offices de réponse.
- Toi qui a tranché neuf têtes si facilement.
Il poursuit sans même me laisser le temps de digérer ses remarques :
- Oh... je vois. Tu penses en être innocente ? Autoriser mon frère à agir fais de toi le même monstre que lui. Après tout, vous êtes semblables vu que vos âmes fusionnent parfaitement entres elles.
Son ton se durcit et me ravise à chaque fois que je souhaite lui répondre.
- Tu es une misérable ignorante de ce monde, incapable d'être ce que tu es réellement. Car suivre mon frère est si simple, dépendre de son autorité est si confortable. Mais tu n'es pas Siskann, Aya. Tu n'es pas lui. Alors réveilles-toi.
Une larme s'écoule sur ma joue et je serre les dents pour ne pas lui hurler de se taire. Me voir réagir ainsi le fait étrangement sourire, puis il me relâche et se redresse pour contourner le canapé. Rika se dirige silencieusement vers les baies vitrées et contemple la vue mon sabre à la main.
Mon sabre ?!
Je me redresse vivement du canapé et me dirige vers Rika qui le détaille minutieusement. Il me l'a dérobé si vite que je n'ai rien senti, pas même un seul mouvement déplacé.
- Rends-le moi, lui ordonné-je sur un ton fébrile, me rapprochant lentement de lui.
Il ne répond rien et une fois que j'arrive dans son dos, à l'instant où je dépose ma main sur son bras pour reprendre mon arme, il pivote vers moi et place la lame sous mon menton. Il s'amuse à caresser mon cou et m'y laisser une fine coupure qu'il n'hésitera pas à agrandir si besoin. Je recule sans le quitter des yeux jusqu'à ce que mon dos frappe la baie vitrée. Mais Rika continue d'approcher, il enfonce un peu plus profondément la lame dans ma gorge et me fait grimacer. Pourtant, aucune de nous deux dévie son regard de l'autre.
- J'ai encore besoin de toi, et ta mort ne m'apporterait que des problèmes, dit-il. Alors sois gentille et réponds soigneusement à mes questions.
Sans abaisser le sabre, il sourit fièrement que je sois à sa merci pour cette interrogatoire. Mon corps est pressé contre la vitre et je n'ai aucun moyen de fuir. Mes alters sont inutiles contre Rika, comme finalement toute la magie de ce monde. Rien ni personne ne peut affronter aisément un Saba, autant Rika que Siskann. Et moi je me retrouve entre ces deux hommes assoiffés de pouvoir et dont aucun obstacle ne pourra rivaliser.
- Pourquoi mon frère a-t-il retrouvé son corps ? demande-t-il, le regard menaçant.
Cette question lui tient à cœur, il semble prêt à me blesser pour me faire répondre plus vite. Impossible de mentir, il le découvrirait de lui-même, surtout qu'aucune fausse parole ne serait en mesure d'adoucir la vérité. Siskann a retrouvé son corps, et peu importe ce que je dirai, Rika n'appréciera pas.
- Il s'est servi de la magie noire.
Des larmes se logent sous mes yeux mais je refuse de les laisser couler, de lui montrer encore une fois ma faiblesse. Il sait que je suis à sa merci, je ne dois pas lui donner ce plaisir de pleurer devant lui. Le connaissant, ça le rendrait tant heureux.
- Contre quoi ? crache-t-il.
Rika resserre ses doigts sur le manche du sabre et l'enfonce inconsciemment un peu plus dans ma peu. Je ferme un instant les yeux, digérant difficilement la douleur, avant de les rouvrir pour lui faire face.
- Contre quoi a-t-il pu obtenir ce corps ? s'impatiente-t-il.
J'avais presque oublié ce fameux pacte, cet accord entre Siskann et le mage noir. Il n'a d'ailleurs jamais voulu m'en parler, c'est un secret que seul lui et Tyko possèdent.
- Il n'a pas voulu me le dire.
Mes réponses sont courtes et simples, ma voix tremble et je n'ai pas la force d'argumenter. Heureusement Rika semble s'y contenter et me relâche. Il plante le sabre au sol sans même fissurer la lame, le laissant tenir debout sur le carrelage maintenant brisé de son salon. Reculant de quelques pas pour me laisser à nouveau respirer, il s'adosse au canapé et croise les bras. L'interrogatoire n'est donc pas encore terminé.
- J'ai besoin de savoir sur quoi repose son pacte, Aya.
Son ton s'est adouci mais reste ferme.
- Il est prêt à tout pour arriver à ses fins, tu le sais, ajoute-t-il.
- Comme toi ! m'exclame-je alors, voyant qu'il fait toujours passer son frère pour le méchant de l'histoire.
- Oui, mais moi je prends en compte les dommages collatéraux.
Dans un sourire il me dévisage, espérant faire percuter ses paroles dans mon esprit. Pourtant je reste convaincu que l'un n'est pas moins mauvais que l'autre. Siskann a fait de nombreuses erreurs mais elles sont fondées, parfois même amplement justifiées. Du côté de Rika, rien de son histoire pourrait le faire mériter sa place, ni ses actes. Il est mauvais naturellement, il ne l'est jamais devenu car il l'a toujours été. Et la différence entre devenir le mal ou l'être, est bien grande.
- Je pensais qu'il y avait encore de l'espoir pour le sauver, mais encore une fois il me déçoit, avoue-t-il légèrement désespéré. La magie noire n'a jamais sauvé qui que ce soit, et si nous en sommes là aujourd'hui c'est à cause d'elle.
Rika est en train d'essayer de me convaincre de tuer son frère. Ça y est, il perd les dernière flammes d'espoir qu'il avait en Siskann. Moi qui voulais m'accrocher à elles, essayer de le rallier à nous et lui montrer que l'amour fraternel est plus fort que tout. Finalement, tout vient de s'écrouler sous mes yeux.
- Mais c'est ton frère... Tu ne peux pas le tuer, murmure-je au bord des larmes.
- Je n'ai jamais eu besoin de lui. Je voulais le sauver pour peut-être jouer le rôle de frère que j'ai toujours foiré.
Son regard ne trahit aucune émotion, il avoue vouloir abattre son frère sans aucune peine. Pourquoi a-t-il si vite changé d'avis ? Je croyais en lui, je voulais le rallier à nous, mais c'est encore pire que ce que je pensais.
- Rika... n'abandonnes pas si vite, s'il-te-plaît, l'implore-je.
Il déglutis, ne quittant pas mon regard misérablement faible de ses yeux. Pendant un instant, je crois le voir changer à nouveau d'avis. Je crois avoir retrouver le Rika à la recherche du petit-frère qu'il aime tant.
Mais non.
- Trop tard. Il ne me sert à rien de toute manière. Mais j'ai besoin de toi, Aya. Alors à bientôt.
Sur ses mots, il me projette à l'autre bout de la pièce par la force de sa télékinésie. Ma tête cogne fortement le mur et je sombre dans un profond sommeil, le visage mouillé de larmes et de haine.
Une haine qui ne s'arrêtera que lorsque j'aurais retrouvé Siskann.
Dans l'incapacité de réveiller mon corps inconscient par le choc de la chute que m'a fait subir Rika, je décide de rejoindre l'autre frère Saba.
Je tombe dans notre subconscient, atterris dans l'immense océan et appelle Siskann de toutes mes forces pour qu'il me rejoigne. Par chance, il répond instantanément et me rejoint. Il me prend dans ses bras dès lors où il me voit et son étreinte se resserre en m'entendant pleurer, mes faiblesses surgissant aussitôt. Anxiété et tremblements se manifestent alors, eux que je tentais du mieux que je pouvais de ne pas montrer devant Rika. Mais cette fois, plus rien ne les arrêtent, je fonds en larmes et me laisse à la merci du corps de Siskann qui me soutient debout. Il est mon pilier. Et il ne me relâche que lorsque je le décide en reculant de quelques pas.
- Pourquoi... pourquoi ne comprend-t-il pas ? pleure-je, effondrée par le comportement étrange de Rika.
Siskann passe sa main sur mes boucles et observe son mouvement.
- Je te l'ai dit, j'ai tout essayé. Oublie Rika, ça mènera à rien de bon.
Écouter Rika, puis Siskann, c'est un débat complexe. J'ai l'impression que les deux ne sont pas sur la même longueur d'onde, que l'un veut aller à gauche et l'autre à droite. Que Rika veut anticiper le futur et Siskann venger le passé. Ils se battent tous les deux pour une cause mondiale mais qui n'est pas la même, alors que choisir ?
Je ne peux pas croire que Rika n'est pas au courant de tout ce que font les Yurii derrière notre dos. Si Siskann l'a su en étant resté dans une tombe plus d'un siècle, alors Rika doit également s'en douter.
Alors pourquoi reste-t-il au palais ? Que veut ce foutu Protecteur aux cheveux blancs ?
- Si j'arrivais à entrer dans son esprit, je pourrais peut-être arranger les choses.
- Arranger quoi ? grogne Siskann. Il n'y a plus rien à arranger.
- Ce n'est pas aussi simple, tu le vois bien. Nous ne tuerons pas les Yurii sans avoir franchis leurs remparts.
- Oh que si, je le vois. Tu veux sauver mon frère qui a été à deux doigts de t'abattre il y a à peine une minute. D'autres idées moins suicidaires à proposer ?
Je soupire tout en observant la demi-Lune de Siskann à l'horizon. Qu'elle est belle. Légèrement teintée de violet et d'une brume moelleuse qui l'a rend bien moins effrayante. Je me demande pourquoi elle n'est pas au sommet du ciel, pourquoi ce n'est une pleine Lune toute ronde. À la voir ainsi, on ne sait pas exactement si elle s'apprête à se coucher à se lever, ce qui pourrait signifier deux choses bien différentes.
- Pourquoi la Lune et pas le Soleil ? lui demande-je soudainement, le regard fixé sur cet horizon majestueux.
Siskann plisse les yeux le temps de se mettre sur la même longueur d'onde que moi. Il doit être exaspéré de me voir sans cesse changer de sujet, de ne pas avoir assez de concentration pour tenir une conversation. Même lorsque ma vie est en jeu, mes pensées sont diverses et rien ne me tiens vraiment à cœur pour que ça m'occupe l'esprit bien longtemps.
- Nous franchirons leurs remparts et tuerons les Yurii ensuite, dévie-t-il complètement mon sujet pour remettre sur table celui de Rika.
- Alors quoi ? Nous tuons Rika puis les Yurii, et après ?
Il détourne le regard, hésitant à me répondre. Et je doute qu'il n'avouera si ça touche à ses petits secrets qu'il aime me cacher. Siskann me garde bien des choses, et beaucoup qui ont l'air vitaux. Rika s'est mis en rogne pour obtenir ses informations et je commence à redouter ce moment où je connaîtrais la vérité.
- Je dois y aller, une fausse Aya vit chez ton père, m'annonce soudainement Siskann, évitant mes questions embarrassantes.
- Pardon ?
Ça doit être cette garce de Calice. La femme que m'a présenté Rika avant que nous allions au casino. C'est donc ça sa mission et surtout ce pourquoi il m'a retenu si longtemps avec les Nobles. Il avait envoyé sa chère amie se faire passer pour moi chez mon père, et il devait gagner du temps avec moi en attendant.
Que peut-elle bien faire là-bas ? Je ne peux pas imaginer une seule seconde devoir perdre père et mes deux frères, ça serait trop de pertes en peu de temps. Je ne veux pas être coupable de leur mort, surtout pas après avoir vécu celle de mère. Je m'en veux encore tellement, elle a été punis par ma faute. Et père risque le même sort.
- Siskann... qu'est-ce qu'on peut faire ? murmure-je, terrifiée par ce retournement de situation.
Il reste passif, lève simplement son regard vers moi.
- Tout ce que tu voudras.
Je sais ce que implique ce tout. Si je lui demande, il ira tuer mon usurpatrice. Mais est-ce le bon moyen alors que je voulais rester près de Rika pour tenter de m'en faire un allié ? Ça n'aurait plus de sens, faire tuer Calice tandis que je joue la gentille copine auprès du Protecteur, son grand ami.
Pourtant l'idée que père peut mourir à tout instant me pend à la gorge. Je n'ai plus le temps de réfléchir, de faire des testes alors que la vie de mes proches est en jeu. Il faut les sauver, je ne peux pas laisser ma famille courir le risque de mourir sans essayer de les secourir.
- Fais ce qu'il faut, je te fais confiance.
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