3. Aya
L'an 4031, Époque Harmonieuse, Premières réponses.
La fatigue a beau tourner autour de moi, elle ne finit jamais par m'atteindre. Je pensais m'écrouler sur mon lit mais mon esprit reste éveillé.
Je me suis allongée sur mes draps sans fermer une seule fois mes yeux, impossible de trouver sommeil malgré la nuit tombée depuis quelques heures maintenant.
Ma chambre est dans le noir complet, je ne vois même plus mes murs. Mes tableaux et poèmes accrochés semblent s'être assombris et devenues incolores. Seuls la lueurs de la lune qui reflètent les ombres des branches sur mon sol et me sortent de cette obscure pièce.
Ça manque cruellement de lumière, effectivement.
Je me lève du lit et allume les guirlandes accrochées à ma fenêtre pour adoucir l'atmosphère. Le noir vire au brun et ma chambre prend un aspect plus chaleureux, je suis doucement apaisée par ce changement qui m'aidera sûrement à retrouver sommeil.
Je me rallonge dans le lit en pensant enfin tomber dans les bras de Morphée mais sa voix retentit soudainement.
Nous sommes en quelle année ?
Dans la logique des choses, ça serait à moi de poser les questions mais ma peur d'en savoir d'avantage me coupe la route. Cette chose en moi est dangereuse et, comme mère l'a confirmé hier, la puissance de son aura est mauvais signe.
Savoir que je suis incapable de me défaire de son emprise est terrifiant mais me mets également hors de moi. Je suis partagée entre l'envie de l'insulter ou lui répondre sagement. J'hésite quelques secondes et, finalement, je préfère rester la jeune fille timide que j'ai toujours été, même face à un homme imaginaire.
- 4031, réponds-je comme une bonne enfant.
La conversation semble s'être arrêtée. Il a eu sa réponse et moi je rame toujours au même chapitre que hier. Je suis bien incapable de placer la moindre question dans l'état où je suis.
Et les Yurii sont encore en vie ?
À chaque fois qu'il prononce la moindre parole, mon coeur s'emballe. Puis le fait qu'il commence à mettre le sujet de la famille royale sur table est très, très, risqué.
Alors je ne réponds pas. Je m'empresse de prendre un livre pour lire et tenter de rejeter l'anxiété qui coule dans ma gorge comme du poison.
Pourquoi tu ne réponds plus ?
Une pression soudaine au niveau des poumons me fait déglutir. Cet homme est dangereux, et il ne s'en prive pas sur moi. Si je ne réponds pas à ses attentes, il n'hésitera pas à user de là forcer.
- Parce que je ne veux pas être ta complice.
Il se marre et son rire résonne dans ma tête.
T'es déjà bien plus que ça, crois-moi.
Alors que je le pensais incapable d'aller plus loin, il le fait. Mon esprit est aspiré au plus profond de mon subconscient, je perds le file de la réalité et traverse la limite entre le corporel et le psychisme.
Un clignement de paupières. Un seul.
Et je me réveille ailleurs, dans notre subconscient. Le mien, mais aussi le sien. La fusion astrale de nos âmes est si puissante que nous formons presque un seul esprit à double voix. C'est-à-dire, que nous pourrons s'échanger les rôles mais sans vraiment nous séparer.
Je ne suis plus seule. Et je ne serai plus jamais seule.
En sentant le froid parcourir mon corps, je remarque que je suis allongée dans un immense océan mais où la profondeur ne dépasse pas les trente centimètres. Un lac infini, sans limite, sans contrainte. L'eau y est sombre et seulement éclairé pas la demie-Lune semblant se coucher du ciel obscur.
C'est terrifiant.
Je connais l'endroit, mère m'avait déjà fait visiter mon subconscient grâce à une technique méditative. Un océan sombre et glacial, se prolongeant éternellement.
Mais jamais je n'avais vu ce ciel. Pas avant que cet homme soit dans ma tête, du moins. Est-ce à lui ?
Tu es dans notre subconscient, un alliage parfait entre nos deux esprits. C'est là que je suis lorsque je n'ai pas les rênes de ton corps, et là que tu seras lorsque je les aurais. Rien de plus simple.
Au moins, j'ai ma réponse. Sa voix résonne à travers le paysage sans que je puisse l'apercevoir. Je suis seule, ici. Du moins, physiquement seule.
Ce ciel obscur et pourvu de quelques étoiles seulement avec cette demie-Lune face à moi, lui appartient. Cet astre marque peut-être une finalité à cet endroit.
Si je marche jusqu'à la Lune, pourrais-je la toucher ?
Non. Tout ça n'est pas réel, c'est une représentation abstraite de notre esprit.
C'est stérile comme esprit. Aucune couleur, aucune forme, aucun horizon admirable. Alors l'eau vient de moi et le ciel de lui, le tout dans une atmosphère sombre et rudimentaire ? C'est bien pessimiste et peu rassurant.
Je suis simple, vide, sinistre et éternelle ? C'est ce que je suis censée comprendre de tout ce paysage qui me frissonne la peau et fait s'hérisser mes poils. Ça ne me convient pas du tout, cet endroit est tout ce qu'il y'a de plus angoissant en moi. Comment mes énergies peuvent être en équilibres si mon subconscient ne corrèle par avec mon conscient ? Tout ce que je pensais sur moi s'écroule en mille morceaux. Comment une télépathe peut-elle être en désaccord avec son propre esprit ?
Tu es encore bien jeune pour te comprendre. Mais tu finiras sûrement pas avoir les réponses. Après tout, nous sommes bien obligés de cohabiter.
- Tu ne cohabites pas, tu t'imposes, le corrige-je.
Je ne suis pas là pour abuser de toi, Aya. Moi aussi j'ai un corps, quelque part, dans ces terres. Si je le retrouve, je te laisserai tranquille.
- Alors il suffi simplement de te rendre ton corps ? Il fallait le dire plus-tôt, nous serions déjà en route, grommelé-je.
Son rire montre qu'il est confiant et sûrement bien plus détendu que moi. Cette conversation ne fait que soulever de nouvelles craintes que j'ignorai. D'abord celle de devoir cohabiter avec lui, puis celle de savoir qu'il peut prendre le contrôle de mon corps, et enfin celle qui indique que je dois l'aider à retrouver son corps.
C'est d'ailleurs ce qu'il s'est passé avec mère lorsqu'elle a voulu plonger dans mon esprit. Il l'a projeté contre le mur en usant de son pouvoir à travers moi. Mais alors..
Non.
C'est dingue d'être aussi intrusif. Il lit dans mes pensées comme dans un livre et ne se cache pas de me le montrer en le retournant contre moi.
- Quoi non ?
Non, je te laisserai pas utiliser mes pouvoirs.
Alors j'avais raison. Il peut user de mon alter autant que je peux user du sien. Pourtant, lui semble pouvoir m'en interdire l'usage. Sauf si ce n'est qu'une comédie pour m'inciter à ne pas le faire.
En étant dans ce subconscient, j'accède à une partie de son esprit ainsi que son âme. Je peux chercher, dans le peu de mémoire qu'il lui reste, des réponses mais aussi décrypter son pouvoir. Et si je dois vivre avec lui, je ne peux pas ignorer ces indices.
Alors je me concentre, quelques secondes, pour trouver mes cibles et obtenir les informations que je cherche. Je fixe la Lune à l'horizon, celui qui lui appartient, cette astre qui le représente, et tente de toucher son âme à distance.
Mais, encore une fois, il me devance. Impossible de toucher à une seule partie de son être alors que lui peut avoir accès au mien sans difficulté.
Que veux-tu savoir ?
- Tout, réponds-je désespérément. Je veux savoir ce que tu es, ce que tu fais en moi, ce que tu prévois de faire ensuite et ce que tu attends de moi. Je veux tout savoir.
Il soupire.
Que ça m'agace de ne pas pouvoir le voir. Seule sa voix résonne à travers le ciel, comme une vibration à travers un disque.
Siskann, c'est mon nom.
Sans que j'ai le temps de lui répondre, je suis projetée dans l'océan et le traverse comme une vitre se briserait.
Un clignement de paupière.
J'ouvre les yeux et me revoilà dans ma chambre. L'horloge face à moi m'indique qu'une seule seconde s'est écoulé depuis que j'ai plongé dans mon subconscient. Évidement, le temps s'écoule bien plus lentement dans la réalité psychique et la réalité physique.
Siskann.
J'aurais au moins appris quelque chose. Maintenant, reste à savoir qui est-il vraiment. Que peut-il se cacher derrière son prénom et que vais-je découvrir d'encore plus atroce que cette fusion astrale.
Cet homme est peut-être un monstre, un tueur, un magicien corrompu et recherché par le Royaume. Lui qui m'a demandé si la famille royale Yurii était encore en vie, c'est qu'il a un lien avec eux. Plus ou moins, en tout cas.
Ça ne sent pas bon.
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