3.3 Aya

Ma gorge se libère et ma respiration reprend son processus doucement. Je reste immobile, les mains autour du cou et le regard planté face à moi. 

Alors c'est comme ça ? Je suis soumise à ce monstre qui ne cherche qu'à abuser de son pouvoir sur moi ? Non, je ne peux pas. J'ai toujours su me relever, toujours su aller de l'avant, même lorsque les élèves me persécutaient, que mes professeurs me discriminaient... Je suis malgré-tout restée debout. Alors Siskann ou pas, je ne peux pas me laisser dépasser ainsi. 

Je repousse légèrement grand-père qui s'inquiète de mon état. 

- Aya, le KMaster viendra te chercher dans quelques jours tiens-bon. 

Je lève les yeux au ciel mais sa voix grave et résonnante refait surface, faisant réapparaître la haine que j'éprouve à son égard. 

C'est quoi le KMaster ?

J'avais raison, il écoute attentivement tout nos dires. Et que ça m'agace. Dès lors où quelque chose lui échappe, il s'empresse de vouloir se renseigner pour éviter de rester dans l'ignorance, une curiosité malsaine que je n'apprécie guère. 

Grand-père m'interroge du regard alors que je détourne la tête vers la fenêtre pour lui répondre, les dents serrées.

- Une école spécialisée dans la protection du Royaume de Sola, réponds-je sans faire attention au visage perplexe de grand-père.

À mon époque, on appelait ça les Protecteurs dynastiques de Yurii.

- Oui, c'est ça. C'est cette école justement qui les forme et...

Je m'arrête un instant, surprise, ou plutôt choquée, de l'information qu'il vient de me dévoiler.

Les Protecteurs sont les gardes royaux et les magiciens les plus puissants du monde. Ils étudient à l'école prestigieuse du KMaster et sont donc l'élite de notre société. 

Mais nous les appelions « Protecteurs dynastiques de Yurii » il y a plus de 600 ans, avant la Grande Chute, l'évènement génocidaire le plus sanglant de notre ère. 

Alors, comment Siskann peut-il être aussi vieux ? 

Quoi ?

Mon cœur qui bat à grande vitesse ne lui échappe pas, mes yeux sont dans le vides et mon esprit tente de recoller les peu d'éléments de réponses que j'ai obtenu jusque-là.

Grand-père reste silencieux face à mon monologue, il a compris à qui je parlais et a sûrement jugé bon de me laisser converser avec Siskann. Rare sont les fois où j'ai la chance d'obtenir des réponses clairs de sa part.

- Tu es de l'époque Victorieuse ?

Sans le voir, je sens les sourcils de grand-père se froncer.

Notre ère se compose de trois époque : Séraphique (montée en puissance de la famille Yurii), Victorieuse (guerre et traque meurtrière contre les ennemis des Yurii) et puis la notre : Harmonieuse (prospérité et développement). 

Ce qui renvoie l'époque Victorieuse des siècles auparavant. 

Jolie déduction, ma curiosité s'est retournée contre moi.

- Mais bordel... Qui es-tu...? 

Ma voix se brise, mes espoirs aussi. C'est encore pire que ce que je croyais. Il a sûrement été tué par les Yurii et revient se venger, c'est toujours comme ça dans les livres fantastiques que je lis. Alors que le monde entier prospère, le méchant réapparaît pour mettre à bien son plan diabolique. 

Mais, comme toute histoire, le gentil héro vient tous nous sauver, non ? Et qui est le héro ? Moi ? 

Si c'est toi qui doit m'arrêter, j'ai de la chance. 

Super drôle, même si rien de tout ça ne me fait vraiment rire. 

Ne t'approches pas des Protecteurs, ni d'aucun autre qui pourrait avoir un lien avec les Yurii.

J'échappe un hoquet de surprise qui alerte grand-père. 

Son ton n'est pas encore menaçant mais bien assez prononcé pour être vu comme un ordre. Le KMaster me rend visite dans quelques jours et c'est maintenant qu'il me dit ça ? Et ce pour des raisons qui lui sont sûrement propres. Ça ne peut que prévoir de mauvais signes. Si Siskann n'est pas un bon ami du KMaster, c'est qu'il n'est pas non plus dans les bonnes grâces de la famille royale, ce qui me met dans un sacré pétrin.

Je me lève de ma chaise et me promène dans la pièce pour poursuivre cette conversation sans le regard insistant de grand-père qui rêverait d'y participer.

- Avant de me dire quoi faire, commences par en donner les raisons, lui réponds-je sur le même ton.

Il échappe un rire.

Tu me contredis, maintenant ?

- Je respecte le consentement de chacun. Si tu veux imposer tes choix alors convainc-moi.

Son rire se poursuit, il ne semble pas outré mais simplement surpris par mon comportement anodin.

Le temps m'est compté, dans quelques jours je rencontrerai les soldats royaux. Si Siskann s'oppose à ce rendez-vous je n'ai plus d'autres solutions ; il faudrait même mieux l'annuler. Le risque est trop grand pour contredire Siskann. Malgré nos règles établies, s'il venait à vouloir prendre mon corps pour se battre il n'hésiterait pas.

Je préfère qu'on prenne les décisions ensembles et qu'on soit en accord sur nos choix — même si, j'avoue, avoir le dernier mot reste ma priorité lors de nos débats. Siskann tentera par tous les moyens de me dissuader de mes plans et d'imposer ses souhaits, il veut m'éloigner de ma vie pour que je la consacre à la recherche de son corps, une mission que j'aurais du mal à accepter si le KMaster est contre lui.

L'harmonie est la clé de l'équilibre. Oui, mère. Mais tout ceci n'a rien d'harmonieux ; c'est épineux.

Très bien, j'ai que ça à faire discuter avec toi toute manière.

Il souffle de lassitude, j'en profite pour me prononcer en première et esquiver son art de la manipulation qui finira par me rattraper.

- Pourquoi moi ? demande-je en espérant qu'il disparaisse de mon corps pour changer d'hôte.

Il pouvait choisir n'importe quel corps, mais il fallait qu'il se réfugie dans le mien.

Pourquoi pas ?

- Il y a des raisons à tout, Siskann, le monde n'est pas le fruit du hasard. Et tu n'y fais pas exception.

Pourtant mon âme a trouvé refuge en toi sans que je ne sache moi-même pourquoi. Et c'est bien la seule ignorance que je n'ai toujours pas résolu.

Si lui-même n'en sait rien c'est que la véritable raison nous a échappé à tout les deux, je refuse de croire qu'une telle chose se produise sans bon sens. Sur les 6 milliards d'êtres-humains sur ces continents, il y a bien d'autres corps capables d'endurer la présence d'une deuxième âme, je ne peux être son seul espoir.

- Alors changes d'hôte, des guerriers bien plus robustes te satisferont mieux que moi.

Je ne peux pas, la fusion astrale ne réussie que dans de très rares cas. Une raison quelconque a fait que ça a fonctionné avec toi, je ne prendrai pas le risque de m'y retirer.

- Alors je n'ai plus le choix ? Je dois vivre avec toi toute ma vie ? Et puis si ma seule option pour me libérer est de retrouver ton corps, il me faut d'avantage de réponses, Siskann. Pourquoi restes-tu si mystérieux ?

Son silence permet à grand-père d'intervenir.

- Parce que sa vie dépend de toi, Aya.

Attentive à sa réponse, je pivote vers lui alors que son regard était sur moi depuis que j'ai quitté ma chaise.

- S'il n'avait rien à gagner de toi, il n'aurait jamais pris la peine de te donner tant d'importance. Laisse-moi te donner un conseil ; maintenant que vos âmes sont scellées, la confiance sera votre meilleure alliée.

Je secoue la tête pour éloigner cette idée. Grand-père à la fâcheuse habitude de dire les vérités blessantes, d'envisager les options les moins attirantes, même si, et c'est dur de l'avouer, au moins elles sont vraies. Nous nous dévisageons un instant, me laissant encore assimiler son conseil.

Votre famille me surprendra toujours. Le vieux a raison, t'opposer à moi nous tuera tout les deux, Aya.

Mes poils s'hérissent, comme si entendre la vérité m'avait fait l'effet d'un coup de vent glacial. Plus j'en sais moins j'ai confiance, pourtant ce n'est pas le conseil que je reçois. En expirant profondément toute mon irritation, je pose une question qui s'adressent aux deux hommes capables de m'entendre.

- Tout ne devra se faire qu'à deux ?

Grand-père hoche la tête alors que Siskann me répond au même moment :

Maintenant nous sommes deux.

Et aucune marche-arrière n'est possible.

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