28. Aya

L'an 4031, Époque Harmonieuse, Jouer c'est gagner.

Aya.

En sous-vêtement dans le dressing, je fais glisser du bout de mon pied les robes précédemment essayé qui gisent au sol. Le choix est large, mais je suis aussi très pointilleuse sur les tenues que je porte. J'aime la simplicité et surtout, le critère le plus important, je ne porte que ce qui me permet de me déplacer librement. Si j'ai dû mal à marcher, à m'accroupir ou même m'étirer, alors je jette automatique la tenue au sol avec le reste.

Aya !

- Oui, Siskann.

Ma voix est certes sérieuse mais c'est le meilleur masque que je peux porter pour ne pas l'inquiéter. Il doit sûrement sentir mon anxiété parcourir mon esprit ainsi que mon estomac qui me donne une désagréable impression de nausée. Sans oublier ce mal de crâne qui me tambourine les tympans depuis que j'ai affronté le Protecteur avec son arme sonore.

Trop tard, je suis ici, et les termes de l'accord n'ont toujours pas été respecté alors partir maintenant ne servirait à rien. Rika me suivrait et tomberait nez à nez avec Siskann, ce que je veux absolument éviter.

Et puis choisir une robe tout en devant répondre avec celui qui se trouve actuellement dans mon subconscient et m'harcèle, ça ne me facilite pas la tâche.

- Oui, oui. Je suis désolée. C'est la réponse que tu veux entendre ?

Quoi ?! Mais non ! Je veux que tu m'expliques ce que tu fais vraiment avec mon frère !

- Je te sauve la vie, murmure-je vraiment peinée d'avoir mal agi.

Oui, j'ai mal agi. 

En vérité, et Rika n'avait pas tord, Siskann était bel et bien à l'endroit où je me trouvais, dans ce bâtiment effrayant. Il était en train de se battre avec les Protecteurs tout en protégeant Tyko gravement blessé. Mais lorsque je suis arrivée, Siskann a reconnu le portail de son frère et n'a pas hésité une seconde à fuir. Il ne voulait pas l'affronter. Mais comment aurait pu-t-il savoir que ce n'était que moi et pas Rika ? Maintenant je me retrouve à devoir lui expliquer pourquoi je choisis une robe de bal pour accompagner son frère, alors que je suis censée seulement passer en interrogatoire.

Elles sont toutes affreuses en plus.

J'étouffe un rire qui détend rapidement l'atmosphère. Il trouve le moyen de grommeler sur l'élégance des tenues malgré la situation. Je décide alors de rentrer dans son jeu en attrapant une robe simple, blanche et droite.

- J'aime bien celle-là, pas toi ?

Je le sens attentif dans mon esprit, observant le tissu dans mes mains. Sans réponse de sa part, je l'enfile en souriant.

- En plus, j'aime beaucoup la dentelle sur le b-

C'est de la broderie.

- ... la broderie sur le bas. Et la matière est confortable, c'est de la soie, non ?

Du satin.

Dans un soupire, je m'avance vers le miroir et ajuste correctement les bretelles de la robe. Siskann profite de cet instant pour m'admirer, je le sens à travers mes yeux, il me voit autant que je me vois à travers ce miroir. Il n'est pas bien fâché contre moi, il a simplement peur que je le trahisse avec son pire ennemi. J'aimerais le rassurer mais je ne sais moi-même pas dans quoi je me suis embarquée. Et peu importe ce que veux Rika, ça ne sera qu'à son avantage. Il est identique à Siskann sur ce point-là, il est prêt à tout pour obtenir ce qu'il veut. Reste à savoir ce qu'il attend de moi, et pourquoi, maintenant.

Sois vigilante, Aya. Rika est... parfois il est pire que moi.

Je me fige face au miroir tout en sachant déjà qu'il dit vrai. Après tout, ils ont souvent été confondu plus jeune. Même pouvoir, même volonté et devenait de l'acharnement, mêmes ambitions, même cruauté... les deux frères Saba se ressemblent bien plus qu'on ne l'imagine. Et aujourd'hui, je vais enfin découvrir qui est le fameux grand Rika et Général du Royaume dont je suis censée mettre un terme.

Je reviendrai te chercher, Aya, promis. 

Sur ces mots, il disparaît. Me laissant moi et mes robes en plein milieu d'un dressing.

Décidée à rapidement sortir de cet endroit, j'enfile une paire d'escarpins à petits talons. J'ai également remarqué un porte bijoux sur le fond du dressing avec des accessoires pour cheveux. Un collier en chaîne d'argent très fin me fait de l'œil, je ne vais pas dire non. Je l'accroche donc à mon cou et refais également ma coiffure. Je remonte tous mes cheveux en une queue haute et laisse mes boucles effleurer mes épaules.

Prête, je me tourne vers le miroir accroché à la porte et remarque un détail important que j'avais bien oublié : mon tatouage au dos. La robe est longue et cache mon tatouage à la cuisse, mais pour ce qui est du dos nu, ça pose un problème. Je passe rapidement en revu le dressing et trouve une veste de costume courte et blanche qui cache mon dos. 

Ça fera l'affaire.

Sans prendre le temps de ranger mon désordre, je sors enfin de cette salle au lustre affreux, mon sabre à la main. Rika m'attend comme convenu de l'autre coté et me dévisage comme s'il venait pour la première fois de me voir. Il esquisse alors un sourire et commente : 

- Tout ce temps pour choisir la tenue la plus simple de tout le dressing ?

Il ressemble bien à Siskan sur ce point-là, toujours son mot à dire sur tout ce qui l'entoure. Comme si le monde lui appartenait et que son avis y était nécessaire. Je ne prends même pas la peine de répondre et me contente de croiser les bras. C'est à ce moment là que son regard se pose sur l'arme que je porte à la main.

- Et ça, ça fait office de sac à main, je me trompe ?

Son ton est ironique mais je vois à son regard que me voir armée le dérange, pourtant même ce sabre ne suffirait sûrement pas à le battre. Je le garde car c'est le mien et la seule chose qui pourrait sûrement me sauver des Yurii. Siskann m'a informé que les Reliques étaient des armes mortelles pour la famille royale, ça reste donc à tester.

- Je le garde.

Il soupire et acquiesce.

- Très bien, débattre avec toi me fait trop mal à la tête, je préfère éviter pour l'instant.

Dans un sourire satisfait, j'accroche le fourreau de mon arme à mes hanches et lisse ma robe pour éviter le moindre pli. En me redressant, Rika me tend son bras que j'hésite à prendre. Je le dévisage, regardant sa manche parfaitement droite et son regard patient d'attendre ma réponse. Quelques secondes de réflexions me permettent d'être plus ou moins sûr que je ne risque rien. Et finalement, je accepte son bras et l'accompagne dans ce long couloir aussi garnis que la salle du lustre.

Les rideaux rouges longent les fenêtres qui montent jusqu'au plafond à plusieurs mètres au-dessus de nous. Cet endroit est impressionnant, et je ne sais pourtant toujours pas où nous nous trouvons. Il serait temps que je pose quand même la question. Mais à l'instant où ma bouche allait s'ouvrir, nous arrivons face à une immense porte en bois laqué orné de fils d'or qui s'ouvre à notre passage.

- Un casino ! m'exclame-je alors que l'endroit s'ouvre à moi.

Une salle aussi grande qu'un terrain d'entraînement. Elle est sur plusieurs étages et de nombreux escaliers la parcourent pour pouvoir circuler librement à travers toutes les tables de jeux.

Je pensais être ridicule dans cette robe mais finalement je me trouve plutôt bien discrète. Les autres femmes sont étouffées dans de grands corsets et d'épaisses jupes en dentelles et en pierres précieuses qui me mettraient hors d'état de nuire dès la première minute. Les hommes sont habillés de manière moins extravagante mais assez classe pour justifier leur statut. 

Comme Rika, finalement.

Je glisse mon regard vers lui et observe sa tenue sombre qui est un mélange entre un uniforme militaire et un costume royal. Il y a même accroché son grade de Protecteur sur son pectoraux gauche.

- Je croyais que tu n'aimais pas les héros, se moque-t-il en voyant que mon regard devenait insistant sur son insigne.

- Être un Protecteur ne fait pas de toi un héro, sache-le, rétorque-je en détourant le regard.

Dans une scène purement comique, il fait mine de s'être pris une balle en plein cœur et grimace.

- Je t'offre une robe et c'est ainsi que tu me remercie ? J'ai pourtant tout ce que pourrait avoir un héro.

Un sourire sarcastique apparaît sur mon visage et Rika m'imite, impatient d'entendre ma prochaine réponse qui sera une immense fléchette dans son petit cœur bien vicieux.

- Oh, tu ne savais pas ? Il n'y avait qu'un seul rôle de gentil à prendre dans cette histoire, et c'est ton frère qui en a bénéficié.

Je ne peux m'empêcher de savourer voir son visage se décomposer à l'écoute du mot « frère » et « gentil » dans la même phrase. 

Ce petit jeu devient un vrai plaisir, on se chamaille et il finit toujours perdant, du moins lorsque l'on mentionne son frère. C'est facile de l'avoir après tout, Siskann est son point faible. Et tant qu'il ne l'avouera pas, il ne pourra jamais se battre sans retenu.

- Toucher là où ça fait mal, ça c'est bien un rôle que tu prends à cœur en tout cas, souffle-t-il en s'engouffrant dans la salle, moi à son bras.

- On joue au même jeu, Rika...

Il ne répond pas, préférant oublier ce sujet de discussion. Lui aussi fuit les problèmes, autant que son frère.

Mon regard circule sur toutes les tables de jeu, je n'avais jamais été dans un casino. Je ne sais pas quoi choisir entre le terme terrifiant ou celui de stupéfaite pour décrire cet endroit, entre ceux qui hurlent de joie d'avoir gagné et ceux qui pleurent leur défaite. 

Encore un fait ridicule sur nous, être-humain que nous sommes : Ne pas savoir différencier Vouloir et Pouvoir. Si seulement l'auto-réflexion était une habitude à ne pas prendre à la légère, beaucoup d'entres-nous s'en sortiraient sûrement mieux dans la vie. Mais avoir les yeux plus gros que le ventre est un vilain défaut de notre espèce...

Nous traversons la salle et je ne peux pas louper tous les regards qui se tournent vers nous. J'espère au plus profond de moi que c'est pour Rika qu'ils sont si attentifs, et non pour moi.

- Ils vont forcément me reconnaître, lui murmure-je.

Aucune inquiétude ne se lit sur son visage, au contraire il semble pétiller de bonheur. Une assurance que je n'ai jamais vu chez personne, il semble aussi assuré que s'il se trouvait dans sa chambre. Rika sait ce qu'il fait et personne ne pourra l'empêcher d'aller jusqu'au bout, c'est ce que m'avait prévenu Siskann qui est — et c'est d'une évidence — exactement pareille. 

- Ils ne savent pas à quoi tu ressembles, Aya. Tout comme ils ne savent pas à quoi ressemblent mon frère. Ils sont trop idiots. Et puis la traque de Siskann est un dossier confidentiel, pour éviter que d'autres d'entres-nous ne se rallie à lui.

- Je peux me balader au Royaume sans... risque, alors ?

Une idée germe alors dans mon esprit. 

Siskann pourra rapidement venir me chercher si personne ne sait à quoi il ressemble. Et puis ça me semble finalement évident ; Siskann est né il y a plusieurs siècles, et aucun magicien n'est immortel à part les deux derniers Saba. Ce qui fait que personne n'a pu voir ne serait-ce qu'une fois son visage, ils ne connaissent que son nom et les actes qu'il a commis. Tout comme les Yurii, sûrement, ils ne doivent pas non plus connaitre l'identité exact de leur pire ennemi. 

Même si physiquement il se rapproche beaucoup de Rika, il faudrait être un génie pour prétendre le reconnaître par ses traits familiaux.

- Non, loin de là. Les barrières magiques te repéraient à l'instant où tu y mettras un pied, n'oublie pas que ta petite tête est mise à prix.

- Et donc on est où, là ? Il n'y a pas de barrière ?

Il rapproche son visage du mien et me chuchote à l'oreille.

- On est en plein centre de la capital, dans le plus grand casino du globe, entouré de Nobles et de guerriers prêts à t'arracher la tête à la première occasion où ils te reconnaîtront.

Puis il se redresse et poursuit sur un ton amusé :

- Mais vu que personne ne te connaît et que j'ai falsifié les barrières qui nous entourent, tu ne risques rien.

C'est la réponse la moins crédible que j'ai pu entendre jusqu'à maintenant. Il veut me faire croire qu'il fait tout ces efforts pour moi ? Il aurait pu me ramener dans son salon et me poser les questions discrètement, sans sortie, sans robe, sans casino, sans lustre. Alors pourquoi faire tout ce cinéma ?

- Et donc je vais te croire ? Tu prends un risque énorme en me ramenant ici pour... rien ?

- Pas pour rien, Aya, souffle-t-il. Pour moi. On va s'amuser tu verras. Je m'ennuie au palais...

Il est encore plus fou que son frère. 

Je ne l'imaginais pas aussi lassé de la vie alors qu'il vit dans un palais royal, entouré de serviteurs et dont tous les vœux peuvent être exaucés. Siskann est traqué comme un monstre depuis son enfance, il est rejeté et haï sans grande raison, mais pourtant il se bat chaque jour un peu plus dans l'espoir d'obtenir une once de liberté. Alors que Rika, son parfait grand-frère, s'ennuie dans son beau palais ? Je n'ai jamais vu de situation plus injuste.

- Si tu voulais prendre la place de ton frère, fallait le dire plutôt. Je suis sûr que ça lui aurait plu de pouvoir sortir la journée sans devoir se cacher, ironise-je.

- C'est le trône qui l'intéresse, pas de sortir se promener au parc, réplique-t-il.

- Non, ça c'est toi qui le veut.

- C'est bien une preuve que tu ne sais rien du tout... marmonne-t-il.

Je sais bien plus de chose qu'il ne le pense, mais lui a aussi ses propres secrets et certains ont l'air de me concerner. Je suis loin d'être idiote, je peux lire dans les regardant sans y pénétrer, je peux ressentir les désirs sans y assister. Et Rika est déterminé à accomplir quelque chose que je ne sais pas encore. Le fait qu'il désire le trône est une chose, étonnante mais pas étrange, par contre je ne comprends pas en quoi ma présence et celle de son frère est dérangeante. Quel est notre rôle à nous ? 

Il me dévisage un instant avant de rouler des yeux et poursuivre sa marche à mes cotés.

Je n'oublie pas que Rika est bien pire que Siskann, son fond est mauvais. Il est avide de pouvoir et de gloire, il a tout sacrifié pour atteindre le statut qu'il porte aujourd'hui. Ce qui le différencie beaucoup de son frère qui n'a fait que venger les souffrances qu'on lui a fait souffrir

L'un s'est sacrifié pour le monde, et l'autre a sacrifié le monde pour lui-même. Le noir et le blanc.

- Alors que dois-je savoir ?

Un léger sourire sur le visage, il me fait clin d'œil.

- Je veux simplement m'amuser, change-t-il de sujet en ne quittant pas des yeux une table au loin.

- Nous vivons tous pour une raison, un devoir... alors quel est le tien ?

Je refuse que la discussion se termine sur d'autres questions qui me tourmenteront des jours et des nuits. J'ai besoin de savoir pourquoi je suis ici, comme lui avait besoin de savoir pourquoi j'avais tant confiance à son détestable frère. Nous avons chacun nos objectifs mais j'ai comme l'impression que nous nous barrons la route à tour de rôle. Mais peut-être pourrions-nous se rallier ? 

Rika fuit mon regard comme s'il prenait le temps d'y réfléchir, peut-être dans l'espoir de trouver un mensonge plus ou moins crédible. Puis, alors que son regard s'illumine d'une malice qui me déconcerte, il répond : 

- J'aurais pu m'entendre avec mon frère s'il n'avait pas autant de sang sur les mains, tu sais ? 

- Ton frère est-

- Mon frère était et est encore sur mon chemin, alors soit tu m'aides à le retirer soit je l'éliminerai tout seul, me coupe-t-il, apercevant un éclair violet dans ses iris. 

Bordel... 

finalement ce n'est pas Siskann le problème, c'est la famille Saba dans son entièreté. Ils sont dangereux, et sans contrôle ils vrillent complètement sans personne ne le remarque avant que le drame tombe. 

Mais que veut Rika ? Comment dois-je faire pour l'arrêter avant que lui aussi, au même titre que Siskann lors de son génocide, ne commette l'irréparable ? 

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