28.2 Aya
Rika et moi atteignons une table où sont assis un petit groupe de personnes qui se lèvent à notre arrivée. Je pensais qu'ils allaient partir mais, à mon grand désespoir, ils ne font que nous saluer avant de se rasseoir.
Peu importe comment je vois Rika, c'est un homme de haut rang qui rappelle tout le monde à l'ordre à son passage. Il est puissant, son alter et son statut le rendent invulnérables, et le voir ainsi me dégoûte presque. Son frère mérite cette place également, ils auraient dû régner ensemble.
- Nous vous attendions, Rika. Jouer notre argent sans vous est fort risqué, dit l'une des femmes rousses à la table.
Son partenaire à ses côtés acquiesce tout en lui donnant un baiser sur le front.
- Les mises ont l'air plutôt élevé ce soir, j'espère que tu es bien éveillé, lance une autre femme, blonde cette fois, en se léchant les lèvres.
Ce monde est étrange. Et tout ce qui est étrange me rend d'autant plus curieuse.
Je plonge rapidement dans leur regard, dérobant leurs souvenirs et leurs personnalités en un seul clignant de paupières. Et à mon grand étonnement, leur vie est bien ennuyante. C'est bien loin de ce que j'avais trouvé dans les têtes des hommes au Quartier du plaisir. Ici, on n'y voit que des apéros, des sorties entre amis, des bals, des soirées de jeux en tout genre, jusqu'à allant même à de la polygamie. Aucun combat, aucun secret, rien de bien passionnant.
Alors que je dois sauver ma peau pour tenter d'obtenir ma liberté avec mon ami, eux s'arrosent de vins et traînent à longueur de journée dans la capital pour animer leur vie monotone.
J'ai envie de tous leur trancher la gorge.
Rika me serre la main soudainement et me ramène à la réalité, je l'interroge du regard et comprends que le mien s'est peut-être un peu trop montré.
Heureusement que personne ne sait comment fonctionne mon alter, les iris dilatés et le blanc qui s'illumine, il n'y a rien de plus démonstratif chez un magicien que ses yeux. Et me voilà dans une posture délicate. Je ne devrais pas me laisser aussi facilement succomber à la tentation, je pourrais tomber par hasard sur un militaire ou un autre Protecteur. Et ça, ça aurait été moins drôle.
- Miss Amber, je te laisse commencer, l'informe Rika en lui tendant sa main.
La dame, plutôt que de prendre la main qu'il lui propose, y dépose un petit sachet de soie au centre de sa paume qu'il referme aussitôt. Puis, tout en me prenant par le bras, Rika tourne les talons et se dirige vers l'un des escaliers de la salle.
- Que fais-tu ? lui demande-je dans un flou total de la situation.
- Je te l'ai dit, les Nobles sont idiots. Alors je me charge de doubler leur argent dans les jeux, en échange d'information ou de petites requêtes.
- Je vois... En gros, tu les manipules, tu te sers d'eux.
Il me sourit.
- Je m'amuse, quoi.
- Et à part t'amuser, tu fais quoi ? Non parce que moi, mon temps est compté ici. Et ce monde d'idiots super riches, ça a vraiment le don de m'énerver, m'exclame-je en voyant que je suis tombée encore plus bas que ce je pensais.
D'un air compatissant, il enroule son bras autour de ma taille et m'attire à lui. Je tente de m'en défaire mais il m'y empêche en resserrant son étreinte et répond simplement :
- Si le monde tourne aussi bien c'est parce qu'il y a bien plus d'idiots que de stratèges, Aya. Si l'humanité entière nous ressemblait, ça serait tyrannique, et tu le sais.
Puis il se détache de moi et se contente de marcher à mes cotés, sans me toucher.
Il a raison. Un monde fonctionne parce qu'il y regroupe diverses choses, et pas qu'une seule et même personne.
Nous ne pourrions pas vivre avec des Aya à tous les coins de rue, ou des Siskann, ou même des Rika. C'est impossible. Nous sommes fait pour être seul, dès la naissances nous sommes uniques. Et puis nous grandissons dans l'espoir d'être différents des autres, de sortir du lot, de sauver le monde ou le détruire. Mais, avant toute chose, chacun porte son propre rôle, nous ne pouvons pas mettre tout le monde dans le même sac, ça serait invivable.
Il ne peut pas y avoir que des gentils ou que des méchants, il faut de tout.
Alors dire que Siskann est l'homme parfait, un être de paix qu'il faudrait imiter, c'est faux. Il ne faut pas être comme Siskann, surtout pas après tout ce qu'il a commis. Mais il faut être en mesure de le comprendre, de se poser les bonnes questions, de s'écouter soi-même. Oui, comprendre l'autre, cohabiter avec la différence et accepter ce que les autres sont.
C'est ça la beauté du monde : Être en harmonie avec notre bonheur et la bienveillance envers les autres, savoir trouver l'équilibre entre l'égoïsme et la générosité.
Nous montons les escaliers et nous voilà au premier étage. Ici, les jeux semblent différents. Il y a plus de mondes autour, plus d'argents en jeu, moins de femmes et plus d'hommes. Sûrement que, sur ces tables de jeu, ce n'est pas le hasard qui trône, mais plutôt la stratégie. Et quoi de mieux que mettre le grand Rika dans un univers où le plus intelligent gagne ?
- Je te préviens, ne comptes pas sur moi pour t'aider, l'avertis-je en voyant qu'il se dirige vers la plus grande table de jeu de l'étage.
- Ma belle Aya, tu as si peu d'assurance, c'est triste venant d'une femme comme toi, se plaint-il en arborant une moue qui m'exaspère.
Je me place devant lui pour l'empêcher d'avancer d'avantage et le défi du regard. Il ne perd pas une seconde pour accepter ma devance et s'approche un peu plus de moi, collant son torse à ma poitrine. Son rictus taquin m'irrite alors j'exécute ma menace, il ne rira moins la prochaine fois.
Son violet s'intensifie légèrement mais pas assez pour me faire fuir, au contraire, j'en profite pour entrer dans sa tête. Soudain, à l'instant où j'allais toucher son esprit, je reçois une étrange décharge électrique au niveau de ma rétine. Je sursaute, une douleur aiguë aux yeux qui se mettent inconsciemment à se mouiller de larmes.
Rika, fière de son coup, pose ses mains sur mes épaules et se penche à la hauteur de mes oreilles.
- N'espères pas me faire tomber dans tes sorts d'enfants, Aya. Je suis bien plus fort que tu ne le penses, chuchote-t-il.
- Va te faire foutre, m'énerve-je alors que je frotte mes yeux, ruisselant de larmes que je ne peux contrôler.
Il m'a brûlé la rétine assez vite pour que je ne puisse pas rentrer dans sa tête mais assez fort pour que j'en ressente la douleur. Et je peux confirmer que ça fait mal. J'ai l'impression de mettre mis le doigt dans les deux yeux en y ajoutant un peu de sel pour pimenter le tout.
Rika sourit et je serre les dents, j'ai envie de lui arracher ce sourire victorieux mais maintenant que je sais que mon pouvoir ne sert à rien mieux vaut réfléchir autrement.
Siskann m'a dit que je pourrais le battre avec la fusion de nos alters. Donc avec les pouvoirs que j'ai accumulé. Je possède deux marques de Siskann sur mon corps, c'est-à-dire deux fusions d'alters pour l'instant. L'incantation grâce au sabre et l'imitation d'alter.
On peut d'ores et déjà éliminer l'imitation d'alter qui ne servira qu'à me donner un pouvoir que j'ai déjà. Rika est pratiquement identique à Siskann à ce niveau là.
Pour ce qui est de mes incantations, je n'ai jamais eu l'occasion d'essayer. Car pour le faire, il faut déjà tuer des cibles. Ensuite, les emprisonner dans le sabre et les invoquer. Ou quelque chose dans le genre. Mais la première étape me pose déjà problème : Tuer. Bien que ça ne soit pas mon empathie — inexistant, je crois, d'ailleurs — qui m'en empêche mais plutôt mon manque cruel de courage, je n'ai pas encore sauté le pas.
Après avoir longuement essoré mes larmes, je finis par retrouver la vue et sentir s'évaporer la douleur. Ça ne m'empêche pas de froncer les sourcils en croisant le regard de Rika très satisfait de m'avoir eu à mon propre jeu.
- T'en fais pas, je n'ai pas besoin de toi pour jouer, dit-il en poursuivant son chemin, moi sur ses talons.
Je ne vois pas en quoi ma présence l'aide à s'amuser. Il semble s'y plaire ici, il use de son charme pour manipuler les Nobles et il y sort tout gagnant. Moi je ne fais que le suivre là où il veut aller et me plaindre de pas réussir à le battre sur un battle de regard. Ce qui est une situation très frustrante pour moi qui m'entraîne depuis des années à être imbattable.
Je ne suis pas censée être aussi faible, surtout me faire prendre aussi bêtement, c'est ridicule. Ça plombe ma réputation de télépathe, mère ne serait pas très fière de moi. Elle aurait honte, elle qui était si forte. Elle avait même réussi à surprendre Siskann.
Et moi, aussi naïve que je suis, j'ai cru pouvoir avoir Rika en un clin d'œil. Au final, c'est moi qui me suis retrouvée en pleure avec les yeux tout rouges. Quelle honte.
- Et puis comment ça se fait que tu me battes ! m'exclame-je soudainement tout en marchant derrière lui.
Je croise les bras et m'emporte complètement.
- T'es pas censé savoir quand j'entre dans ton esprit. T'es même pas censé le sentir. Puis j'en ai marre, en ce moment tout le monde me l'a met à l'envers. Entre toi, Siskann, Tyko... sérieux, c'est quoi votre problème ? C'est mon alter, mais vous le maîtrisez tous plus que moi. Si je fais quelque chose de travers ça serait bien de me le dire, c'est moi la télépathe. Pas toi, mais moi. Donc...
Il enroule son bras sur mes épaules et me serre contre lui pour que je marche à ses cotés, ce qui me coupe instantanément dans ma colère.
- T'es faible, on le sait. Pas besoin de le crier sur tous les toits, très chère.
Cette fois c'est trop, je le repousse et lui attrape le col tout en crachant :
- Je te préviens, Nobles ou pas, je ne jouerai pas à ta cavalière longtemps si tu continues.
Il se laisse faire, il écarte même les bras pour capituler dans une comédie dramatiquement ridicule. Ma menace n'a pas l'air de lui avoir fait si peur, toute manière je suis bien plus petite que lui ce qui rend le geste moins crédible que prévu. Et puis avec son rictus aux lèvres qui me rend folle, je vais finir par réduire cette salle en miette.
Certains regards intrigués se tournent vers nous, puis Rika ajoute dans un murmure :
- Oh là, là... Tu tiens par le col le Général en personne, quel drame.
- Je peux te faire bien des choses encore si tu insistes, ne me tentes pas, lui assène-je tout en resserrant ma poigne.
Son sourire s'agrandit et il approche son visage du mien. Ses pupilles se dilatent avant de s'enflammer d'un violet clair et étincelant.
- Je t'en prie, montres-moi, me dit-il en abaissant lentement son regard vers mes lèvres.
Je le lâche aussitôt.
Cet homme est fou, je ne peux rien faire face à ça. Ni physiquement ni mentalement, c'est trop me demander.
Il arbore de nouveau cet air vainqueur et je rougis de honte, parce qu'il a eu ce qu'il voulait. Il a toujours ce qu'il veut alors que mon objectif est de le prendre au dépourvu. Pourtant, je tombe pieds-joint dans son manège.
Avec Siskann c'était plus facile, même s'il avait toujours le dernier mot, je pouvais toujours être sûr qu'il reste respectueux envers moi et qu'il soit bienveillant.
Mais Rika, lui, c'est son opposé. Il est vicieux, malsain, pervers et avide. Et ça, je n'ai pas l'habitude. J'en deviens très vite mal à l'aise. La preuve, je sens mon visage s'échauffer et je me détourne du regard satisfait du Protecteur pour éviter qu'il le remarque.
Mais trop tard, son sourire insupportable aux lèvres, il ajoute :
- Je le savais, pas encore assez expérimentée pour t'affirmer. T'en fais pas, tu vas vite apprendre ici, avec moi la chasse est permise.
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