24. Rika

L'an 4031, Époque Harmonieuse, Espionne royale.

Le soleil me frappe de plein fouet, je remercie mon subconscient de m'avoir fait porter des lunettes juste pour le plaisir d'accessoiriser ma tenue. Sans ça, j'aurais été aveuglé tout le repas vu le ciel vide de tout nuage. 

D'une main, j'arrange le col de mon costume bleu marine accompagné de son élégante cravate aux rayures argentées. Fin, plutôt était accompagné d'une cravate. La chaleur m'a fait retirer la moitié de mes vêtements, dont la cravate qui a fini à la poubelle. Il ne reste plus que mon pantalon droit ainsi que ma chemise blanche aux manches remontées et légèrement déboutonnée vers le col. 

Je traverse le restaurant et rejoins Calice, une espionne du Royaume et grande amie d'Armada, sur la terrasse ensoleillée. 

Nous sommes au Royaume de Sola, en plein milieu de la capitale, dans l'un des restaurant les plus chères du continent Aka. C'est un immense bâtiment enroulé dans de multiples lianes de fleurs et de guirlandes de pierres précieuses. Les tables sont nombreuses mais très espacées, elles permettent à tous d'avoir son intimité et de ne pas se côtoyer les uns les autres. Sans oublier la vue panoramique sur l'ensemble de la ville qui nous berce dans un univers sans bruit et sans regard indiscret.

Un endroit parfait pour une rencontre spéciale, après tout.

En m'engouffrant sur la terrasse, l'hôtesse d'accueil aux talons pointues m'accompagne vers ma table, mais je n'ai pas besoin de ses conseils pour apercevoir la femme que je cherche. Je l'aperçois d'un seul coup d'œil. 

Calice. Une femme, plus âgée que moi — enfin physiquement seulement, certainement pas en terme d'années —, assise sur une table pour deux, une bouteille de vin devant elle. Sa robe bustier bleu marine s'arrête à mi-cuisse, lui laissant sûrement assez d'espace pour se battre. 

Et elle est d'ailleurs assortie à la couleur de mon costume, quel beau hasard.

L'hôtesse me fait signe de me diriger vers la table et s'éloigne de moi. Calice est bien trop bonne comédienne pour faire croire qu'elle ne m'a pas remarqué approcher, elle fait mine de regarder les oiseaux qui planent au-dessus d'elle comme si c'était une merveilleuse journée. Vu ainsi, on se douterait pas que cette femme est l'une des plus grande espionne Sola et qu'elle vient me rapporter ses précieuses informations, obtenu de manière peu raisonnable.

La voir si fragile dans ce corps de femme d'affaire qui n'est pas le sien me donne envie de la surprendre. Car en effet, Calice a un alter particulier : Elle peut se métamorphoser en n'importe quel être-humain. Et aujourd'hui, j'ai l'impression qu'elle a pris sa cible au centre d'une réunion de crise financière. 

Elle sourit en se ventilant le visage à l'aide de son éventail et ça m'agace déjà. Des mimique qui me donne envie de l'envoyer valser à travers la terrasse pour voir si ses réflexes défensifs sont toujours au point.

Toutefois, je dois rester le digne Général que je suis.

Je m'abstiens de toute blague et me plante devant la table, lui laissant bien le temps de siroter son verre avant de m'accorder un regard surpris. Elle est douée, très douée, son imitation de la surprise touche au réalisme. Elle qui m'a remarqué dès lors où j'ai passé le seuil de la porte de ce restaurant.

- Je suis contente que tu sois venu, me sourit-elle en m'incitant à m'asseoir face à elle.

- À mon grand malheur, oui.

Je tire la chaise et m'y affale en m'étirant. J'aime beaucoup Calice, mais jouer au jeu de rôle ça ne m'a jamais passionné. Ça ne l'empêche pas de se transformer en qui elle veut, moi je resterai toujours Rika. Elle passe son temps à se mettre dans la peau de ses victimes, voulant se fonder dans leurs vies privées comme si elle en faisait partie. C'est à la fois si vicieux et excitant.

Malgré que ses jeux de rôles m'ennuient, cet alter reste l'un de mes préférés. J'adore la voir se déguiser en différentes personnes, chaque jour. Et c'est si bien réussi ; son corps entier change de forme, sa tenue aussi, son visage, sa voix, tout incarne la cible qu'elle imite. Ensuite, seuls ses talents de comédiennes entres en compte, et elle s'est suffisamment entraînée pour pouvoir les rendre infaillibles. 

Aujourd'hui, elle est sous l'apparence d'une femme à la quarantaine, une dame d'affaire, une cheffe d'entreprise sûrement. Elle porte des lunettes en saphir sur le bout du nez et une coiffure brune bien plaquée d'un chignon.

- Alors, dis-moi, tu travailles dans quoi, aujourd'hui ? lui demande-je en me frottant le menton.

Elle hausse un sourcil et attrape son verre de vin avant de l'amener à ses lèvres rouges. Du vin blanc, bien frais. Sans oublier le sac à main qui se trouve à ses pieds et qui contient sûrement un tas de feuilles dont elle ne saurait même pas le sujet.

Ce qui est impressionnant avec son alter c'est qu'en imitant sa cible, chaque détail s'y ajoute. Que ce soit les lunettes, le sac, les bijoux ou même les blessures, Calice hérite de tous ces éléments, ce qui rend son jeu de rôle encore plus précis et réaliste. Et moi j'adore jouer aux devinettes, alors j'en profite.

- Non, laisses-moi deviner, poursuive-je. Comptable ?

Elle secoue légèrement la tête

- Alors responsable financière ?

Même réaction. Elle ne doit pas travailler dans le milieu de l'administratif.

- Juriste ?

Elle lève les yeux au ciel.

- C'est vrai, t'as toujours été mauvaise pour respecter les lois, murmure-je presque surpris d'y avoir cru.

Je me frotte le menton puis, en regardant les tenues des hôtesses du restaurant, une idée m'illumine :

- Mais oui ! Hôtesse de restaurant ?

Elle semble s'étrangler avec la gorgée de vin qu'elle vient d'avaler.

- Alors hôtesse d'hôtel ?

Cette fois, son visage se fronce et elle se décide enfin à m'aider dans ces devinettes :

- Donc, je suis en tenue d'hôtesse ?

- Oui, et ça aurait pu être sexy si t'étais moins vieille. 

J'esquisse un rictus en voyant la rage monter dans ses yeux, elle ne rêve que de sortir l'arme à feu cachée sous sa robe pour pouvoir me faire taire. 

Elle me déteste, enfin, elle déteste débattre avec moi. 

Pourtant moi j'adore, c'est agréable de voir à quel point elle peut vite vriller, son sang-froid n'est qu'à courte durée. Étrange pour l'impressionnante espionne qu'elle est, ou peut-être que ma présence l'empêche de me résister.

- Je suis Responsable des affaires étrangères au sein du bureau 209 du secteur premier de Ama, explique-t-elle avec sérieux. Un immense honneur que j'ai eu en rencontrant cette chère dame qui rentrait chez elle après sa journée de travail. Grâce à elle, j'ai pu accéder à de nombreuses archives que...

- Pas mal, ce vin, me murmure-je à moi-même en regardant l'étiquette qui y est gravée.

J'attrape la bouteille et la pivote sous mon nez. Il est assez vieux pour y avoir laissé du gout mais pas assez pour garder son amertume. Après tout, le vin sucré c'est pas ce qu'il y a de plus passionnant. Je préfère l'alcool fort, ça me réveille un peu plus, mais pourquoi pas changer mes habitudes. 

- Rika Saba, tonne-t-elle soudainement en posant avec sérieux son verre devant elle. Je suis ici pour t'informer de mes renseignements, non pour bavarder de vin ou d'autres âneries qui pourraient sortir de ta bouche.

Elle est si sérieuse, c'est ennuyant. Je voulais prendre l'air, m'amuser un peu, mais j'avais oublié que Calice n'était pas dans ce genre-là. Calice elle aime parler, pas rire. Je pousse un soupire d'exaspération tout en me servant un verre de ce délicieux vin.

- Maintenant que j'ai toute ton attention, nous pouvons commencer, dit-elle en claquant la langue contre son palais pour faire s'évaporer la colère qu'elle me réservait.

Elle dépose ses deux coudes sur la table et croise ses doigts, ce qui lui donne un air bien plus méprisant qu'elle ne l'était déjà avant. Sa véritable forme est celle d'une jeune femme blonde tout aussi sérieuse. Mais même vieille et avec des lunettes, je ne la prendrai jamais au sérieux, c'est Calice après tout.

Calice la super espionne, mon amie qui se transforme en homme et qui ne supporte pas d'aller au petit coin dans ses moments. Calice qui s'était transformée en enfant et qui était obligée d'aller à l'école. Je ne m'en remettrait jamais, la voir minuscule avec un sac à dos de fée durant les récréations, entourée d'élèves tous aussi minuscules les uns des autres. J'aime me moquer d'elle lorsqu'elle doit se métamorphoser en gamin insupportable ou vieil homme handicapé dont même marcher devient compliqué.

- J'ai eu recours aux référentiels des barrières magiques sur Ama. Toutes les nuits, des portails s'ouvrent, c'est certain. Siskann et Tyko font des allers-retours sur ce territoire. Mais malheureusement, les Yurii n'ont pas assez barrières magiques pour pouvoir les détecter, alors nous n'avons qu'une liste réduite de ses derniers, commence-t-elle avant que je ne la coupe déjà.

- Courir après les portails ne servira à rien.

- Nous n'avons pas d'autres solutions pour localiser ton frère, Rika.

Le terme « frère » me met mal à l'aise. Je m'empresse de boire mon verre avant de m'en servir un autre.

Malgré tout ce temps passé depuis, difficile de digérer les paroles de Aya et surtout le fait qu'elle m'est crachée au visage qu'on ne tuait pas son frère

Sans blague... Si j'avais une autre solution, je ne chercherai pas à le tuer.

Je l'ai tué une fois, et je dois le recommencer une fois de plus. Ça ne me fait pas plaisir, loin de là, j'espère tellement voir cette routine de meurtres fraternels s'arrêter. Je ne veux plus devoir tuer ma famille, ni aucun de mes autres proches. Je veux simplement vivre, aimer et prospérer. Chose que j'ai eu du mal à faire depuis l'ouverture du tombeau de Siskann. J'ai l'impression que la guerre était à notre porte, je me vois revivre une seconde Grande Chute jour après jour. 

Mais peut-être qu'une solution est arrivée du ciel et que tout ça va s'arranger, pour moi

Avec la présence d'Aya, l'avenir paisible et glorieux que je me réserve me semble plus accessible. Car même si l'admettre est surprenant, Siskann se soumet devant cette fille. Il l'écoute et prend en compte son avis. Le frère cruel que j'ai connu est encore là mais au service d'une fille. Si j'arrive à avoir Aya de mon coté, peut-être que Siskann suivra. Et une fois que j'aurais Siskann, je pourrais enfin y mettre un terme. En espérant que je puisse sauver Aya avant que ça n'arrive.

- Toute manière, vous ne percevez que les signaux de leur endroit cible ? Jamais d'où ils pourraient bien partir ? demande-je en sachant déjà la réponse.

Siskann est malin, il s'est caché dans un endroit sans aucune trace de magie. Impossible de le localiser ni de le suivre à la trace. Il ouvre des portails quelque part sur Ama, y projette Tyko et garde bien de nous cacher l'endroit d'où il les ouvre. 

Nous savons où atterrit Tyko, toujours même, mais pas d'où il décolle, et ça c'est problématique. Même si nous pouvions retrouver le maître de feu, il suffit qu'un portail de mon frère l'aspire et il nous échappera de nouveau.

C'est pour cette raison qu'une traque au portail est inutile, surtout sur un continent mal surveillé.

Lorsque j'avais suivis Siskann dans ses portails les fois précédentes, je me trouvais soit près de lui soit dans un lieu entouré de barrières. Sans cela, difficile d'anticiper où il pourrait former ses trous de ver.

- Oui, impossible de découvrir son refuge, souffle Calice.

- Siskann a beaucoup de défauts, mais il est loin d'être idiot.

- Alors que proposes-tu ? 

Moi et Siskann sommes les deux derniers survivants Saba, et nous nous entres-tuons. Pourquoi ? Et bien parce que nous avons deux objectifs opposés et que nous nous barrons chacun la route pour y arriver. L'un doit mourir pour l'autre réussisse, et ça ne sera certainement pas moi.

L'un des serveurs choisit ce moment pour se pointer à notre table et nous demander si nous avons une petite faim. Calice accepte volontiers et commande une salade de fruits à la viande séchée, de mon coté je préfère rester sur du liquide et prends un verre d'alcool fort qui sera bien plus excitant que ce vin.

- Une salade ? T'as peur de grossir, c'est ça ? m'étonne-je alors que le serveur accourt en cuisine pour valider notre commande.

Calice prend la remarque avec douceur, mais surtout en essayant au mieux de voiler son exaspération. Trop facile de toucher son cœur, il est public et si prévisible. Comme la plupart des femmes à vrai-dire. Avec le temps, j'ai appris à y déceler tous les secrets juste par un coup d'œil. Et lorsque certains mystères me résistent, alors j'y prends goût. Aya fait partie de cette équipe de femme unique dont les rouages sont aussi terrifiants que excitants. Calice non. Mais c'est rien, au moins je peux défouler mon humours sur elle.

- Je prends ce qui me donne envie, tranche-t-elle en sortant une cigarette de sa poche.

Sous mon air surpris, elle l'enflamme d'un briquet et l'apporte à ses lèvres.

- Le rôle de fumeuse c'est aussi dans ta comédie ? lui lance-je dans une grimace.

- Fumer une cigarette, fumer des gens, c'est pareille, non ?

Elle inspire la fumée et la recrache sur le coté pour éviter que j'en respire la moindre particule. Tuer des cibles pour une mission c'est une chose, fumer pour fumer s'en est une autre. Je ne sais pas ce qui est le mieux... Quoi que je préférais toujours tuer que de me tuer moi-même, surtout par le biais d'une simple cigarette.

- Tu fumes aussi ta santé, rétorque-je en levant les yeux au ciel. Déjà qu'elle est pas très saine.

Le soupire qu'elle pousse est si profond qu'elle y rejette encore un peu de fumée.

- Rika, tu me lâches ? D'abord le vin, puis la cigarette, ça sera quoi le sujet inutile à mettre sur table ensuite ?

Mon regard se lève sur son chignon parfaitement rond à l'arrière de son crâne. Ses cheveux sont bruns et plaqués avec dureté, aucune chance de voir une mèche rebelle s'y échapper. Calice est d'origine blonde, mais elle aime découvrir d'autres coiffures à l'aide de ses métamorphoses.

- Je te préfère comme ça, en brune. Je trouve que le blond terne ton teint, dis-je en fixant avec minutie ses cheveux. T'aimes pas le soleil ? Parce que tu devrais penser à bronzer un peu, ça te rendrait moins fade.

Elle laisse tomber sa tête dans ses mains et respire quelques secondes dans l'espoir de ravaler son envie de m'abattre sur le champ. J'aurais aimé qu'elle y cède, nous aurions pu nous amuser un peu. Quoi que ce combat m'aurait aussi ennuyé, son alter ne sert qu'à imiter autrui, rien de très dangereux quand on arrive à la démasquer.

- La seule raison qui m'empêche de te tuer, c'est que je ne peux pas, murmure-t-elle la tête toujours enfouie dans ses mains.

- C'est déjà une excellente, raison, tu sais.

Elle se redresse vivement et me fusille du regard.

- Si je pouvais, je...

Je souris, attendant patiemment la fin de sa phrase pour pouvoir répliquer. Que j'aime pousser à bout mes interlocuteurs, surtout ceux qui ne peuvent rien contre moi comme Calice. Aucune raison ne la pousse à se taire, pourtant elle ne dit plus un mot. Elle ne peut rien me faire, rien d'intéressant, même l'embrasser m'agacerait. Jouer des rôles, c'est la seule chose qui la sort du lot. Et encore, Aya en ferait qu'une bouchée, suffit d'un regard pour que son rôle s'effondre. 

Le serveur arrive tel une bouée de sauvetage pour Calice qui n'ose pas me menacer en public, il lui dépose son assiette devant elle et lui fait changer de sujet. Un autre serveur m'apporte mon verre que je ramène directement à mes lèvres. Elle prend une première bouchée de sa salade et me jette un coup d'œil.

- Elle est très bonne cette salade, voilà pourquoi je ne t'écoute jamais.

- Ce que je dis c'est que fumer une cigarette et manger une salade ça ne va pas ensemble, protesté-je en agitant mon doigt sous son nez. Tu fais toujours tout de travers.

Le regard noir, elle garde sa concentration sur son repas et ne prête plus attention à ma remarque. Encore un débat qui pourrait durer une éternité et nous dévier complètement de la raison de notre dîner qui n'a rien d'amical. Nous sommes amis, oui, mais pas assez pour que j'accepte de me déplacer à un repas. Même Armada je lui refuse les rencards qu'elle me propose, ça m'ennuie d'avance. Je préfèrerais regarder le mur de ma chambre, c'est bien plus agréable que de discuter du beau temps avec quelqu'un. 

- Pour en revenir à ton frère, ajoute-t-elle tout en mâchant. J'ai peut-être une idée.

J'arque un sourcil. Les idées des autres concernant mon frère ont le don de m'échauffer, j'espère pour elle que ça n'ira pas aussi loin que Trônn lorsqu'il m'a proposé de tuer Siskann à ma place.

- Je pourrais incarner Aya, non ?

Je cligne plusieurs fois des paupières, avalant avec difficulté son annonce. Bien que j'y ai déjà pensé, je me suis vite résilié. L'idée est de très mauvais goût, ça mettrait en rogne Siskann et aussi Aya, ce qui est loin d'être dans mes plans. Je dois tuer Siskann et garder Aya, maintenant faut-il encore trouvé un plan adapté. Mais Calice ne le sait pas, pour elle je suis censé abattre les deux et surtout Aya qui renferme l'âme de Siskann.  

- Pourquoi faire ? me contente-je de répondre.

Elle échappe un rire étranglé.

- Pour infiltrer leur refuge, je ne sais pas ? Je suis une espionne, ça sert à ça, non ?

- Tu vois, à force de manger de la salade, tu réfléchis de travers, souffle-je. Tu ne pourras jamais l'imiter, elle possède plusieurs alters et puis mon frère est dans sa tête, ça n'a pas de sens ton plan.

D'un air lassé, elle dépose ses couverts comme si je venais de la dégoûter des salades.

- Je ne m'approcherai pas de Siskann, Rika, toute manière je ne peux pas fréquenter de trop près les cibles que j'incarne. Mais nous pourrions déjà mettre la main sur Tyko, il n'y verra que du feu, sourit-elle fière de son jeu de mot.

- Admettons, mais comment feras-tu pour incarner Aya alors que tu dois toucher ta cible pour que ton sort s'enclenche ?

- Pour l'instant, difficile à dire. Mais en remontant petit-à-petit la piste, nous finirons bien par tomber sur elle.

Elle commence à me prendre de haut et ça m'irrite.

Son idée pourrait peut-être bien marcher, je l'avoue, parfois son coté espionne est capable de certaines choses intéressantes. Mais la savoir prête à s'approcher de mon frère ou de Aya sans que je sois là, me tourmente un peu. Je voulais me charger moi-même de les retrouver, toutefois mon alter est trop puissant et donc vite remarqué. Siskann fait tout le nécessaire pour éviter que je lui tombe dessus et il découvrira rapidement ma présence si je m'approche trop de lui. 

Alors envoyer quelqu'un d'autre à ma place reste la meilleure solution, surtout quand ce quelqu'un à un alter d'imitation.

- Donc qui vas-tu incarner comme première proie ?

- Je pensais à ces deux magnifiques jumeaux de chasseurs, ils sont si craquants, et je sais qu'ils gardent contact avec Tyko. En incarnant l'un des deux au bon moment, je pourrais m'approcher de Tyko et l'incarner aussi.

Son idée me plait, mais venant d'elle c'est toujours aussi insupportable. Pourtant je dois m'y plier. Les Yurii perdent patience et je ne peux plus rester les bras croiser dans l'espoir de tomber sur Aya par hasard.

Je pose mes coudes sur la table pour récapituler le plan.

- Ça me va. Va sur Ama, retrouve les chasseurs et choisis celui que tu préfères incarner. Ensuite, tu seras en attente tout en gardant en visuel les signaux des barrières. J'essayerai de séparer les jumeaux pour que tu puisses en interroger un sur deux sur ce qu'il sait sur Tyko, puis il ne restera qu'à attendre qu'il se pointe.

Elle acquiesce le sourire jusqu'aux oreilles.

- Attends mon accord pour te transformer en maître de feu, ça pourrait mal tourner, l'avertis-je.

- À vos ordres, Général, répond-t-elle dans un ton trop joyeux pour que je la prenne au sérieux.

Je finis d'une gorgée mon verre et me lève de ma chaise pour m'apprêter à partir.

- Ce repas était affreusement long, mais maintenant on a un plan. Alors tiens-moi au courant de ton avancé, lance-je.

- Un repas ? T'as même pas mangé, se moque-t-elle.

Elle désigne mon verre vide de la main pour illustrer ses paroles.

- Encore heureux, je n'avais pas envie de m'éterniser ici.

Sur ce, je me dirige en direction de la sortie et ouvre un portail en plein milieu du restaurant pour retourner au palais, directement dans mes appartements. Voyager avec mes portails me sauve de beaucoup de situations pénibles, comme celle de croiser Armada sur le chemin ou même l'Empereur qui me rabâche chaque jour le danger de mon frère dans nos terres.

Cette entrevue m'aura bien tourmenté.

Même si je n'en ai rien montré, débattre sur la manière dont nous pourrions abattre mon frère m'a toujours rendu nerveux. Et puis l'apparition de Aya n'arrange pas les choses.

Je suis planté au milieu de mon salon et observe les baies vitrées qui donne vue sur le palais et son immense jardin. D'ici, nous pourrions penser que la vie est paisible sur des milliers d'hectares. 

Mais finalement non. Tout d'abord à une trentaine de kilomètres se trouve Calice, toujours au restaurant. Donc, la vie paisible a déjà été éliminé. Croiser cette femme n'est jamais bon signe.

Ensuite, plus loin encore, après la capitale, après le Quartier d'affaire, se trouve le village de Aya et la catastrophe qu'elle a causé, il y a de ça quelques jours, à la mort de sa mère. Ce qui est encore moins agréable.

Grâce aux renforts qui sont arrivés sur place juste avant sa fuite, j'ai pu re-visionner aux caméras qui avaient été accrochées dans sa maison. L'Empereur tenait absolument à abattre sa mère pour jouer l'appât et amener Aya au bord du gouffre. Il voulait la faire sombrer si bas qu'elle n'aurait jamais pu se relever. Mais il a oublié une chose : C'est en faisant du mal à l'autre qu'il devient notre pire adversaire. Et en connaissance de cause, ce n'est jamais bon signe. C'est de la même façon qu'est devenu un monstre mon frère. Lui qui n'aurait jamais fait de mal à un insecte enfant, aujourd'hui, il est redouté de tous. Et Aya peut rapidement l'être aussi.

J'ai été boulversé lorsque j'ai vu l'état qu'était la jeune fille devant le corps inerte de sa mère. Les caméras avaient été brouillées, on avait plus de son. Mais les images me suffisaient. Son pouvoir était une copie parfaite de celui de Siskann.

En regardant la vidéo de plus près, un homme se tenait près d'elle également. Camouflé par sa capuche, je n'ai pas pu le reconnaître. Sûrement Tyko, il n'y a que lui de toute manière. Puis plus rien. Aya a réduit son village en poussière.

J'étais au courant de la mort de sa mère, après tout c'était un ordre des Yurii. Ils m'avaient demandé de le faire mais j'ai refusé. Ils ont donc envoyé des chasseurs de prime faire le sale boulot à ma place. Et maintenant que la mère de Aya est morte, je dois absolument éviter le pire pour sa fille. Il ne reste qu'elle. La dernière de sa lignée, du moins, c'est l'hypothèse que je me fais depuis quelques jours.

La dernière Neferani. Et j'en suis presque certain.

Mon plan est stricte : elle ne doit pas mourir.

Aya Neferani ne doit pas mourir. 

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