21. Siskann
L'an 3432, Époque Victorieuse, Le frère de mes 17 ans.
(599 ans plus-tôt)
Je n'ai plus jamais entendu parler d'elle, de Petra. Depuis ce soir-là, depuis qu'elle a accepté mon baiser pour ensuite se volatiliser et me laisser sur des paroles absurdes, mon esprit ne pense qu'à elle. Pas seulement de sa beauté, mais de ce qu'elle entreprenait, ses convictions et ses questions toutes aussi tordues dont je n'aurais sûrement jamais les réponses.
Quel pouvait être son devoir ? Et pourquoi la rejoindrais-je ? Je ne peux qu'espérer que le temps y répondra, je dois être patient jusqu'à ce tout se concrétise. Jusqu'à ce que je la revois, elle qui hante la plupart de mes rêves et désirs.
Aujourd'hui, ma mission de la journée est terminée. J'ouvre rapidement un portail pour rentrer au palais et changer mes armes usées avant de pouvoir repartir. J'atterris directement dans ma chambre royale.
La téléportation est pratique pour gagner du temps et éviter de croiser tous les stupides Nobles qui déambulent à travers les couloirs comme des chats à la recherchent de leur souris. Ça m'évitera aussi un énième sermon de ma mère sur la barbarie de mes missions et de mon insensibilité au geste. Et ça m'évitera aussi la colère de père sur mon absence totale d'honneur envers notre famille et mon détachement d'humanisme.
Mon seul regret est de devoir éviter également mon frère. Lui qui a sa vie de famille, je ne peux pas débarquer devant lui couvert de sang et le regard débordant de vices. Pourtant j'aimerais
Je traverse mon salon en jetant mes armes au sol et me dirige vers la salle de bain tout en retirant mes vêtements imbibés de sang. Je jette tout par terre, tachant au passage mon carrelage de goûtes rouges qui me laissent indifférent. L'envie de sauter à la douche passe devant celui de faire attention à la propreté de la chambre qui est nettoyée deux fois par jours par le personnel du palais. Ils doivent en avoir bien marre de retrouver du sang sur tous les murs.
J'allume l'eau chaude et me détends tout en lavant brutalement mon corps pour retirer toutes traces de combat. L'eau qui s'écoule devient rouge, elle change de couleur à mon contact et ça m'oblige à frotter plus fort. Je me noie dans une quantité astronomique de savon et passe plusieurs minutes à me purifier de mes mauvaises actions. En commençant par mes cheveux jusqu'au reste de mon corps, tout y passe. En sortant de la douche, j'enroule ma serviette à la taille et ouvre la porte pour rejoindre ma chambre.
- Ça y est, tu es lavé de tout péché, lance une voix féminine du canapé.
Dans un sursaut, je pivote vers cette partie-là du salon et croise le regard de Urimii, ma soit-disante promise, assise dans le canapé à me contempler.
Le soupire d'exaspération que je pousse en la voyant lui fait retirer son sourire immédiatement.
- Bonsoir à toi aussi, Siskann, s'offusque-t-elle en se levant pour me rejoindre.
- Qu'est-ce que tu veux ?
Mon ton est glacial, je lui crache cette question comme si sa présence me répugnait. Et oui, elle me répugne. J'en ai plus qu'assez de la voir entrer sans mon autorisation dans mes appartements, et ce chaque fois où je rentre au palais.
Urimii est ma promise, mais elle est jeune, trop jeune, son âge me terrifie et la voir dans de telles conditions me file la nausée. 13 ans, ce n'est pas un âge pour ne serait-ce qu'imaginer obtenir quelque chose d'elle. Les Yurii ont complètement perdu la tête à croire que je vais accepter de l'enfanter alors qu'elle n'est encore qu'une enfant. Même adulte, je ne l'aurais jamais touché sous cette obligation.
Et la voir ici, en tenue légèrement transparente, le regard complètement obnubilé par son devoir de porter mon héritage, me révolte.
- Je suis ici chez moi, dit-elle en tournoyant autour de moi comme si tout ceci n'était qu'un conte féérique.
- Si tu veux mes apparts, tu n'as qu'à le dire. J'irai vivre ailleurs, m'énerve-je en me dirigeant vers ma chambre.
Elle me suit et les nerfs me montent.
- Ce ne sont pas tes appartements que je veux, c'est toi, Siskann, rétorque-t-elle, assise sur mon lit en secouant ses petites jambes dans le vide.
- Je ne suis pas d'humeur, grogne-je. Dégage de chez moi.
- Tu n'es jamais d'humeur.
Elle ne s'arrêtera donc jamais. J'avais oublié que c'était une Yurii, et quand leur devoir royal entre en compte, rien ne peut les arrêter. Urimii glisse son regard sur mon corps à moitié nu et je me mords la lèvre inférieur pour contenir ma rage. Si ça ne tenait qu'à moi, je l'aurais abattu depuis bien longtemps. Mais en tuant une Yurii, je m'expose à une traque meurtrière jusqu'à la fin de mes jours, ce que j'aimerais éviter.
Comment peut-on envoyer une enfant avec une telle responsabilité ? Comment ses parents ont pu lui demander un acte pareille ?
Déjà pour une femme adulte c'est difficile, mais pour une enfant c'est encore pire. Je suis sûr qu'elle n'a même pas conscience de ce qu'elle fait, elle semble être complètement à l'ouest, espérant plaire à ses chères parents qui lui ont donner cette mission absurde.
Je dévie mon regard vers mon armoire à la recherche de mes vêtements et tente d'oublier la jeune enfant derrière moi.
Quoi que me fasse les Yurii, je ne toucherai jamais cette fille, jamais. Je n'abuserai jamais d'une enfant, ni d'une femme, ni de personne. Tuer est peut-être une action facile, mais le viole c'est un acte de barbarie que je ne pourrai jamais porter. Et la pédophilie encore moins, je préférais me laisser mourir que de me rabaisser à cette atrocité.
Urimii se lève de mon lit et je la sens se rapprocher de moi. Elle est bien plus têtue qu'elle en a l'air, alors j'attrape rapidement mes vêtements et sors de ma chambre avant qu'elle ne puisse m'approcher. Je récupère mes armes au sol et ne jette aucun regard derrière-moi.
- T'approches pas de moi si tu ne veux pas mourir bêtement... murmure-je en ouvrant un portail pour fuir cet endroit au plus vite.
Toutefois, la jeune enfant s'y oppose. Elle use de son pouvoir pour attraper l'arme dans mes mains à l'aide des lassos qu'elle crée à distance. De longues cordes noires ressemblants à des serpents sortent de ses doigts et fouette le sol près de moi. Je me retourne vers elle pour riposter mais ses lassos s'enroulent autour de moi et m'oblige à me mettre à genou.
- Ne fais pas ça, tente-je de dire en sentant l'une de ses cordes noires tourner autour de ma gorge et se resserrer.
Urimii serre ses poings de colère et semble vouloir réduire cette pièce en miette.
- Pourquoi es-tu si compliqué, Siskann ? Pourquoi es-tu si différent des autres ? Le devoir est un acte honorable, et tu t'en détournes constamment, pourquoi ? s'emporte-t-elle en s'approchant de moi, m'implorant du regard.
Le devoir, toujours le devoir, mais qu'en est-il de nos désirs ?
Tout ne tourne qu'autour des principes royaux mais personne ne nous demande notre avis, à nous. Mêmes les princes et princesses se doivent de se rabaisser à ses absurdités pour être digne du trône. Quitte à vivre comme un sans abris, je n'accepterai jamais de me plier à leurs demandes, surtout lorsqu'elle touche des crimes encore plus violents que ma propre cruauté.
Beaucoup parle de moi comme un monstre, mais n'est-ce pas pire d'abuser d'une enfant ?
Je me demande ce qu'on choisi mes frères et soeurs. La liberté de choix ou la gloire royale ? Ont-ils tous accepté leur devoir ? Même si, et c'est triste de l'avouer, je suis le seul de ma famille à être promis à une enfant aussi jeune. Les autres Yurii sont plus âgés. Rika et Loana ont seulement un ans d'écart, car lui il est le frère parfait et moi non. Sûrement une punition que veulent m'infliger l'Empereur pour ensuite me mettre sur le dos un énième crime répugnant.
- Pourquoi ne veux-tu pas de moi, Siskann ? Pourquoi dis-tu toujours non ? Pourquoi, hein, pourquoi ?
Son ton s'élève, sa voix d'enfant se brise et des larmes s'écoulent sur ses joues alors j'essaye de me débattre de l'emprise de son alter sans la blesser. Mais c'est impossible, ses lassos s'enroulent de plus en plus fort et me compresse les articulations.
- Nous... suffoque-je. Nous ne pouvons pas tout accepter, sous prétexte que c'est la demande de l'Empereur, Urimii.
Elle s'énerve et resserre d'avantage son emprise. Je vois flou. Mes vertiges percent le crâne et je ferme les yeux, essayant de me pardonner intérieurement pour ce que je m'apprête à faire. Car, comme à chaque fois, je n'ai plus le choix de faire autrement. La décision la plus cruelle me revient toujours le droit, et je n'arrive jamais à m'en défaire.
Je fais le vide dans ma tête, me détache de la douleur que me provoque ses lassos acérés. Je concentre mon attention sur la finalité de cet affrontement.
Urimii, crois-moi, la mort sera moins douloureuse que ce que s'apprêtait à te faire subir tes parents.
- Pourquoi, Siskann, tu...
La fin de sa phrase ne se terminera jamais.
Un éclair violet fend l'air et percute son torse dans un gigantesque trou dégoulinant de sang. Ses organes tombent au sol quelques secondes avant que son corps suive. Les lassos disparaissent instantanément, tout comme la boule au ventre que j'avais chaque fois que je la voyais.
Je savais que je n'échapperai pas à ce moment, qu'un jour elle y passerait. Ce triste jour est arrivé, j'ai tué un Yurii, la plus jeune, sûrement la plus innocente aussi. Urimii était douce et attentionnée, elle était vive et intelligente, mais elle était endoctrinée par ses parents, et la connaissant elle n'aurait jamais lâché cette affaire d'héritage.
Je me redresse et reprends calmement ma respiration en voyant le corps de la jeune enfant au sol, noyé dans son sang.
Je me détourne rapidement et me secoue la tête pour y voir plus clair. La cible n'était pas que moi, elle concerne toute ma famille, ce devoir d'héritage est l'une des missions les plus importantes pour la prospérité du Royaume, mais aussi la plus importante aux yeux des Yurii.
Toutefois, je commence à croire que ça ne s'arrêtera pas seulement à l'héritage, quelque chose d'encore plus amer se cache derrière ce jolie terme.
En attendant de le savoir, je dois rejoindre Rika. Je dois lui parler, lui-seul pourra comprendre.
J'ouvre un portail jusqu'à sa chambre et atterris dans son salon sous les yeux écarquillés de sa femme, Loana. Elle étouffe un cri et se rue vers moi pour me gifler. Je suis plus vif et lui attrape le poignet pour le tordre. Alors qu'elle s'apprêtait à hurler de douleur, Rika déboule dans mon dos et me repousse pour sauver sa femme de mes mains.
- Mais qu'est-ce qu'il te prend ? me crache-t-il tout en caressant le poignet de Loana.
Cette dernière, apparement bien en colère de mon arrivé, repousse également mon frère et va s'enfermer dans la chambre. Ça m'évitera de l'affronter au moins. Rika soupire et m'invite à m'asseoir sur le canapé avec lui mais je refuse, je n'ai pas le temps pour ça. Dans quelques heures, ou moins si j'ai pas de chance, la mort d'Urimii sera découverte et j'aurais le Royaume entier à mes trousses. Le temps mes comptés, ma vie m'est comptée.
- Rika, il faut partir d'ici, je t'en prie, c'est...
- Attends, quoi ? me coupe-t-il sur un ton nerveux. Tu te fiches de moi ? Tu débarques ici sans prévenir pour me demander de fuir ce pourquoi on se bat ? J'espère que tu rigoles, Siskann.
Je m'approche de lui et lui attrape violemment le col, je n'ai pas le temps de débattre, je n'ai même pas le temps de le serrer dans mes bras, je dois juste le convaincre.
- Écoute-moi, bordel ! Pour la première fois de ta vie, É-C-O-U-T-E—M-O-I. Les Yurii ne sont pas ce que tu crois, on ne se bat pas pour eux, on se sacrifie pour eux, Rika !
Il me repousse brutalement, retirant mes mains de lui.
- C'est le rôle d'un soldat, abruti ! On doit donner notre vie pour notre Empereur. Pourquoi c'est si difficile à comprendre pour toi ?
- Parce que ce n'est pas comme tu le crois, il y a un truc qui cloche, je t'assure je...
Le coup de poing qu'il m'envoie en plein visage me fait traverser la pièce en moins d'une seconde. Je n'ai à peine le temps de comprendre ce qu'il m'a fait qu'il atterrit sur moi et m'immobilise. Ses yeux d'un violet éclatant me transperce, sa haine envers moi me brise, il n'a jamais été aussi en colère contre moi. Nous nous sommes de nombreuses fois battus, mais jamais avec une rage aussi folle.
- Pourquoi t'es si compliqué, hein ? T'as toujours été compliqué, toujours sur le mauvais chemin, mais réveille-toi, Siskann ! Je ne peux pas m'occuper de toi toute ma vie. Si tu n'es pas capable de porter de stupides responsabilité sur les épaules alors pars !
Il me redonne un coup en plein dans la bouche et je sens ma mâchoire craqueter, mes dents se déplacer et le sang exploser sur ma langue. Je tousse et tente de me relever mais il m'en empêche en m'assénant un autre coup en plein dans le nez cette fois-ci. Si je reste ici, il serait capable de m'abattre. Lui qui m'a toujours protégé, il se décide enfin à en finir. Mais ce n'est pas moi le danger, ce sont les gens pour qui il s'agenouille.
- T'as jamais été capable de m'écouter, tu n'en as jamais fait l'effort. Je veux te sauver la vie, Rika, murmure-je en l'implorant de tenir compte de mes paroles. Je veux te sauver, je t'aime et je ne veux pas te perdre, tu le sais.
Il se calme un instant, reprenant son souffle et figeant son regard dans le mien. Je peux apercevoir ses pupilles se rétrécir, sa colère s'évaporer, alors qu'il reste au dessus de moi sans savoir quoi faire. Mon coeur rate un battement lorsqu'une larme s'écoule lentement sur sa joue.
- Pitié, Rika, suis-moi, poursuive-je, aussi au bord des larmes.
C'est mon frère et malgré tout ses défauts, c'est le seul à qui je tiens réellement dans tout ce foutoir. Le seul que j'aimerais sauver des mains des véritables monstres de ce monde.
- Je ne peux pas, ma vie est ici. Je... j'ai un enfant, Siskann, je ne peux pas.
Un hoquet de surprise m'échappe et je me tends.
- Loana est enceinte. Je t'en supplie Siskann, ne brise pas le peu de joie que j'ai ici. Mais toi, va-t-en. Tu n'as jamais été chez toi ici. Pars, je ne te retiendrai pas.
Rika est père. Mon frère a un enfant.
A-t-il cédé à son devoir ou est-il réellement amoureux de Loana ? La question me traverse l'esprit alors que je m'imagine anéantir ce Royaume de mes mains. Est-il heureux là où je ne l'ai jamais été ? J'ai toujours été différent mais je ne pensais pas l'être autant. Moi aussi j'ai le droit de vivre, de rire et de rêver. Moi je veux la paix que mon frère a, je veux ce qu'il a. J'ai toujours voulu être lui, sans jamais réussir à le devenir. Car c'est impossible d'être ce qu'on est pas. Rika est le gentil, alors suis-je le méchant ?
Et c'est en entendant sa dernière phrase que la tempête s'est déchaînée :
- Si tu es incapable de me comprendre, pars. Par pitié, pars, Siskann. Et ne reviens plus, grogne-t-il en me lançant un regard que jamais je n'oublierai.
Moi qui ne le comprend pas ? Mais... c'est lui qui a toujours refusé de me comprendre.
Après cette phrase, mon corps ne me répondait plus.
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