20. Siskann
L'an 3431, Époque Victorieuse, La seule femme de mes 16 ans.
(600 ans plus-tôt)
Les applaudissement s'accentuent, les rires et les encouragements aussi. Ce bruit constant qui me plombe les oreilles depuis presque une heure, me fait oublier le statut que je suis censé porter ici. Je suis un garde royal après tout, un apprenti et futur grand protecteur dynastique des Yurii. Le bon exemple doit être montré.
Enfin, si seulement c'était dans mes cordes de jouer les super-héros... Pour l'instant, ce n'est pas trop à mon goût.
Rika se charge de cette partie ennuyeuse du travail, moi je préfère profiter.
Ce soir, alors que la nuit s'imprègne du ciel et assombrit les rues, j'ai fait un petit détour dans l'un des célèbres bar de la capital du Royaume. Moi et ma troupe aimons beaucoup passer nos soirées à danser comme si durant la journée nous n'avions pas tranché des têtes à tout va. Nous oublions nos peines ici, verres remplis à la main autour de dizaines de jolies demoiselles toutes prêtes à subvenir à nos besoins pour obtenir nos richesses.
Quelle vie ! Mais je l'aime, mieux que celle que je passe au palais, du moins ; Vu que je n'ai plus le droit de sortir librement depuis mes dix ans, plus le droit d'adresser la parole aux princes et princesses non-plus. L'Empereur Ian a tenu à me tenir à l'écart de ceux qu'il aime. Je suis un terroriste pour eux, un assassin de grande fortune qui ne cherche qu'à s'occuper et combler le temps qu'on lui accorde.
Il n'a pas tout a fait tord, aujourd'hui — et depuis que j'ai voulu récupérer ce foutu collier —, tout a changé.
Mon père s'est résigné à faire de moi un tueur à gage sans coeur, sans âme, un bon soldat qui obéit aux ordres sans raison. Évidement ça a plu à l'Empereur, il a pu avoir la main sur mon alter comme un jouet téléguidé. Ma pitié, ma tendresse, ma bienveillance, tout ce qui faisait de moi l'enfant au coeur trop grand a disparu, tout ce qui me constituait s'est oublié.
Tout comme ce collier que je n'ai plus jamais revu. Je me résous à me dire que c'est sa faute, la faute du médaillon. Que si je le retrouvais je pourrais surement redevenir comme avant, redécouvrir la passion que j'avais à explorer le monde, celle que j'avais à poursuivre mes rêves jusqu'à mon dernier souffle.
Mais c'est fini, ce collier m'a fait sombrer bien bas. Mon coeur s'est déchiré et je crois bien être incapable de le recoller.
Les années qui ont suivi se sont résumées à des milliers d'entraînements, d'atroces tortures et de durs jours passés en compagnie d'une famille qui ne m'admiraient plus. Encore aujourd'hui, père et mère ne m'adressent que rarement la parole, ils n'assument pas les monstruosités que j'inflige au monde, même si je ne fais qu'obéir aux Yurii. Ils n'arrivent pas à croire que je suis capable d'agir ainsi, que je puisse assassiner des enfants sans rancoeur.
C'en est presque culotté. C'est eux qui m'ont forgé ainsi, mais ils ont fini par le regretter. Et moi, j'en paye les frais.
Mes frères et soeurs sont presque tous fiancés. Même si leur âge est encore bien faible, les Yurii ont tenu à leur faire promettre leurs enfants. C'est écœurant. Les Yurii mariés aux Saba.
D'ailleurs Rika est promis à Loana — si ce n'est pas de la provocation. J'entends souvent dire qu'ils aborderont bientôt le sujet de leur héritage, et c'est encore plus flippant. Rika fiancé c'est déjà bien trop, mais le voir avec un enfant, je crois ne pas pouvoir m'en remettre. Un an seulement nous sépare, pourtant il semble déjà bien plus adulte que moi. Un futur grand Empereur, j'en suis certain. Tandis que son cruel petit-frère se noiera dans les flaques de sang qu'il fait couler.
En parlant de promise et de famille, pour ma part je suis censé être destiné à la douce Urimii. Et je dis bien censé car je ne rentre au palais que quelques fois par mois, de quoi ne jamais la croiser. Ni elle, ni aucun Saba ou Yurii, ni personne. Je préfère être seul, je peux au moins être sûr que je ne me décevrai pas. Et puis Urimii est encore une enfant, je ne peux pas l'aimer ni même la toucher, c'est impensable, même après toutes les horreurs que je cause.
Toute manière, les Yurii ne méritent pas que je leur offre un héritier sur un plateau. Je sais qu'ils veulent absolument que j'enfante Urimii pour qu'ils puissent s'emparer de mon enfant et en faire leur garde du corps. Un enfant qui aura mon pouvoir, ma puissance, et ça je ne peux l'accepter. Ils admirent l'alter de notre famille et ils veulent se l'approprier.
- Quelle endurance, tu pourrais presque te mesurer à moi, lance une demoiselle à ma droite, accoudée à mon image sur le comptoir alors que je m'enfile un sixième verre à la bouche.
Le sourcil arqué, je me tourne vers elle.
Ses cheveux bouclés et majestueusement longs caressent son dos nu, contournant parfaitement son visage bien tracé. Elle porte de grandes boucles d'oreilles rondes en argent et de multiples bagues de la même matière aux mains. Sa tenue est une robe beige légère, ornée de volants aux couleurs chaudes, comme le serait une danseuse de cabaret.
Elle semble porter une grande attention à mes yeux, elle ne cille même pas lorsque je m'amuse à éclaircir le violet de mes iris, un divertissement qui embarrassent certaines.
Mais pas elle.
Son regard s'ancre dans le mien et je découvre la couleur de ses yeux ; d'un blanc glacial. J'en viens à me demander s'ils peuvent pas me tuer tant ils sont imposants.
- Siskann Saba, n'est-ce pas ? poursuit-elle alors que j'étais hypnotisé par son regard.
Je me secoue légèrement la tête et reporte mon attention sur mon verre vide. Pour la première fois, une femme me déstabilise, et pour la première fois j'adore ça.
Elle sourit, fière de son manège et rapproche son siège du mien, collant nos deux jambes. Cette proximité me fait découvrir l'odeur sucré de ses cheveux, un mélange parfait entre le miel et la cannelle, une douceur qui emplit mes narines et me fait chavirer.
C'est si inhabituel que je ne peux m'empêcher de poser cette question :
- Qui es-tu ?
Elle rit, demandant au passage deux autres verres au barman qui s'empresse de nous les servir. Ma troupe danse dans mon dos, bouteille à la main, divertissant l'entièreté du bar. Si cette femme ne m'avait pas tant intriguée, je les aurais rejoins. Mais je ne peux pas, du moins je ne peux plus. Pas avant de savoir ce qu'elle est, et pourquoi je suis dans tous mes états près d'elle.
- Où avais-je mis mes bonnes manières ? Navrée d'en avoir oublié de me présenter, Siskann. Je me nomme Petra.
Elle me tend sa main pour illustrer ses propos, je l'accepte et l'embrasse avec délicatesse, levant les yeux vers les siens qui semblent comblés.
- Enchanté, Petra. Je pense ne pas avoir besoin de me présenter. Mais j'aimerais quand même te prévenir que, aussi jolis que peuvent être tes yeux, ils ne t'aideront pas à m'amadouer.
Je reste méfiant, elle n'est pas ce qu'elle prétend être. C'est-à-dire pas une femme amoureuse de l'assassin royal que je suis, mais plutôt une femme avec un objectif bien en tête et qui doit passer par moi pour l'obtenir. Si je ne fais pas attention, elle pourrait m'avoir. Et comme toutes celles précédemment, je préfère avoir le coup d'avance.
- Ne sois pas aussi confiant, tu pourrais être surpris, se contente-t-elle de dire en buvant d'une traite son verre.
- Je suis ce que je suis, rétorque-je avec entrain. Et je suis rarement surpris.
S'il y a bien une chose que je ne perdrai jamais, c'est ma confiance en moi. La volonté d'être ce que je veux être coule en moi depuis mon plus jeune âge. Et rien n'a jamais su me l'enlever, même après cette histoire de collier.
- Ah oui, et que penses-tu être ? Te vois-tu tel que tu es réellement ou tel que tu aimerais être ? enchaine-t-elle en s'approchant d'avantage de moi. Connais-tu vraiment tes désirs, même les plus profonds ? Ceux qui agissent inconsciemment de ta volonté. Ceux que tu ne maîtrises pas et que tu penses pouvoir contenir.
Son visage se rapproche encore, ses jambes s'entre-mêlent aux miennes, son regard plonge dans le mien et mon corps s'affole. Ma température monte de plusieurs degré, faisant bousculer mon coeur à travers ma cage thoracique. Alors que nos lèvres ne sont qu'à quelques centimètres, elle ajoute dans un murmure :
- Que veux-tu devenir, Siskann ? Qu'est-ce que tu deviendrais si tu laissais tes désirs te submerger ?
Je ne réponds pas tout de suite, déstabilisé par son perçant regard mais aussi par ses lèvres que je rêve de presser. Je suis bousculé entre l'envie de l'embrasser et celle de la rejeter, elle me fait peur autant qu'elle me plaît.
Et cette confusion se lit sûrement dans mon regard au vu du rictus qu'elle aborde.
- Pourquoi hésites-tu ?
Sa question me fait hausser les sourcils de stupeur. Comment peut-elle savoir le dilemme qui me tracasse ?
- Agir sans réfléchir, c'est ça la liberté, Siskann.
Sur ses mots, j'attrape son visage de mes mains et presse mes lèvres contre les siennes. Je n'en pouvais plus de l'entendre, j'ai fait ce qui était le plus correct à mes yeux : Écourter sa manipulation mental et combler mon désir qui s'impatientait.
Elle me rend mon baiser et l'approfondit, mélangeant nos langues et nos envies d'aller plus loin. Les sensations qu'il me procure sont euphoriques, je n'avais jamais eu ça auparavant. Mon âme entière semble se détacher pour se mêler à la sienne, une bulle se crée autour de nous et plus rien ne compte, sauf elle. Ses mains remontent à mes cheveux qu'elle caresse. Mon corps semble disparaître, mes tympans se refermer, ne laissant que le gout de ses lèvres contre les miennes. L'odeur de ses cheveux me comble de bonheur et je ne peux m'empêcher de descendre mes mains à sa taille pour l'approcher d'avantage de moi.
J'en veux encore, bien plus que je ne dois en prendre.
Je ne peux m'empêcher de mordiller ses lèvres qui cherchent d'avantage le contact, mais à contre-cœur, je décide de me retirer le premier, nous laissant reprendre notre souffle et assimiler ce qu'il vient de se passer.
Ce n'est pas la première femme que j'embrasse, loin de là, mais cette intensité était bien différente des autres. C'est bien plus excitant.
D'une main, je caresse son visage et plonge ma main dans ses cheveux pour les agripper. Bien que ma tendresse soit toujours là, ma poigne est ferme pour l'empêcher de s'échapper. Cette femme a beau être exceptionnelle, elle est aussi de loin la plus dangereuse à mes yeux.
- Je ne me répèterai pas : Qui es-tu, Petra ?
Son sourire s'agrandit et elle penche sa tête vers la main qui l'a tient comme pour m'inciter à resserrer ma prise. Sa confiance dépasse amplement la mienne, son savoir aussi, et voir que j'en suis le seul déstabilisé est frustrant.
- Tu es méfiant, tu as raison, dit-elle d'un air taquin. Mais tu n'es pas la cible de mon devoir, sois-en honorer.
Je m'offusque et approche son visage du mien.
- Quel est ton devoir, alors ?
Elle tente de m'embrasser mais ma poigne se resserre dans ses cheveux et l'empêche de faire le moindre mouvement. Sa grimace montre qu'elle commence à y sentir la douleur.
- Nous aurons bientôt le même, patience, murmure-t-elle, son regard de cristal plongé dans le mien.
Et certains regards ne s'oublient jamais.
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