19.2 Siskann

Je me réveille quelques heures plus-tard dans un lit, celui de ma chambre. Je pensais finir en prison après ce que j'ai fait, même pire, mais pourtant je suis ici, dans un grand et confortable lit. Après tout, ça a été moi la victime, hier. J'ai tout perdu, la bataille et mon collier. Surtout mon collier. 

Je caresse mon cou nu dans l'espoir qu'il est réapparu mais non, du moins pas encore. Il est clair que je compte le reprendre et de force s'il le faut. C'est mon collier. Il irait si bien à ma collection, et puis je n'ai pas eu le temps de l'étudier profondément pour savoir le nom du soldat qui y était gravé. Tant de savoir que j'aurais pu récolter dans un si petit objet, et tout a été évaporé en une seule soirée. À cause d'elle, d'eux, de ce Royaume.

Je les déteste tous.

Les paupières encore lourdes, je n'avais pas remarqué la présence de Rika au pied de mon lit, le nez dans un livre. Il est assis, silencieux, attendant patiemment que j'ouvre les yeux. C'est à ce moment-là que je décide de faire semblant de dormir, m'affaissant d'avantage dans mon matelas et refermant mes paupières pour replonger dans mes rêves.

- Pourquoi tu fais semblant ?

Raté.

Je pousse un soupire et me redresse sur mon coussin en gémissant de douleur. Apparement, mon corps ne s'est pas encore rétabli de la veille. Les derniers souvenirs que j'ai sont les coups atroces que je subissais et le rire diabolique de cette voleuse de collier, le reste est encore flou. Je me suis sûrement évanouis. Je me demande d'ailleurs bien qui avait pu me retrouver dans un tel état. Rika ? Père ? L'Empereur ? Un autre Noble ou une servante ?

- Je ne viendrai pas toujours te sauver, Siskann, souffle-t-il en refermant son livre.

Au moins, j'ai ma réponse.

Mon grand-frère a toujours été le héro de ma triste vie, celui qui vient me chercher lorsque je suis perdu, celui qui m'aide à contrôler mes pouvoirs ou qui me sort de mauvaises situations comme celle-ci. Pas qu'il apprécie jouer au sauveur, mais il s'oblige à me tenir par la main pour éviter que je déborde trop.

Mais un jour, il ne sera plus là. Et ce jour-là, je ne sais pas comment je m'en sortirai.

Mon alter me sert d'évacuation, en cas de colère ou de tristesse, il s'en charge. Je n'ai pas besoin de l'appeler, je sens cette puissance circuler en moi, cette vague d'émotions qui s'impatiente dans mes veines. Ce pouvoir s'active que lorsque la situation me dépasse. Et comme tout le monde, quand nous n'arrivons pas à gérer ce qui nous entoure, alors nous optons pour un échappatoire. Le mien, mon option de secours, c'est mon alter. Il m'aide à aller de l'avant, à dépasser les limites qu'on m'infligent, à ne pas faiblir face à plus fort. Mais j'ai encore beaucoup de travail avant de le contrôler, bien qu'un jour je serai assez puissant pour faire sombrer tous mes ennemis. 

J'ai si hâte.

- Père a demandé à ce que tu ailles t'excuser auprès des Yurii à ton réveil, ajoute mon frère.

Avant même que je ne refuse la proposition, il me répond :

- Et non, tu n'as pas le choix.

- Je n'ai rien fait Rika !

Il se redresse et dépose son livre sur la commode près du lit. D'un geste vif, il attrape mon bras pour me tirer du lit et me rapprocher de lui. Son visage s'assombrit, son regard me transperce si fort que je sens mon coeur en être la cible. Mon propre frère me regarde comme si j'étais son ennemi.

- Tu t'en es pris aux Yurii, Siskann ! C'est la peine de mort assurée pour faire un truc pareille, t'es au courant ?

- Je me suis défendu, si t'as incapable de le comprendre c'est que t'es un mauvais frère.

Offusqué et surpris, il relâche mon bras pour reculer. Durant quelques secondes il m'observe, assimilant avec difficulté ma reproche. Lui qui a toujours été là pour moi, il ne doit pas comprendre. Pourtant c'est évident. Il a beau jouer le garde du corps autant de fois qu'il le faudra, ce n'est pas ça être un frère.

- Je t'attends dehors, dit-il enfin, tournant les talons pour sortir de ma chambre. 

Dans un long et profond soupire, je me lève du lit et me dirige vers la salle de bain pour me mettre en tenue.

Rika m'attend à la porte. Une fois sortie, nous traversons le palais jusqu'à la salle du trône où se trouvait la cérémonie d'hier. Le trajet se fait silencieux, pas une seule blague, ni d'anecdote farfelus, juste un terrible silence qui s'abat sur nous deux. Cette situation me rend nerveux, je n'ai pas l'habitude d'être si gêné avec mon frère, surtout Rika. Pourtant aujourd'hui, alors qu'il m'a encore une fois sauvé la vie, il ne daigne même pas m'adresser la parole, ni même un regard. Il semble vouloir s'éloigner de moi, son corps est droit et rythmé comme un soldat qui escorterait son prisonnier.

Oui, un prisonnier, pas son petit-frère.

Arrivés devant la porte, les soldats nous ouvrent et nous pénétrons à l'intérieur. Père et mère s'y trouvent également, à la gauche du trône. Ils m'observent avancer, le regard impassible sur leur enfant qui, à peine emménagé, devient déjà le monstre du palais. 

Pourtant, je ne m'en suis pas directement pris à eux. Lorsqu'on rembobine les faits, ce n'est pas moi qui est porté le premier coup. J'ai simplement dû me défendre. Mais peu importe qui commence quand celui dont la voix porte le plus est favorisé. Moi, personne ne m'aurait écouté.

Rika dévie sa trajectoire vers nos parents tandis que je m'avance au pied des marches du trône. L'Empereur me toise, tout comme l'Impératrice. Je n'ose à peine regarde le reste de leurs enfants qui doivent sûrement déjà me haïr. Je m'agenouille rapidement et détourne le regard de ses terrifiantes personnes. Le sol est bien plus chaleureux.

- Relèves-toi, ordonne l'Empereur Ian.

J'écoute et sur un ton étrangement aiguë, je présente mes excuses forcées.

- Pardonnez-moi pour hier.

Je peux entendre mon père grogner de mes pitoyables paroles. Mais je n'avais pas d'autres mots en tête, j'ai du mal à mentir. Surtout lorsque mes seuls émotions sont ma révolte et la haine que j'ai envers cette famille. Je suis incapable de prononcer de sincères paroles devant eux, devant ceux qui me pourrissent tant la vie et qui continueront à le faire jusqu'à ma mort. 

Et ça risque d'être long. L'un de nos grands pouvoirs est l'immortalité, nous contons donc tenir compagnie au Yurii sur l'ensemble de leurs générations, protégeant éternellement leurs descendances. 

J'en suis déjà écoeuré.

- Ce n'est pas à moi que tu dois t'excuser, Siskann, déclare l'Empereur. Mais à elle.

Mon regard dévie sur Loana, assise sur son siège. Elle semble si petite dans ce dernier, ses pieds ne touchent même pas encore le sol, pourtant son charisme est assez grand pour me faire déglutir. Hier c'était simplement une fille en robe, aujourd'hui c'est une princesse sur son siège royal, et tout change.

Mes jambes manquent de flancher en la voyant esquisser une rictus sur son visage, comme si mes excuses ne servaient qu'à satisfaire son égo. Elle n'a pas aimé que je sois plus fort qu'elle et elle veut me faire punir pour ça. Pas que je lui ai fait mal, que je l'ai agressé ou tout autre bêtise, mais simplement parce que sa fierté en a pris un coup.

Personne ne doit dépasser les Yurii, c'est ce que je dois y comprendre. Perturbé par sa prise de confiance, je baisse mon regard légèrement vers son cou, puis vers le bijou qu'elle porte autour de ce dernier.

C'est mon collier.

Mon corps tout entier se redresse, ma force semble renaître et je grince des dents.

- Je t'ai dit de me le rendre, murmure-je dans sa direction.

Tout le monde échange un regard, réalisant petit-à-petit ce que j'ai osé prononcer à la princesse.

- Qu'as-tu dit ? s'offusque l'Empereur Ian en tendant l'oreille.

- Ce... c'est mon collier, elle me l'a volé.

Le rire de l'Empereur me paralyse, et ses enfants le suivent avec entrain. Je ne détourne pourtant pas le regard sur l'objet qui me tient à coeur, c'est le mien et je le récupérerai coute que coute.

- Tu as agressé ma fille parce qu'elle portait ton... collier ? récapitule l'Impératrice incrédule.

Je ne sais plus où me placer, je sens ma colère monter en moi mais impossible de la déverser ici. Alors je la contiens, gardant au mieux mon calme tout en essayant de rester sur un échange de paroles constructives.

- Je ne l'ai pas agressé, je veux juste mon collier, tente-je de faire comprendre aux Yurii.

C'est sans espoir, leur regard me dévisage comme un animal sauvage à qui les dires ne sont que grognements incompréhensibles. Je lance un coup d'œil à ma famille qui ne m'apaise pas plus, ils me fusillent du regard également et semblent se retenir de m'arracher les membres. Surtout père, il s'agrippe les mains et contracte la mâchoire jusqu'à devenir rouge sang. Sa colère monte autant que la mienne, mais contrairement à moi, elle m'est personnellement destinée. Un faux pas et je ne lui donne pas plus de deux minutes pour me mettre en pièce. Lui comme mère, comme Rika aussi qui me supplie du regard de me taire.

Mais pourquoi me taire alors qu'on m'a volé mon collier ?

L'Empereur Ian se lève de son siège et s'avance vers moi d'un pas lent. Il prend son temps, me laissant me faire submerger par un mélange de peur, de haine, de frustration et de désespoir. Je perds pied, mon pouvoir veut exploser mais mon corps tremble trop pour s'y risquer. Si je me laisse agir par les émotions, pas sûr que je puisse m'arrêter.

Et cette fois, Rika ne sera pas là pour me protéger. Les Yurii, comme mon père, feraient qu'une bouchée de l'enfant que je suis. Jeune et faible.

Mais un jour, je serai meilleur qu'eux.

- Tu es fort, Siskann, plus fort que n'importe lequel de mes meilleurs soldats. Et c'est pour ça que, pour cette-fois, j'accepterai tes excuses, avoue l'Empereur d'un ton relativement calme. J'ai besoin de ton pouvoir, mes enfants ont besoin de ton pouvoir, tous les Yurii en ont besoin. Alors laisse ton égoïsme de coté, et fait honneur à ta lignée.

Si j'avais su le véritable sens de ses paroles, peut-être que tout se serait déroulé autrement. Peut-être que j'aurais pu rallier Rika à ma cause, que je n'aurais pas dû tous les tuer, que je n'aurais pas eu à réduire en poussière des villes entières.

Mais j'étais jeune et inconscient, je ne savais pas ce qui m'attendait réellement. Je n'étais pas encore assez mature pour voir la véritable nature des Yurii. Et c'est mon plus grand regret ; qu'à cet instant j'aurais pu changer toute l'histoire. 

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