18.2 Aya
- Alors sors, m'ordonne Siskann en me poussant presque à l'extérieur de la maison, dans le froid glacial et la neige.
Je m'étire rapidement et file à l'extérieur pour commencer ma course en priant de pouvoir y revenir en vie.
Pendant que les deux autres sont biens au chaud, moi je me tape la tempête.
Sur une rapide foulée, je m'éloigne de la demeure et entre dans la forêt qui nous entoure. Le chemin est tout tracé, me guidant à travers les arbres blancs de neiges et la terre boueuse. Le terrain de course me fait tourner en rond autour de la maison, mais bien assez longtemps pour me faire rentrer en agonisant.
La pluie glaciale me coule dans la nuque et me fait frissonner à chaque fois que j'ai le malheur de pivoter mon buste. Mes cheveux se sont miraculeusement aplatis, m'allégeant mais me refroidissant aussi au passage. Mes vêtements, je ne préfère même pas y faire attention, ils dégoulinent d'eau, ils en sont même imbibés. Je flotte.
Aucune mission ne m'avait mis dans un tel état, même la fois où Rika m'avait menacé dans cette petite ruelle sombre. D'ailleurs, je n'ai plus eu aucune nouvelle de lui. Depuis qu'il a traversé ce portail, il s'est volatilisé, nous laissant au calme durant ces dernières semaines. Il a tenu sa promesse, il a demandé le retrait de ses troupes et a laissé Tyko de nouveau libre (Siskann s'était camouflé pour éviter qu'on le repère et que tous sache qu'il est de nouveau en vie)
Je ralentis ma course, essayant d'essuyer mes yeux que je n'arrive presque plus à cligner quand soudain, venant de derrière, une flamme gigantesque me frôle les mèches et passe juste au-dessus de ma tête.
Dans un cri aiguë, j'accours près d'un tronc et cherche l'origine de cette attaque.
Tyko... évidement.
Je n'entend aucun bruit de pas, aucun signe de vie, comme si rien ne s'était passé. Tyko est vraiment doué, il peut se fondre dans un paysage complètement blanc malgré son pouvoir époustouflant.
- Au-dessus de toi, idiote, m'avertit-il en sautant de la branche juste au-dessus de ma tête.
Je n'ai pas le temps de reculer qu'il m'agrippe le col et me fait basculer la tête la première dans la neige. Mon visage, tombé en premier, me fait avaler la terre au passage que je m'empresse de recracher. Mais mon ami n'a pas l'air de vouloir s'arrêter, il m'attrape le bras et me balaye les jambes d'un coup de pied pour me faire chuter sur les fesses cette-fois.
Je grimace en sentant le froid me rentrer dans la culotte. Grrr ! Je me secoue légèrement, faisant tomber la neige accrochée à mes vêtements.
Tyko se marre en me voyant me débattre avec les flocons scotchés à mes boucles gelées.
- Viens-là, je vais tout carboniser comme ça t'auras plus de cheveux. Tu seras enfin libérée de ce tourment.
J'étouffe un cri d'horreur en entendant sa proposition et use de mon don — enfin, celui de Siskann — pour former des boules de neige à distance et lui envoyer en pleine face. Évidement, il les évite. Trop facile pour un combattant comme lui.
Alors je corse un peu le jeu.
D'un mouvement de doigt je crée une explosion électriquement violette sur la paume de ma main. C'est l'un des sorts que je préfère, il me permet de projeter des éclairs magiquement violets sur les cibles que je désigne de ma main. Une sorte de laser fait maison.
D'après les explications de Siskann, ça serait la réaction en chaîne d'une explosion atomique à une échelle très réduite. Ayant très peu de connaissance en chimie, il m'a fait comprendre le processus de la plus simple des manières :
« L'explosion atomique est une réaction en chaîne de plusieurs étapes dont les deux plus importantes (et les deux plus faciles pour moi) sont : Le condensé excessif d'énergie surchauffée ET sa dissipation. »
Il n'aurait pas pu faire plus clair pour moi.
Ce sort me permet alors de garder dans ma paume ce condensé d'énergie et d'y extraire des décharges à l'infini, comme un éclair qui traverserait le ciel pour percuter la terre.
Tyko, plus amusé qu'autre chose, forme une trainé de flamme autour de lui qui empêche mes éclairs de le percuter. Et ça me met d'avantage en rogne. Je sais que si je suis trop faible, je ne pourrais pas rentrer. Pour retrouver la chaleur de mon lit, du thé et de mon pyjama, je dois me battre jusqu'à ce que mont corps s'effondre de lui même.
Alors je crée une deuxième boule d'énergie dans mon autre main. Leur éclat violet m'illumine et, dans un élan de courage, je joins mes deux mains. Les deux boules explosent entre mes doigts.
Tyko semble surpris, pour la première fois son visage s'émerveille et il observe le résultat de mon étrange idée. Il baisse même sa garde, me laissant découvrir cette nouvelle facette de mon pouvoir.
Deux explosions vaut toujours mieux qu'une seule, non ?
Alors je garde mes mains serrées, mes doigts entremêlés, le tout autour de cette boule d'énergie qui ne cherche qu'à sortir. Je lance un coup d'œil à mon ami qui attend patiemment de voir ce que je vais proposer, alors je me lance. Je desserre mes mains, les écarte lentement, et fais grandir la boule d'énergie qui finit par me dépasser en taille.
Émerveillée, je ne lâche pas ma prise, la laissant grossir, encore et encore... Jusqu'à ce que Tyko se jette sur moi et m'enlace de ses bras. La seule chose que je peux sentir avant que la catastrophe ne tombe ce sont ses flammes qui nous enroulent comme un bouclier, à deux doigts de me cramer la peau.
Alors que j'allais le repousser, une explosion surgit devant nous. Mon explosion. La boule d'énergie à terminé son processus mais cette fois-ci, ce ne sont pas de minuscules éclairs qui y sont sortis, c'est une bombe atomique. Les arbres sont arrachés sur le coup de l'onde de choc et nous ont projeté avec.
Heureusement, Tyko me tient encore dans ses bras et m'empêche de frapper le sol trop fort. Ses flammes nous protègent des débris et des éclairs violets qui surgissent autour de nous. Je ferme les yeux et me colle à lui, protégeant de mieux que je peux mon corps de ce chaos extraordinairement violet.
C'est beau, mais c'est ma faute.
Le silence retombé, les éclairs dissipés, Tyko se redresse. Il m'aide à me relever mais je tombe aussitôt. Je n'ai plus la moindre force, et le froid me plombe d'avantage le corps. J'essaye de m'aider de mes mains mais il m'arrête dans mon élan.
- Tu mérites de te faire porter, t'en fais pas.
Puis ses bras se glissent en-dessous de moi et me soulève du sol.
J'en profite pour observer notre terrain ravagé, sur un diamètre d'une trentaine de mètres tout a été rasé. Une fumée noir plane dans les airs et une odeur de brûlé empeste nos narines, mais cette-fois ce n'est pas celle de Tyko. Une odeur incendiaire, très désagréable et étouffante.
Tyko nous fait sortir de la forêt et me réchauffe avec la chaleur surhumaine de son corps. Je me blottis contre lui, essayant de dégivrer mes cheveux au passage. Nous arrivons dans la demeure, mais il ne me dépose pas encore au sol. Il traverse l'entrée, monte les escaliers et entre dans ma chambre pour me déposer sur mon lit. Il s'assure que toutes mes fenêtres soient bien fermées, le chauffage allumé, et me serre un verre d'eau.
- Je suis tellement désolée, tu sais, je ne...
- Commence pas avec tes stupides excuses. T'as failli tout pulvériser, et c'est incroyable, m'interrompt-il d'un sourire très fière.
- Si tu le dis. J'ai surtout l'impression qu'on a failli mourir.
Il secoue la tête comme lassé de mon pessimisme.
- Il faut se mouiller pour savoir nager, Aya.
J'hausse les épaules. Il aura toujours le dernier mot toute manière, ça ne sert à rien de persister. Autant avec lui que Siskann, les deux peuvent rendre fou n'importe quel idiot qui entrerait dans leur débat.
En parlant de ce dernier, il entre dans ma chambre et fait signe à Tyko de nous laisser un instant. Le maître de feu s'exécute et referme derrière lui, nous isolant complètement du monde extérieur. Les yeux violets contre les yeux blancs, la destructions contre la raison. J'aime cette tension entre nous, cette énergie qui explose à chaque fois que nos regards se croisent. Il s'approche de mon lit et s'y assoit, faisant attention à pas trop brusquer mon corps affaiblit et bien affalé sur le matelas.
- J'ai... tout détruit, je sais. Pas besoin de me le dire, soupire-je en levant les bras comme si c'était dramatique (et ça l'est). Je sais ; j'ai fait un sort interdit. Je sais ; je n'aurais jamais dû le faire sur Tyko. Je sais ; le pouvoir qui coule en moi est puissant et je dois faire attention à ce que je fais si je ne veux pas réduire en cendre la planète. Je sais. Et j'accepte la punition car je...
- Non, tu ne sais rien, coupe-t-il en se laissant tomber sur le lit, près de moi.
Son regard dévie sur les quelques livres posés sur mon bureau ; mes occupations quand je ne passe pas mon temps à m'entraîner.
- Tu les as lu ? me demande-t-il enfin, semblant oublier complètement le massacre que j'ai fait dehors.
Je tourne le visage vers les ouvrages en question. Il y en a six et, avec le peu de temps que j'ai eu, je n'en ai lu que deux. Sans parler du fait qu'ils sont en très mauvais états, les pages manquent et certains mots sont effacés, ce qui empiètent fortement ma lecture et fait rouler mon imagination. Je me demande où Siskann a pu trouver ces ouvrages avec un état aussi navrant.
- Pas tous, réponds-je en essayant de me lever pour aller les chercher.
Siskann m'interrompt dans mon élan en posant l'une de ses mains sur ma cuisse.
- Tu t'es déjà demandée ce qu'il s'était passé avant notre ère ?
Surprise, je me redresse sur mon oreiller, le corps toujours tremblant de froid.
- Avant la magie ? Oui, mais personne n'en parle jamais alors bon... , confie-je. C'est un sujet très tabou, tu sais.
À quoi pouvait bien ressembler un monde sans magie ? Peuplé d'humains aux capacités humaines, sans royaume, sans monstre, sans Sola ni Luna. Un monde où tous sont égaux, où seuls les différences physiques nous distinguent des uns des autres. Était-ce mieux ? La magie est apparue dans notre monde après que l'ère précédente se soit entre-tuée. Sauf que nous voilà, après des millénaires, à reproduire les mêmes erreurs. Sans magie ça n'allait pas, avec la magie ça ne va toujours pas, alors que faire ? Peut-être est-ce nous, humains, qui sommes le problème.
Siskann s'allonge près de moi et observe le plafond, tout comme moi qui attends patiemment de savoir où il veut en venir.
- Tu t'es déjà demandée ce qui avait bien pu se passer pour qu'ils disparaissent tous ?
Il semble se poser les questions à lui-même. Son regard ne dévie pas du mur et malgré qu'il doit savoir mon absence de connaissance face à ce sujet, il décide de poursuivre dans son élan.
- Ou demandée pourquoi la magie était soudainement apparue ? Si c'était pour nous punir ou nous aider à nous relever ? Et comment était la vie dans le passé ? S'ils étaient heureux sans magie ?
Il marque une pause et soupire. Puis son regard dévie vers moi. Une once de remord dans ses yeux.
- Tu t'es déjà demandée pourquoi nous n'avions plus aucune preuve du passé ? Tout a disparu. Enfin, plutôt tout a été détruit. Et si je te disais que tout ça a avoir avec la prise du pouvoir des Yurii, tu me croirais ?
Mon cœur manque un battement et je déglutis pour éviter de tousser. D'un mouvement de surprise, je me redresse sur mon lit et me place en tailleur face au corps toujours allongé de mon ami. Il se passe la main dans les cheveux tout en gardant son air sérieux pour ne pas me faire penser à une mauvaise blague de sa part.
- Siskann, j'ai... enfin, personne n'a les réponses que tu demandes. Mais est-ce une raison pour croire que les Yurii ont leur mot à dire à cette histoire ? C'est... c'est notre Royaume après tout, notre pilier, ils auraient quoi à y gagner ? Nous mentir sur des faits qui se sont déroulés il y a des milliers d'années, c'est absurde.
- Ce monde est absurde, se contente-t-il de dire en levant les yeux au ciel.
Il n'est pas du genre à tout avouer directement, il rame, cherche les bons mots et attend de voir ma réaction pour adapter ses prochaines paroles. Pour réussir à le faire cracher complètement le morceau, je vais devoir y mettre du mien, et beaucoup plus qu'habituellement.
- Reprenons du début, c'est quoi le rapport avec les livres que tu m'as donné ? demande-je en jetant un coup d'œil à ces derniers.
Il se redresse soudainement et descend du lit pour aller les chercher. Il les tourne dans tous les sens à la recherche de quelque chose qu'il semble avoir trouvé vu l'illumination sur son visage. D'un geste vif, il me tend l'un des ouvrages et pointe du doigt une écriture en bas du dos. Le premier chiffre est légèrement décoloré mais on peut y lire : « 1657 ».
- Voici un livre qui date de l'année 1657, Aya.
Mes yeux s'écarquillent et je lui arrache des mains l'objet pour relire la date, j'ai surement fait une erreur. Pourtant, malgré mes espérances, je ne me suis pas trompée. Ce livre est paru il y a plus de deux-milles ans, avant notre ère, avant la magie, avant tout ce que je puisse connaître de notre monde.
Mon ami dépose les ouvrages sur le bord du lit et se rallonge près de moi.
- Je préfère te montrer, ça vaudra mieux que des paroles.
Sur sa demande, je m'allonge également et il me tend sa main que j'accepte.
Nos deux corps sont cotes à cotes, liés autant par le spirituel que le corporel, un lien si fort qu'il nous semble impossible à briser. Une force inépuisable entre nous qui s'illumine alors que nous plongeons calmement dans les profondeurs de nos esprits, ce qui nous permet de voyager ensemble dans nos souvenirs respectifs.
Nos yeux clos, Siskann m'embarque dans un nouveau monde ; le sien.
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