16. Aya
L'an 4031, Époque Harmonieuse, Sacrifice.
Ma vision s'assombrie, mon corps faiblit, je me sens tirer vers le sommeil à chaque nouvelle syllabe que prononce le mage noir devant moi. Ma tête tourne si vite que je n'y trouve plus aucun repère, tout semble erroné et fermement me tromper. Tyko à ma gauche — ou à ma droite, je ne sais plus trop —, agrippe mon bras et m'aide à ne pas m'effondrer sous la pression.
Debout au centre d'un cercle de fumée et de flammes noires, j'ai perdu tout sens de ce qu'il m'arrive. Le mage noir face à moi, fait glisser ses mains sur mon visage et le resserre au niveau de mes tempes. Ses doigts rentrent dans ma peau comme des vis et je le sens traverser mon corps jusqu'à piquer mon âme. La douleur est atroce mais je suis incapable de sortir le moindre son, ma gorge est nouée.
Je suis à la merci du mage.
Sans parler de l'immense cavité dans laquelle nous sommes. Au fond d'une grotte humide et sombre, où seuls moi, Tyko et le mage noir se trouvent.
Tout est mega flippant.
Mes yeux ouvert je suis toujours incapable de voir quoi que ce soit, je me sens m'évaporer comme cette fumée qui tourne autour de nous. La magie noire s'empare de moi et un vide terrifiant se crée dans mon esprit. Plus aucune pensée, plus rien, juste le néant et la solitude. Siskann aussi a disparu et je ne peux m'empêcher d'en frissonner.
Le mage, face à moi, est recouvert d'une longue et sombre cape, le tout cachant ses yeux et l'entièreté de son grand corps maigre. Il referme son emprise sur moi en attrapant plus fermement mon visage de ses mains, m'empêchant de m'agiter.
Il joue avec mon âme comme je le ferais avec un esprit, mais lui semble y aller de plein fouet.
Un liquide chaud me chatouille la narine, mon nez saigne sans que je puisse rien y faire. J'hésite à demander à Tyko de me porter, mes jambes ne vont pas tarder à flancher, comme chacun de mes muscles qui se décomposent sous la pression du sortilège.
Soudain les mains du mage se retirent. Mon visage s'allège, il redécouvre la sensation d'être libre sans ses doigts griffus qui empoignaient ma peau. J'ai presque envie de sourire. Mais c'est en sentant l'une des mains du mages glisser le long de mon cou pour se déposer contre mon coeur, que je grimace. C'est loin d'être finit. Tyko dessine de petits ronds contre la peau de mon bras dans l'espoir de m'apaiser. Mais ça ne suffit pas. Ma respiration s'agite au rythme de mon coeur qui accélère. Mon corps entier se fige et ma gorge se bloque.
Quelque-chose essaye de sortir de moi, il tambourine dans ma cage thoracique comme si mes cotes étaient les barreaux de sa cellule. Quelque-chose ou quelqu'un.
Je dois tenir. Je dois résister à la douleur. Je dois libérer Siskann de mon corps une bonne fois pour toute. Même si le pacte secret-défense-et-interdit-d'être-su-par-Aya en est pour quelque chose. Siskann a marchandé avec ce mage noir, il lui a permis quelque chose en échange de retrouver son corps. Malheureusement personne ne veut m'avouer quoi.
C'est mon corps, et ils arrivent quand même à me mettre sur le banc de touche de ma propre existence.
- Ça va ? me demande Tyko en caressant de son pouce mon bras, geste que je sens à peine avec la douleur que je ressens en moi.
Je secoue difficilement et négativement la tête, toujours sous l'emprise du mage qui récite des sorts face à moi.
Puis soudain, il me lâche, mon cou retrouve de sa liberté et mon visage de sa mobilité.
Mais ça ne suffi à me redonner ma force, mon corps s'effondre et mes genoux frappent le sol en pierre. Dans une série de toux, je tente de relever la tête vers le mage qui s'éloigne à reculons, le regard levé sur ce qui se trouve derrière moi. Il s'éloigne et disparaît soudainement de l'endroit, comme s'il s'était téléporté.
Alors est-ce enfin terminé ?
Mon regard dévie rapidement vers Tyko, dans l'espoir qu'il me confirme que le sort a bel et bien fonctionné. À mon étonnement, il accroupis près de moi mais ne me regarde pas. Ses yeux sont rivés vers le fond de la grotte dans mon dos, il semble pris dans un torrent de panique et détache ses mains de moi.
Quelque chose l'attire, et apparement c'est plus intéressant que mon état lamentable. Maintenant qu'il ne me soutient plus, je vacille légèrement à deux doigts de m'allonger au sol d'épuisement quand deux bras épais m'entourent par derrière, me maintenant assise.
- Je t'ai dit que tu serais assez forte pour réussir, lance Siskann derrière moi, déposant un rapide baiser sur mon haut du crâne.
C'est pas vrai...
Je sursaute et me redresse vivement pour le voir de mes propres yeux. Encore un peu dans les vapes, je manque de rechuter mais il m'agrippe le bras et m'invite à rester assise le temps de récupérer. Nous nous regardons un instant, nous détaillant véritablement pour la première fois dans le monde réel, ni dans un souvenir ni dans notre subconscient mais bien en chair et en os. Lui et moi, lui et ses incroyables yeux violets avec son sourire mesquin qu'il adore aborder.
C'est impossible, je ne peux pas y croire. Le voilà, humain, vivant, face à moi. L'homme qui se cachait en moi est revenu.
- Comment... je... , murmure-je encore sous le choc devant son visage illuminé.
Les yeux pétillants, je lui saute au cou et le serre fort contre moi comme si je tenais à lui— peut-être que je tiens à lui, finalement. Je ne pensais pas m'attacher aussi vite à lui, cet homme qui ne m'a apporté que des problèmes depuis le début de notre rencontre. Mais à coté de ça, Siskann est l'un des seuls à me comprendre, à ne pas me juger, me comparer ou même me rabaisser. Il accepté mes défauts, il se fait un malin plaisir à les retourner contre moi, mais il reste malgré-tout bienveillant envers moi. Chose que j'ai très peu de vu depuis ma naissance. Même mon père m'a rejeté pour mes différences.
- Je t'ai laissé une partie de mes pouvoirs, murmure-t-il près mon oreille, rendant également mon étreinte.
La tête enfouie dans son cou, je réponds :
- Pourquoi...?
- Ceux qui survivent ont soit la force, soit l'intelligence. Mais ceux qui vivent possèdent les deux, et je veux que tu puisses vivre comme moi je n'ai jamais pu le faire.
C'est beau, et ça me touche même si je sens le piège arriver à des kilomètres. Siskann ne dit jamais un compliment tout seul, il doit l'équilibrer avec un reproche.
- Ça veut dire que je suis forte ou intelligente ? demande-je, lui tendant clairement la perche.
Il étouffe un rire et redresse son visage pour me regarder dans les yeux.
- Aucun des deux, mais je suis là pour arranger le coup t'en fais pas, rit-il devant mes sourcils froncés.
Tyko le rejoint dans son rire et je croise les bras, réfléchissant à mon prochain commentaire. Toutefois il me devance :
- Tu as besoin de mes pouvoirs, Aya, sourit-il d'un air fière. Avoue-le, c'est rien. Je suis plus fort que toi, tout le monde le sait, ça tombe pas d'aujourd'hui.
- Non, j'ai besoin de rien venant de toi. Tu as besoin de moi. Sans moi tu serai encore un fantôme, je te rappelle.
Et sans lui je ne serais sûrement pas revenue à la vie, mais je préfère garder pour moi. Son sourire s'adoucit et sa manie de jouer a vouloir le dernier mot avec moi s'estompe. Il reprend son sérieux et attrape l'une de mes boucles de cheveux pour la faire rebondir.
- C'est vrai... C'est aussi pour ça que je tiens à toi, Aya. Alors garde mes pouvoirs, tu en auras besoin, crois-moi.
Émue par ses dernières paroles, je décide de ne pas répondre et rester sur un point positif de cette conversation. Siskann tiens à moi. Il l'a dit, et Tyko en est témoin alors il ne peut pas réfuter ses paroles. Siskann-Tient-À-Moi.
Il m'aide à me relever et se dirige vers Tyko pour le prendre dans ses bras. Ils semblent avoir le même âge, et la même carrure. Ce n'est pas seulement des partenaires de combats mais des frères d'armes, ils donnent leur vie pour se sauver l'un et l'autre. Moi aussi j'aimerais avoir un ami pour qui je pourrais donner ma vie, et qui pourrait en faire autant. Siskann est important pour moi, mais je ne suis sûrement qu'un dommage collatéral à éviter pour lui.
D'un mouvement de tête, Siskann ordonne à Tyko de sortir du sanctuaire pour nous laisser tous les deux. Tout en me lançant un clin d'œil, le maître de feu rejoint le vaisseau dehors. Le regard toujours sur moi, Siskann m'invite à le suivre aussi à l'extérieur. Il a demandé à son ami de sortir pour avoir une conversation privée avec moi, ce qui me crispe légèrement.
Et comme chaque situation désagréable pour moi, je me réfugie dans un regard. En l'occurrence, celui de Siskann est le plus proche et je ne m'en prive pas. J'observe ses beaux yeux et scrute ses iris violets que j'admire depuis notre première rencontre. Je comprends que les gens tombent des nus lorsqu'ils croisent ce regard, il est époustouflant. Le violet est lumineux, scintillant et fleurissant, c'est si puissant que je ne parviens pas à distinguer les motifs qui s'y trouvent.
- J'espère qu'ils sont assez beaux pour toi, me taquine-t-il, haussant son sourcil sans détourner son regard du mien.
- J'aime la couleur, me contente-je de dire sans un seul clignement de paupières, continuant de les admirer.
- C'est ta couleur préférée ?
Cette fois je reviens à la réalité, me frottant le menton comme pour faire durer le suspens. Nous marchons cote à cote vers la sortie de la tanière et je peux déjà distinguer l'odeur tropical de la forêt. Il fait encore nuit, le vent est léger mais assez pour me faire frissonner. Même dans le sud, l'air y est froid.
Puis une réflexion intense me vient sur la question existentielle de ma couleur préférée :
- Normalement pour les filles c'est le rose, enfin c'est très stéréotypé mais c'est vrai, non ? De toute manière, je n'aime pas le rose. C'est trop voyant et puis ce n'est pas crédible. C'est une couleur d'enfant, si j'en porte on ne me prendra jamais au sérieux. J'aime bien les couleurs sombres, mais pas trop, ça peut faire peur parfois et nous endosser de mauvaises intentions sur le dos. Le rouge par exemple, c'est beau, non ? Mais c'est très... comment dire... séducteur ? C'est une couleur attirante, ça appelle les regards et on pourrait croire que je cherche l'intention des autres. Finalement, je n'aime pas le rouge. Ce n'est pas pour moi. Pas que je n'aime pas plaire aux autres, non, je n'aime pas attirer les regards sur moi. Enfin si, j'aime mais pas dans ce sens là. Tu m'as compris... En fait, je n'ai jamais eu de couleurs préférées, avoue-je enfin, en soufflant comme si ce monologue m'avait exténué.
Siskann esquisse un sourire sans me regarder, continuant notre marche vers la sortie.
- Tu aimes toutes les couleurs ? Ou aucune ? demande-t-il pour entrer dans mon débat déjà compliqué.
- Donc quoi, ta philosophie c'est tout ou rien ?
Il se marre.
- Ma philosophie c'est que peu importe ton avis, il est acceptable, mais il faut avoir un avis. Tu ne peux pas être neutre.
- Et pourquoi ça ? La liberté d'expression, ça te dit quelque chose ? ironise-je.
- La neutralité n'est pas un signe expressif, mademoiselle Aya.
- T'es un tyran, c'est ce que je crois, surtout.
Nous partons en fou rire, nos voix résonnant dans les derniers mètres de la tanière. Une fois le pied dehors, il prend une grande inspiration de l'air frais qui nous submerge. Il doit se sentir si apaisé de revivre, comme moi je l'ai été lors de ma résurrection.
Tyko est déjà au vaisseau, nous attendant patiemment le temps que l'on finisse notre conversation. Mon ami, lui, baisse son regard vers ses mains avant de le détourner vers moi.
- Je voulais d'abord que tu saches que ma résurrection n'arrangera rien dans le monde, au contraire, commence-t-il doucement, me laissant déjà surprise.
- Mais...
- Laisse-moi finir, Aya.
Sur ce ton sérieux, je m'exécute et me raidis comme un soldat dans les rangs. Le silence retombe et il poursuit.
- Tu l'as sans doute comprise, le Royaume de Sola veut ma mort, et rien ne les arrêtera, personne, tu comprends ? Ça veut dire que je ne veux ni que tu t'en mêles, ni que tu te blesses ou pire, pour moi. Pas tant que tu ne maîtriseras pas mes pouvoirs.
Il marque une pause, espérant que ses avertissement me rentrent dans le crâne comme des ordres.
- Je sais que tu aimes tout savoir sur tout, mais oublie cette histoire de pacte. Me demande pas pourquoi, juste crois-moi.
Son regard devient plus intense qu'au début, son violet vire au fluorescent et il me fige. Face à moi, collant son torse à ma poitrine, Siskann m'attrape fermement les épaules pour avoir toute mon attention. Ce que je lui donne immédiatement.
- Je t'ai laissé mes pouvoirs pour que t'es confiance en moi, Aya, et pour que tu sois bien plus forte que moi. Je t'apprendrai à les utiliser, mais il faut que tu me fasses confiance, d'accord ?
Il insiste tellement sur cette histoire de pacte que j'en viens à me dire que le savoir nous tuerait tous. Est-ce si dangereux que ça la magie noire ? Qu'est-ce qu'aurait bien pu devoir payer Siskann pour retrouver la vie ? Moi je suis bien revenue à la vie, et sans pacte, alors je ne comprends pas pourquoi, pour lui, tout devient si compliqué.
- D'accord ? répète-t-il soucieux de ma réponse.
J'acquiesce, et son regard s'adoucit. L'éclat de son violet disparaît, ses mains se retirent de mes épaules et il souffle de soulagement. Toutefois, il ne dévie pas son regard de moi.
- Merci. Le destin est déjà tout tracé, à toi de t'y accrocher.
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