L'an 4031, Époque Harmonieuse, Partenaires.

Je ne vois rien, je n'entends rien, ne sens rien, il ne se passe rien. Et ce rien me fou en rogne.

Sans savoir ce qu'il se passe, Aya a disparu avec sa conscience et m'a laissé dans cet océan que j'ai finit par détester. Elle a rompu notre lien, du moins elle l'a déchiré le temps de mettre au calme son esprit. Sa peur d'avoir mal est trompeuse, elle perd volontairement de son humanité pour fuir la réalité. Je n'ai jamais vu quelqu'un accepter une telle chose. Mais elle si, et au lieu de me laisser l'aider elle préfère me priver d'elle. 

En brisant ses liens spirituels, elle a aussi mis un terme à sa douleur psychique, ce qui veut dire que même en ayant peur ça ne restera qu'une impression. La frontière entre le réel et l'irréel est devenue imperceptible à ses yeux, tout se brouillent et plus rien n'a de sens.

Et moi je suis abandonné dans ce chaos total.

De son coté non plus, elle ne peut plus rien ressentir. Ni ma présence, ni la sienne finalement. Elle se contente d'être un corps à la dérive. Un être impassible. 

On pourrait la torturer que je ne le saurais même pas, et à cette pensée je serre les poings.

Je savais que son idée était minable. Tout ce que Aya fait est incohérent, toute manière. Je devrais arrêter de lui faire confiance. J'aurais dû reprendre le contrôle de son corps, on serait rentrer de force mais au moins on ne serait pas tombé entre les mains des deux chasseurs.

En voulant cette femme des deux chasseurs de prime, Aya s'est collée une cible dans le dos. La femme dont Aya a sauvé la vie, celle qui devait se marier, a dû envoyer valser les deux chasseurs et rompre leur contrat. Mais nous savons tous que les chasseurs de prime déteste perdre sa mission, et ce tellement fort qu'ils poursuivent ceux qui ont osé se mettre sur leur chemin.

Tout le monde le sait, sauf Aya comme d'habitude. 

Être égoïste, c'est la clé de la survie. Et l'égoïsme de Aya fait que je suis bloqué ici.

Soudain, de minuscules vibrations dans l'eau tapent mes chevilles. J'aime cette sensation. C'est le réveil de Aya, la reconstruction de nos liens. Je peux même la sentir près de moi tant elle m'ouvre grand ses bras. J'allais lui demander s'il elle va bien mais elle plonge dans notre subconscient à l'instant où j'ouvre la bouche. Son corps apparaît à mes cotés et son sourire est chaleureux comme si rien ne l'avait chamboulé.

Elle revient d'une séance de torture ou d'un goûter ?

- Vas-y, quelqu'un t'attend, là-haut, dit-elle en s'asseyant dans l'eau, me laissant une nouvelle fois les rênes.

Sans hésiter, je m'exécute. Mon esprit s'agite en imaginant Rika, m'attendant bien sagement pour m'abattre une bonne fois pour toute. Mais Aya n'aurait pas eu ce sourire. Alors qui m'attend ?

J'ouvre les yeux, redécouvre la folle sensation que s'est d'avoir un corps, d'avoir des sens fonctionnels. Mon énergie se disperse dans l'ensemble de mes membres, mes doigts s'agitent, ma respiration se cale à celle de mon âme et mon pouvoir s'active.

Pendant quelques secondes, j'ai l'impression d'avoir retrouvé mon véritable corps, l'homme que j'étais avant d'être abattu, mais la légèreté et la fragilité de celui de Aya me ramène à la réalité.

L'odeur de feu remonte dans mes narines et me fait sourire, je pourrais la reconnaître parmi des milliers d'autres, ce détail est unique. Cette odeur m'a tellement côtoyée qu'elle fait scintiller mes yeux à l'instant où je les dépose sur lui.

Tyko, assis face à moi, la tête inclinée dans la totale incompréhension, se met soudainement à s'illuminer aussi. À l'instant où j'ai ouvert les yeux, il a compris. Les iris de Aya sont blancs, mais les miens violets, et il sait. Seul ma famille possède un regard aussi vivant.

Bondissant du canapé pour se lever, il se jette à mon cou et me sers contre lui. Je sens le corps de Aya se torde et j'ai peur d'entendre d'une seconde à l'autre un os craquer. Elle est si fragile. 

- Tu m'as manqué, tu sais ? dis-je à son oreille alors qu'il resserre son étreinte. Mais doucement les câlins... Faudrait pas la briser pour si peu.

Il rit. Retrouver Tyko est le début de notre combat. Les choses sérieuses vont pouvoir enfin commencer. Et anéantir les Yurii une bonne fois pour toute aussi.

En espérant que je puisse rapidement retrouver mon corps et ainsi laisser Aya reprendre sa liberté. Même si, navré de l'avouer, elle restera une criminelle aux yeux du KMaster malgré tout. Elle aura au moins une raison de rester près de moi, je la protégerai et en échange elle me partagera son alter. Son pouvoir est très efficace. Un mal pour un bien, finalement. 

Tyko daigne enfin se redresser et croiser mon regard.

- Je savais qu'elle était importante pour toi, mais... pas à ce point, observe-t-il émerveillé, dévisageant le corps dans lequel je me trouve.

Je fais de même et observe le corps fragile dans lequel je suis. Pourtant tant de puissance se trouve à l'intérieur, un trésor dans une coquille ridicule, voilà ce qu'est Aya. Je remarque d'ailleurs que l'étiquette de ma veste volée — enfin, offerte — y est encore accrochée. Il n'y a que Aya pour oublier une telle chose. J'étouffe un rire en la retirant et me redresse, suivi de mon ami. 

- Je préfère mon corps, disons qu'être une femme dans ce monde c'est pas la meilleure des idées, témoigne-je d'un air lassé. 

- En parlant de corps, j'ai peut-être une solution temporaire pour toi.

Je l'interroge du regard mais il laisse le silence planer le temps que ma curiosité me monte au crâne.

- T'attends que je t'arrache les dents pour parler ? m'impatiente-je.

Tyko a toujours été comme ça, provocateur malgré son grand respect envers moi. Il aime joué au plus intelligent, au plus fort, il veut sans cesse montrer sa supériorité aux autres mais de façon très humiliante. Et il me bat dans un seul domaine : celui de me faire perdre mon temps. Je déteste me tourner les pouces, et lui adore me le contraindre.

- C'est dingue de ne pas être patient, comme ça, se moque-t-il.

- C'est pas la mort qui changera mes mauvaises habitudes. Alors, ta solution ? 

Siskann, t'es méchant !

Voilà qu'elle s'y met, elle aussi.

- Moi, méchant ? Sérieux, Tyko, tu me trouves méchant ? m'offusque-je devant la remarque de Aya.

- Jamais je n'oserai, répond-t-il en inclinant sa tête.

La contrainte oppressive, ce n'est pas mieux.

- Quelle rabat-joie... souffle-je sous le sourire moqueur de Tyko.

Il a été gentil avec moi, tu devrais le remercier. C'est si rare ici.

Je lève les yeux au ciel.

- Être gentil n'a jamais été une qualité, tu sais ?

Remercie-le pour moi quand même.

Dans un soupire, je me tourne vers mon ami qui me regarde d'un air intrigué. Évidement, mener un monologue seul devant lui n'est pas ce qui a de plus simple à comprendre.

- Donc... ta solution ? change-je rapidement de sujet pour éviter de perdre du temps bêtement à cause d'une fille sensible qui me donne mal au crâne. 

Siskann !

Je ferme les yeux et me pince l'arrête du nez en priant pour que ses gamineries cessent. Tyko, amusé, m'attrape le visage et plonge son regard dans le mien. Puis je comprends. Il sait que Aya est une télépathe, il sait donc qu'elle peut communiquer via la pensée à travers les regards de chacun. Et Tyko vient de communiquer avec elle par cette action qui m'a quelque peu dérouté. Me faire attraper le menton par mon meilleur ami, je crois que je vais être traumatisé jusqu'à mes derniers jours.

- Je t'en prie, Aya, dit mon ami d'un sourire radieux, venant sûrement d'être remercier par la demoiselle insupportable.

Je vois, ils discutent dans leur tête et moi je suis merveilleusement bien exclu de cet échange. Aya a dû se faufiler dans son esprit pour communiquer avec lui.

- Toute manière, tu l'aurais touché, je t'aurais étripé, le menace-je soudainement, lui faisant comprendre que Aya est ma protégée dorénavant.  

Tyko glousse, réalisant que peut-être Aya compte plus à mes yeux que lui. Disons surtout que cette femme est mon unique pilier pour vivre, pour l'instant. Elle est mignonne mais j'ai surtout besoin d'elle. Une fois que je serai libre, le choix de rester près de moi lui reviendra.

Il a tout de même sauvé Aya, mais je n'en attendais pas moins de lui. Tyko a toujours eu une longueur d'avance sur les autres, son instinct est grandiose. Et c'est ce même instinct que déteste la famille royale Yurii.

- Tu protèges cette fille comme je protégeais Astrid, en espérant que ça serve cette fois-ci, ajoute Tyko, le regard rivé à travers les baies vitrées.

Astrid, sa soeur, est morte depuis bien longtemps, noyée le jour où j'ai été libéré. Son sacrifice a été à notre honneur, autant à moi qu'à Tyko. Elle savait que son frère était le seul capable de me retrouver pour se battre à mes cotés. Et Tyko doit sûrement savoir que sa sœur est morte pour lui permettre de vivre. Il doit porter ce poids si lourd depuis son combat à mon tombeau, espérant faire de la mort d'Astrid une bénédiction.

Et aujourd'hui, en me retrouvant, il l'a enfin accompli. Sa mort n'aura pas été vaine.

Je me dirige vers la baie vitrée et observe la ville. Nous sommes si haut, mais pas assez pour échapper aux tirs. Un Protecteur pourrait débouler de nul part et faire exploser ce salon avant que nous nous rendions compte.

- Tu t'es caché si longtemps... Comment as-tu fait ? demande-je alors qu'il me rejoint près de la baie vitrée.

- J'ai vendu mes services, je me suis acheté deux chasseurs de prime fidèles, et le tour est joué. Rien de plus compliqué lorsque tu sais que tout ne tourne qu'à l'argent et la gloire ici. Les gens se la jouent curieux mais ils ont trop peur de mettre le pied là où ça sent mauvais. Et comme la peur est le moyen de pression le plus efficace, j'ai su éloigner tous ceux qui avaient l'oreille un peu trop fine.

Du Tyko tout craché. Les deux chasseurs qu'on kidnappé Aya sont finalement des partenaires fidèles du maître de feu. Même  l'argent ne les ferait pas dévier de leur alliance, ce qui est bien rare pour des chasseurs de prime.

- Puis, poursuit Tyko, regardes cette ville. On n'en voit même plus le bout. Comment veux-tu retrouver un homme dans une tour parmi d'autres, à un étages parmi d'autres, au milieu d'une ville parmi d'autres ? C'était la cachette idéale mais introuvable.

C'est sûr que j'aurais mis longtemps avant de le retrouver. Heureusement Aya lui est tombé dessus par hasard.

- Tu disais avoir une solution, je t'écoute, l'incite-je pour en revenir au sujet important.

- C'est..., hésite-t-il, le regard froncé sur moi. Veux-tu parler de magie noire devant elle ?

C'est quoi ça, encore ?

C'est dangereux.

Bien plus dangereux que tout ce qu'on a pu croiser jusqu'à aujourd'hui, et j'ai peur de la rendre encore plus fragile qu'elle ne l'est déjà. Aya a déjà beaucoup à faire en apprenant à maîtriser son don, plus le mien, et plus tous les pouvoirs qui y naîtront. L'accabler d'un autre problème serait la condamner à ne jamais en voir le bout, elle est encore jeune et a besoin de garder espoir.

On partage le même corps mais ça ne veut pas dire qu'elle doit en subir les conséquences, si je peux la préserver de mes problèmes en les réglant seul, je le ferai.

Mais lui mentir est-ce une meilleure solution ? Son esprit est vif, la connaissant elle cherchera à résoudre ce mystère que je lui dise ou non.

Non, elle ne doit pas savoir. Peu importe, si je peux lui épargner une énième horreur humaine, alors je ne dois pas hésiter. Elle comprendra. 

- Aya... commence-je avant qu'elle ne me coupe.

Oui, je te fais confiance. Et tu le sais.

- Merci, avoue-je du plus profond de mon cœur.

Puis je retire à nouveaux nos liens, l'enfermant temporairement dans notre subconscient comme elle me l'a fait subir il y a quelques minutes. Mais cette fois j'ai eu son accord.

Je l'éloigne de moi, lui fermant les yeux et les oreilles aux révélations que s'apprête à me faire Tyko.

Je la protège, du moins j'essaye de m'en convaincre. Sa puissance est encore un mystère pour tout le monde mais ça n'empêche pas à sa sensibilité d'avoir encore du mal à suivre le rythme. Ce monde est nouveau pour elle, elle plonge droit dans l'antre des enfers et c'est de ma responsabilité de la garder en vie. Autant pour elle que pour moi. 

Autant pour elle que pour moi.

Tyko se tourne vers moi pour que je ne loupe aucun son de sa voix, il ne répétera sûrement pas deux fois son annonce si importante soit-elle. Alors je pivote aussi, une tête de moins que lui, et attend sa déclaration.

Le voir plus grand que moi est déstabilisant, il semblait si jeune à l'époque, plus petit et plus menu, la nouvelle recrue finalement. Lui et sa sœur étaient comme ma fratrie, ils m'ont servis comme un dieu et je ne les remercierai jamais assez pour ça. Le seul cadeau que j'ai pu leur faire est de leur donner accès à l'immortalité.

Lorsqu'ils sont venus me libérer du tombeau, j'ai immédiatement pris la possession des soldats Sola qui s'engloutissaient dans l'eau du lac. Je me suis servi de cet avantage pour les faire s'entre-tuer et les empêcher de pourchasser Tyko et Astrid, tentant malgré leurs blessures de ne pas se noyer.

En étant dans le corps de l'un de ces hommes, le dernier des survivants, j'ai voulu rejoindre mes deux amis disparus. Mais il ne restait que cet immense fleuve qui remplissait la grotte et faisait flotter les corps dans ses courants.

En fouillant bien, j'ai retrouvé Astrid parmi ces corps, elle était là, morte noyée.

Tyko avait dû l'a laisser pour s'en sortir, ou du moins Astrid a dû se sacrifier pour lui. Le choix entre les deux, aussi dur soit-il, était évident : Astrid devait mourir pour son frère, et non l'inverse. Elle savait que sa puissance ne l'égalait pas, qu'elle n'aurait pas pu autant survivre dans ce monde sans lui, alors elle a fait le choix de le laisser poursuivre sa quête à sa place.

Un acte qui m'avait brisé la fois où j'ai vu son corps. Elle semblait en paix, son visage était tendre et non marqué par la douleur. Elle est morte en étant soulagée de savoir son frère en vie. Et depuis ce jour, je me suis promis de garder Tyko près de moi pour honorer sa mort.

- Il y a un sort en magie noire qui permet l'invocation d'âme, mais le prix est élevé, m'informe Tyko.

Il sort de sa poche un petit papier où est inscrit une série de chiffres et de lettres, et me le tend.

- Ce sont les coordonnés d'un mage en relation avec eux.

Eux. La Meute. Je n'avais plus entendu parler d'eux depuis ma mort, je pensais qu'ils auraient été enfin anéanti par les Yurii, que Rika s'en serait occupé. Mais apparement non, leur trafic de magie noire circule toujours.

Dans un soupire, Tyko poursuit :

- Je m'étais renseigné pour Astrid, je voulais qu'elle revienne. Elle me manque tellement, tu sais... Enfin bref, a-t-il balayé d'un air détaché. J'ai aussi pu avoir quelques infos te concernant. Apparement, on pourrait redonner vie à ton âme pour que tu puisses vivre comme nous. Ton âme, aussi puissante soit-elle, saura reprendre sa forme en chair et en os, te permettant d'être... vivant, plus ou moins.

L'évocation de Astrid le trouble, il ne s'en est toujours pas remis. Son visage tente de cacher cette douleur mais sa lèvre qui tressaute le trahit. Elle nous manque à tous, autant à lui qu'à moi.

- Mais pourquoi ne pas juste retrouver mon corps ? demande-je avec évidence, ne voulant pas m'encombrer encore une fois dans un pacte de magie noire.

Son air surpris me déconcerte. Ai-je dit quelque chose qui n'allait pas ?

- T'es pas au courant ? s'offusque-il en clignant des yeux.

Mon silence lui donne la réponse qu'il redoutait. Non, je ne suis pas au courant. Et je déteste ça.

- Siskann, les Yurii ont brûlé ton corps. Ils avaient si peur que tu reviennes qu'ils t'ont incinéré, ne te permettant de ne plus jamais revenir. Du moins, c'était ce qui était prévu avant que tu rencontres Aya.

Je secoue lentement la tête, incapable d'y croire. Ils m'ont privé de tout espoir, alors que je m'efforçais d'y croire. Chaque minute passée ici à imaginer ma liberté, finalement je viens de tout voir s'effondrer devant moi. Sans corps, sans mon moi, mon vrai moi, comment suis-je censé revenir à la vie ? Comment pourrai-je me séparer de ce corps qui n'est pas le mien, de cette âme avec qui je fusionne ? Comment libérai-je Aya de cette prison ?

C'était la seule bonne fin possible, je n'en voyais pas d'autres. Sans mon corps, je suis condamné à rester une âme errante sans but. Un fantôme.

J'aurais pu être enterré comme un être-humain parmi d'autres, me permettant de reposer en paix, enfin. Vivre en paix, c'était un rêve si difficile à avoir ? Je n'ai ni eu le droit de vivre, ni de mourir. Alors que suis-je censé faire ? Ils m'auront traité comme un monstre jusqu'à la fin.

Les Yurii, je vais vous anéantir.

Je suis terrifié, mes yeux virent au violet écarlate et la vitre face à nous se fissure. Tyko se précipite sur moi pour m'attraper les épaules.

- Hé, ça va aller, me rassure-t-il. C'est pour ça que la Magie noire peut t'aider.

Complètement largué, je ne réfléchis même plus à ce plan dans lequel il m'imagine mettre les pieds. Mon esprit est ailleurs, me remémorant des épisodes de ma vie comme un film défilant sous mes yeux. Évidement rien d'autre que Rika n'apparaît, lui qui m'avait lâchement abandonné pour servir ses devoirs de Protecteurs, il m'a finalement sauvé. S'il n'avait pas séparé mon âme de mon corps, j'aurais définitivement disparu. L'a-t-il fait exprès ?

- Siskann, fais-moi-confiance, OK ?

J'acquiesce, la respiration toujours perturbée par cette bouleversante déclaration. Mon ami me prend dans ses bras et resserre son étreinte jusqu'à ce que je lui rende — un peu forcé comme câlin mais son attention me touche. Nous devrons être solidaires pour survivre aux prochains jours, le monde entier nous traque, nos têtes sont mises à de gros prix, et aucun magicien sensé ne nous accordera la moindre trêve.

Nous devrons nous battre comme avant, mais cette fois nous gagerons.

Je refais apparaître les liens de Aya pour lui permettre de revenir dans notre réalité.

Enfin ! J'ai cru étouffer.

Quelle fragile.

Je souris devant sa comédie ridicule et reprends un rythme respiratoire apaisant grâce à elle. Évidement, ça ne dure pas longtemps. Elle me charcute l'esprit en essayant de trouver le souvenir de ma dernière conversation avec Tyko. Un secret est un secret, et elle n'a pas l'air de savoir ce que sa signifie.

- Ta curiosité te tueras, sale gamine, lui lance-je alors qu'elle me procure un sacré mal de crâne.

Elle ne répond pas, restant concentrée sur mes souvenirs que je camoufle soigneusement. Elle est trop faible pour me battre, même à son propre jeu.

- As-tu oublié que tu j'étais plus fort que toi ? me moque-je en voyant que même ça, elle est incapable de le réussir sur moi.

Tu finiras bien par avouer.

Jamais. Car ce pacte de magie noire sera mon dernier mot dans ce monde que je déteste tant. J'ai déjà ma petite idée en tête et au grand jamais je n'en parlerai à Aya. Jamais.

Ou Tyko. Il avouera lui, il est plus gentil que toi.

J'étouffe un rire et observe ce fameux gentil maître de feu près de moi dont le sang sur les mains est aussi abondant que moi.

Il y a des secrets immortelles, Aya.

Toi aussi tu étais immortel.

Mon sourire s'estompe et je ne prends pas la peine de lui répondre. Qu'elle est agaçante quand elle le veut. Heureusement, Tyko me fait signe de le suivre pour aller trouver ce mystérieux mage noir. Ça me permet de fuir sa curiosité maladive et d'arrêter de briser mes neurones pour un secret qu'elle n'aura jamais. Le temps nous est compté, et nous ne pourrons pas fuir éternellement les Protecteurs. Alors je dois faire ce pacte.

Pour moi. Pour elle. Pour ce foutue monde que je rêve de voir brûler.

Aya est silencieuse mais attentive. Elle attend sûrement une erreur de ma part pour mettre sur table ce sujet de magie noire et m'avoir la main dans le sac, chose qui m'arrivera jamais. C'est mal me connaître d'espérer que je tombe aussi facilement dans ce piège. Autant moi que Tyko sommes doués pour sceller les discutions délicates et n'éveiller aucun soupçon.

Aya, promets-moi de ne jamais entrer dans la tête de Tyko.

Pourquoi ?

Promets-le moi.

Elle grogne, hésitante. J'attends patiemment sa réponse tout en suivant le maître de feu à travers les couloirs de la tour. Le secret ne doit jamais se savoir. Et même si je sais que Tyko saura l'arrêter à temps, évitant qu'elle fouille son esprit, Aya est parfois plus performante qu'elle n'y parait. Si elle le voulait, je suis sûr qu'elle mettrait à genou Tyko sans la moindre difficulté. Alors j'ai préféré la prévenir.

Promis...

Arrivés sur le toit de la tour, nous montons dans un vaisseau. Quatre soldats fidèles à Tyko nous accompagnent en cas de problème technique et s'assoient à l'arrière. Je m'installe à l'avant en tant que copilote de mon meilleur ami.

- Tu veux revenir ? demande-je à l'attention de Aya, alors que Tyko se prépare à décoller du sol.

Elle n'a pas besoin de me répondre pour savoir qu'elle confirme. Je ressens ce qu'elle désire, et là elle veut redécouvrir la sensation de son corps.

Même si sa confiance en moi est grandiose, je peux comprendre qu'elle souhaite restreindre mes activités sur son corps et sûrement se convaincre qu'elle a toujours le contrôle sur moi. Sans me l'avouer, je sais que c'est qu'elle pense au fond d'elle. Sa peur de sombrer à tout jamais dans mon esprit sans jamais être capable de revoir la réalité. Être enfermée dans un subconscient qu'elle ne maîtrise plus vraiment.

J'aurais beau la rassurer cette pensée refoulée sera toujours présente, c'est une peur innée chez elle de perdre ce qui l'a défini.

Pourtant je le pourrais ; voler son âme, l'absorber toute entière, tuer Aya et l'esprit léger qui tourbillonne à cet instant même. Je suis amplement capable de la faire disparaître pour reprendre son corps et ainsi user pleinement de mon pouvoir, plus du sien.

Je pourrais tout lui prendre. La laisser à la dérive, à jamais inconsciente, comme mon âme l'était avant de la trouver. Mais ce n'est pas moi d'agir ainsi, loin de là. Je ne m'en remettrai sans doute jamais si je faisais une telle chose sur elle, cette même fille qui me confie sa vie comme on me l'avait jamais confié.

Sans elle je ne serais rien, alors j'essaye de la remercier autant que je peux, au mieux par des actes que par des paroles.

Et puis cette solution de magie noire est aussi là pour elle, pour la sauver. Mon cas passe bien après. Ou pas du tout.