11.2 Trônn
Alors que j'allais à nouveau rattraper la chasseuse de prime et ses agaçantes énigmes, la voix de Rika m'interpelle.
« Arrête, Trônn, réfléchis. Tu crois être tombé sur elle par-hasard ? T'as débranché tes neurones ou quoi ? Réveilles toi, Trônn, aucun chasseur ne se montre en public surtout en pleine mission. J-A-M-A-I-S. Tu comprends ? Si elle s'est mise en travers de votre chemin, c'est volontaire. »
Je ne comprends rien. Dans un long soupire, je tends l'oreille pour entendre l'explication de Rika qui éveillera peut-être mon esprit de stratège trop lent pour cette situation.
« Elle t'a prévenu à deux reprises que vous étiez des obstacles à sa mission, si tu continus de la suivre elle devra vous éliminer. »
- Et en quoi on serait un danger pour sa mission ? Elle l'a dit elle-même, nous ne sommes pas sa cible, m'exclame-je, le cerveau en fumé.
Rika soupire et demande sur un ton idiot, simplement pour se moquer de ma niaiserie :
« Et qui est sa cible, à ton avis ? »
Même en faisant semblant de réfléchir, rien ne me vient. Mon silence incite Rika à répondre sur un ton encore plus lassé et désinvolte que tout à l'heure.
« Notre cible à nous, crétin. »
La réaction de Ari dans l'oreillette ne me laisse pas le temps d'en placer une.
« Quoi ?! Comment Tyko peut être aussi recherché par les chasseurs ? » s'exclame-t-il d'un ton assez fort pour me faire froncer les sourcils.
Pas besoin de hurler, l'oreillette est bien assez sensible pour qu'on s'entende tous parler. Évidement, ce détail manque à l'appel de certain.
Le reste de l'équipe reste silencieux mais leur réaction doit sûrement être similaire, la mission se complexifie trop pour la poursuivre. Du moins c'est mon avis, les ordres seront donnés par les supérieurs à la logistique.
Si Rika a raison — et il a toujours raison — et que nous empiétons sur le travail des chasseurs en s'en prenant à Tyko, alors la confrontation est inévitable. Toutefois, notre équipe actuelle n'a pas été formée pour se battre ce soir, nous devions seulement rester à distance et se faufiler discrètement entre les murs de cette tour.
Nous avons eu beaucoup de chance d'être tombée sur cette femme à couette qui nous a laissé une seconde chance pour ne plus traîner dans ses pattes. Surtout que, au nom de la loi, nous sommes en tords en ayant été sur le passage d'un chasseur de prime en mission. Aucun soldat n'aurait pris notre défense, nous ne sommes pas au Royaume de Sola, ici rien ne joue en notre faveur
Et puis, la magie de mes camarades aurait sûrement servi à rien face à cette fille, elle semblait immunisée face aux sorts. Étrange, d'ailleurs.
« Bon... » commence soudainement Rika pour avoir notre attention. « Admettons que Tyko est un avis de recherche sur le dos, ça ne signifie pas qu'il n'aurait pas sa place au Cercle d'État d'un souverain, non ? »
Effectivement, Tyko a beau avoir des ennemis, ça ne l'empêche pas de s'être l'allié à l'un des souverains. Toutefois, l'idée reste étrange. Les souverains ne se font que très rarement la guerre. Alors pourquoi l'un d'eux prendrait-il ce risque simplement pour se coltiner le maître de feu ? Même si d'un coté, avoir comme garde du corps un magicien comme lui est bien confortable, ça ne vaut pas le prix de se mettre à dos le reste des souverains.
« Peut-être mais les probabilités sont faibles. Les souverains sont en bonnes ententes avec les chasseurs, ils n'auraient pas pris le risque de prendre Tyko sous leurs ails alors que sa tête est mise à prix. » objecte Cassio.
« Sauf que l'Écurie des chasseurs ne dépend pas de Ama, ni d'aucun autre territoire, d'ailleurs. Ce qui peut supposer que certains chasseurs ne collaborent pas forcément avec les souverains, au contraire. Mais avec ceux qui voudraient leur nuire. » répond Rika.
Ça me gonfle...
Moi, Trônn, je suis un homme très ouvert. Rare sont les fois où je suis dérangé, de manière général j'accepte tout. Que ce soit quelqu'un ou quelque chose, je fais parti de ces personnes qui préfère voir la vie d'une seule et même couleur que de se laisser submerger par ce trop pleins de différences.
Pourtant, une chose m'agace plus que tout, et c'est cette situation.
On avait une mission préparée bien soigneusement à l'avance, pour une réussite presque garantie, et pourtant — comme toujours d'ailleurs —, tout s'écroule d'un coup. Tout se complique, les cibles changent, la formation change, le danger change, tout se transforme sous nos yeux alors que nous sommes encore sur le terrain et nous ne pouvons rien y faire. Mes nerfs montent alors que je m'imagine devoir rallonger la durée de mission, agrandir les risques de ce soir et m'éloigner de la victoire.
On devait seulement observer, c'était si simple. Ça devait être une mission aussi rapide qu'un diner. Mais alors que nous avions mis les voiles sur la cible qu'est Tyko, nous voilà en train d'évoquer « l'Écurie ». Cette horrible chose qui fait naître les assassins professionnels de ce monde.
L'Écurie des chasseurs de prime se trouve au Sud de Afa, encore plus loin que l'Empire de Siskann lors de la Grande Chute. Très difficile d'accès, aucun de nous n'y a jamais mis les pieds. Tout simplement parce que seuls les chasseurs de prime peuvent s'y rendre. Un sort empêche tout intrus de s'y engouffrer. Même le grand Rika.
« Donc une option s'offre à vous. » annonce Rika après réflexions.
« Une ? On a pas le choix, du coup » ironise Ari.
« Disons que j'ai surtout la flemme d'exposer un tas d'idées alors qu'une seule me plait. » rétorque-t-il.
Nous explosons de rire devant l'arrogance de notre Général. Il n'est vraiment pas diplomate, il impose ses choix sous prétexte que son avis compte plus que les autres.
« Vous vous chargerez de trouver un autre chasseur dont les relations avec Tyko sont bonnes, et que vous vendrez la fille à couette. Les chasseurs fonctionnent ainsi, ils se vendront à l'ennemi pour quelques pièces, alors autant en profiter. Donnant-donnant. Maintenant que vous savez la mission de l'un d'eux, c'est à votre avantage. » conclue le chef.
C'est partie pour le changement de plan. J'attrape Perle par le bras et l'invite activement à nous faire redevenir invisible avant que les soldats nous tombent dessus.
Donc on résume : On doit trouvez un autre chasseur de prime, puis lui vendre la fille à couette pour tenter d'avoir des infos sur Tyko. Vendre une info pour acheter une autre.
Nous remontons les étages et revenons rapidement sur le toit pour fuir cet endroit le plus rapidement possible, recroiser la femme à couette ne m'inspire en rien. Perle, toujours accroché à moi, active ses moteurs et me fait un signe de tête pour m'informer qu'il est prêt.
Heureusement que t'es prêt, sale gosse !
S'il avait eu trop peur pour décoller, je l'aurais fait basculer dans le vide. Pauvre enfant, première mission et déjà au bout du rouleau. Il s'habituera, les changements de plan de dernière minute c'est habituel ici, et les femmes terrifiantes aussi.
J'active mes moteurs dorsaux également et décolle en flèche en m'agrippant à Perle pour éviter qu'il ne tarde trop. À une centaine de mètres de la tour, une fois sûr et certain d'être en lieu sûr — enfin, en lieu moins risqué — je le lâche et nous redevenons visibles. Nous restons en lévitation le temps d'avoir les ordres de Rika. Durant ce laps de temps, le reste de l'équipe nous rejoint dans les airs, le sourire jusqu'aux oreilles.
- C'est quoi cette bonne humeur ? demande-je surpris.
Tous les visages se tournent vers Sony qui se tortille mal-à-l'aise. Son masque cache une partie de son visage mais je peux distinguer ses traits gênés malgré tout, un état dans lequel on ne le voit pas souvent.
- On peut dire qu'il était au bon endroit, au bon moment, ironise Fry en jetant des coups d'œil à son camarade encore plus rouge.
Ce dernier lève les yeux au ciel en espérant qu'on laisse cette conversation filer, toutefois nos curiosités sont à l'affûts de tous potins croustillants, même en pleine mission.
- J'étais en pleine expositions de nues, marmonne-t-il enfin, alors que le vent siffle à nos oreilles.
- Pardon ? On n'entend rien, relève Ari pour le faire répéter.
Le couteau bien remué dans la plaie, Sony finit par avouer :
- La tour dans laquelle j'étais, c'était une tour d'exposition nudiste. Du coup... bah...
Sa phrase en suspense nous laisse imaginer la suite.
Dans les quartiers d'affaires, les évènements s'enchaînent : tels que les enchères ; les conférences ; les expositions... Parmi ses dernières, l'art prend toutes sortes de formes et aucune limite ne semble pouvoir l'arrêter.
J'ai déjà assisté à des expositions d'art humain par invitation, et vu que je n'avais jamais eu l'occasion d'en voir de mes propres yeux, j'avais accepté. C'est un art étrange, plus que les autres, plus que n'importe quel art je pense. Ce sont des êtres-vivants comme nous, exposés dans une immense salle, et en fonction du thème de l'exposition leur portrait diffère.
- Et du coup c'était quoi le sens caché de cet art ? demande-je à Sony qui sursaute.
Son silence fait marrer Ari.
- Tu veux dire à part mater « l'art » ? se moque ce dernier en imitant des guillemets.
Tout le monde s'esclaffe, sauf Sony qui cache son visage de gêne.
« J'ai dû censurer ta vision pour le bien commun de l'équipe logistique. » lance Rika qui nous fait rire de plus belle.
Notre équipe à distance n'a pas seulement accès à nos conversations et nos localisations, ils ont aussi la main sur notre santé, nos degrés de magie et nos yeux. Oui, nos yeux. Grâce à notre équipement, ils peuvent voir exactement ce que nous voyons et donc là où est dirigé notre regard. Même si les sujets tels que le nu n'ont plus de secret pour nous, le fait que l'équipe logistique et Rika ont tous pu profiter du décore de Sony est d'autant plus drôle.
- Bon, assez rigolé, on a une mission à terminer, annonce-je enfin.
Rien n'est encore gagné, surtout sur Ama. Mieux vaut en finir une bonne fois pour toute, avant que tout les malheurs du monde ne s'effondrent sur nos têtes.
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