10.2 Siskann

Je m'appelle Siskann Saba.

Je suis le petit-frère de Rika Saba.

Je suis l'ennemi du Royaume de Sola.

Je suis coupable de plus grand génocide de notre ère.

Je suis coupable de la mort de ma famille.

Et malgré que mon frère m'est retiré la vie, je suis revenu pour poursuivre mes plans.

Mais ça, Aya, en a strictement rien à faire.

Non, elle préfère pleurer parce que j'ai osé dire que je n'aimais pas les cheveux bouclés, ce qui est évidement faux. J'adore les cheveux bouclés. Enfin, je me suis jamais trop posé la question. Mais mettre en rogne la gamine aux bouclettes emmêlées, c'est devenue si amusant.

Mes cheveux ne sont pas emmêlés !

Elle hurle, les larmes coulant sur ses joues comme si j'avais annoncé la mort de sa mère. Je suis prêt à parier qu'une touche d'hypersensibilité se trouve dans ce petit corps tout fragile. Elle ne réagit pas à chaud mais certains sujets semblent complètement la révolter. Et des sujets aussi futiles que ses cheveux, ce qui me déconcerte beaucoup.

- Aya, j'arrive même pas à passer ma main dans tes cheveux, ironise-je en essayant de glisser mes doigts dans sa chevelure.

Mais c'est impossible, donc : Oui, ses cheveux sont emmêlés.

Je suis encore dans le taxi, au contrôle du corps de Aya. Elle a préféré me laisser les rênes pour retrouver le sabre, et je ne l'ai pas contredit. La connaissant, tout aurait été foutu en l'air à cause d'elle. Si c'est moi qui gère, ça fonctionnera. Si c'est elle, bah...

Arrête ça ! Tu vas casser mes boucles !

Je vais casser ses boucles ? C'est possible de casser des boucles, d'abord ?

Le débat capillaire part un peu loin, je n'y connais pas grand chose d'ailleurs. Je préfère donc ne pas riposter et me concentrer sur le trajet.

Des débats inutiles j'en ai eu avec elle, comme par exemple savoir si le pot de fleur dans sa chambre devait être arrosé le matin ou le soir. Ou bien sur la signification de son prénom que je trouvais bien loin de sa personne. Car oui, « Aya » désigne une femme active, volontaire, droite, loyale, responsable et qui accorde difficilement sa confiance. Je suis d'accord sur un point : la méfiance. Le reste, c'est très ironique.

Aya, responsable ? Le fait de m'accepter est irresponsable, le fait de m'aider est irresponsable, le fait de refuser de connaître mes crimes est irresponsable... Aya est dans le déni, elle n'assume rien d'autre que sa propre personne. Une égoïste indifférente, après tout. Mais ça m'arrange bien.

Le chauffeur arrête le taxi et m'observe à travers son rétroviseur. Il est encore sous hypnose, pauvre homme. Ses pensées sont à moi. C'est grâce à ça qu'il oubliera ma présence à l'instant où je sortirai, même si je n'ai pas payé. Je le salue rapidement et ouvre la portière pour mettre un premier pied dans le plus grand quartier des plaisirs du monde.

Il fait la taille d'une ville, peut-être un tiers de la capitale du Royaume de Sola, ce qui est déjà impressionnant. Les tours sont bien plus petites que les autres secteurs, permettant à tous de pouvoir en admirer les balcons et les toit garnis de guirlandes lumineuses et d'hologrammes représentant des femmes de tout types.

Chaque bâtiment est à l'image de sa Maison, et chacune d'elle propose une série de services qui leur est propre. Un quartier dédié à la vente de femmes, et sans oublier les quelques Maisons qui proposent aussi la vente d'enfants malgré le tabou à leur sujet. La pédophilie est très répandue sur Ama, tout comme les violes, les meurtres, les vols, et les pertes de contrôles lié à la drogue... Tout est si peu encadré que ce sont des sujets dit « sans importance » par les souverains du continent.

Après tout, tout est possible ici. Et quand je dis tout, c'est vraiment tout. Ce qui rend cet endroit encore plus répugnant.

Je m'élance au milieu d'une large allée et défile devant toutes sortes de Maisons Closes dont les femmes à moitiés nues posent dans les vitrines. Les hommes bavent devant comme des animaux affamés et sortent des bourses énormes de pièces pour réclamer une nuit avec elles. Beaucoup d'entre eux n'ont aucune honte et se vantent même de pouvoir s'offrir de tels services, toutefois, quelque uns se cachent derrière d'amples vêtements ou des masques ne permettant à personne de les reconnaître. Et ce sont ceux-là les plus dangereux.

Me faufilant à travers la foule, je crois beaucoup de regards, beaucoup trop. L'alter de Aya est incontrôlable dans un endroit pareille, j'absorbe les désirs de chaque homme, les pensées révoltantes qui planent dans leur esprit. Tout me traverse sans limite. Je pourrais les noyer dans leurs démons, les faire subir bien plus qu'ils ne font aux autres, mais je me contente de limiter les dégâts.

J'ignore les visages qui se tournent vers moi, les paires de yeux qui suivent mes pas comme s'ils en étaient agrippés. Je fuis ce monde terrifiant dans lequel Aya va devoir mettre les pieds.

Siskann...

Elle a tout vu, elle aussi. Tous ces regards affamés que l'on croise, tous ces barbares qui ont violé leur femme, leur enfant. Il y en a tellement.

C'est horrible.

- Le monde est horrible, Aya.

J'aurais préféré lui éviter ça, la garder innocente encore quelques jours. Mais je ne peux plus, et ça ne fera qu'empirer malheureusement.

Un homme m'attrape le bras et me pousse soudainement dans un petit coin de la rue. Là où personne ne peut me voir pour ce qu'il souhaite me faire. Quel idiot. Il est tombé sur la mauvaise femme, ce soir.

Je peux sentir Aya fermer les yeux et se laisser submerger par la peur. Mais elle a oublié que j'étais pas aussi facile à battre, surtout ici où seul les abominations vivantes circulent. Je vais me faire un malin plaisir de me défouler.

- Passe le bonjour au diable, souris-je avant de claquer mes doigts sous son nez.

L'homme s'écroule au sol. Ses cellules se referment sur lui et se rapprochent les unes des autres. Il crache du sang à mes pieds comme si son cœur allait se libérer de son corps. Toute son âme ne demande qu'à sortir, ses yeux pleures rouges, son nez s'écoule rouge, bientôt il éclatera. Il peine à crier, sa gorge s'étouffe à cause des globules rouges qui s'agglutinent dedans.

Je m'éloigne, tournant le dos à son corps bientôt mort. Et, au moment où je détourne le regard, empêchant Aya de voir ce spectacle cruel, l'homme explose sur lui-même. Une multitude de bouts de chairs volent et s'écrasent au sol comme une pluie terrifiante.

Un petit tour que j'aime faire lorsque mes cibles méritent la souffrance ultime avant de disparaître.

Quand on maitrise l'espace et qu'on a été bon élève en cours d'astrophysique, on comprend l'ampleur du pouvoir de notre famille. Rapprocher les cellules comme le trou noir le fait grâce à sa singularité gravitationnelle puis, une fois les organes broyés, il suffit de faire rejeter la matière de cette même singularité comme le ferait un trou blanc. Et là tout explose, le feu d'artifice dans toute sa splendeur.

Beurk.

C'est tout ce qu'elle trouve à dire ? Cet homme est mort de la pire des méthodes et aucun dégoût ne ressort de son esprit. Elle pleure pour ses cheveux mais non pour un mort ?

Aya, je commence à bien t'aimer, toi.

Je peux apercevoir la Maison que je cherche au loin, son apparence est peu discrète, plus lumineuse que les autres. Sur cinq étages, contrairement à trois pour les autres bâtiments, cette Maison attire les plus riches clients sans fournir le moindre effort.

Et la raison c'est que celle que je cherche, Madame Logastri, est l'une des femmes les plus demandées du quartier.

Je ne l'a connais pas, mais je peux deviner sa popularité en observant le nombre d'affiches à son effigie sur ma route. Une grande, fine et rousse femme dont la magie serait un délice au lit. Et évidement, ma relique se trouve chez elle.

Je m'arrête devant la fameuse Maison et glisse mon regard sur la longue queue d'hommes et femmes qui attendent leur tour pour pouvoir entrer. Donc en plus d'être populaire, il faut réserver. Un guichet est même installé devant la Maison pour permettre à tous de payer son ticket d'entrée et de réserver sa place.

Roh... mais t'as vu l'attente ! Faut demander s'il y a un coupe-file. On peut peut-être gratter quelques minutes.

Mais elle me prend pour qui ?

D'un pas confiant je passe devant tout le monde et atterris devant la dame du guichet qui hausse un sourcil à mon arrivé.

Pas besoin de coupe-file.

L'homme derrière moi m'attrape une épaule pour me virer mais je l'hypnose d'un regard et le fais taire, laissant sceptique la dame du guichet de mes vraies intentions.

C'est sûr que je n'ai ni le profil ni le comportement d'une personne prête à assouvir ses besoins ici. Mais je ne rebrousserai pas le chemin, quitte à entrer de force.

- Je viens voir Madame Logastri, annonce-je sous son regard méfiant.

- Pour ? demande la dame d'autant plus surprise.

Pour récupérer mon sabre ? Pour tuer les Yurii avec ? Pour détruire le Royaume ensuite ?

Évidement je ne réponds rien, à la recherche d'une idée plus ou moins crédible, mais elle me devance.

- L'attente est de 3 semaines, voilà votre ticket ainsi que le prix à payer pour...

Sa phrase ne se termine pas, mon regard violet éclatant lui empêche de prononcer le moindre mot. Le pouvoir de Aya est si utile, je pourrais manipuler le monde entier rien qu'avec mes yeux.

Comment se fait-il qu'elle se soit égarée dans le petit village où elle vivait ? Elle mérite bien mieux comme vie que celle d'une enfant rejetée de la société par ses différences, en sachant pertinemment que c'est sa force qui fait si peur aux autres, pas sa différence.

La dame du guichet, immobile sur sa chaise, me fixe sans pouvoir s'exprimer comme elle le voudrait, elle tombe dans un sommeil éveillé dont je suis le seul capable de maîtriser.

Durant ce laps de temps, je réfléchis.

Sans ticket je ne peux pas entrer, à moins de tuer tout ceux qui m'en empêchent et m'attirer la foudre des Protecteurs dans les prochaines minutes. Je préférais trouver une autre solution.

J'attrape alors le ticket — sans payer, bien sur — et l'observe attentivement. Il y a marqué la date et l'heure à laquelle je dois me présenter pour pouvoir profiter de Madame Logastri, le créneau est de 45min chacun, sans probabilité de faire plus. Les 15min avant de passer à la prochaine heure permettent sûrement à la femme de se préparer avant de recevoir son prochain client. Si je trouve le bon créneau, je peux donc profiter de ces 15min pour lui parler.

Toujours sous hypnose, je demande à la dame du guichet :

- Qu'elles sont les horaires de pauses pour Madame Logastri ?

- Elle ne dort que 5h par jour, de 12h à 17h, répond-elle comme un robot. 

Évidement, elle ne dort pas la nuit alors que ce sont les créneaux les plus demandés. Et je n'ai pas le temps d'attendre. Alors je reste sur la première idée que je me suis faite, à savoir ; profiter de ses 15min de répits pour la voir.

- À quelle heure sortira son prochain client ?

- 22h45.

J'acquiesce avant de faire demi-tour, laissant la dame enfin reprendre ses esprits en oubliant l'entièreté de ce qu'il s'était passé durant ce temps d'hypnose. Je cache rapidement le ticket dans une petite poche de ma robe et remonte une énième fois ma bretelle.

J'ai encore une bonne vingtaine de minutes devant moi avant de passer à l'action.

En croisant le regard d'un homme rivé sur ma tenue bien légère, je pousse un long soupire et demande à l'intention de Aya :

- Tu ne veux pas aller te changer ? Je vais finir par tuer quelqu'un sinon...

Avec plaisir, je me sens terriblement nue, ici.

Et nos rôles s'inversent, la laissant reprendre le libre-arbitre de son corps après presque deux heures à n'en être que le point de vue extérieur.

Elle part à la recherche d'une boutique de vêtements, et moi je l'observe depuis notre subconscient, me demandant pourquoi elle ne m'a pas encore dénoncé. Pourquoi suis-je encore près d'elle. Pourquoi reste-t-elle près de moi.

Qui es-tu, Aya ? Quelque chose m'échappe chez toi mais je suis incapable de savoir quoi. Mais je finirai pas le découvrir, comme j'ai su découvrir les secrets du Royaume. 

Ma famille me haïssait, père, mère, frères et sœurs, tous voulaient ma mort. Les tuer devenait une évidence, c'était ma survie contre la leur. Et, autant que Rika l'est, je déteste la défaite. Je me bats jusqu'au bout, je triche, je mens, je trahis, mais je gagne. Ma famille pensait pouvoir me vaincre, mais il avait créé un monstre en moi indomptable. Et malheureusement, ils n'ont pas su arrêter leur propre démon.

Ils voulaient jouer à la loi du plus fort sans reconnaître être les plus faibles, et leur échec a été vain.

Si seulement j'avais eu le cran de tuer Rika, nous n'en serions pas là. Ma vengeance aurait marché sur le Royaume de Sola, sur les Yurii, et ma vie aurait été pour la première fois en prospérité.

Peut-être qu'il n'est pas trop tard. Peut-être que Aya me permettra d'aboutir mes plans. Enfin.

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