Chapitre 87
PDV Jade
" Au fait, tu as fait quoi avec tes cheveux ? " je demande alors que je jette à nouveau un coup d'oeil à Léna qui a posé sa tête sur mon épaule.
" Petit changement " elle murmure, visiblement pas encore prête à faire la conversation.
" Petit changement hein. Pour qui ? "
" Moi-même... "
" Mhh... Bien sûr "
Elle relève la tête et me regarde en plissant les yeux.
" Et toi, pourquoi ce changement alors ? " elle demande en retour.
" Pour moi-même bien sûr " je réponds un peu trop sur la défensive en me rappellant ce que Lucie m'avait fait faire chez le coiffeur.
" Mhh... Bien sûr " elle reprend mes mots avec un petit sourire.
" Ne te fais pas des idées " je glousse face à son expression.
" Attends que nous sortons d'ici, je sens que tu as beaucoup de choses à me dire "
Nous nous retournons toute les deux vers le couloir à l'entente d'un claquement de porte. J'ai un mauvais présentiment.
Edouart a été transféré dans une chambre normale quelques heures après l'annonce du médecin qu'il allait mieux. Ils nous ont informés qu'il devrait se réveiller durant les heures suivantes, et nous avons fait qu'attendre.
Léna et Jeanne ont été les seules à entrer dans la chambre d'Edouart depuis. Samuel était tout pâle quand il observait le personnel faire entrer son père dans sa nouvelle chambre, puis il est sortit prendre l'air.
On a passé une à deux heures dans la cour de l'hôpital, la plupart du temps en silence, en marchant, ou parlant de tout et n'importe quoi, de choses dont nous avions jamais parlé.
Comme la fois où il avait essayé de draguer une infirmière à ses treize ans. Quand il a commencé à parler du jour où il est tombé du vélo et a été transporté à l'hôpital, je l'écoutais avec un petit sourire, parce que les souvenirs d'enfance comme celui-là nous semblent beaucoup plus marants que quand nous les avons vécus. Je ne savais pas qu'il avait commencé à me parler de cet évènement de son enfance pour faire un lien avec cette infirmière. Il m'a expliqué tout ce qu'il a fait pour la draguer et je me sentais vraiment, vraiment idiote de ressentir de la jalousie.
En pensant à ce souvenir il a rit, oubliant pourquoi nous étions à l'hôpital, et j'étais contente qu'il pense à autre chose pour quelques instants.
A un moment il a arrêté de parler et m'a demandé si j'avais fait quelque chose de mal, quelque chose de fou, durant mon enfance. Il a rit en me disant qu'il me voyait comme la petite fille parfaite dont les parents sont fières, et qu'il ne pourrait jamais m'imaginer en tant que petite 'délinquante '.
Je voulais le surprendre en lui racontant quelque chose de fou que j'avais pu faire, mais, hônnetement, je n'ai rien trouvé.
" Une fois j'ai séché une heure de cours pour aller à la fête foraine, cela compte ? " j'ai finis par dire.
Il a seulement rit en passant son bras autour de mes épaules, et nous avons continué à marcher pendant quelques temps.
Puis, quand il semblait se sentir mieux, nous somme retournés dans l'hôpital et il est finalement allé voir son père. Il m'a demandé de le laisser seul, et il a mis sa mère et sa soeur dehors, fermant la porte derrière lui.
" Tu penses que c'est lui ? " Léna demande alors que nous nous lançons les mêmes regards.
" Je n'espère pas " je soupire.
Nous nous levons tous, Jeanne semblant plus fatiguée que jamais alors qu'elle nous suit jusqu'à la chambre d'Edouart. Nous apprenons à cet instant qu'il s'est réveillé. Mais Samuel n'est plus avec lui.
Léna se jette quasiment sur son père, Jeanne restant un peu en retrait alors qu'elle lâche un soupir de soulagement. Edouart me regarde dans les yeux et quand une larme s'échappe et coule sur sa joue, c'est mon signal pour partir et aller retrouver Samuel.
J'espère qu'il ne lui a pas dit quelque chose de mal.
Je regarde tout autour de moi une fois dans le couloir, ne sachant pas vraiment dans quel sens aller. S'il était sortis dehors, nous l'aurions vu passer devant la salle d'attente, hors, ce n'est pas le cas.
Je me dirige donc de l'autre côté du couloir et demande à quelques infirmières sur mon passage s'il n'ont pas vu Samuel, que je décris du mieux possible.
Personne ne sait où il est, jusqu'à que je le retrouve assis sur une marche sur les escaliers de secours.
Je soupire de soulagement et m'avance lentement vers lui, m'installant en silence à ses côtés.
" Ca va aller ? " je murmure, ne trouvant rien d'autre à dire.
Il éclate en sanglots. Littéralement.
Ma poitrine se resserre à cette image alors que je l'attire vers moi sans qu'il se débatte. Je mord ma lèvre inférieure. Je ne l'ai jamais vu comme cela, c'est beaucoup plus fort que la fois où il pleurait quand Edouart avait fait du mal à Jeanne, et entendre ses sanglots me coupe quasiment le souffle.
Il s'est trop retenu. Trop longtemps.
D'une main je caresse ses cheveux alors que de l'autre je dessine de petits cercles sur son dos. J'ai envie de lui dire d'arrêter parce que ça me fait terriblement mal de le voir comme cela, mais en même temps je veux qu'il continue, qu'il évacue tout pour une fois, pour qu'il puisse se relever en force par la suite.
C'est comme si chaque minute qu'il pleure représente une année de souffrance. Et un quart d'heure plus tard, il n'est toujours pas calmé.
" Je suis désolée " je chuchote dans ses cheveux.
Maintenant que son mur est détruit et que je peux enfin voir le vrai Samuel qui se cachait sous sa carapace, j'ai l'impression d'avoir ajouté à sa souffrance.
Il m'avait avouée qu'il souffrait à cause de l'amour, que c'est pour cela qu'il essayait de m'éloigner, pour cesser cette douleur. Mais je n'arrivais pas à le croire, il faut l'avouer.
Maintenant je sais, et je regrette encore plus les mots que je lui ai dit quand il a demandé à parler.
Voyant qu'il se calme peu à peu, reniflant et hoquetant quelques fois, je m'écarte un peu pour sortir un mouchoir de mon sac et le lui tend. Il renifle encore une fois avant de se moucher et je prend sur moi pour sécher ces larmes à l'aide d'un deuxième mouchoir.
Il détourne le regard, et quand je recule ma main de son visage, il se tourne entièrement et regarde les marches.
" Je suis pathétique. Un gâchis " je l'entend murmurer à lui-même.
Je lève les yeux au ciel. Il n'arrête pas, il n'arrête toujours pas.
" Veux-tu arrêter de te rabaisser s'il te plaît ? " je quémande d'un ton agacé.
" Je ne me rabaisse pas "
" Tu le fais. C'est exactement ce que tu fais en ce moment. Arrêtes, je t'en supplie. Sois toi-même, oublie tout ce qui s'est passé jusqu'à maintenant et recommence ta vie. Ce n'est pas simple d'effacer certaines choses de ta mémoire, j'en suis consciente, mais il le faut. Il le faut Samuel, parce que tu ne peux plus continuer comme cela. "
" Tu as beaucoup changé, tu sais " il murmure, ignorant complétement ce que je viens de dire et souriant légèrement. Je connais ce sourire, et je ne l'aime pas du tout.
" On change tous au fil du temps, Samuel. "
Il ricane. " Jusqu'à aujourd'hui je ne t'aurais pas cru "
" Me crois-tu maintenant ? "
" Un minimum. Il s'est excusé. Tu t'en rends compte ? Il s'est excusé. "
" Il a compris son erreur, tant mieux pour lui. "
" Ses erreurs " il pointe.
" Peu importe. L'important est qu'il en prenne conscience, tu ne penses pas ? "
" Ouais... " il murmure, ses yeux glissant à nouveau vers le vide.
J'ai envie de le prendre par les épaules et de le secouer pour qu'il se bouge et arrête d'agir comme un fantôme. C'est frustrant.
" Qu'est-ce que tu penses faire maintenant ? " je reprend, le silence devenant insupportable.
" Honnêtement ? Je n'en ai pas la moindre idée. J'ai l'impression d'avoir découvert que mon père n'est pas mon vrai père, alors que c'est l'inverse. Je ne sais pas... C'est comme si tout ce à quoi je croyais s'étaient envolés et... Et je me sens trahie. Tu imagines à quel point ma vie aurait pu être différente aujourd'hui si tout cela n'aurait pas eu lieu ? ". Il repose son regard sur moi.
" C'est à toi de la changer maintenant. "
" Je ne sais pas comment faire... "
" Tu le sais " j'affirme fermement en me relevant. " Reprends-toi Samuel. Ce n'est pas toi ça. Tu es bien plus fort et courageux que cela, je te connais un peu pour pouvoir en être sûre. Prends ton temps, mais reprend toi. Il est temps de faire une croix sur cette partie de ta vie, tu ne penses pas ? "
Je tapote son épaule, lui souris une dernière fois, puis remonte la marche sur laquelle nous étions assis. Je jette un dernier coup d'oeil derrière moi, Samuel toujours de dos, et je pousse finalement les portes pour sortir des escaliers de secours.
* * *
De retour chez mon père, je m'enferme dans la salle de bain et remplie la baignoire d'eau chaude et lotion moussante que je n'utilise jamais d'habitude. Je me déshabille, détournes le regard du miroir en voyant ma clavicule, et c'est avec un soupir de plaisir que je rentre dans l'eau, laissant mes muscles se relâcher.
J'avais besoin de m'éloigner de cet hôpital pour quelques heures. Voir Samuel dans cet état me troublait beaucoup trop.
Je sais que ce n'est pas le moment de penser à moi-même, à ce que je ressens et à ce que je veux. C'est le moment pour Samuel de reprendre sa vie en main, d'oublier son passé et les choses qu'il a vu comme des vérités, des évidences. C'est simplement le moment pour lui de se retrouver, de faire la paix avec lui-même. Et pour cela, il doit pouvoir accepter l'excuse de son père.
Il pourra être heureux à ce moment. Je serais là pour l'aider, malgré tout ce qui s'est passé. Mais et après ?
Est-ce qu'il voudra réessayer avec moi ?
Est-ce que, moi, je voudrais réessayer avec lui ?
Je l'aime toujours. Oh que je l'aime. Mais ce n'est pas suffisant. Je ne veux pas qu'il pense qu'il peut faire tout ce qu'il veut et m'avoir dans ses bras après une excuse. Je veux qu'il travaille cette fois. Je veux qu'il se batte, comme je me suis battue.
Et c'est pour cela que je dis que ce n'est pas le moment pour penser à moi-même. Ce n'est pas le moment d'attendre qu'il se batte pour moi, alors qu'il a déjà beaucoup sur ses épaules.
Je vais attendre. Comme je l'ai toujours fait.
* * *
Je ne sais pas combien de temps j'ai passé dans la baignoire, mais quand Annie a frappé à la porte en m'appelant, j'ai littéralement sursauté et j'ai failli me cogner la tête contre le mur. Failli.
" Je sors dans cinq minutes ! " je l'informe quand elle m'appelle encore une fois.
" Il y a Samuel au téléphone, tu veux que je lui dise d'appeler plus tard ? "
Mon souffle se coupe un instant, puis la seconde suivante je sors de la baignoire et attrape un peignoir avant d'ouvrir la porte.
" T'as été vite dis-donc " Annie sourit en me tendant son portable.
Je roule les yeux, arrache quasiment l'appareil de ses mains et me réfugie dans ma chambre en repoussant mes cheveux collés à mon visage.
" Samuel ? Tout va bien ? " je demande en m'installant au bord de mon lit.
" Pourquoi es-tu partit ? "
" Oh... Je hum... J'avais besoin de me changer. Est-ce qu'il y a un problème ? "
" Non... Enfin... Vas-tu revenir ? "
" Le veux-tu ? "
" Je ne vais pas te forcer bien sûr mais... J'ai besoin de te parler. "
" Dans ce cas, je serais là dans l'heure qui suit. "
" Merci " il murmure puis nous raccrochons.
Je regarde un instant le portable d'Annie, me demandant comment a-t-elle eu le numéro de Samuel, puis je laisse tomber cette question et lance l'appareil sur mon lit avant de me lever.
Je sors des vêtements propres pour m'habiller, et c'est en me regardant dans la glace que je me dis que j'ai pris la bonne décision. Je ne veux pas être dans le même état que j'étais le soir où Samuel est partit. Ces marques sur ma clavicule vont disparaître, mais les cicatrices dans mon coeur resteront pour toujours ; et je ne lui donnerais pas une autre opportunité pour me blesser de cette façon.
J'ai pris la bonne décision.
Je me change, sèche mes cheveux, grignote quelque chose et sors de l'appartement sans que mon père puisse me poser des questions.
Je reprend la route de l'hôpital, une fois de plus. Je déteste les hôpitaix, c'est officiel.
Arrivée sur le parking de l'hôpital, je me gare, sors de la voiture, et commence à marcher quand j'aperçois Samuel venir vers moi.
" Est-ce qu'on peut aller à un autre endroit pour discuter ? " il demande, s'approchant de plus en plus.
" Hum... Oui, bien sûr. "
Je fronce les sourcils face à ce comportement mais décide de ne pas faire une remarque. Je me retourne et entre à nouveau dans ma voiture, Samuel la contournant pour s'installer côté passager.
" Où veux-tu aller ? "
" Je ne sais pas. N'importe où mais loin d'ici. "
Je hoche la tête, réfléchis un instant, et quitte finalement le parking. Je ne sais pas non plus où nous pouvons aller, si ça doit être un endroit calme ou pas, public ou non, mais je conduis, me disant que je trouverais bien un endroit.
" Pourquoi ton numéro n'est plus joignable ? " il demande après un moment.
" Oh... Je n'ai plus de portable. Il est... tombé au sol. "
Je peux sentir son regard sur moi suite à mes mots, mais je garde mes yeux sur la route.
C'est seulement quand je m'arrête pour faire le plein - et après avoir vu le regard absent de Samuel - qu'un endroit me vient en tête.
La falaise où il m'avait emmenée.
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